La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

mercredi, janvier 22, 2020

Conscience féminine


Les Dix Japonais (1970) de Léone Guerre (La Musardine, 2020) Sortie le 23 janvier 2020


Ce nouveau titre de l’excellente collection « Lectures amoureuses » de la Musardine a en fait 50 ans. Publié chez Losfeld en 1970, ce court roman est l’œuvre d’Agnès Duits, épouse du poète et peintre surréaliste Charles Duits (qui fit paraître également chez le même éditeur des ouvrages érotiques : La Salive de l’éléphant, Les Miférables).
Distingué par André Pieyres de Mandiargues, Les Dix Japonais narre les aventures sensuelles d’une jeune femme (Léone Guerre) à Marseille. Elle débarque dans la ville sans presque rien et vit au jour le jour, au fil des rencontres qu’elle effectue avec des amants de passage. On ne saura quasiment rien de cette héroïne mis à part un « flash-back » où elle relate sa première relation sexuelle avec un vieux professeur alors qu’elle avait quinze ans. Il s’agit moins de faire le portrait psychologique d’une jeune femme que d’épouser les méandres de sa conscience. Si l’on me permet la comparaison, Léone Guerre applique, dans le cadre de l’érotisme, les leçons de Virgina Woolf en s’attachant aux « courants de conscience » de son héroïne et à une trajectoire où elle se contente « d’être » au monde :
« Tous ceux qui me rencontraient alors avaient la rage de me posséder, sans doute parce que j’étais semblable à un fantôme et que nul ne pouvant posséder un fantôme, ils accouraient tous vers lui comme vers le mirage le plus provocant. L’érotisme aime les mirages et les choisit plutôt que des femmes de chair réelle. Ceci lui permet de demeurer infiniment en cet enfer sensuel qui l’enchante. »
C’est cet attachement à une conscience féminine qui fit dire à Jean-Jacques Pauvert, autre admirateur du livre, qu’il était « d’un féminisme bien plus subtil et plus fort en définitive que celui du MLF ». Léone Guerre explore effectivement avec style et force les zones troubles où se mêlent plaisir, abandon et soumission. Le titre de son récit vient d’un moment où elle se laisse guider par un amant japonais qui l’entraine dans une étrange et envoûtante cérémonie érotique, au milieu de dix hommes. Assumant tous ses désirs, elle en souligne la souveraineté face à la médiocrité de jouissance masculine : 
« Oh, je connais l’étreinte des hommes : pour celle qui leur dispense semblable jouissance, ils ne gardent que la haine. Moqueries seront ce qui en moi fut prières et évasion. Ils n’auront que des rires et de la rage en parlant de moi, s’ils en parlent entre eux parfois. A cet état de douceur succédera l’imbécillité, je le sais. »
Cette manière de ne pas quitter ce point de vue flottant fait des Dix Japonais une œuvre envoûtante, qui navigue entre un érotisme assez cru (les choses sont dites sans fioritures même si jamais l’auteur ne recourt aux subterfuges classiques de la pornographie littéraires) et une sorte de rêverie opiacée, le songe d’une jeunesse libérée de tout carcan (qu’il soit social ou moral). 

Gageons que les lecteurs avertis goûteront à la singularité de cette évocation sensuelle…

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dimanche, janvier 19, 2020

Prudon

"Qu'il soit arabe ou portugais, breton ou provençal, le voisin est toujours une sorte de boche qui contourne la ligne Maginot pour vous faire chier à l'improviste. Dans le meilleur des cas, d'humeur au bricolage, il emprunte un tournevis qu'on est pas près de revoir, et dans le pire, un soir de vague à l'âme, il flingue au fusil à pompe acheté 300 balles au supermarché et chargé de balles explosives."

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"Il n'y a pas de durée, dans l'amour, c'est comme un œuf de Pâques, on veut le garder, et on veut le croquer, si on le garde, il moisit, si on le croque, on n'en parle plus, on a un peu mal au cœur, barbouillé, et on passe à autre chose. Il vaut mieux vivre sans amour, surtout aux Blattes."

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"La vérité, c'est que M'man, les maîtres d'école, les dames patronnesses, la télévision et les fréquentations du quartiers n'ont pas contribué, quand il était temps, à mon épanouissement. J'avais des dons, voyez-vous, des petits talents à moi, j'étais sensible et artiste, à ma façon, et je comprenais plus vite que les autres, et je savais tourner des poésies, des compliments, j'étais toujours un peu en avance sur les autres, alors je les ai attendus, pour ne pas faire bande à part, et quand ils m'ont rejoint, les autres, ils m'ont marché dessus, et je suis resté à la traîne, j'avais grossi pour m'alourdir comme eux, et que je suis devenu plus grand, je suis passé des sucreries à la boisson et les spiritueux ne rendent pas spirituel, j'en sais quelque chose." 

Nadine Mouque

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