La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

mardi, février 26, 2008

Bibliothèque idéale n°3 : la littérature hispano-américaine

L’amour n’est pas aimé (1982) d’Hector Bianciotti (Gallimard. L’imaginaire 1986)

Existe-t-il une littérature hispano-américaine en dehors de Borges et Cortázar ? C’est un peu la question que je me posais avant d’aborder cette catégorie de la bibliothèque idéale qui m’a permis de renouer avec ma chère collection l’imaginaire.

Je ne savais rien de Bianciotti avant de me plonger dans ce recueil de nouvelles, genre que j’apprécie particulièrement dans la mesure où il permet de zigzaguer entres plusieurs récits et qu’il y a toujours un moyen d’apaiser sa faim même si tous les textes ne se valent pas. L’amour n’est pas aimé n’échappe d’ailleurs pas à la règle d’airain du recueil de nouvelles et s’avère très inégal.

Les initiales, récit qui ouvre le livre, laisse craindre le pire tant il est rasoir (je sais que c’est de la critique très prosaïque mais je vous livre mes impressions brutes de décoffrage !). J’ai songé à ce moment au texte très drôle de Jean-Edern Hallier (dans le refus) sur Garcia Marquez et le latino-américanisme en littérature avec ses sempiternelles « indications climatologiques qui ne trompent pas ». « D’abord, le soleil est torride alors que chez nous, il n’est que chaud. Les odeurs sont nauséabondes. Chez nous, celles (sic) ne sont que mauvaises. Ajoutons-y cette révélation essentielle, celle de la pluie humide. Serait-elle sèche en Europe ?»… Avec ses pampas qui s’étendent à perte d’horizon, ses personnages plongés dans le mutisme ou écrasés sous le fardeau du labeur et des traditions ; Bianciotti n’échappe pas toujours à ces clichés de la littérature sud-américaine.

De plus, le style de l’auteur est un brin affecté et vire parfois même à la pure componction. Ses personnages se voient refuser toute chance de salut ou d’espoir. Il ne s’agit pas même de réclamer quelques touches d’humour mais de constater qu’au bout du compte, cette gravité a quelque chose d’un peu pesant.

Bien sûr, il est difficilement niable que Bianciotti a un univers et des obsessions. Obsessions du passé, des racines familiales, de l’écrit ; mêlées à une insondable nostalgie qui s’abat sans arrêt sur des personnages convaincus d’être passés à côté de tout dans la vie. Mais franchement, sur les onze nouvelles qui composent ce recueil, une petite moitié est ennuyeuse à mourir et j’avoue avoir déjà oublié (quelques jours après les avoir lues !) de quoi il était question dans des nouvelles comme Le bal ou L’or de la mémoire !

Parfois, on se surprend à lire un passage magnifique (« La vie laisse les mêmes cendres que les rêves que nous a procurés la nuit et, les années passant, aucun indice ne nous permet de savoir avec certitude si ce que nous avons vécu a été plus réel que ce que nous avons imaginé. ») et l’on regrette que tout le recueil ne soit pas de la même eau.

Pour ne pas rester sur une trop mauvaise impression, signalons tout de même à nos lecteurs curieux quelques nouvelles plus réussies, comme l’escalier du ciel ou des imprudences de la courtoisie. J’aime aussi celles où Bianciotti évoque des figures littéraires réelles pour y greffer ses obsessions. Dans Bagheera, il décrit Rudyard Kipling sur son lit de mort, constatant le déclin de l’Empire Britannique dont il fut le chantre inspiré. Dans Bonsoir les choses d’ici-bas, c’est Valery Larbaud qui se souvient d’un de ses camarades de collège qui lui inspirera son plus célèbre personnage.

Mais s’il ne fallait lire qu’une nouvelle, il faudrait se précipiter sur Albina, la plus parfaite du lot. En évoquant, du point de vue d’un fils, une histoire d’amour entre un vieil homme et une femme rencontrée lors d’un voyage en Europe ; Bianciotti nous serre la gorge en faisant vibrer la corde des amours impossibles et des parenthèses enchantées qui nous rappellent que nos vies auraient pu être radicalement différentes.

Pour le coup, ce texte est magnifique…

Et vous, quels livres hispano-américains me conseilleriez-vous de mettre dans une bibliothèque idéale ?

Libellés : , , , , , ,

mercredi, février 20, 2008

Bibliothèque idéale n°2 : la littérature américaine

Le faucon de Malte (1929) de Dashiell Hammett (Gallimard. Folio Policier. 2002)

Même si le genre donnera lieu à une catégorie à part entière, je n’ai pas résisté au plaisir d’aborder la littérature américaine par le biais d’un classique du roman noir. Je n’avais jamais lu de romans d’Hammett mais je connaissais l’honnête version cinématographique du Faucon maltais signée John Huston avec le grand Bogart.

Sam Spade est un détective qui se voit confier une mission par une séduisante inconnue : filer un homme qui pourrait avoir enlevé sa sœur. Sauf que l’associé de Sam qui entame la filature est retrouvé mort, ainsi que l’homme suivi… La belle a donc menti et voilà notre privé embarqué dans un rocambolesque imbroglio de conflits d’intérêts entre des personnes qui recherchent toutes une mystérieuse statue de faucon…

Intrigue tirée au cordeau, rebondissements incessants, personnages superbement dessinées, rythme d’enfer soutenu par de nombreux dialogues pleins de verve : du strict point de vue du « genre », Le faucon de Malte est déjà un vrai bonheur qui parvient à captiver le lecteur dès les premières pages.

Mais il y a autre chose, sans doute ce qu’on peut définir comme le « style Hammett » même si je ne connais pas ses autres œuvres. L’écrivain travaille autour de motifs à la manière d’un musicien. Ce faucon n’est qu’un MacGuffin hitchcockien, un prétexte permettant à l’intrigue de se développer en « ricochets » (elle ne cesse de rebondir par petits bonds).

Je suppose que la structure générale du roman a du être très travaillée au préalable mais elle donne le sentiment d’une quasi-improvisation de chapitres en chapitres, comme si l’écrivain ne connaissait pas lui-même la fin de son histoire.

Hammett jette son fil directeur (ce fameux faucon convoité par de nombreuses personnes, pour des raisons que je ne dévoilerai en aucun cas ici) et développe autour de ce fil des scènes qui travaillent toutes le même motif mais en le développant et en lui impulsant des rythmes différents : les personnages se retrouvent souvent confrontés les uns aux autres et jouent la partie comme aux échecs : chacun avance sa pièce et tente de pousser l’autre dans ses retranchements en tissant sa toile.

Plus que la résolution de l’intrigue, c’est le comportement des personnages qui intéresse l’écrivain et passionne le lecteur. A travers de figures archétypales (la femme fatale, le privé flegmatique, le bandit onctueux et cauteleux, la petite gouape…), Hammett met en scène un jeu de mensonges, de manipulations assez réjouissant qui se termine dans le plus parfait des cynismes.

Du coup, il n’est pas impossible que nous allions revisiter l’univers de cet auteur lorsque nous arriverons à la catégorie littérature policière…

Et vous, quelles œuvres de la littérature américaine choisiriez-vous pour constituer votre bibliothèque idéale ?

Libellés : , , , , ,

dimanche, février 17, 2008

Bibliothèque Idéale n°1 : les littératures de langue allemande

Sur les falaises de marbre (1939) d’Ernst Jünger (Gallimard. L’imaginaire)


Comme je vous le laissais entendre ces derniers temps, j’ai décidé de mettre un terme (au moins provisoirement) à mes abécédaires. Tout ça pour la simple et bonne raison que j’ai trouvé un autre moyen pour assouvir ma soif taxinomiste et qu’il me paraît encore plus stimulant que l’approche par noms d’auteurs. Ce moyen, c’est la Bibliothèque idéale publiée à la fin des années 80 sous la direction de Pierre Boncenne et où l’on trouve recensés et classés dans 49 catégories différentes les 49 ouvrages qu’il faut posséder prioritairement dans sa bibliothèque.

Bien évidemment, je me méfie de ces hiérarchies souvent très académiques et peu audacieuses. Mais j’aime assez le principe d’explorer ces 49 catégories.

Le principe est donc très simple : suivre scrupuleusement lesdites catégories (nous appréhenderons la littérature sous un angle géographique dans un premier temps, puis par « genres » et enfin, nous irons jeter un œil vers les autres domaines de la connaissance) en se contentant de sélectionner un des 49 livres conseillés (de cette manière, je conserve au sein d’un cadre rigide mon libre-arbitre !).

Commençons aujourd’hui avec les littératures de langue allemande.

« Vous connaissez tous cette intraitable mélancolie qui s’empare de nous au souvenir des temps heureux. Ils se sont enfuis sans retour ; quelque chose de plus impitoyable que l’espace nous tient éloignés d’eux. »

Un livre qui débute par des phrases pareilles ne peut pas être totalement mauvais ! Et c’est avec le même plaisir admiratif que l’on poursuit la lecture du célèbre roman allégorique d’Ernst Jünger qui présage en 1939 l’apocalypse à venir. Faut-il y lire une vive protestation contre l’avènement de l’hitlérisme ou un avatar de ce nationalisme que prêchait l’auteur et qui s’exercerait ici contre le stalinisme ? La question est loin d’être tranchée et zélateurs et contempteurs n’ont pas fini de s’escrimer autour de la figure controversée de Jünger (engagé volontaire pendant la première guerre mondiale pour Guillaume II, officier d’occupation à Paris pendant la seconde, nationaliste mais antinazi, sans doute au courant du complot tenté contre Hitler en 44…)

En ce qui me concerne, je trouve que l’œuvre dépasse largement son cadre « historique » pour accéder, par un style incroyablement lumineux, à la fable universelle jetée à la face de la Barbarie.

L’action se déroule dans un décor intemporel de falaises au sommet desquelles le narrateur se livre, avec frère Othon, à sa passion pour la botanique. Lieu de retraite paisible où ces hommes peuvent s’adonner à la science et à la poésie, il offre un vaste panorama sur les beautés terrestres.

Mais voila que les choses changent et que d’inquiétantes rumeurs parviennent aux oreilles des habitants de l’Ermitage. C’est l’ombre du grand Forestier qui s’allonge sur les territoires voisins, semant le chaos et l’horreur : « …et les temps étaient mûrs pour ceux qui jettent l’épouvante. » …

Il est évident qu’on peut voir se profiler derrière la silhouette de ce « grand Forestier » l’image d’Hitler et de ses hordes nazies. Mais il s’agit surtout de la figure mythique du Mal qui ressurgit, à des époques données, en exacerbant les conflits latents entre la civilisation et la barbarie.

La position de Jünger me paraît assez claire : c’est celle de l’aristocrate lettré et scientifique (« on reconnaît les grandes époques à ceci, que la puissance de l’esprit y est visible et son action partout présente. ») contre la meute et la force brute (« Profonde est la haine qui brûle contre la beauté dans les cœurs abjects »). Il met en scène cette opposition dans une fable symbolique portée par une langue parfaitement ciselée et d’une rare beauté (je ne lis pas l’allemand mais la traduction d’Henri Thomas me paraît tout à fait remarquable).

Sur le falaises de marbre m’a donné envie de pousser un peu plus loin ma découverte de l’œuvre de cet étonnant bonhomme mort à plus de cent ans et dont certaines pages sont d’ores et déjà gravées dans le même marbre que ses falaises…

Et vous ? Quels livres de langue allemande mettriez-vous en priorité dans votre bibliothèque ? Vous pouvez vous référez à ceux recensés dans la bibliothèque idéale ici ou en proposer d’autres…

Libellés : , , , ,

vendredi, février 15, 2008

Bilan de l'abécédaire

Pour la troisième fois consécutive, je vous propose de faire un petit bilan de ce dernier abécédaire (indicatif, bien entendu, puisque si on excepte les six derniers, j'ai beaucoup aimé tous les livres que j'ai pu lire dans cette série!)


1er Hermann Broch (les somnambules)

2ème Louis Scutenaire (mes inscriptions)

3ème James Ellroy (L.A confidential)

4ème Albert Caraco (Bréviaire du chaos)

5ème Friedrich Nietzsche (Ainsi parlait Zarathoustra)

6ème Alfred de Vigny (Chatterton)

7ème Georges Palante (La sensibilité individualiste)

8ème Raymond Queneau (Exercices de style)

9ème Michel Onfray (Cynismes)

10ème ADG (J'ai déjà donné)

11ème Tristan Tzara (Dada est tatou, tout est Dada)

12ème Jean-Michel Ribes (le rire de résistance)

13ème Guillaume Apollinaire (les onze mille verges)

14ème Pierre Louÿs (Manuel de Gomorrhe)

15ème Jean Grenier (lettres d'Egypte)

16ème Henry James (Le tour d'écrou)

17ème William Irish (l'heure blafarde)

18ème Donald Westlake (L'ami de papa)

19ème Jean-Edern Hallier (La force d'âme)

20ème Emile Zola (J'accuse!)

21ème Pierre Kropotkine (l'éthique)

22ème Claude Farrère (les civilisés)

23ème Un ange passe

24ème Marguerite Yourcenar (Conte bleu)

25ème Charles Maurras (Mes idées politiques)

26ème Marguerite Duras (Le vice-consul)

Libellés : ,

L'intellectuel et les chiens de garde

J’accuse ! et autres textes sur l’affaire Dreyfus (1897-1898) d’Emile Zola (Librio. 2003)

Pour être tout à fait franc, je n’aime ni la littérature de Zola (son naturalisme étriqué, son déterminisme aux semelles de plomb, ses descriptions interminables…), ni le bonhomme qui fut capable de s’engager contre la censure en défendant Lucien Descaves mais refusa de signer une pétition en faveur de Jean Grave, militant anarchiste incarcéré pour délit d’opinion. De la même manière, Zola fit mine d’exalter le petit peuple dans ses œuvres et de pencher vers un humanisme socialiste mais il n’aura pas de mots assez durs pour fustiger les communards insurgés en 1871 («Le bain de sang qu’il (le peuple de Paris) vient de prendre était peut-être d’une horrible nécessité pour calmer certaines de ses fièvres. Vous le verrez maintenant grandir en sagesse et en splendeur » (sic !))

Bref, notre grand chouchou des inspecteurs de l’Education Nationale (une petite pensée pour ces générations d’élèves qui durent se farcir ses œuvres en classe !) ne me paraît pas être quelqu’un de grandement fréquentable.

Mais pourtant, il y a une chose qui me semble racheter tous les défauts de Zola, c’est son engagement en faveur de Dreyfus qui témoigne d’un incontestable courage et d’une lucidité politique à ce moment qui force le respect.

Pour le coup, je reconnais que j’admire sans réserve son J’accuse ! même si de l’eau a passé sous les ponts depuis et que le cas Dreyfus a depuis été merveilleusement réglé par le grand Zo d’Axa : « Si ce monsieur ne fut pas traître, il fut capitaine. Passons. »

Les éditions Librio proposent ici un très intéressant panorama de tous les textes qu’écrivit Zola au sujet de l’affaire Dreyfus, des premiers textes publiés par le Figaro où il proclame l’innocence du capitaine bouc émissaire (« la vérité est en marche, et rien ne l’arrêtera. ») à l’incroyable coup de tonnerre qui ébranla le ciel de France, le fameux J’accuse ! publié par l’Aurore et qui vaudra à Zola une condamnation à un an de prison.

Pamphlet dont Zola mesurait parfaitement la portée et qu’il voulait jeter sur la place publique afin que soit révisé le procès Dreyfus. Ce texte historique marque aussi la naissance de l’intellectuel tel qu’on l’entend aujourd’hui, capable de descendre de sa chaire de littérateur pour venir apporter sa voix aux débats publics. La suite est connue : l’exil de Zola en Angleterre, la découverte des « faux » et le suicide d’Henry, l’auteur de ces faux, la révision d’un procès qui donnera lieu à la libération des faux coupables sans pour autant les acquitter (il s’agissait de préserver « l’honneur » de l’armée française !), la mort mystérieuse de Zola en 1902 et la réhabilitation de Dreyfus en 1906, plus de 10 ans après le début de l’Affaire !

Si les textes de Zola, modèles de lucidité et antibiotiques parfaits à la peste antisémite conservent leur force, je dois avouer que le petit panorama des articles de presse relatifs à l’engagement de Zola proposé en fin de volume est sans doute la chose la plus passionnante de ce livre. On réalise alors à quel point l’auteur de Germinal a suscité des réactions haineuses et a été bafoué. On réalise aussi à quel point l’antisémitisme était bien ancré dans les mœurs françaises et ce serait une erreur considérable de croire que cette haine du juif n’avait cours que dans les milieux nationalistes et d’extrême droite. Une feuille de chou comme Le petit journal, le plus populaire des journaux, était elle aussi imprégnée de ce nationalisme haineux qui s’exerça alors sur Zola, coupable de tous les maux du monde (agent de l’étranger, écrivain à la solde de la « Maçonnerie » et de la « Juiverie », complice des ennemis de la France…).

Ces vociférations antisémites, ce flot d’ordures patriotardes et ces braillements nationalistes donnent à réfléchir sur le rôle de la presse en général, machine de guerre décidément condamnée à servir les mêmes clichés et les mêmes platitudes lorsqu’elles sont de mises à une époque donnée. Certes, deux guerres plus tard et la Shoah nous ont soulagé de cet odieux antisémitisme mais il faudrait s’interroger sur les « normes » actuelles que cette presse ne cesse d’asséner sans jamais les remettre en question (le Libéralisme comme panacée universelle, l’Europe, etc.), comme si elles étaient aussi naturelles que fatales.

Mais je m’éloigne de mon sujet ! En s’opposant seul contre tous (ou presque) à cette France nationaliste, raciste, antisémite et étriquée comme jamais, Zola fit preuve d’un indéniable courage (il faudrait évidemment citer ceux qui se sont engagés à ses côtés : Lazare, Sébastien Faure, Octave Mirbeau…).

Et les textes présentés ne peuvent que nous inciter à louer la puissance de ce geste de résistance…

Libellés : , , , , ,

mercredi, février 13, 2008

Y comme Yourcenar (ter)

Conte bleu suivi de Le premier soir et de Maléfice (1927-1930) de Marguerite Yourcenar (Gallimard. Folio. 2001)

Troisième tentative pour se plonger dans l’univers littéraire de Marguerite Yourcenar et troisième échec : ces abécédaires m’auront permis de découvrir que je n’aime décidément pas cet écrivain (je préfère néanmoins les inégales Nouvelles orientales à l’assommant Feux)

Je serai très bref tant ces trois nouvelles m’ont paru sans le moindre intérêt.

Conte bleu est, d’après la dévote Josyane Savigneau, le plus « littéraire » de ces contes. Eh bien c’est celui qui m’a le plus accablé ! J’y ai retrouvé tout ce que je déteste chez Yourcenar : un style ampoulé, un langage affecté et une volonté tellement visible à chaque ligne de donner un coup de coude dans les côtes du lecteurs en lui soufflant « admire comme c’est littéraire » qu’elle en devient insupportable.

Maléfice souffre également de cette pose maniérée qui empêche d’adhérer à cette histoire de jeune femme malade qu’on croit possédée. C’est néanmoins plus lisible.

Le premier soir est sans doute le moins pénible des trois récits. Yourcenar décrit les impressions d’un couple tout juste parti en voyage de noces et qui réalise que le mariage n’est peut-être pas la panacée. L’homme se prend à voir celle qu’il côtoie comme une future épouse dévouée et ménagère et finit par regretter une maîtresse qu’il a abandonnée. Cette nouvelle montre subtilement le cheminement d’un doute dans l’esprit de l’homme puis d’un désenchantement qui annonce, d’une certaine manière, l’existentialisme. On songe à la nausée de Sartre et à ce sentiment d’absurde qui gagne des personnages ayant sacrifié à une tradition (le mariage) dont ils n’éprouvent plus le sens.

D’aucuns verront aussi dans ce conte les premiers prémisses d’une revendication féministe où apparaît l’idée qu’une femme peut-être autre chose qu’une épouse et une mère de famille. Sauf que -ironie du sort !- la préfacière nous apprend que ce conte n’a pas été écrit par la romancière même s’il a paru sous son nom. Il s’agit, en effet, d’un court récit écrit par le père de Yourcenar qui lui proposa ce stratagème pour éviter d’avoir à démarcher les éditeurs à son âge, l’écrivain se contentant de lui trouver un titre et d’apporter quelques corrections.

Le premier soir nous apprend que dans la famille Yourcenar (Crayencour devrions-nous écrire), le véritable écrivain, c’était peut-être le père…

Libellés : , ,

mardi, février 12, 2008

Apollinaire sous X

Les onze mille verges (1907) de Guillaume Apollinaire (Librio. 2006)


L’une des principales raisons pour lesquelles je vais arrêter ces abécédaires, c’est mon incapacité à trouver des écrivains commençant par la lettre X. Une fois ingurgité du Xénophon, il ne reste pas grand-chose si ce n’est un vieux livre de poche miteux signé Françoise Xenakis que je renâcle à acquérir. Du coup, même principe que la dernière fois : j’utilise la lettre X pour m’adonner sans vergogne au genre que cette lettre désigne, à savoir la littérature que l’on « ne lit que d’une main » (la seconde servant à prendre des notes, bien entendu !)

On sait que beaucoup de grands écrivains s’adonnèrent avec plaisir à la pornographie. Je vous ai suffisamment parlé de Pierre Louÿs mais il faut citer également le célèbre Con d’Irène d’Aragon ou l’hilarant Les rouilles encagées de Benjamin Péret. Apollinaire s’adonna également à la littérature licencieuse et si je ne connais pas les exploits d’un jeune Don Juan, j’ai pu réaliser à quel point les onze mille verges justifie le texte que Gainsbourg écrivit pour Birkin (« Apollinaire/ En a aussi des sévères/ Et des pas mûres dans ses vers/ Dans ses vers/ Onze mille ver-/Je me sens à bout de nerfs… »).

Le récit rocambolesque des voyages du prince Mony Vibescu où se succèdent les parties de jambes en l’air les plus indescriptibles est, en effet, d’une rare crudité. Apollinaire, comme Sade avant lui, prouve que le genre pornographique peut-être un excellent moyen de remettre en cause tous les fondements de nos sociétés. Il prouve également la toute-puissance de la littérature et de son imaginaire. Je sais que Les onze mille verges a été adapté au cinéma mais, sans avoir vu le film, je sais aussi pertinemment que cette adaptation est rigoureusement impossible ; le cinéma pornographique achoppant toujours sur le principe de réalité des corps qui l’empêche d’aller là où la littérature peut emmener le lecteur.

Si Louÿs était un érotomane complet, je pense que la pornographie fut pour Apollinaire un moyen pour vitrioler toutes les valeurs dominantes de son époque. Comme plus tard Péret aura recours au genre pour signer une œuvre incroyablement blasphématoire (ces fameuses Rouilles encagées, conte empli de prières détournées de manière obscène), Apollinaire fustige ici le militarisme, la folie guerrière des hommes et la déliquescence d’une aristocratie qui finira par mourir, emportée par le premier cataclysme mondial.

Comme le dit fort justement Elsa Marpeau dans une courte préface, l’écrivain s’amuse à tourner en dérision tout ce qui se présente comme les plus hautes « valeurs » d’une civilisation : l’armée (ici une bande de soudards assoiffés de sexe et de sang), le mariage (une cérémonie dont l’objet est de fustiger et violer un couple d’enfants), les mœurs de la haute société (le prince n'en est pas un) …

Âmes sensibles, s’abstenir ! Le livre est parfois très gore et Apollinaire ne recule devant aucune « perversion » : pédophilie, nécrophilie, zoophilie, coprophagie, gérontophilie, masochisme, sadisme seront présentés sans la moindre pudeur et inutile de dire que le tribadisme et la pédérastie sont monnaies courantes dans cet univers (gageons qu’avec des mots-clés pareils, je gagne de nouveaux lecteurs !). Une fois de plus, l’exagération est telle qu’elle ne provoque pas l’horreur qu’elle devrait susciter mais donne l’impression d’une vaste farce bouffonne où l’écriture permet une inversion carnavalesque de toutes les hiérarchies, de toutes les valeurs.

Ce n’est pas ce qu’il y a de plus raffiné chez l’auteur d’Alcools mais c’est assez roboratif…

Libellés : , , , ,

lundi, février 11, 2008

Retour à Westlake

361 (l’assassin de papa) (1962) de Donald E. Westlake (Gallimard. Folio policier)

Cela faisait un certain temps que je voulais découvrir les grands auteurs du polar à l’américaine et mes abécédaires auront eu, au moins, le mérite de me pousser à effectuer le grand plongeon. Et je ne regrette aucunement d’avoir lu Ellroy, Irish ou encore Westlake, dont le couperet m’avait énormément plu.

Dans son Anthologie de la subversion carabinée, Noël Godin le classe parmi les « romanciers populaires allumeurs » entre Conrad et Louise Michel, Victor Hugo et Blaise Cendrars, Manchette et Melville.

Il est vrai qu’en plus d’être un excellent roman noir, le couperet est un brûlot social bien décapant et je pensais donc retrouver les préoccupations sociales dans cette œuvre de jeunesse qu’est 361 (faites attention : mon édition s’intitule l’assassin de papa mais le livre a également été réédité chez Rivages sous son titre original de 361). Or malgré quelques piques sarcastiques, on ne trouvera que peu de vitriol dans ce roman policier très classique mais, ma foi, fort agréable.

Alors qu’il vient de le retrouver après trois ans passés sous les drapeaux en Allemagne, Ray voit son père se faire assassiner au volant de sa voiture. Dans l’accident, le jeune homme perd un œil et décide avec son frère Billy de retrouver les assassins de leur père et de le venger. Au fur et à mesure qu’ils enquêtent sur le défunt, il réalise que ses activités d’avocat furent liées un certain temps avec des huiles de la mafia new-yorkaise, dont un certain Kapp qui refait surface après vingt cinq années passées à l’ombre…

Que dire de ce roman ? Le récit est solidement charpenté, les rebondissements bien calculés, les personnages joliment dessinés (les deux frères de caractères opposés, le détective privé pleutre, les mafieux hauts en couleurs…), les dialogues percutants et bourrés d’humour…

C’est un excellent boulot d’artisan qui permet au lecteur de ne pas s’ennuyer une minute à suivre les aventures de Ray et Bill.

Mais 361 ne serait-il que ça ? Oui et non ! Oui en ce sens que Westlake ne semble pas vouloir en dire plus que les fils d’une intrigue qu’il dénoue avec virtuosité. Non car si l’ensemble peut paraître modeste (il l’est, mais ce n’est pas forcément un défaut), l’auteur parvient quand même à suggérer quelque chose d’assez chaotique qui reflète, d’une certaine manière, les évolutions de la société américaine. Le petit monde mafieux qu’il décrit vit encore à l’époque de la prohibition et des territoires réservés. Ces vieillards sur le retour regrettent que leur aient succédé des hommes d’affaires et des bandits en col blanc.

Westlake décrit ce choc des deux univers d’où ne résulte qu’un chaos où la police et les autorités sont complices et laissent faire…

On ne parlera certes pas de virulent pamphlet mais d’un regard assez sarcastique sur un monde qui, décidément, ne tourne pas rond…

Libellés : , ,

vendredi, février 08, 2008

Un suicidé de la société

Chatterton (1835) d’Alfred de Vigny (Garnier Flammarion. 2006)

Après le surréalisme et le dadaïsme, arrêtons-nous quelques instants sur un autre courant artistique qui nous est cher : le romantisme. A vrai dire, j’ai eu envie de me plonger dans Vigny non pas pour explorer un « mouvement » après l’autre mais parce que Georges Palante le cite souvent de manière très élogieuse et m’a ainsi ouvert l’appétit.

Chatterton est une pièce assez caractéristique de la « génération 1830 », résolument idéaliste et hostile au matérialisme à l’œuvre en ces débuts de révolution industrielle (« J’ai voulu montrer l’homme spiritualiste étouffé par une société matérialiste, où le calculateur avare exploite sans pitié l’intelligence et le travail. » écrit Vigny dans sa préface).

Adepte d’une aristocratie intellectuelle et farouchement rétif aux conventions du monde, Vigny en appelle ici aux pouvoirs publics pour qu’ils offrent un soutien aux poètes.

Son héros, Chatterton, a réellement existé. Poète anglais devenu symbole du génie incompris après sa fin tragique (il se suicide à l’âge de 18 ans), il devient sous la plume du dramaturge l’image même du poète dédaigné par la foule. Vigny prend soin, dans sa préface, de l’opposer à « l’homme de lettres » et même au « grand écrivain » pour réclamer un statut particulier à cet individu totalement dévoué (dans un sens presque religieux) à son Art.

La pièce oppose donc Chatterton et son destin tragique à une société où règne (déjà !) le dieu Argent. De John Bell, odieux exploiteur qui le loge au Lord maire qui ne lui propose qu’une place de domestique à son service s’il consent à abandonner la poésie (en parlant des Muses : « il faut avoir ces demoiselles-là pour maîtresses, mais jamais pour femmes. » dit-il) ; toute la société se dresse contre Chatterton et son art. Seule la douce Kitty Bell, dont Vigny décrit assez finement la soumission à une société patriarcale, soulage un peu le poète de son fardeau et s’amourache de lui.

François Germain a raison de souligner dans sa préface que la pièce de Vigny ne représente pas la quintessence du théâtre romantique définie par Hugo (notamment dans sa fameuse préface de Cromwell) en ce sens que Vigny revient pratiquement aux unités théâtrales classiques et lorgne du côté de la tragédie (on aura du mal à déceler le mélange des genres chers aux romantiques). Reste néanmoins ce culte de l’individu contre la société et cette manière doloriste d’accentuer les passions malheureuses et le désespoir qui le rattachent au romantisme.

Je ne suis sans doute pas assez qualifié pour vous louer la beauté de la langue de Vigny (j’avoue que ça m’a fait du bien de me replonger dans ce français du début du 19ème siècle) mais j’ai été très touché par cette pièce qui, même si ce n’est que pour implorer une aide du Pouvoir au poète, n’en reste pas moins un joli plaidoyer pour l’Artiste contre la société.

D’une certaine manière, la pièce n’a pas vieilli et reste d’actualité.

L’édition GF que j’ai achetée est plutôt bien faite car elle propose en bonus quelques extraits de Stello où apparaissent pour la première fois l’histoire de Kitty Bell et le récit de son amour malheureux pour le poète maudit Chatterton. De plus, nous aurons droit à une autre pièce, très courte et beaucoup plus légère intitulée Quitte pour la peur. L’argument est simple : mariés par convenance, un duc et sa femme ne se sont pratiquement jamais vus depuis leurs noces et convolent chacun de leur côté. Mais voilà que la duchesse tombe enceinte. Le duc propose alors de passer une nuit avec elle et de sauver ainsi les apparences.

Divertissement écrit pour sa maîtresse (Mme Dorval), Quitte pour la peur a le mérite de fustiger une société hypocrite où le mariage n’est qu’affaire de conventions. Vigny plaide pour l’amour véritable contre ce jeu de dupes et se place d’ailleurs du côté des femmes à qui la société ne pardonne rien. Peut-on parler de « féminisme » avant la lettre ? C’est un peu exagéré même si l’auteur n’hésite pas à prendre partie pour la condition féminine.

Mineur mais plaisant.

Libellés : , , , ,

dimanche, février 03, 2008

"Dada est inutile comme tout dans la vie"

Dada est tatou. Tout est Dada (1916-1923) de Tristan Tzara (Garnier Flammarion. 1996)

C’est en 1916 à Zurich (au cabaret Voltaire pour être tout à fait exact) que naît l’un des mouvements littéraires et artistiques les plus importants du 20ème siècle : Dada. Parler d’ « importance » est déjà une contradiction tant ce mouvement, né du dégoût de la première guerre mondiale et d’un soupçon généralisé pour toutes les valeurs antérieures à ce conflit, s’est fièrement attelé à liquider l’Art et à « cracher comme une cascade lumineuse la pensée désobligeante ».

Comme pour la plupart des mouvements artistiques que j’admire, j’ai tendance à me méfier des figures emblématiques de ces mouvements. Ainsi, je suis beaucoup plus attaché à des surréalistes tels que Benjamin Péret ou René Crevel qu’à l’ordure Aragon ou au pontifiant Eluard. Pour le dadaïsme, c’est un peu la même chose : Tzara, a priori (car je n’avais lu aucun de ses textes jusqu’à ce jour), m’est moins sympathique que l’immense Picabia ou que le trop méconnu Ribemont-Dessaignes.

Tzara est sans doute resté trop crispé sur « son » bébé toute sa vie et c’est ce qui lui valut de nombreuses brouilles, notamment après le fameux « procès Barrès » où il se cantonna à lire un poème totalement dadaïste de son cru ; ce qui déplut fort à Breton qui n’allait pas tarder à s’éloigner de lui pour se lancer dans l’aventure surréaliste.

Dada est tatou. Tout est Dada est un recueil de textes témoignant de l’activité dadaïste de Tzara de 1916 à 1923. On y trouvera quelques recueils de poésies (Vingt-cinq poèmes, De nos oiseaux ou encore Monsieur AA l’antiphilosophe), sa célèbre pièce de théâtre Le cœur à gaz et les Sept manifestes Dada.

Pour ma part, je dois avouer que la poésie de Tzara, aussi originale soit-elle, m’a assez rapidement lassé. Sans doute parce qu’avec ses recherches sur la simultanéité, ses jeux sur le rythme, les sons et l’intrusion d’éléments extérieurs (coupures de journaux, extraits de poésie nègre…), cette poésie gagne à être écoutée et déclamée plutôt qu’à être lue. Tzara cherche à liquider le sens et à mettre sens dessus dessous toutes les valeurs héritées du passé (« Je suis contre les systèmes, le plus acceptable des systèmes est celui de n’en avoir par principe aucun ») afin de faire triompher la subjectivité la plus radicale. Le geste est passionnant mais la lecture de ces poèmes sans sens, parfois très drôles, est un peu fastidieuse même si l’on peut être séduit par certaines étincelles (« dieu est un tic nerveux des dunes inexactes ») et s’amuser de certains rapprochements incongrus.

Le cœur à gaz est tout aussi dénué de sens (« Il n’y a rien à comprendre tout est facile à faire et à prendre ») mais plus « accessible ». On sait que cette pièce fut l’occasion pour Tzara de se brouiller définitivement avec les surréalistes qui vinrent la chahuter lors d’une représentation en 1923. Tzara eut recours aux cognes et Maurice Nadeau évoque rapidement cette soirée dans son Histoire du surréalisme : « Breton et Péret sont malmenés à une représentation du Cœur à gaz de Tzara (juillet 1923) où ils étaient venus manifester. Pierre de Massot s’en tira avec un bras cassé, et Eluard, après être tombé dans les décors, avec une note d’huissier lui réclamant 8000 francs de dommages-intérêts. » En jouant sur la désarticulation du langage, les phrases répétées jusqu’à l’épuisement et la perte totale du sens, Tzara ridiculise la tradition du théâtre psychologique et bourgeois et annonce, d’une certaine manière, le nonsense d’un Ionesco. C’est plutôt amusant.

Mais s’il ne fallait retenir qu’une chose de ce volume, ce sont bien entendu les Sept manifestes Dada, pures merveilles où Tzara parvient à formaliser l’essence de cette incroyable révolte que fut le mouvement Dada : « Dada reste dans le cadre européen des faiblesses c’est tout de même de la merde, mais nous voulons dorénavant chier en couleurs diverses pour orner le jardin zoologique de l’art de tous les drapeaux des consulats. » Tzara multiplie les provocations, les adresses aux lecteurs (ou spectateurs) et n’amène une affirmation que pour la contredire dans la même phrase. Dada se présente comme une immense entreprise de négation mais, contrairement à ce qu’on a pu en dire (et ce que je pensais d’ailleurs !), il ne s’agit pas non plus de nihilisme. Table rase du passé, certes, mais pour inventer un art subjectif et individuel, qui naisse de la plus parfaite spontanéité : « Nous cherchons la force droite pure sobre unique nous ne cherchons RIEN nous affirmons la vitalité de chaque instant. »

Encore une fois, la geste dadaïste reste quelque chose d’unique et d’inouïe (il faudrait aussi parler des peintres merveilleux que sont Arp ou Schwitters).

Même sans adhérer totalement à la poésie du pape Tzara, il faut se replonger dans ses textes afin de saisir à nouveau le frisson de cette extraordinaire aventure …

NB : En bibliothéconomie, lorsqu’un ouvrage compte plus de trois auteurs, on le classe grâce à son titre. C’est selon ce précepte que je me suis plongé, pour attaquer la lettre U de mon abécédaire, dans une petite anthologie intitulée Un ange passe. L’arnaque est presque totale puisque ce petit recueil ne propose que quelques extraits de livres où apparaissent comme personnages des anges. Comme Gallimard semble vouloir recycler son catalogue, nous aurons le droit à des extraits totalement insignifiants de romans signés Jean d’Ormesson (cette chochotte mondaine !), Pennac (aïe !) ou encore Alix de Saint-André (misère !). Lorsqu’on se dit que les auteurs pourraient être intéressants (je pense au Faux-monnayeurs de Gide), le cadre étriqué de l’ouvrage empêche de savourer la prose. Reste alors trois poèmes délectables (signés Hugo, Prévert et Baudelaire : on ne risquait pas grand-chose !) et un petit conte d’Edgar Poe qui nous donne envie d’aller se replonger dans les œuvres de ces auteurs. Le reste est sans intérêt !

Libellés : , , , , , ,

vendredi, février 01, 2008

Regarder la vie en farce

Mes inscriptions 1943-1944 de Louis Scutenaire (Allia. 2007)

Pour faire le portait de cet écrivain belge proche du surréalisme (il fut le grand ami de Paul Nougé et collabora, entre autres, à la revue Les lèvres nues de Marcel Marien), je propose de laisser la parole à l’intéressé lui-même :

« On dit de moi :

Il fait des calculs d’épicier : C’est vrai.

C’est un tendre : Bien sûr.

Il est dans le désarroi : Evidemment.

Comme il est détaché ! : Tiens donc !

Il est gentil : Mais oui.

Quel goujat ! : D’accord Marcel.

Il a beaucoup de talent : Le flatteur n’a pas toujours tort.

Il sent mauvais : Triste, mais possible.

Je voudrais m’offrir sa grande carcasse : Bien aimable.

Il n’est pas beau : Je le pense.

Combien il est grand ! : La toise le confirme.

Il est grossier : Merci, ma chérie.

C’est un coureur : Hum, hum !

Il est jaloux : Oui, comme Victor Hugo.

C’est un anormal : Qui ne l’est pas ?

Il s’est mal conduit : Je le crois.

Il a de l’allure : Je suis confus, vraiment, mais…

Il est fait : Il faut bien.

Il est égoïste : Je souris avec approbation.

Il est trop modeste : Oui, oui.

Il écrit très bien : Vous savez lire, monsieur.

C’est un maquereau : Le plus beau compliment.

Il se soigne comme une femme : Je le suis un peu, femme.

Il a de jolies cravates : Quelle femme de goût !

Il est propre, trop propre : On ne l’est jamais assez.

Il fait gentiment l’amour : Connaisseuse !

Il est maladif : Hélas !

C’est un beau gaillard : Oh !

Il ne sait pas aimer : Sans doute.

Il a des tics : Et vous pas ?

Quelle nouille ! : Je l’ai déjà pensé.

Mais comment se fait-il que dans ce portrait si poussé je ne me reconnaisse pas, ni personne avec moi ? »

En quelques lignes, vous aurez pu saisir toute la saveur de l’humour laconique et perçant de Louis Scutenaire. Mes inscriptions, « carnet d’indiscrétions personnelles », est un recueil d’aphorismes, de maximes ironiques, de proverbes détournés, de notations piquantes et de très courts récits où se dessine le portrait d’un homme incroyablement libre et irrévérencieux, jamais avare en paradoxes ou en réflexions irrespectueuses. Scutenaire, à travers ces pages, loue des poètes, des écrivains, des bandits (il admire avec ferveur la bande à Bonnot : loué soit son nom !) et tourne en dérision tout ce que ce monde peut compter de pompeux, de sérieux, de solennel. Franchement, c’est un pur régal et plutôt que de vous infliger de banales considérations sur l’écriture (concise et extrêmement brillante) de Scutenaire, je vous propose un court florilège de sa prose unique :

« La solitude et la promiscuité sont les deux contraires les plus identiques du monde. »

« Je méprise trop ces gens pour me déplaire en leur compagnie. »

« Le scandale est de n’en pas faire. »

« Le péché originel, c’est la foi. »

« La religion est une fatigante solution de paresse. »

« L’idée de discipline me fait blêmir »

« Je suis malheureux parce que je suppose chez les autres des richesses que je suis seul à posséder. »

« Je hais le travail au point de ne pouvoir l’exiger des autres. »

« L’esclave qui aime sa vie d’esclave a-t-il une vie d’esclave ? »

« Je déplore que l’on s’habitue à tout. »

« Nous avons aboli Dieu, démasqué la Morale, blanchi la Magie, rassis la Raison sur son trône de mythe. Ne vous en autorisez pourtant point pour vous conduire comme des salauds car, en enlevant ces repeints, nous avons peut-être mis à jour un fond plus répressif encore. »

« Faire le moins possible mes sales métiers d’homme. »

« Ne méprisez personne, puisqu’il n’y a personne qui vous dépasse. »

« Les sciences sont des lunettes pour grossir les problèmes. »

« L’homme serait probablement un animal assez supportable s’il consentait un peu moins à se laisser emmerder par ceux qui veulent faire son bonheur. »

Libellés : , , , ,