La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

dimanche, février 26, 2006

L'ennui des Césars

Cela faisait un certain nombre d’années que je n’avais pas regardé la nuit des Césars et je ne me souvenais pas que c’était aussi ennuyeux ! Regardé est d’ailleurs un bien grand mot puisque j’ai vaqué à mille activités (lessive, repas, ordinateur…) pendant cette cérémonie, m’abstenant le plus possible de subir les interminables discours de remerciements et les inévitables imitations de quelques célébrités censées faire de cette grande messe un show à l’américaine. Seul les résultats du palmarès et le décolleté de Judith Godrèche m’ont interrompu pendant que j’étendais mes chaussettes ou que j’avalais un morceau de pizza…

Même si je m’étais déshabitué de ce rendez-vous annuel, force est de constater que rien n’a changé. Toujours le même cirque, le même spectacle de cette soi-disant « grande famille » du cinéma français sur son 31 qui s’auto congratule malgré les inévitables interventions remarquées des intermittents (courage ! on est avec vous !). Toujours les mêmes larmes (celles de la charmante Linh-Dan Pham) , les mêmes grincements de dents (Daniel Auteuil, étonné de n’être pas nommé-pourquoi ce mot atroce de nominé ?- alors qu’il était la vedette de deux films cette année), les mêmes confusions (le discours de Zabou, semblant reprocher aux intermittents de ne pas intervenir au moment opportun), les mêmes remerciements, les mêmes sketches pseudo-comiques censés compenser l’inintérêt de la remise des Césars techniques (avec cette fois les ringardos Kad et Olivier nous rejouant un sketch des Nuls datant de 15 ans !). Manquait juste Depardieu !

N’ayant quasiment vu aucun des films primés (ceux d’Audiard, de Beauvois, de Klapisch ou Le cauchemar de Darwin) ni ceux repartis bredouille mais ayant été nommés plusieurs fois (l’enfant, Joyeux noël, ou le Guédiguian), je m’abstiendrais de tout commentaire désobligeant.
Néanmoins, je me souviens avoir survolé un article des Inrocks où l’auteur se réjouissait que l’académie des Césars prennent enfin des distances avec les gros succès du box-office (l ‘époque où La balance était proclamé meilleur film de l’année !) pour récompenser le cinéma le plus vivant de l’hexagone (comprenez le petit lieutenant et l’enfant !).
Or la razzia de Césars remporté par De battre mon cœur s’est arrêté (élu également meilleur film français de l’année par les auditeurs du Masque et la plume) me semble au contraire prouver qu’on ne récompense que les films « d’auteur » ayant un certain succès public (voir comment les amants réguliers, Caché ou Backstage, les meilleurs films français de l’année en ce qui me concerne, ont été évincés).
Ce qui a peut-être changé, c’est le ralliement intempestif de la critique à cette nouvelle « qualité française » d’un cinéma d’auteur français propre sur lui et consensuel. On ne récompense désormais que ce qui a été porté aux nues par une critique de plus en plus conformiste, et qui a rallié un large public. Dans ces conditions, on s’explique plus facilement l’ostracisme de quelqu’un comme Blier. Si Combien tu m’aimes ? n’est pas un chef-d’œuvre ni même le meilleur film de l’auteur, c’est néanmoins un des films les plus originaux de l’année et qui prend des risques en terme de cinéma. Or il n’a pas été cité une seule fois.

Inutile donc d’épiloguer sur quelque chose qui n’a de toute façon pas grande importance. Contentons-nous de vous livrer , lecteur chéri mon amour, MON palmarès des Césars pour l’année 2005 :

Meilleur film : Les amants réguliers (Philippe Garrel)

Meilleur réalisateur : Philippe Garrel (les amants réguliers) (parce qu’il me semble que la réussite d’un film dépend essentiellement de sa mise en scène et je n’arrive pas à comprendre qu’on puisse distinguer les deux).

Meilleur film étranger : La saveur de la pastèque (Tsai Ming-Liang)

Meilleur premier film : Douches froides (Anthony Cordier) (c’est le seul que j’ai vu mais comme il est plutôt bon, je ne renâcle pas à le citer)

Meilleur acteur : Daniel Auteuil (Caché) (mais je suis content pour Michel Bouquet)

Meilleure actrice : Isild Le Besco (Backstage) (la jeune comédienne est fabuleuse dans le beau film d’Emmanuelle Bercot)

Meilleure actrice dans un second rôle : Jeanne Moreau (Le temps qui reste) (film également complètement oublié)

Meilleur acteur dans un second rôle : Maurice Bénichou (Caché)

Meilleur espoir masculin : Louis Garrel (Les amants réguliers) ( il l’a obtenu réellement et c’est la seule récompense qui m’ait parfaitement réjouis)

Meilleure espoir féminin : Clotilde Hesme (les amants réguliers) (je vous dis que c’est le plus beau film de l’année dernière !)

Meilleur scénario : Michael Haneke (Caché) (le film fonctionne surtout sur la mise en scène mais le récit est d’une diabolique précision et il est captivant de bout en bout)

Meilleure adaptation : Pascal Thomas (avec je suppose d’autres individus) pour sa transposition d’Agatha Christie (Mon petit doigt m’a dit)

Meilleur son et meilleur montage : j’ignore leur nom mais je remettrais volontiers la récompense à Combien tu m’aimes ? de Blier où le travail sur ces deux éléments est vraiment intéressant.

Meilleure photo : William Lubtchansky (les amants réguliers) (un très grand chef-op qui a offert à Garrel ce splendide noir et blanc qui rend le film presque onirique)

Meilleure musique : Emilie Simon pour Le peuple migrateur (je n’ai pas vu le film mais comme la talentueuse et mignonne musicienne que j’ai vu en concert a repris les morceaux de son album, je lui offre volontiers ce César !)

Meilleur costume . Je me fous des costumes ! je n’aime pas les films en costumes ! je l’offre donc à Douches froides pour le jean taille-basse de Salomé Stévenin (Arghh !) !

Meilleur décor : Pareil, je me fous des décors mais donnons le à celui du Parfum de la dame en noir pour rendre hommage à cet autre film complètement oublié.

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mardi, février 21, 2006

Mau Mau Sex Sex

Etant donné que les livres que j’attaque en ce moment sont fort épais et ne donneront pas lieu à des notes (les poésies de François Villon, les comtes-rendus sténographiés des procès Pétain et Laval), je profite de ce temps libre pour vous dire deux mots d’un petit documentaire diffusé actuellement sur CinéCinéma Auteur et intitulé Mau Mau Sex Sex.
Derrière ce titre sibyllin se cache en fait un portrait de David Friedman et Dan Sonney, deux vieux briscards de la « Sexploitation », où pendant 55 minutes, les deux vieux loups de mer égrillards se remémorent la manière dont ils ont produit, au cours des années 50 et 60, toute une série d’œuvrettes de plus en plus lestes, destinées aux salles d’exploitation et au « Drive-in » .
Agrémenté d’extraits d’aberrants films naturistes ou de gouleyants « nudies », ce documentaire fourmille d’anecdotes très drôles où nos papys expliquent qu’un film, c’est comme un paquet de farine qu’il faut secouer dans tous les sens (en l’affublant à chaque fois d’un titre différent, par exemple !) pour qu’il en sorte quelque chose. On y apprend également que les camps naturistes où étaient tournés certains films ne regorgeaient pas de « top-models » et qu’il fallait engager des actrices pour qu’elles aillent se dévêtir aux milieux des tenants du retour à la nature ! De même, Friedman explique les difficultés à filmer ce genre d’endroit avec une censure qui acceptait de voir à l’écran des fesses et des seins mais pas plus (il fallait alors jouer avec le cadre).

Le plus drôle restant les techniques publicitaires utilisées pour ce type de films, notamment lorsque l’un des deux producteurs expliquent comment ils s’y prenaient pour draper les scènes osées derrière des alibis éducatifs. Ainsi, avant de permettre aux spectateurs de se rincer l’œil, on le mettait en garde contre, au choix, la prostitution, le mariage infantile, les maladies vénériennes… N’est-ce pas d’ailleurs cette dichotomie entre ce qui est montré et les avertissements moralisateurs proférés qui fait tout le charme de ce cinéma ?

Friedman fut l’un des papes de la Sexploitation fauchée. Il commença par produire des films nudistes puis des « nudies » 1 qu’il déclina sous toutes ses formes imaginables (des kinkies , films tordus comme The defilers de Robert Lee Frost, des roughies comme She Freaks de Byron Mabe ou les fameux bloodies, films sanglants dont le plus fameux maître d’œuvre fut Herschell Gordon Lewis).

Là encore, nous aurons droit à quelques anecdotes sur le tournage du mythique Blood Feast, film tourné pour quelques milliers de dollars et qui en rapportera prêt de 30 millions. Lors d’une séquence de ce premier film « gore » de l’histoire du cinéma, l’héroïne se fait arracher la langue. Friedman revient sur cette séquence qui nécessita l’achat d’une langue de mouton et d’une bonne dose de confiture de groseille à laquelle était mêlée un désinfectant anti-diarrhéique ( !). Lorsque l’actrice vit la scène, elle répliqua au producteur qui lui demandait son avis que c’était « gerbant ». Et c’est ainsi que Friedman eut la fantastique idée publicitaire d’offrir des sacs à l’entrée des salles en cas de malaise ! Les trucs publicitaires de l’époque avaient un charme qu’on serait bien en peine de retrouver aujourd’hui !

Commenté par le cinéaste fou Frank Henenlotter (auteur de Basket case et d’Elmer, le remue-méninges) , ce petit document s’avère croustillant et donne envie de se replonger dans ce cinéma d’exploitation qui n’intéresse malheureusement pas grand-monde (si seulement quelqu’un comme Bouyxou pouvait consacrer un ouvrage entier à cette partie immergée de l’iceberg cinéma !) et qu’on ne sait comment découvrir.

Un seul bémol : le côté anecdotique (très plaisant) du documentaire prime sur le côté pédagogique. Extraits de films lancés sans renseignement, aucun titre ni noms de réalisateurs mentionnés (même pas au générique de fin !) ; nous sommes un peu frustrés de ce côté. Considérons donc Mau Mau Sex Sex comme une invitation à la réalisation d’un vrai documentaire sur l’histoire du nudies, replaçant ce genre dans une histoire globale (si le cinéma mainstream a pu se libéraliser, c’est aussi parce que ces films parallèles ont existé) et permettant de défricher un pan passionnant de l’histoire du cinéma…



1 « Association baroque de Mad et de Playboy » , les nudies étaient des comédies maboules et cheap dont chaque séquence devait, sous n’importe quel prétexte (ou, mieux encore, sans prétexte du tout) , comporter une ou plusieurs femmes à poil. Le genre, spécifiquement américain, a été lancé en 1959 par The immoral Mr Teas de Russ Meyer. Financé par des petits producteurs indépendants et réservé aux circuits de distribution parallèles, il échappait aux contraintes du Code Hays. Son âge d’or s’est achevé vers le milieu des sixties… » Jean-Pierre Bouyxou « Une encyclopédie du nu au cinéma » .

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lundi, février 13, 2006

L'Infréquentable

Marc-Edouard Nabe. Au régal des vermines (Le dilettante.2005)

Excellente initiative des éditions Le Dilettante qui rééditent, 20 ans après sa publication, le premier livre de Marc-Edouard Nabe : Au régal des vermines. Occasion rêvée de (re)découvrir l’œuvre sulfureuse de celui que je considère comme l’un des plus grands (si ce n’est le plus grand !) écrivain français contemporain. Premier livre par quoi tout a commencé : le scandale, une épouvantable réputation et un flot de clichés indélébiles attachés à ce seul nom de Nabe.

Nous ne nous attarderons pas trop sur la très belle préface (intitulée Le vingt-septième livre) qui ouvre cette réédition. L’auteur nous livre d’une certaine manière le secret de son échec (comment il s’est mis tout le monde à dos dès ce premier livre) et met en parallèle son parcours et la réussite de celui qui fut un temps son voisin de pallier : Michel Houellebecq (sur ce coup-là, l’auteur du Bonheur a eu du nez puisque les médias ne parlent désormais plus que de cette promiscuité étonnante et daigne enfin parler un tout petit peu de lui !).
Pour Nabe, le triomphe de Houellebecq est le résultat logique d’une époque nihiliste qui n’aime rien tant qu’a contempler sa propre décrépitude. « Aujourd’hui les gens sont morts, ils n’ont envie que de quelqu’un qui leur répercute leur morbidité, avec le plus de mépris possible. C’est tellement logique, tellement logique ! Avant, la foule était vivante, elle s’exaltait quand un artiste sublimait la vie ; désormais elle n’exalte plus que celui qui la rabaisse… » C’est le retour déguisé de l’absence de style, du naturalisme (« Certains ont pour devise : « Ni Dieu, ni Maître ! », La tienne est « Ni Céline, ni Proust ! »), drapé dans une couche de sociologie, de culture rock, d’aquoibonisme et de vague critique sociale (mais pas trop).
Je ne retournerai pas ma veste en dénigrant aujourd’hui les livres de Houellebecq que j’aime beaucoup (d’ailleurs Nabe s’en prend plus à l’environnement qui a permis de favoriser ce succès plutôt qu’à l’auteur pour qui il affiche toujours un certain respect). Je m’en tirerai en disant qu’il faut lire les livres de Houellebecq pour comprendre l’époque dans laquelle nous vivons et ceux de Nabe pour ne pas en désespérer.

Venons-en à cet inadmissible Au régal des vermines, ce ticket pour le purgatoire dont Nabe n’est toujours pas sorti. Il a suffit d’un Apostrophes où un sinistre crétin cassa la gueule à notre jeune trublion pour le condamner à un ostracisme injustifié. L’heure est aujourd’hui à la redécouverte de l’objet du délit. « Fasciste »? « Antisémite »? « Extrême-droite »? tous ces anathèmes sont-ils justifiés ? Effectivement, il me serait très facile d’extraire des passages du livre et de jouer les avocats du Diable pour inculper notre écrivain. Mais cela n’aurait aucun sens. Marc-Edouard Nabe, c’est une pensée torrentielle, un style volcanique qui pousse la littérature dans ses derniers retranchements et qui n’hésite pas à déborder (mais le seul objet de l’Art n’est-il pas de sonder les abîmes, d’ouvrir des gouffres ?). Les cons qui persistent à le cataloguer « d’extrême droite » devraient se souvenir qu’à l’époque, notre homme vient de Charlie-Hebdo (il restera toujours fidèle à Choron, Siné, Gébé à qui il consacrera des pages magnifiques dans son journal intime) et que toute son œuvre témoigne d’un souverain mépris pour toute forme d’autorité politique, pour l’ordre et pour le nationalisme. Avec ça, on imagine difficilement les fachos le récupérer !
Nabe n’habite qu’un pays, celui de l’Art. Et comme le disait fort justement Oscar Wilde (que l’auteur admire) «la forme de gouvernement qui convient le mieux à l’artiste est l’absence totale de gouvernement ». S’il jongle avec les extrêmes, avec tout ce qui peut sembler inadmissible, c’est pour explorer les limites, repousser le territoire infini de l’Art. Nabe veut faire peur : la littérature doit brûler, doit pétrifier, doit pouvoir tout dire. On pourrait parler de Céline et de Rebatet (auxquels Nabe consacre de très belles pages) mais il faut se souvenir que ce Régal est aussi né sous l’égide de Sade. Qui, depuis le divin Marquis , a été aussi loin dans l’abîme ? qui a exploré par les mots de tels gouffres et mis en valeur la toute-puissance de l’Art avec un tel éclat ? Nabe l’a bien compris et toute sa virulence, ses outrances, ses dérapages haineux, son « fascisme » ne sont QUE littéraires (comme les tableaux sadiques de Sade !) Tout est affaire de style chez lui, et là, on peut parler de régal. Sa prose est volcanique, de la lave en fusion ! Qu’il parle de jazz ou des femmes, de Bloy ou de ses parents ; nous sommes emportés dans un flot tumultueux et splendide , noyés sous une profusion d’images, de sensations, fracassés par les adjectifs haineux, les épithètes révoltants, les jugements inquisiteurs. On ne sort pas indemne d’une telle lecture ! ça secoue !

Autobiographie, virulent pamphlet dans la lignée de Bloy et Céline, cri de révolte totale et chant d’amour désespéré, manifeste artistique ; au régal des vermines est un peu tout ça et bien plus encore. Toute l’œuvre de Nabe et son invraisemblable générosité (eh, oui !) est déjà en germe dans ce premier opus. Voilà un écrivain qui se donne corps et âme à l’Art avec un panache qui, en ce qui me concerne, n’a pas d’égal aujourd’hui. Seulement il faut faire fi des préjugés pour l’apprécier et ne pas avoir peur de se brûler aux mots en se plongeant dans cet immense volcan en constante éruption. Le jeu en vaut la chandelle, croyez-moi…

NB : En quatrième de couverture, Nabe inscrit cette phrase, telle une épitaphe : « j’ai eu tout faux, je n’ai rien compris. ». Pour le démentir, je vous propose un petit extrait où l’auteur fait preuve, en pleine période de ce détestable socialisme mou et rationaliste mitterrandiste, d’un certain talent visionnaire.
« Vous verrez ce que je vous dis : le come-back du bâton va être terrible. Le socialisme a fait reculer l’extrême gauche jusqu’au fin fond de la Droite. Ne vous plaignez pas des mesures et des sanctions frissonnantes qui nous attendent. Finie la grève ! Finie la Justice ! Fini le Chômage ! Finis l’assistance et le piston ! Dehors les crouilles ! les fonctionnaires ! les vieillards ! les bouches inutiles ! Fini le temps libre ! Finies les femmes libérées ! la fraude fiscale ! le Corporatisme ! Fini le smic ! Rebonjour la guillotine !… »

N’est-ce pas un tableau saisissant de la France sarkozyste d’aujourd’hui ?(manque juste la peine de mort mais on va y revenir !). Dès 1984, Nabe ajoute « Je sais comment ça va s’appeler moi. Ca s’intitulera : LIBERALISME, et puis c’est tout. Vous pouvez ranger fascisme et communisme, catholicisme et anarchie. Le Libéralisme, ça passe par l’Economie et pas par le Politique : c’est pour cela qu’hélas, il gagnera. »

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dimanche, février 12, 2006

Chanson méchante et de bon aloi






Les Malpolis. La fin du retour de la chanson
Ca a commencé par la première partie du concert d’un groupe local. Deux hurluberlus firent marrer la salle pendant plus d’une heure avec des petites chansons méchamment sarcastiques, un humour noir totalement irrespectueux et une manière d’introduire leur répertoire par de petits sketches aussi désopilants que leurs chansons.
C’est ainsi que je découvris les Malpolis, duo puis trio toulousain qui vient de sortir son quatrième album « officiel ». En effet, leurs deux premiers CD (Et là…vlan ! et un mini-album live où l’on retrouve la verve qu’ils affichent en public, je vous recommande la chanson sur les journalistes et les sondages !) sont aujourd’hui introuvables et ont été réédités il y a peu dans une compilation intitulée Zéro.
Vinrent ensuite les Malpolis élargissent leur cible, où nos zozos se moquent aussi bien des hard-rockers (Gourmette) que de leurs potes régionalistes vantant la supériorité de leur ville (et pan sur les Fabulous Troubadours), tapent aussi bien sur la gauche et ses engagements mous (la petite barrette, chanson sur la dépénalisation) que sur la droite De Villierieste (Une famille d’amour) ; puis Piédenés , délicieux catalogue de haine contre la pub et les « bidules nuls et machins moches », contre le New-Age, les psys, David Douillet, les sports extrêmes, les chasseurs…Il y a du Desproges chez les Malpolis, dans cette manière de rire de tout et de ne pas hésiter à aller très loin dans la noirceur (je peux vous assurer que l’humour glacial et macabre de la chanson A la Toussaint a fait grincer des dents lorsqu’ils l’ont chanté en concert il y a quelques mois).

La fin du retour de la chanson se présente d’abord comme un bel objet. Un livret qui parodie malicieusement un numéro des Inrockuptibles , des morceaux présentés comme des articles du périodique (avec de splendides pastiches de CD que je vous laisse découvrir) et une couverture qui reproduit à l’identique la fameuse photo de la rencontre Brel / Ferré/ Brassens.
Quand à l’album, il ne dépareille pas par rapport aux précédents. On retrouve ce regard au vitriol sur l’absurdité du monde qui nous entoure, un sens de la formule qui me réjouit et une manière de ne rien respecter qui me semble être la condition sine qua non du rire.
Musicalement, ce n’est certes pas du Chopin. Dans un premier temps, l’album surprend même par le côté un peu anonyme des arrangements, par l’utilisation beaucoup plus marquée de nappes de guitares électriques nous faisant presque regretter le côté bricolé et acoustique de leurs albums précédents. Puis l’oreille s’habitue à ces rengaines destinées avant tout à mettre en valeur les textes percutants des Malpolis.
Et là, c’est un régal. Plutôt que de vous pondre une longue analyse soporifique de chacun d’entre eux, je vous propose un petit florilège.

Sur les collégiennes d’aujourd’hui (les Charlottes) :

« Charlotte elle a le tout dernier cri des portables, une pure merveille. Chaque fois qu’elle appelle une amie, elle se photographie l’oreille. Elle a un piercing sur le nez, met des strings depuis le CM2, être rebelle ça lui plairait, mais sa mère lui laisse faire ce qu’elle veut. »

Sur « Les gens formidables »

« Les gens formidables trient leurs ordures depuis longtemps, c’est même comme ça qu’ils distinguent le MEDEF du gouvernement. Ils ont des poubelles pour le verre, le plastique, le carton, et font le boulot des industriels, pour pas un rond… »

Sur la « dictature du salariat » (une chanson intitulée On veut pas du travail ne peut pas être totalement mauvaise !)

« De bilans de compétence en stages de formation, tu te reconnais plus, t’as le vocabulaire d’un patron. Y’en a vingt comme toi, derrière, pour prendre ce job qui a l’air chiant comme l’enfer et payé peau de zob. C’est parti, tu vas produire de la merde en tube et la refourguer à des pauvres gens, avec un peu de pub, ou dans un atelier, devenir plus con qu’une machine, jusqu’au jour où en arrivant, y’a même plus d’usine ! Y paraît qu’on veut redonner goût au travail en France, alors faut trouver un goût sucré comme les vacances. De toutes façons, nous, on a déjà trop de trucs à faire, chouettes, utiles et rigolos, qui valent mieux qu’un salaire. »

Sur les types satisfaits de leur époque.

« Heureusement grâce à Internet, il a accès en temps réel à tout le savoir de la planète, il se trouve moins con, mais c’est virtuel. »

Sur « les droits de l’homme sandwich »

« Article 4. Nul ne peut-être soumis à la torture, ni a des traitements cruels ou dégradants, sauf s’il est déterminé à entrer sur le marché du travail. »
« Article 6. Toute société dans laquelle la garantie des droits fondamentaux n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, est appelée société par action et peut être côtée en bourse. »

Sur les beaufs qui roulent en 4x4

« A bord, il a le GPS, des fois qu’il se perdrait dans le quartier, depuis 20 ans qu’il le traverse, sur qu’il peut se vanter d’avoir l’air conditionné…Il gueule au milieu des bouchons sur tout ces cons dans leurs autos, comme un bélier qui a l’illusion de pas faire partie du troupeau. »

Sur les rues piétonnes.

« Et tout ce qui frime ou se pomponne, tous les bouffons et les bouffonnes, paradent dans les rues piétonnes, l’oreille vissée au téléphone, sans peur de perdre leur dernier neurone, qui sert à répondre quand ça sonne. Les prospectus, qu’on distribue, finissent par terre, moi dans un rêve de psychopathe, j’imagine les publicitaires qui les ramassent à quatre pattes. Y’a la FM dans chaque boutique, volume poussé à fond la caisse. Si tu aimes vraiment la musique, tu peux pas bosser dans le commerce. »

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dimanche, février 05, 2006

Nouvelles en trois lignes

En 1906, Félix Fénéon tient la rubrique « faits divers » du Matin. Avec le plus parfait détachement et un style lapidaire, il ne lui faut pas plus que ces fameuses « trois lignes » pour rendre compte des faits les plus tragiques, les plus absurdes se déroulant quotidiennement en marge des grands titres de l’actualité.
Ce regard neutre et imperturbable, cette concision donnent parfois à ces Nouvelles en trois lignes un côté totalement glaçant (« Trois ans, c’est l’âge d’Odette Hautoy, de Roissy . Néanmoins, L.Marc, qui en a trente, n’a pas trouvé qu’elle fût trop jeune. ») mais également cette incroyable ironie, cet humour noir qui n’aurait pas dépareillé dans l’anthologie du même nom de Breton (avec Ambrose Bierce, Fénéon est certainement l’oubli le plus flagrant du pape du surréalisme).
Petit florilège.

« A Clichy, un élégant jeune homme s’est jeté sous un fiacre caoutchouté, puis indemne, sous un camion qui le broya ».

« Radieux : « J’aurais pu avoir plus ! » s’est écrié l’assassin Lebret, condamné, à Rouen, aux travaux forcés à perpétuité ».

« Le Dunkerquois Scheid a tiré trois fois sur sa femme. Comme il la manquait toujours, il visa sa belle-mère : le coup porta. »

« C’est au cochonnet que l’apoplexie a terrassé M.André, 75 ans, de Levallois. Sa boule roulait encore qu’il n’était déjà plus. »

« Quittée par Delorce, Cécile Ward refusa de le reprendre sauf mariage. Il la poignarda, cette clause lui ayant paru scandaleuse. »

« Aux environs de Noisy-sous-Ecole, M.Louis Delillieau, 70 ans, tomba mort : une insolation. Vite son chien Fidèle lui mangea la tête. »

« M.Chevreuil, de Cabourg, sauta d’un tramway en marche, se cogna contre un arbre, roula sous son tram et mourut là. »

« Jugeant sa fille (19 ans) trop peu austère, l’horloger stéphanois Jallat l’a tuée. Il est vrai qu’il lui reste onze autres enfants. »

« Un plongeur de Nancy, Vital Frérotte, revenu de Lourdes à jamais guéri de la tuberculose, est mort dimanche par erreur. »

« Prenant au mot son état-civil, Melle Bourreau a voulu exécuter Henri Bomborger. Il survivra aux trois coups de couteau de son amie. »

« Il n’y a même plus de Dieu pour les ivrognes : Kersilie, de Saint-Germain, qui avait pris la fenêtre pour la porte, est mort. »

« Allumé par son fils, 5 ans, un pétard à signaux de train éclata sous les jupes de Mme Roger, à Clichy : le ravage y fut considérable. »

« Comme leur instance de divorce traînassait et que son mari n’avait que 70 ans, Mme Hennebert, de Saint-Martin-Chennetron, le tua. »

« « Si mon candidat échoue, je me tue », avait déclaré M.Bellavoine, de Fresquienne (Seine-Inférieure). Il s’est tué. »

« L’amour. A Mirecourt, Colas, tisseur, loge une balle dans la tête de Melle Fleckenger, puis se traite avec une rigueur pareille. »

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