La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

jeudi, mars 02, 2017

Lectures de février 2017



Le mois de février fut, comme l’an passé, relativement calme en termes de lecture. Peut-être en raison des vacances ou d’un mois écourté. Toujours est-il que nous avons découvert :

8- Ballades pour un voyou (1979) de Golo et Frank (Editions du Square, Bouquins Charlie, 1979)

 En 1979, Frank Reichert a déjà débuté, sous le pseudonyme de Luc Vaugier, une solide « carrière » de romancier populaire pour les éditions du Bébé Noir qui deviendront par la suite La Brigandine. Au même moment, il devient également scénariste de bandes dessinées pour Golo et ils collaborent tous deux au Charlie Mensuel de Wolinski. Ballades pour un voyou est leur premier recueil et narre les (més)aventures d’un jeune blouson noir tout juste sorti de prison et bien décidé à éviter par tous les moyens les contraintes de « l’esclavage salarié ». Avec l’aide de copains, il fomente un coup pour dérober des diamants… On retrouve dans cet album l’univers de Frank Reichert : les blousons noirs, les bistrots populaires, les quartiers chauds de la capitale (Pigalle) et un certain désenchantement lié aux reflux des utopies. Si l’on cite volontiers ici les ténors de la « subversion carabinée » (Makhno, Darien, Vaneigem…), c’est une atmosphère poisseuse et désenchantée qui prédomine. Entièrement du côté des « voyous », le récit ne ménage ni la flicaille, ni les sycophantes ou les « braves gens » racistes et adeptes du viol…
Le trait de Golo est daté : pas au sens vieillot mais en ce sens qu’il est assez caractéristique de son époque. On y sent l’influence de la BD underground américaine, des comix et il n’hésite pas à surcharger ses cases. Mais ce style sombre et rocailleux est en parfaite adéquation avec le propos et donne une tonalité toute particulière à l’ensemble. Un coup d’essai, donc, et une belle réussite… 

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9- Les Monte-en-l’air sont là ! (1970) de Pierre Siniac (Gallimard, Série noire n°1320, 1970)

Il s’agit de mon premier Siniac et d’une des premières « série noire » de l’auteur (la quatrième pour être précis). Avec ce roman, Siniac emprunte la voie relativement classique du récit de « casse ». Ces deux héros principaux sont des bras cassés qui s’associent et mettent un plan pour dévaliser la chambre forte la mieux gardée de toute l’Europe. D’emblée, l’auteur place ses personnages sous le signe du cinéma et de l’hommage puisque « la feignasse » et Armie se rencontrent dans des salles obscures où l’on donne des reprises de classiques signés John Huston ou Jules Dassin.
Je n’en dirai pas plus sur les péripéties mais sachez qu’elles sont agencées avec beaucoup d’humour et une efficacité sans faille. Entre le pittoresque de la « série noire » d’antan que l’on retrouve dans les portraits de ces personnages de populos gouailleurs,  ces petites frappes adeptes de la combine et la minutie des descriptions de l’élaboration du coup, le lecteur est happé sans la moindre réserve. Certes, on pourra trouver parfois l’intrigue assez invraisemblable et tirée par les cheveux mais Siniac a le génie du trait, de l’accélération fulgurante qui provoque un suspense et empêche son lecteur de lâcher l’ouvrage.
Voilà qui, de mon côté, donne envie d’en savoir plus sur cet auteur et de découvrir plus en profondeur son abondante bibliographie…
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10- Télex n°1 (1976) de Jean-Jacques Schuhl (Gallimard, L’imaginaire n°643, 2013) 

Une œuvre rare récemment rééditée en poche et que l’on hésite à qualifier de « roman ». Il s’agit plutôt de bribes de fictions, de fragments, de silhouettes fantomatiques qui viennent hanter les pages de ce livre. Schuhl se livre ici à une série de variations dans un décor de chambres d’hôtel que vient peupler l’écho d’histoires anciennes. On y croise aussi bien Louise Brooks que Rita Hayworth mais aussi le mannequin Twiggy ou Eddy Merckx. Difficile d’en dire plus sur ce livre alors il m’a pris l’envie de vous faire partager un passage qui le traduit bien :
« (…) : méfiez-vous de ceux, qui, à côté de vous, ne peuvent supporter cette discontinuité, ce polylogue infini, toutes ces langues, cette absence de sens, de début, de fin, d’anecdote. Ceux-là, ils sont du côté de l’autorité, de la famille, de l’Etat, de la propriété privée, du racisme, du « ou bien ou bien », et du « deux choses l’une » et du « Il faut une fin à tout ». Faites avec n’importe qui l’expérience suivante : tournez le bouton sans vous arrêter plus de vingt secondes sur un poste. Allez et venez. Que ce soit sur une fréquence internationale – avec de préférence des langues non occidentales. Faites ça pendant dix ou quinze minutes. Celui qui dit : « Ou ferme le poste ou trouve un programme » est quelqu’un de religieux)  (…) »
Le dandy Schuhl est bien évidemment du côté de cette discontinuité et l’on devine dans ce court paragraphe toute l’utopie d’une époque désireuse d’en finir avec les immuables piliers d’une société. Sauf que quarante ans après, il semblerait que le capitalisme ait réussi à intégrer ces mots et à faire de nos existences une succession d’instants séparés, un zapping général où il n’est désormais plus question de voir à long terme, de comprendre le mouvement global du monde et la possibilité de le renverser. L’univers a beau s’être morcelé au point de perdre tout sens, la police veille toujours et on se prend à rêver de pouvoir se raccrocher désormais à un « programme » (évidemment pas ceux proposés par les grotesques partis politiques !)
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11- Attouchements sans douleur (1982) de Gilles Soledad (Editions de la Brigandine, 1982) 

Nous retrouvons Frank Reichert pour une œuvre brigandinesque particulièrement gratinée et très réussie. Qu’on en juge : après avoir œuvré dans la fable apocalyptique (l’excellent Fête de fins damnés), Gilles Soledad nous entraine sur les traces d’un couple de jeunes routards, Micky et Maryvonne. Tout débute plutôt bien pour eux puisqu’ils filent vers la grande bleue et prennent du bon temps en chemin (« Je me suis encore jamais fait verger dans un verger »). Mais voilà qu’ils tombent entre les mains de vieux libertins libidineux qui les emmènent sur une île tropicale pour les transformer en gibier d’une chasse très particulière. Soledad/Reichert se souvient ici du classique Les Chasses du compte Zaroff qu’il réadapte ici, à la manière d’un Jess Franco dans La Comtesse perverse, pour nous offrir un cocktail de sexe (violent) et de sang.
A travers cette fable qui lorgne volontiers du côté du cinéma bis, Reichert parvient à interroger les mécanismes du pouvoir et la violence de classes puisque les victimes de ces bourgeois libertins sont de simples prolos. Le sexe n’y est jamais joyeux mais un instrument d’oppression lorsqu’il est aux mains des classes dominantes. Néanmoins, et même si on trouve de jolies phrases comme : "on se déplace plus facilement parmi les idées générales que dans les chicanes de la dialectique" qui devaient étonner le lecteur lambda de romans de gare érotiques, ce récit fruste n’est pas un traité théorique et séduit par son pessimisme radical et sa violence sans rémission…

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