La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

lundi, juillet 21, 2008

Bibliothèque idéale n°31 : Arts de tous les temps

Journal (1956) de Paul Klee (Grasset. Les Cahiers rouges. 2006)


Nous abordons aujourd’hui un domaine qui nous tient particulièrement à cœur, à savoir l’art, même si nous confessons bien humblement ne pas posséder énormément de livres sur ce sujet. Les récoltes pécuniaires de nos activités salariées ne nous permettant pas d’acquérir comme nous le souhaiterions de vrais beaux livres, nous devons généralement nous contenter de quelques ouvrages édités par Taschen, maison d’édition sympathique mais dont les textes sont très inégaux (pour une monographie satisfaisante de Schiele, combien d’horreurs presque illisibles ? Je pense particulièrement à l’ouvrage consacré à l’expressionnisme.)

Aujourd’hui, il ne sera question ni d’un ouvrage général sur la peinture ou la sculpture, ni d’une étude détaillée sur l’œuvre d’un artiste mais du journal intime du grand peintre suisse allemand Paul Klee.

Dès l’âge de 18 ans, Paul Klee a commencé à tenir un journal. Mais ce n’est pas ce « journal » que nous lirons directement. Le peintre ne livre pas au public ce qu’il a pu écrire au jour le jour mais une version retravaillée et réécrite. Il ne s’agit donc pas, à proprement parler, d’un « journal intime » au jour le jour (comme peuvent l’être ceux de Bloy, Nabe ou Manchette), ni de mémoires mais d’une tentative d’introspection qui s’inscrit entre ces deux genres littéraires ; Klee se remémorant à partir de ses notes ce qu’a pu être son existence à un moment donné.

Dans un premier temps, il évoque des souvenirs de sa tendre enfance : sa famille, les jeux d’enfants, les premiers émois sensuels…Nous le retrouverons ensuite étudiant et le suivront pendant ses années de formation : premiers amours, voyage en Italie, à Paris puis, beaucoup plus tard, en Tunisie.

Parallèlement à ces évocations, Klee livre ses réflexions sur l’Art, en particulier la musique (sa formation initiale) et la peinture et ses impressions sur les œuvres qu’il découvre (que ce soit des livres ou des opéras, des pièces de théâtre ou les toiles impressionnistes).

Le résultat est plutôt passionnant, même pour quelqu’un comme moi qui ne suis pas, loin s’en faut, un spécialiste de l’œuvre de Klee.

D’une part, parce qu’on y suit le cheminement de la pensée d’un artiste qui évoluera lentement vers l’abstraction après avoir été marqué par la peinture de Van Gogh et Cézanne puis par le cubisme. D’autre part, parce que la maturation de son style ne doit rien au hasard et demeure sans arrêt le fruit d’une réflexion.

« Au printemps 1901, j’établis le programme suivant : au premier chef, l’art de la vie, puis, en tant que profession idéale : l’art poétique et la philosophie, en tant que profession réaliste : l’art plastique et, à défaut d’une rente : l’art du dessin (illustration). »

De formation musicienne, Klee se dirige vers la peinture mais toujours avec cette exigence intérieure (ce qu’il appelle « l’art de la vie ») et cette volonté de la traduire plastiquement. Au début des années 10, il se lie avec Kandinsky et participe au groupe Der Blaue Reiter (le cavalier bleu) (il partira d’ailleurs en Tunisie avec August Macke). Les théories développées par Kandinsky dans Du spirituel dans l’art trouveront une certaine résonance dans l’œuvre de Klee qui cherchera lui aussi un nouveau langage plastique basé sur une certaine musicalité (il emploie souvent des termes musicaux pour parler de ses compositions et de ses harmonies de couleurs).

Beaucoup plus tard, Klee deviendra également professeur au Bauhaus jusqu’au moment où les nazis le contraindront à retourner en Suisse.

Au-delà du témoignage que ce journal peut apporter sur le cheminement intérieur d’un artiste, il faut aussi insister sur le fait que Klee est un véritable écrivain. La traduction de Pierre Klossowski m’a paru assez remarquable et lorsqu’on lit des phrases de ce style : « Rome, aussi affligée que je le suis, s’enveloppe de brumes et pleure avec moi. », on comprend que nous avons affaire à quelqu’un qui sait manier la langue.

De la même manière, la profonde mélancolie qui imprègne soudainement le journal au moment de la première guerre mondiale (où périt son ami Franz Marc dont Klee fait une évocation poignante) est assez bouleversante.

Voilà donc le genre de livre que je recommande chaleureusement. Et vous, quels livres relatifs à l’art vous paraissent indispensables pour une bibliothèque idéale ?

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