La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

mercredi, juillet 30, 2008

Bibliothèque idéale n°35 : la bande dessinée

Lagaffe nous gâte (1977) d’André Franquin (Dupuis. 1977)




Avec celle consacrée à la littérature jeunesse, la bande dessinée est sans doute la catégorie de la « bibliothèque idéale » qui a le plus mal vieilli. Publié en 1988, l’ouvrage a, effectivement, été rédigé avant l’éclosion de la « nouvelle BD » et l’on ne trouvera donc aucun de ces nouveaux albums qui ont renouvelé le genre sous la plume de Trondheim, Sfar, Satrapi, David B., Christophe Blain et beaucoup d’autres (songeons aussi aux talentueux dessinateurs de la bande à Tchô, que ce soit Zep, Tehem ou Boulet, une vieille connaissance !). On ne trouvera pas non plus de mangas (pourtant, Tanigushi…) ou certains grands noms de la BD américaine comme Art Spigelman (en 1988, Maus avait pourtant commencé de paraître en France).

Puisque le choix proposé ici est particulièrement académique (c’est d’ailleurs un peu le problème du livre !), nous nous sommes replongé dans les classiques.

Je dois vous confesser une chose : je ne suis pas un grand fan de Tintin (le boy scoutisme d’Hergé m’agace un peu, comme cette manière qu’a son héros asexué d’évangéliser les nègres ou les chinois !), ni d’Astérix (un petit peu trop franchouillard à mon goût), ni même de Lucky Luke (j’ai tendance à préférer au héros les vrais personnages mythiques qui ont existé et qui ont toute mon estime : les Dalton, Jesse James ou l’excellente Calamity Jane).

Attention, je ne nie en aucun cas le talent (voire le génie) des dessinateurs et scénaristes qui ont concocté ces séries mythiques mais aucune n’arrivera à détrôner dans mon cœur les aventures de Gaston Lagaffe, le plus sympathique héros de BD de tous les temps.

Je suis mal placé, n’étant pas un grand spécialiste de la bande dessinée, pour vous parler de ce fabuleux auteur que fut Franquin (j’ai été marqué, adolescent, par ses sublimes Idées noires) et de la qualité de son trait.

Par contre, je pourrais (je ne le ferai pas, rassurez-vous !) être intarissable dans mes éloges de son héros.

Gaston, c’est le héros de BD qui a appliqué avec le plus de talent le célèbre adage de Raoul Vaneigem : « Apprenez à créer, ne travaillez jamais ». Si notre hilarant hurluberlu a une sainte horreur de son travail de bureau qui le pousse à roupiller le plus souvent et à amasser des tonnes de courrier en retard ; il s’applique, de la même manière, à inventer les gadgets les plus farfelus, les plus insolites et les plus poétiques. Car Gaston est un poète, un doux rêveur et un véritable anarchiste. Ô ! Ce n’est pas Ravachol ni un adepte de la propagande par le fait (encore que dans Lagaffe nous gâte, une de ses inventions se transforme malencontreusement en explosif et menace dangereusement la voiture présidentielle !) mais il ne se prive jamais de faire tourner en bourrique la maréchaussée (cet inénarrable flic auquel il est sans arrêt confronté) et de ruiner les parcmètres ; de gâcher régulièrement les contrats des gros commerciaux (l’inénarrable De Maesmaker) et de lutter contre l’abrutissement des tâches quotidiennes.

Dans un autre album que j’ai acheté dans la foulée (Lagaffe mérite des baffes), on ressent également les préoccupations écologistes de Franquin (Lagaffe est le grand ami des bêtes) et, chose rare, nous voyons Gaston s’agacer des gadgets militaires vendus avec les albums de Spirou !

Inutile d’aller plus loin : vous avez compris que j’ai pris un énorme plaisir à redécouvrir les aventures de Gaston que je n’avais point relues depuis ma tendre enfance (je pense d’ailleurs me racheter toute la collection !) et de retrouver tous ces personnages mythiques (les collègues Prunelle et Lebrac, la belle Mademoiselle Jeanne, le voisin Jules…) et ces inventions (le gaffophone) et divers objets (le bilboquet, la boule de bowling…) à l’origine de nombreuses gaffes.

Gaston, c’est la paresse inventive, l’anarchie douce et la poésie incarnées. Un personnage unique dont les aventures n’ont pas pris une ride tant elles resplendissent du sourire malicieux de l’enfance.

NB : Je pense que certains de mes (rares) lecteurs fans de BD vont se faire plaisir dans cette catégorie alors n’hésitez pas : quelle(s) bande(s) dessinée(s) pour la « bibliothèque idéale » ?

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mardi, juillet 29, 2008

Bibliothèque idéale n°34 : la bibliothèque idéale des jeunes

Trois hommes dans un bateau (1889) de Jerome K. Jerome (Gallimard. Folio Junior. 2005)


La catégorie « bibliothèque idéale des jeunes » est sans doute l’une de celles qui a le plus vieilli. D’abord parce qu’on imagine mal un adolescent d’aujourd’hui se précipiter sur Les misérables d’Hugo ou Oliver Twist de Dickens, ensuite parce que le livre a été publié avant l’explosion, pour le meilleur et pour le pire, de la littérature jeunesse qui culmina avec Harry Potter et le succès que l’on sait.

Le succès du petit sorcier de JK.Rowling a, en effet, engendré tout une série de succédanées et une sous littérature mêlant sorcellerie et « heroic fantasy » (les plus caractéristiques étant les navets signés –mais sans doute pas écrit- par Besson !), faisant oublier qu’il existe par ailleurs d’excellents auteurs « jeunesse » comme Mourlevat, Jean Molla ou Gudule.

Pour ma part, j’ai opté sur les conseils de ma petite sœur qui constitue, elle aussi, sa bibliothèque idéale pour Trois hommes dans un bateau de Jerome K.Jerome.

Trois amis hypocondriaques et surmenés par la vie londonienne (le narrateur estime, après avoir lu une encyclopédie médicale, être atteint par tous les maux possibles et imaginables, exceptés l’inflammation du genou !) décident de prendre des vacances et de partir en croisière sur la Tamise à bord d’un petit bateau.

A l’origine, le récit de l’écrivain devait être plus ou moins documentaire (ses deux compagnons de route, George et Harris, ont réellement existé) et seules quelques réflexions humoristiques devaient agrémenter ce voyage touristique et culturel. Mais peu à peu, l’humour a pris le pas sur tout le reste et le livre est devenu ce qu’il est : une petite merveille de drôlerie et d’humour typiquement british.

Les chapitres sont agencés selon un même principe de construction : d’un côté, les catastrophes que ne cessent de provoquer les trois hommes dès qu’il s’agit de naviguer, de faire à manger, de nettoyer leur linge ou de monter une tente ; de l’autre, une série de digressions où l’auteur invente des anecdotes plus farfelues les unes que les autres pour amuser le lecteur (je recommande celle où notre narrateur doit ramener deux fromages bien faits pendant un voyage en train !).

Flegme, humour noir, observations sarcastiques ou caustiques : on trouve de tout dans ce trois hommes et un bateau où nos trois héros ont comme caractéristique sympathique d’être de gros flemmards (c’est dans ce livre qu’on trouve la fameuse et belle citation : « N’allez pourtant pas croire que je n’aime pas le travail, bien au contraire, il me fascine. Je suis capable de m’asseoir et de le contempler des heures durant. ») et de ne rechigner ni devant un bon gueuleton, ni devant une bonne bouteille.

Tout est parfaitement réussi dans ce roman : les dialogues sont enlevés, les réparties toujours savoureuses (les chamailleries entre les trois hommes valent leur pesant de cacahouètes) et Jerome a le sens de l’observation et du trait d’humour nonchalant qui, personnellement, me ravit.

Allez jeter un œil à ce récit fort drôle : vous ne le regretterez pas !

NB : A part Jerome K. Jerome, un autre auteur “jeunesse” me réjouit toujours : c’est bien sûr le grand Roald Dahl. Et vous, quels livres verriez-vous pour une bibliothèque idéale des jeunes ?

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lundi, juillet 28, 2008

Bibliothèque idéale n°33 : de la photographie au cinéma

Qu’est-ce que le cinéma ? (1958) d’André Bazin (Cerf. 1997)


Dans la catégorie « de la photographie au cinéma » de la « bibliothèque idéale », je pense que vous auriez deviné assez facilement vers quel art mon choix allait se porter. Et puisqu’il faut profiter de ces catégories un brin rigides, je suis retourné vers les fondamentaux.

André Bazin, c’est le père de la critique moderne et l’oncle putatif des « jeunes turcs » des Cahiers du cinéma qui deviendront par la suite les hérauts de la « nouvelle vague ».

Pour ma part, je ne connaissais du critique que quelques extraits de ses textes les plus fameux et les quelques chroniques que publient depuis quelques mois les Cahiers du cinéma (c’est d’ailleurs la seule chose actuellement intéressante dans cette revue à laquelle j’ai finalement décidé de ne plus me réabonner. Ca va me faire quand même un vide de n’avoir plus de revue de cinéma à lire !)

Qu’est-ce que le cinéma ? est un recueil des articles les plus primordiaux de Bazin, ceux où s’expriment avec le plus de force sa pensée sur le cinéma. On sait que le critique écrivit beaucoup et dans de nombreux journaux. Une des caractéristiques de son style, c’est la maïeutique. Jamais Bazin de cherche à imposer ses goûts et définir une fois pour toute ce que doit être le cinéma. Il s’excuse parfois même d’avoir à défendre certains cinéastes plutôt que d’autres et fait toujours œuvre de modestie. Qu’il écrive pour le « grand public » (dans France-Observateur) ou dans des publications plus spécialisées et pointues (Esprit, Les cahiers du cinéma), Bazin ne se départit jamais de son souci pédagogique qui lui permet d’être à la fois profond sans jamais être abscons et de permettre au lecteur de s’interroger sur ce qu’il a vu.

On trouvera donc ici ses articles les plus fameux, que ce soit celui sur l’ontologie de l’image photographique ou sur le montage interdit. On le verra également militer pour un cinéma impur, pour le néo-réalisme italien et réfléchir sur les liens entre le 7ème art et le théâtre et le roman (avec cette fameuse question de l’adaptation des classiques à l’écran qui sera un des chevaux de bataille du critique Truffaut).

Dire que la pensée de Bazin fut extrêmement féconde et qu’elle peut encore servir de point de repère aujourd’hui apparaîtra sans doute comme quelque chose d’extrêmement dérisoire mais j’aimerais néanmoins revenir sur quelques points qui me semblent importants.

Il n’est pas question pour moi d’ériger une statue de plus au critique défunt : si certains textes m’ont paru extrêmement stimulants et incroyablement justes (je pense à la manière qu’a eue Bazin de déceler l’extrême modernité de cinéastes comme Rossellini, Bresson ou Tati dont il parle avec un rare talent), d’autres m’ont semblé un brin redondants (sur le néo-réalisme en particulier) ou plus discutables (le texte sur l’érotisme au cinéma).

D’un autre côté, il m’arrive de lire des jugements incendiaires sur Bazin, tenu pour responsable unique des dérives naturalistes du cinéma français et jugé comme un inquisiteur sévère pour toute œuvre non réaliste.

Il est vrai que Bazin se montre sévère pour un cinéma voulant faire preuve de son autonomie et s’engageant dans l’impasse de « l’art pour l’art ». On le voit critiquer l’expressionnisme allemand (tout en pointant avec énormément de justesse ce qui sépare quelqu’un comme Murnau de ce mouvement) ou les « films d’art » français (mais qui peut encore les supporter ?). D’un autre côté, le « réalisme » qu’il prône (avec cette notion de « montage interdit », par exemple) n’a rien à voir avec le naturalisme le plus plat. Lorsqu’il loue chez De Sica la disparition de la mise en scène, du scénario et des acteurs, il souligne également ce que les films doivent au style du réalisateur. Le Réel n’est jamais chez Bazin une captation immédiate de la réalité (ce n’est pas un précurseur des zélateurs imbéciles de la « télé réalité » !) mais une matière retravaillée par la sensibilité de l’artiste et retranscrite par des moyens qui peuvent aussi être « baroques » (voir ses belles analyses du cinéma de Welles).

De la même manière, ses analyses des rapports entre le cinéma et théâtre, entre cinéma et littérature sont extrêmement fines et savent parfaitement distinguer ce qu’ont de spécifiques les différents langages.

Bien sûr, on peut être parfois un peu agacé par l’idéalisme (en gros, un humanisme teinté de christianisme) du critique qui lui fait voir toutes les inventions techniques comme un progrès vers « plus de réalité » (les arrivées successives du son puis de la couleur en attendant le cinéma en relief) et trouver son admiration pour quelqu’un comme De Sica un peu exagérée.

Il n’empêche qu’il n’est pas inutile de se replonger dans cet essai pour découvrir une véritable pensée sur le cinéma qui n’a, somme toute, pas vieilli.

Vous connaissez sans doute déjà les livres que je mettrais volontiers dans ma bibliothèque idéale dans cette catégorie. Pour la bonne bouche : La science-fiction au cinéma (Bouyxou), Une encyclopédie du nu au cinéma, Les yeux de la momie (Manchette), Godin par Godin, Godard par Godard, les trois tomes des Craignos Monsters (Putters), Nagisa Oshima (Louis Danvers et Charles Tatum Jr), Jésus Franco (Stéphane du Mesnildot), la Correspondance de Truffaut et tous les textes de Serge Daney.

Et vous, quels livres sur la photo et le cinéma placeriez-vous toute affaire cessante dans votre « bibliothèque idéale » ? (sans doute le Hitchcock/Truffaut que je rêve d’acquérir)

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mardi, juillet 22, 2008

Bibliothèque idéale n°32 : La musique

Ecrits d’Erik Satie (Champ Libre. 1981)


L’idéal serait de lire deux fois ce recueil des écrits du musicien Erik Satie, publiés de manière extrêmement savante par les indispensables éditions Champ Libre (près de 100 pages de notes !).

La première fois, il faudrait se contenter des textes de l’auteur de Parade ou de Trois morceaux en forme de poire, savourer son humour caustique et nonsensique sans connaître forcément le contexte dans lequelsils ont été écrits. Ensuite, on pourrait alors aborder la lecture « savante » et lire les notes qui accompagnent chacun des textes ou illustrations numérotés sous forme de paragraphes (531 en tout).

Pour ma part, j’ai opté pour la deuxième solution et même si j’ai pris énormément de plaisir à ce livre, je dois aussi avouer qu’il y a quelque chose d’un peu fastidieux à jongler entre les textes et les notes explicatives.

Je crois que je le disais en évoquant le Monsieur Croche de Debussy : je n’y connais absolument rien en musique (je ne m’en vante pas : je le regrette amèrement) et c’est donc plutôt en raison des extraits donnés par Benayoun dans Les dingues du nonsense que je me suis précipité sur les textes de Satie lorsque je les ai trouvés au parc Georges Brassens.

Ces écrits vont, à mon sens, du purement anecdotique au plus parfait génie drolatique. Anecdotiques et vraiment réservées aux thuriféraires du maître me paraissent ces petites-annonces qu’il écrivait pour le journal local intitulé l’avenir d’Arcueil-Cachan ou ces réclames qu’il élabora avec un sens certain de la calligraphie et du détail incongru (Satie vantant des châteaux hantés, des « maisons de retraite pour nègres » ou vendant des maisons comme « don du diable » !).

Anecdotique également ces descriptions minutieuses de la confrérie qu’il créa et dont il fut le seul membre. Si Satie fréquenta des gens comme Cocteau, les musiciens les plus « modernes » de l’époque (Milhaud, Poulenc, Honegger…) et, plus tard, le groupe Dada ; il ne faut pas oublier qu’il fréquenta également Le chat noir et les cabarets montmartrois (avec Alphonse Allais, notamment) et qu’il fut marqué par le goût de l’époque pour le canular, les sociétés secrètes occultes, les supercheries les plus fumeuses. Après avoir été membre de la Rose-Croix du Sar Péladan, Satie fonde l’Eglise Métropolitaine d’Art de Jésus Conducteur (sic !). Et de détailler avec force détails toute l’organisation de son église qui, par ailleurs, publiera des communiqués dont je ne parviens toujours pas à déterminer si c’est de l’Art ou du cochon !

A côté de ces textes qui me paraissent mineurs, les autres écrits de Satie sont absolument savoureux. On y trouve des chroniques musicales où il dit beaucoup de bien de Stravinsky, de Debussy (même si les « debussystes » l’exaspèrent !) et beaucoup de mal des critiques musicaux, de Ravel (« Ravel vient de refuser la légion d’honneur, mais toute sa musique l’accepte. ») ou de Saint-Saëns (dont il raille le chauvinisme).

C’est dans ce type de chroniques qu’on trouve une définition de ce que pourrait être l’Art selon Satie :

« J’ai toujours dit qu’en Art il n’y avait pas de Vérité –de Vérité unique s’entend. Celle qui m’est imposée par des ministres, un Sénat, une chambre et un Institut me révolte et m’indigne- bien qu’au fond cela me soit indifférent.

D’une seule voix, je crie : Vivent les Amateurs ! »

Ce dilettantisme rigolard explique sans doute pourquoi le musicien était voué à croiser la route du dadaïsme (c’est lui qui composa la musique d’Entr’acte de René Clair, scénario de Picabia et interprétation de Marcel Duchamp et Man Ray) même si ses relations avec Tzara, Picabia ou Breton et Aragon furent houleuses (je ne sais pas s’il y a une personnalité avec qui Satie ne se soit pas brouillée).

Personnellement, les textes que je préfère sont ceux où le musicien s’adonne totalement au nonsense (ses géniales Mémoires d’un amnésique ou ses Cahiers d’un mammifère), ses causeries ou se mêlent son humour absurde et un gloupitant sens du jeu de mot foireux (« l’homme qui a raison, est –généralement- assez mal vu, … même avec des lunettes… ») ou encore ses aphorismes dont certains sont restés assez célèbres.

Pour la bonne bouche, en voilà quelques uns :

« Je ne vois pas pourquoi l’argent n’aurait pas d’odeur, lui qui peut tout avoir. »

« Je ne lis jamais un journal de mon opinion : celle-ci serait faussée. »

« Je suis venu au monde très jeune dans un temps très vieux. »

Inutile de poursuivre plus longuement, vous l’avez parfaitement compris : Satie était un grand bonhomme.

Mais vous, que me conseilleriez-vous comme livre sur la musique pour notre bibliothèque idéale ?

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lundi, juillet 21, 2008

Bibliothèque idéale n°31 : Arts de tous les temps

Journal (1956) de Paul Klee (Grasset. Les Cahiers rouges. 2006)


Nous abordons aujourd’hui un domaine qui nous tient particulièrement à cœur, à savoir l’art, même si nous confessons bien humblement ne pas posséder énormément de livres sur ce sujet. Les récoltes pécuniaires de nos activités salariées ne nous permettant pas d’acquérir comme nous le souhaiterions de vrais beaux livres, nous devons généralement nous contenter de quelques ouvrages édités par Taschen, maison d’édition sympathique mais dont les textes sont très inégaux (pour une monographie satisfaisante de Schiele, combien d’horreurs presque illisibles ? Je pense particulièrement à l’ouvrage consacré à l’expressionnisme.)

Aujourd’hui, il ne sera question ni d’un ouvrage général sur la peinture ou la sculpture, ni d’une étude détaillée sur l’œuvre d’un artiste mais du journal intime du grand peintre suisse allemand Paul Klee.

Dès l’âge de 18 ans, Paul Klee a commencé à tenir un journal. Mais ce n’est pas ce « journal » que nous lirons directement. Le peintre ne livre pas au public ce qu’il a pu écrire au jour le jour mais une version retravaillée et réécrite. Il ne s’agit donc pas, à proprement parler, d’un « journal intime » au jour le jour (comme peuvent l’être ceux de Bloy, Nabe ou Manchette), ni de mémoires mais d’une tentative d’introspection qui s’inscrit entre ces deux genres littéraires ; Klee se remémorant à partir de ses notes ce qu’a pu être son existence à un moment donné.

Dans un premier temps, il évoque des souvenirs de sa tendre enfance : sa famille, les jeux d’enfants, les premiers émois sensuels…Nous le retrouverons ensuite étudiant et le suivront pendant ses années de formation : premiers amours, voyage en Italie, à Paris puis, beaucoup plus tard, en Tunisie.

Parallèlement à ces évocations, Klee livre ses réflexions sur l’Art, en particulier la musique (sa formation initiale) et la peinture et ses impressions sur les œuvres qu’il découvre (que ce soit des livres ou des opéras, des pièces de théâtre ou les toiles impressionnistes).

Le résultat est plutôt passionnant, même pour quelqu’un comme moi qui ne suis pas, loin s’en faut, un spécialiste de l’œuvre de Klee.

D’une part, parce qu’on y suit le cheminement de la pensée d’un artiste qui évoluera lentement vers l’abstraction après avoir été marqué par la peinture de Van Gogh et Cézanne puis par le cubisme. D’autre part, parce que la maturation de son style ne doit rien au hasard et demeure sans arrêt le fruit d’une réflexion.

« Au printemps 1901, j’établis le programme suivant : au premier chef, l’art de la vie, puis, en tant que profession idéale : l’art poétique et la philosophie, en tant que profession réaliste : l’art plastique et, à défaut d’une rente : l’art du dessin (illustration). »

De formation musicienne, Klee se dirige vers la peinture mais toujours avec cette exigence intérieure (ce qu’il appelle « l’art de la vie ») et cette volonté de la traduire plastiquement. Au début des années 10, il se lie avec Kandinsky et participe au groupe Der Blaue Reiter (le cavalier bleu) (il partira d’ailleurs en Tunisie avec August Macke). Les théories développées par Kandinsky dans Du spirituel dans l’art trouveront une certaine résonance dans l’œuvre de Klee qui cherchera lui aussi un nouveau langage plastique basé sur une certaine musicalité (il emploie souvent des termes musicaux pour parler de ses compositions et de ses harmonies de couleurs).

Beaucoup plus tard, Klee deviendra également professeur au Bauhaus jusqu’au moment où les nazis le contraindront à retourner en Suisse.

Au-delà du témoignage que ce journal peut apporter sur le cheminement intérieur d’un artiste, il faut aussi insister sur le fait que Klee est un véritable écrivain. La traduction de Pierre Klossowski m’a paru assez remarquable et lorsqu’on lit des phrases de ce style : « Rome, aussi affligée que je le suis, s’enveloppe de brumes et pleure avec moi. », on comprend que nous avons affaire à quelqu’un qui sait manier la langue.

De la même manière, la profonde mélancolie qui imprègne soudainement le journal au moment de la première guerre mondiale (où périt son ami Franz Marc dont Klee fait une évocation poignante) est assez bouleversante.

Voilà donc le genre de livre que je recommande chaleureusement. Et vous, quels livres relatifs à l’art vous paraissent indispensables pour une bibliothèque idéale ?

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samedi, juillet 19, 2008

En hommage à Siné...

« LES ISRAELIENS

Les Israéliens sont appelés ainsi parce qu’ils sont juifs. C’est-à-dire qu’ils ont le nez crochu, les doigts crochus, les yeux crochus, et la banane pelée. Pourquoi les doigts crochus ? Parce que, quand les Israéliens sont encore bébés, les rabbins leur crochètent les doigts à des fins religieuses. Mais c’est aussi une question d’hygiène. C’est comme les musulmans qui ne mangent pas de sanglier à cause des risques de maladie parasitaire, je pense notamment au ténia de Rivoire et Carret : c’est un produit Solitaire, donc un produit sûr, mais c’est plus épuisant qu’une branlette quand on n’a pas vraiment envie. Il y a deux sortes d’Israéliens : les Juifs d’Europe de l’Est ou du centre, qui ont l’air intelligent avec le front dégarni et même, quelquefois, les yeux bleus, et les Juifs moyen-orientaux qui ont souvent le genre étranger.

Les Juifs ne pensent qu’à gagner de l’argent en vendant des manteaux de fourrure. C’est pourquoi en Israël, il n’y a pratiquement que des fourreurs, et très peu de militaires.

Qu’ils soient conservateurs ou travaillistes, les Israéliens ont entre eux un point commun : ils ne mettent pas de moutarde dans la confiture de myrtille. Au Novotel, quand nous repérons un inconnu qui met de la confiture de myrtille sur son pain sans rien d’autre, avec cet air sûr de soi et dominateur qu’ont ces gens-là, nous devons changer de table.

Israël est un pays assez laid et mortellement ennuyeux. Dedans, il n’y a rien, et autour, c’est plein d’Arabes. La seule distraction des Israéliens, c’est The lamentations Wall, une boîte en plein air où on peut twister contre un mur en lisant un truc genre Coran dont le nom m’échappe à l’heure où j’écris ces lignes, si tant est qu’on puisse appeler cela écrire. Ca ressemble au Coran, mais ce n’est pas le Coran, ni du Canada Dry.

Bref, ce n’est pas un pays très rigolo, et l’on comprend mieux maintenant les motivations des occupants romains qui crucifiaient les clochards de gauche et les dieux de grand chemin, non point par anticléricalisme primaire, mais pour tuer le temps.

Parmi les grands hommes qui ont contribué à la création de l’Etat d’Israël, il faut citer M. Ben Gourion, dit le Lion du désert (pourquoi « le lion » ? Parce que « le renard », c’était déjà pris par Rommel), Mme Golda Meir, dite la Lionne du fromage (pourquoi du fromage ? Parce que c’est fromage ou désert), et Adolf Dayan, dit l’Amoché Dayan parce qu’il a un trou là.

Les Israéliens sont très propres sur eux, pour des juifs. Lire à cet égard le remarquable ouvrage de Mme Denise Fabre, Comment être belle et le rester (Presses de la Renaissance), dans lequel l’auteur révèle qu’un tampon périodique lavé au savon d’Israélien peut resservir vingt fois plus qu’un Coton-tige lavé au savon de baleine. L’Israélien ajoute l’éclat à la blancheur.

On voit donc à la lumière de ce témoignage ci-dessus que les Israéliens ne sont pas complètement nuls. Alors comme disait Himmler en visitant Auschwitz sous une pluie battante : « Ne boudons pas notre plaisir ».

En résumé, on peut dire que les Israéliens sont très pieux. Quand ils disent « A bas la calotte », ils ne parlent pas du couvre-tête. Alors, s’il vous plaît, je vous en prie. »

Vous aurez sans aucun mal reconnu l’un des succulents textes de Pierre Desproges réunis sous le titre Les étrangers sont nuls. Si j’ai exhumé celui-là, c’est pour rappeler que ces lignes ont été écrites dans… Charlie-Hebdo en 1981 (ce n’est quand même pas si vieux !). On peut rire de tout mais pas avec tout le monde, disait fort justement le génial humoriste (que j’ai vu, quand même, figurer dans un dictionnaire de citations antisémites ! On croit rêver !) et il est bien triste de constater que ce n’est plus possible désormais à Charlie-Hedo !

Santé, Siné !

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jeudi, juillet 17, 2008

Bibliothèque idéale n°30 : Le livre comme miroir

Manifestes du surréalisme (1924-1953) d’André Breton (Gallimard. Folio essais. 2007)


Derrière la désignation sibylline de notre nouvelle catégorie (« le livre comme miroir ») se cachent les essais prenant comme objet la littérature même. De la poétique d’Aristote au livre des préfaces de Borges, je vous renvoie à cette page pour vous donner quelques idées dans votre sélection.

Une fois de plus, je dois reconnaître que la contrainte de la bibliothèque idéale (qui devient de plus en plus pesante dans la mesure où j’accumule dans ma bibliothèque des livres que je brûle de lire mais auxquels je n’ai pas de temps à consacrer) m’a permis de découvrir un essai que j’aurai dû lire depuis fort longtemps.

En effet, pour quelqu’un qui avoue une véritable passion pour dada et le surréalisme, il peut paraître curieux de n’avoir jamais lu le manifeste qui officialisa la naissance du courant. De Breton, j’avais déjà lu un certain nombre d’ouvrages (dont l’admirable Nadja, comme tout le monde) mais je ne connaissais que certains passages de ses manifestes.

Le premier a été écrit en 1924 et permet à André Breton de coucher sur papier ce qu’est pour lui l’essence du surréalisme.

« Parmi tant de disgrâces dont nous héritons, il faut bien reconnaître que la plus grande liberté d’esprit nous est laissée. A nous de ne pas en mésuser gravement. » : voilà à mon sens la phrase qui résume le mieux l’esprit du surréalisme et l’incroyable liberté qu’il introduit soudain dans le langage et la pensée, à mille lieues des carcans religieux, rationalistes ou positivistes.

Il s’agit pour les surréalistes de « ruiner définitivement tous les autres mécanismes psychiques et à se substituer à eux dans la résolution des principaux problèmes de la vie. ». Galvanisés par les toutes récentes découvertes de Freud, les surréalistes proposent une véritable révolution au cœur même de la pensée pour en saisir « le fonctionnement réel ».

Breton théorise ici ce que ces artistes exploreront à travers leur art : l’écriture automatique, l’attention aux rêves, les rapprochements saugrenus d’images opposées, les cadavres exquis, le culte de l’inconscient… Il cherche également, chez Lewis et Lautréamont entre autres, à dessiner une éventuelle généalogie au courant surréaliste et signe là l’acte de naissance officiel du courant.

Lorsqu’il écrit Le second manifeste du surréalisme en 1930, les choses ont déjà bien évolué. Certaines individualités ont pris leur distance par rapport au mouvement et c’est l’époque des premières exclusions qui vaudront à Breton sa réputation de grand prêtre sectaire. Il s’agit ici moins d’un essai théorique que d’un règlement de compte et d’une mise au point après la publication d’Un cadavre, virulent pamphlet où Breton est violemment pris à parti.

Règlement de compte très vif pour certains individus (Artaud, Bataille et, d’une autre manière, Desnos) et mise au point de la position du surréalisme par rapport à la littérature contemporaine et par rapport aux luttes révolutionnaires.

Breton redit ici la totale insoumission du surréalisme et sa volonté de n’être annexé ni par les milieux de l’art, ni par le parti communiste. C’est dans ce second manifeste que l’on trouve la célébrissime phrase que Buñuel illustrera dans Le fantôme de la liberté : « L’acte surréaliste le plus simple consiste, revolvers aux poings, à descendre dans la rue et à tirer au hasard, tant qu’on peut, dans la foule. ».

Révolte totale et aucune concession, donc, aux modes artistiques et littéraires. Il y a une vraie intransigeance chez Breton qui peut parfois agacer (c’est vrai qu’il a un côté pontifiant pas toujours sympathique). D’un autre côté, c’est cette intransigeance qui lui permettra de rester probe toute sa vie et de ne sombrer ni dans la pleurnicherie patriotarde (Eluard) ou l’horreur stalinienne (comme cette vieille épluchure d’Aragon). Ce qu’il écrit sur les rapports du surréalisme et du parti communiste est tout à son honneur et jamais il n’a voulu inféoder la liberté de l’esprit du mouvement à une idéologie ou à un parti.

Prolégomènes à un troisième manifeste du surréalisme ou non a été rédigé en pleine seconde guerre mondiale (1942). Pour Breton, il ne s’agit plus de ressouder ses troupes autour d’un mouvement disparu (il crache avec à propos sur ce que sont devenus Aragon et Dali alias « Avida Dollars ») mais d’en préserver l’esprit, de lui redonner une certaine vigueur.

« Il faut absolument convaincre l’homme qu’une fois acquis le consentement général sur un sujet, la résistance individuelle est la seule clé de la prison. »

Enfin, en 1953, Breton fait avec Du surréalisme et ses œuvres vives le point sur les rapports du mouvement et les courants littéraires les plus contemporains qui pourraient s’en réclamer (de Michaux à Joyce en passant par le lettrisme). C’est assez intéressant même si l’auteur a tendance à attribuer trop d’importance, à mon sens, à des charlataneries du style astrologie ou occultisme.

Qu’importe ! Ces manifestes du surréalismes sont des documents indispensables pour comprendre l’un des mouvements littéraires, artistiques et révolutionnaires les plus décisifs du 20ème siècle…

A vous de me donner des titres indispensables dans la catégorie « le livre comme miroir ».

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mardi, juillet 15, 2008

Bibliothèque idéale n°29 : l'écrivain et son oeuvre

Une insolente liberté : les aventures de Casanova de Félicien Marceau (Gallimard. 1983)


J’arrive dans des catégories de la « bibliothèque idéale » où il n’est pas forcément facile de dégotter les titres conseillés. Du coup, en attendant de trouver une biographie d’écrivain (que j’ai fini par acheter sur un site de vente en ligne !), j’ai dévoré trois livres que je vous recommande chaleureusement :

1- Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable de René Riesel et Jaime Semprun. Bonne nouvelle : les anciens situationnistes sont toujours sur le pied de guerre et ils n’ont rien perdu de leur verve. Cet essai publié par les indispensables éditions de l’encyclopédie des nuisances est absolument nécessaire pour comprendre comment le système joue la carte de la peur et du catastrophisme (réchauffement climatique, désastres écologiques…) pour se renforcer et soumettre les individus à son idéologie repeinte en vert. Vous ne trierez plus vos déchets de la même manière après avoir lu ce livre !

2- La vie est belge de Jan Bucquoy. Peut-on parler de « mémoires » à propos de ce livre écrit par un touche-à-tout scénariste de BD, cinéaste mais aussi créateur du musée de la femme et du musée du slip ? Pas vraiment mais on s’en fout ! Rédigé alors qu’il était en prison après son coup d’état annuel manqué, La vie est belge est un livre poilant, totalement irrévérencieux et subversif, dans la grande tradition de l’anarcho-surréalisme belge !

3- L’odieux tout-puissant. Roman de gare (édité chez la Brigandine) absolument désopilant et farouchement mécréant. Ecrit par Jean-Pierre Bouyxou sous le pseudonyme de Georges le Gloupier, cette fable libertaire vaut qu’on s’y arrête. Mais nous aurons sans doute l’occasion d’en reparler sous d’autres cieux !

Mais revenons à notre bibliothèque idéale. Si l’on excepte l’essai que Chesterton a consacré à Chaucer, je ne possédais jusqu’à présent aucune monographie d’écrivain (eh non !). La sélection proposée ici n’est pas franchement très heureuse et j’aurais sans doute été plus excité à l’idée de lire la biographie d’Alphonse Allais par Caradec, celle de Mirbeau par Pierre Michel et Jean-François Nivet ou encore celle de Fourier par René Schérer. Las ! Ne trouvant pas vraiment mon bonheur, je me suis rabattu sur ces aventures de Casanova par l’académicien (glurb !) Félicien Marceau.

Si vous n’avez pas lu les Mémoires de Casanova, je vous recommande de le faire toute affaire cessante : c’est un pur régal. Loin des clichés désormais associés à ce nom, on peut y découvrir les aventures d’un homme brillantissime et drôle, incroyablement libre. Même si le nombre de ses conquêtes amoureuses n’est pas qu’un mythe, Casanova (Félicien Marceau le souligne à juste titre) est l’anti-Don Juan : son amour des femmes (et parfois même des hommes !) n’a rien d’un défi contre la divinité et on ne le sent jamais « ennemi » de ses conquêtes : c’est au contraire un ami précautionneux et sincère.

Dans Une insolente liberté, Félicien Marceau nous fait revivre les aventures du séducteur à travers toute l’Europe. Il nous raconte en détails les principaux évènements de sa vie : l’adolescence à Venise et la prise de l’habit ecclésiastique (Casanova commença comme abbé !), les voyages à Rome et à Paris, son goût du jeu et des sciences occultes, son incarcération sous les Plombs de Venise et son évasion spectaculaire, ses nombreux voyages qui l’amèneront à croiser le cardinal de Bernis, Crébillon et Voltaire, à fréquenter la Cour de Louis XV et à rencontrer Frédéric II, Catherine de Russie et le pape.

Bien entendu, Marceau s’arrête aussi sur le principal élément des Mémoires, à savoir les conquêtes féminines de Casanova, en revenant sur le caractère parfois rocambolesque qui lui permit de parvenir à ses fins (coucher avec deux religieuses sous le regard concupiscent de Bernis !).

Le livre n’est pas désagréable mais son principal défaut, me semble-t-il, c’est qu’il est redondant. Autant une biographie d’écrivain se justifie lorsqu’on ne connaît pas grand-chose de sa vie et qu’il peut être intéressant de montrer comment cette vie a nourri une œuvre, autant le projet de réécrire une histoire déjà racontée par un écrivain me paraît un peu curieux. Certes, Félicien Marceau confronte les Mémoires de Casanova avec d’autres documents historiques pour tenter de montrer ce que le séducteur a pu broder par rapport à la réalité mais ces tentatives m’ont paru parfois presque relever du rapport de police et dessécher ce que l’histoire de ma vie peut avoir de truculent et de relevé.

En revanche, la manière dont Marceau « cerne » le personnage me semble assez juste : Casanova n’est ni un révolté, ni un révolutionnaire mais un individu qui vit totalement en-dehors de la morale. Il ne s’agit pas de la nier (Casanova reconnaît les lois morales) mais à mesure de ses aventures, on se rend compte qu’il y reste totalement étranger. Casanova est toujours dans l’action et reste toujours étanche à des principes qu’il ne réfute pourtant pas (ce qui le conduira d’ailleurs, sans vergogne, à avoir des aventures homosexuelles ou à commettre sans remords l’inceste !).

Et c’est d’ailleurs ce qui séduit dans le personnage : cette sorte « d’innocence » dans l’insolence et l’absolue liberté dont il fait preuve, sans pour autant la revendiquer mais en se contentant de la vivre…

A vous de jouer : quelle biographie vous paraît nécessaire pour agrémenter notre « bibliothèque idéale » ?

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mardi, juillet 08, 2008

Hommage à Noël Godin (3)

Poursuivons notre exploration des rayonnages de ma bibliothèque en quête des pépites "subversives carabinées" que j'ai découvertes grâce à Noël Godin...







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dimanche, juillet 06, 2008

Bibliothèque idéale n°28 : le théâtre

La mort de Danton (1835) de Georg Büchner (L’arche. 1953)

Si j’ai jeté mon dévolu sur Georg Büchner pour attaquer la catégorie « théâtre » de la bibliothèque idéale, c’est tout simplement parce que cet auteur figure dans l’anthologie de la subversion carabinée de Noël Godin dont je vous ai déjà parlé. Malheureusement, c’est pour la pièce Léonce et Léna que l’auteur a gagné sa place dans ladite anthologie alors que La mort de Danton est qualifié par Godin, à l’instar de l’autre célébrissime pièce de Büchner, Woyzek, de « drame rasoir ».

Personnellement, la pièce ne m’a pas « rasé » mais il faut bien reconnaître qu’elle ne m’a pas transporté des masses non plus. Je l’ai lue sans déplaisir mais sans non plus en retenir grand-chose et bien incapable de vous en dire plus que les quelques lignes que je viens de noircir.

Si vous insistez, je vous dirais que cette pièce se déroule sous la Terreur et met en scène les derniers jours de Danton (fichtre ! je pense que vous ne l’aviez pas deviné !).

La pièce vaut surtout pour les oppositions entre les caractères de Danton et de Robespierre. D’un côté, Danton symbolise d’une certaine manière le révolutionnaire hédoniste et individualiste, soucieux avant tout de préserver les libertés individuelles alors que Robespierre incarne la « raison d’Etat » et le crime commis au nom d’un idéal abstrait (le procès intenté à Danton par Saint-Just préfigure les procès staliniens).

Inutile de préciser que Büchner penche pour le modéré, celui qui préfère au « culte de la Raison » les bouges et les petites femmes faciles.

Par paresse, je m’arrête là aujourd’hui. Mais que ma paresse ne soit pas contagieuse et ne vous dispense pas de me conseiller des pièces de théâtre pour garnir les rayons de notre bibliothèque idéale…

(Pour ma part, se doivent d’y figurer : Un ennemi du peuple (Ibsen), Tout Ubu (Jarry), Les affaires sont les affaires (Mirbeau) sans oublier Shakespeare, Tchekhov, Shaw, Marivaux, etc.)

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mardi, juillet 01, 2008

Bibliothèques idéale n°27 : les correspondances

Lettres à Milena (1920-1923) de Franz Kafka (Gallimard. L’imaginaire 2007)


Autant j’avoue avoir une véritable passion pour les journaux intimes des écrivains ou leurs mémoires ; autant de dois avouer que le genre épistolaire me laisse plus circonspect. Même en supposant qu’un journal ne soit pas forcément destiné à être lu, il reste toujours dans ce genre littéraire un véritable travail d’écriture où l’écrivain met en scène son rapport à autrui ou au monde. Cette « mise en scène » de l’intimité me semble souvent passionnante.

En lisant des correspondances (je connais, par exemple, celles de Léon Bloy ou celles d’Apollinaire), j’ai toujours un peu l’impression de m’immiscer dans un dialogue à deux qui ne me regarde pas. Ces lettres peuvent parfois être éclairantes sur la personnalité de leurs auteurs (Apollinaire partagé entre son amour pour Madeleine et son désir pour Lou) et on peut y trouver de fort belles choses (les poèmes de guerre du même Apollinaire) ; mais, en règle générale, cela ne me touche pas beaucoup.

A la rigueur, la seule lettre qui me botte sans réserve, c’est la lettre d’insultes dont furent friands surréalistes et situationnistes…

Les Lettres à Milena ne remettent pas fondamentalement en cause mon opinion sur les correspondances alors que je suis pourtant un grand admirateur de Kafka (j’ai dévoré dans ma jeunesse Le procès et La métamorphose).

Lorsque débute cette correspondance, Kafka a 37 ans. Milena, de 13 ans sa cadette, est chargée de traduire ses textes en tchèque. De caractère d’abord professionnelle, la correspondance vire ensuite vers le récit d’une passion entravée et jamais concrétisée. Milena est mariée, Franz est tourmenté (c’est peu de le dire !) : leurs amours resteront platoniques.

J’avoue être totalement incapable de dire si ce drame à une voix (il ne subsiste aucune lettre de Milena) est bon ou mauvais. Tout juste qu’il ne m’a pas touché.

Ce n’est certes pas inintéressant de voir se dévoiler au grand jour la personnalité incroyablement torturée d’un Franz Kafka amoureux mais incapable de déclarer simplement sa flamme. De toute cette correspondance suppure une culpabilité métaphysique que l’on retrouvera dans les œuvres de l’écrivain. Sentiment de culpabilité par rapport à une jeune femme qui n’est pas « libre », culpabilité à l’égard de ses origines (Kafka revient souvent sur son rapport douloureux au judaïsme)…

Affaibli physiquement (Kafka revient parfois sur sa maladie), l’auteur semble s’infliger toutes les tortures morales que l’on peut imaginer. Et de ces lettres émerge un drôle de sentiment de peur extrême, d’une angoisse qui ne le quitte jamais.

Je le redis : pour les fins connaisseurs de l’œuvre de Kafka, ça doit valoir le coup mais j’avoue pour ma part être resté à l’extérieur de ces échanges épistolaires douloureux…

Connaissez-vous des correspondances qui pourraient me faire changer d’avis quant à mes réserves sur le genre ?

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