La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

dimanche, mai 28, 2006

L'appétit des Ogres


Les Ogres de Barback. Avril et vous

Il faudrait parler plus en détail de cette fabuleuse petite famille (deux frères et leurs sœurs jumelles) qui compose les Ogres de Barback, groupe phare de la nouvelle scène française par son immense talent mais aussi par sa manière de fédérer les groupes, de créer des rencontres, d’impulser un mouvement où se trouvent rassemblées toutes les formations de la même famille (des Hurlements d’Léo avec qui les Ogres ont enregistré un album live à Debout sur le zinc en passant par La rue Kétanou, les Blérots de R.A.V.E.L, les fils de teuhpu, Néry, etc.).
Les deux derniers albums du groupe sont des « live ». Rentabilisation d’un fonds de commerce ? Non, d’une part parce qu’à moins de 10 euros les CD (qui durent à chaque fois plus d’une heure), on peut estimer qu’il n’y a pas duperie sur la marchandise. Non, d’autre part car ces deux concerts permettent d’apprécier deux facettes du talent du groupe.

Le premier de ces concerts, enregistrés en compagnie de la fanfare du Belgistan, est une captation de leur spectacle anniversaire pour leurs 10 ans d’existence. On y retrouvait le côté festif du groupe, cette manière unique qu’il a d’embraser les salles. Pour s’en rendre compte, il vaut d’ailleurs même presque préférer leur fabuleux DVD sorti à la même occasion. Trois heures de concert avec en prime de larges extraits de la tournée en province où les Ogres accueillirent de nombreux groupes invités. Un vrai régal.

Avril et vous est un concert beaucoup plus intimiste (spectacle assis) et dévoile l’autre facette des Ogres, celle d’un groupe au textes tendres et poétiques, navigant sous la belle étoile de la sublime chanson de Pierre Perret Au café du canal. Le résultat est très agréable et ne donne pas l’impression de redite par rapport au « live » précédent dans la mesure où le groupe a été piocher dans ses anciens albums pour composer un spectacle équilibré (3 ou 4 chansons par album). Plaisir de réentendre de « vieilles » chansons comme Contes, Vents et marées ou Grand-père. Plaisir également de découvrir de nouveaux morceaux comme Jérôme (hymne à la tolérance qui s’en prend aux biens-pensants ayant fustigé un fameux mariage homosexuel il y a quelques années) ou Jésus, très beau morceau inspiré par Loïc Lantoine (un parlé-chanté sur fond de contrebasse). Ledit Loïc Lantoine s’invite d’ailleurs sur l’album le temps d’une belle flambée (encore un grand moment).

Le reste se compose de morceaux relativement calmes où le talent d’instrumentiste des Ogres prend toute son ampleur (il faut les voir sur scène changer régulièrement d’instruments, parfois même au milieu d’une chanson !) . Bien sûr, on ne se refait pas et l’on sent l’atmosphère s’échauffer lorsque Fred entonne Pour me rendre à mon bureau (l’excellente chanson signée Jean Boyer- le cinéaste- que reprit également Brassens) et que le groupe termine le morceau par un enivrant solo de cuivres.

Bref, un très bon moment pour nous permettre de patienter jusqu’au (vrai) nouvel album ou jusqu’à un prochain concert (je ne les ai pas vu depuis trois ans et ils commencent à me manquer !)

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Puisque nous parlions de famille, deux mots du concert des Hurlements de l’Léo , cousins remuants des ogres, que j’ai vu il y a trois jours. Grand moment festif où le groupe, malgré la triple fracture à la jambe du chanteur Laulo (alias Kebous) l’obligeant à jouer sur un fauteuil roulant, mit une ambiance incroyable. La salle ne connaissait visiblement pas encore trop les morceaux du dernier album mais peu importe : dès le troisième morceau, le feu a gagné l’assistance et les « hits » du groupe (Le racheteur d’ardoises, Ouest terne, le petit monsieur en gris, le café des jours heureux) provoquèrent une véritable liesse. Un grand bravo au groupe et en particulier à Pépito, le trompettiste, qui ne cessa de chauffer le public et qui termina le spectacle par une reprise mémorable du Highway to hell d’AC/DC ! Une bien belle soirée !

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dimanche, mai 21, 2006

Le charisme de "l'adulescent"

C’est un public relativement peu nombreux mais enthousiaste qui est venu l’autre soir applaudir l’excellent Aldebert. Conquis d’avance, nous ne fûmes cependant pas déçus par la performance du chanteur qui se montra à la hauteur de nos espérances.
« Je me souviens, ça commençait comme ça… » : un concert des Hurlements d’Léo à Strasbourg où Aldebert fit la première partie et fut très apprécié. Depuis, je l’ai revu deux fois en concert et deux fois lors de mini show-case à la FNAC et jamais mon enthousiasme n’a terni.
Pourtant, si j’endossais le temps d’une minute le rôle de l’avocat du diable, certains griefs viendraient immédiatement à l’esprit. Arrivant après Vincent Delerm et Bénabar, les textes d’Aldebert n’ont rien de bien original et déclinent une fois de plus les états d’âme des petits trentenaires entre nostalgie amusée et crainte du temps qui passe.
Musicalement, l’auteur ne se distingue pas non plus : petite formation acoustique (guitare sèche, piano, accordéon et quelques cuivres), un peu de reggae, de tango et de rock musette… Du classique dans le cadre de la nouvelle scène française.
Pourtant, dès que retentissent les premières notes, toutes les réticences s’estompent et on succombe au charme du chanteur. Ca s’appelle le charisme : ça ne s’explique pas mais c’est flagrant ici. Aldebert a le génie de la scène : plein d’humour et d’énergie, il vous fait chavirer une salle en quelques minutes.
Ses textes, diablement habiles et leurs petites mélodies entêtantes vous entrent tout de suite dans la tête pour vous donner envie de chantonner. A le voir, on comprend sans mal que le chanteur n’applique aucune recette et que, même s’il flotte sur un certain « air du temps », ses chansons ont un véritable cachet d’authenticité et ne sentent jamais le calcul roublard.

Autre qualité qui m’a vraiment séduit : j’ai vu ce spectacle il y a un peu plus d’un an. Aldebert n’a pas sorti d’album entre temps (le prochain est prévu pour septembre) et, mis à part quatre nouvelles chansons, j’ai vu sensiblement le même show. Pourtant, j’ai eu le sentiment de voir un concert différent, comme si Aldebert arrivait à se renouveler chaque soir. Entre petits gags improvisés, sketches d’introduction renouvelés (une hilarante « messe » annonçant Rentrée des classes) et arrangements de certaines chansons modifiés ; le chanteur ne cesse d’étonner et de réjouir.

Nous eûmes donc droit à des titres réarrangés sur des rythmes de salsa (Indélébile, Saint’nitouche), d’autres joués de manière intimiste (le très beau Rien qu’un été où Aldebert fit asseoir toute la salle) ou jouant sur le crescendo (Vivement la fin commencé avec une simple guitare sèche et terminé avec toute la formation). Ajoutez à cela un dialogue constant avec le public, un slow avec une jolie blonde de la salle (après Cali qui avait fait la même chose, je me dis que chanteur est vraiment un beau métier !), une constante pêche et vous aurez le secret d’un concert totalement réussi.

Vivement le prochain !

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samedi, mai 13, 2006

Note de lectures

Ne me sentant pas toujours capable d’écrire une note sur chacune de mes lectures, je vous propose un bref panorama de quelques unes de mes dernières découvertes. Le tout sera un peu fouillis mais bon …

Romans, Nouvelles.

L’attrape-cœur de J.D.Salinger. J’aurais aimé consacrer plus de lignes à ce magnifique roman que j’ai découvert il y a déjà quelques mois. Avec ce récit de la fugue d’un jeune homme renvoyé de son collège qui préfère errer quelques jours dans New York plutôt que d’affronter le regard de ses parents ; Salinger capte à merveille ce que j’appellerais volontiers l’essence de l’adolescence. Même si ce livre a plus de 60 ans, que les « trop fort » ont désormais remplacé les « ça me tue » ; Salinger traduit à merveille, dans une langue à la fois proche du langage parlé et très travaillée, l’état d’esprit de cet âge prit entre l’enfance et l’âge adulte. Entre parcours initiatique, crainte de devoir se conformer à la triste compagnie des adultes et révolte indécise ; le jeune anti-héros de Salinger renvoie une image pleine d’humour et d’émotion de ce qu’est l’adolescence. Ca m’a tué !

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Je ne m’appesantirai pas sur Georges de la Fouchardière puisque j’ai déjà consacré une longue note à ce lustucru. Après son récit de voyage (Au pays des chameaux), j’ai donc lu La grande rafle qui m’a un tantinet déçu. Le livre est certes amusant et présente un héros moultement sympathique puisqu’il s’agit d’un savant fou qui a mis au point un rayon capable d’influer sur la volonté humaine. Il utilise sa découverte à bon escient en débarrassant Paris de tous ses parasites (préfets, financiers, académiciens, politicards…). Malheureusement, mis à part quelques passages très youpiteux, le livre ne prend pas assez parti pour ce brave révolutionnaire pacifiste (toutes ses victimes sont enfermées dans un grand château et bien traitées) et préfère se ranger derrière un très conformiste (quoique chaud lapin) petit journaliste. De plus, le livre brocarde de manière un peu démagogique l’art contemporain et se vautre parfois même dans quelques réflexions racistes (une alter ego de Joséphine Baker est invitée à « remonter dans son arbre »). Au vue des autres livres de La Fouchardière, je parierais volontiers que les aspects les plus déplaisants de La grande rafle sont à mettre sur le compte du co-auteur du livre, à savoir Clément Vautel, le déplorable auteur de Mon curé chez les riches.

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Restons dans les auteurs oubliés en exhumant le nom de Claude Farrère. A la fin du XIXème et au début de XXème siècle, la mode est à l’exotisme. Le proche et l’extrême Orient fascinent les petits occidentaux. Combinant les métiers de militaire et d’homme de lettres, Claude Farrère va, en bon disciple de Pierre Loti, écrire une quantité de récits de voyages, de romans et de nouvelles ayant pour cadre de lointaines contrées. L’homme qui assassina est assez caractéristique de ce goût pour l’exotisme. Dans ce roman où l’on suit un diplomate français en mission en Turquie et ses tentatives d’aider une belle dame mal-mariée avec un diplomate anglais, Farrère privilégie l’atmosphère au romanesque et se complait dans des descriptions que j’ai, pour ma part, trouvé assez emmerdantes. Ceci dit, le livre a des qualités d’écriture et recèle de fort beaux passages entre notre héros et la femme dont il devient secrètement amoureux. De plus, l’auteur pose un regard totalement fasciné sur la civilisation turque qu’il contemple et ne verse ni dans le paternalisme colonialiste, ni dans le racisme. Au contraire, comme son héros, il semble fuir les ambassades et fustiger la corruption occidentale sur le pays. C’est suffisamment rare pour susciter l’intérêt.
Les spécialistes de l’écrivain signalent à notre attention ses contes et nouvelles fantastiques. Je suis en train de lire L’autre côté…, un de ces recueils de contes insolites. Ce n’est pas désagréable quoique un peu inégal. Certains sont assez percutants et valent le coup, d’autres sont de fumeuses considérations oniriques où l’auteur se complait dans la description de rêves inintéressants. A mi-parcours, je dirais néanmoins que ça reste une curiosité à parcourir…

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ESSAIS

Les grands cimetières sous la lune de Georges Bernanos. En raison de son austère stature d’écrivain et penseur catholique, j’avoue que je n’avais jusqu’à présent pas mis le nez dans les œuvres de Bernanos. N’ayant jamais pu trouver attrayant un titre comme Dialogues de carmélites et ne connaissant de l’auteur que quelques adaptations cinématographiques de ses romans (Le journal d’un curé de campagne et Mouchette de Bresson, Sous le soleil de Satan de Pialat) , je dois reconnaître également que la découverte de La France contre les robots, sublime pamphlet écrit après la Libération, fut pour moi un choc. Du coup, j’ai déniché chez un petit libraire ces Grands cimetières sous la lune, livre non moins étonnant que le précédent cité. Etonnant parce que Bernanos a été formé à l’école Drumont (cette nauséabonde crapule, auteur de La France juive) et de l’Action Française, qu’il se revendique royaliste et catholique et qu’il avait tout, a priori, pour prendre le parti des sbires de Franco pendant cette fameuse guerre d’Espagne qui est l’objet du livre. Or il s’avère qu’il va prendre le parti inverse en dénonçant avec une rare virulence les exactions commises par le régime du « caudillo » et la lâcheté de l’Eglise qui va se rallier derrière une si fécale figure. D’une certaine manière, l’écrivain dénonce la lâcheté petite-bourgeoise des « Bien-pensants » qui frétillent d’angoisse dès qu’on agite le spectre rouge du communisme et préfèrent renoncer à leur libre-arbitre et leur liberté en choisissant le camp de la force dictatoriale. Inutile de préciser que dans les pamphlets de Bernanos se trouvent des réflexions qui sont encore aujourd’hui d’une rare actualité…

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Fustiger le bourgeois , tel a été également la tâche qu’a menée avec une incroyable rage un autre grand auteur catholique : Léon Bloy. A l’inverse de Bernanos qui ne m’attirait pas jusqu’à présent, j’ai toujours goûté avec délice la prose furibarde et hargneuse du « Vieux de la montagne ». Je connaissais ses deux principaux romans (la femme pauvre, le désespéré), son journal intime (à lire absolument) et quelques uns de ses pamphlets mais je n’avais pas lu Exégèses des lieux communs que j’ai déniché en livre de poche pour une somme dérisoire.
« Le vrai Bourgeois, c’est à dire, dans un sens moderne et aussi général que possible, l’homme qui ne fait aucun usage de la penser et qui vit, ou paraît vivre sans avoir été sollicité, un seul jour, par le besoin de comprendre quoi que ce soit, l’authentique et indiscutable Bourgeois est nécessairement borné dans son langage à un très petit nombre de formules ». Bloy entreprend donc de lister toutes ces formules (« Il n’y a pas de plaisir sans peine », « la pluie et le beau temps » , « l’argent ne fait pas le bonheur » …) et se livre à des interprétations aussi féroces que drolatiques. Plutôt que de longs discours, laissons parler l’auteur lorsqu’il se livre à une exégèse du lieu commun : « Etre dans le commerce… » :
« Le mensonge, le vol, l’empoisonnement, le maquerellage et le putanat, la trahison, le sacrilège et l’apostasie sont honorables, quand on est dans le commerce. « A plat ventre devant le client », disait un jour devant moi une patronne de café à un de ses garçons, « toujours à plat ventre, quand on est dans le commerce. ». Percutant !

THEATRE.

Lu quelques pièces de l’immense Jarry (Ubu enchaîné, Ubu sur la butte). Je vous fais grâce d’une exégèse mais lorsqu’on a humé l’ « Umour » du bonhomme, on ne peut plus entendre un chef d’état ou un politicard démagogue (pléonasme) de la même manière. Le théâtre ubuesque reste une fabuleuse entreprise de démystification.

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Jean Richepin. Le chemineau.

Si l’immense Brassens n’avait pas eu la judicieuse idée de mettre en musique quelques uns de ses poèmes (Philistins, le sublime les oiseaux de passage…) , la nom de Jean Richepin serait lui aussi tombé dans les oubliettes du temps. C’est dommage car un homme qui se déclara « ennemi de la race blanche qui a inventé le foyer, la famille, la patrie, l’idéal et les dieux » ne pouvait pas être mauvais. Il y a donc de bonnes choses à calotter chez Richepin, que ce soit ses poèmes, ses romans ou ses contes fantastiques tordus (le coin des fous fait partie de ses rares œuvres à être rééditées de nos jours) . Parmi ces bonnes choses, ce goût immodéré de l’auteur pour les « hors-classes », les parias de tout type, qu’ils soient gitans (Miarka, la fille à l’ourse) ou vagabond libertaire comme ce Chemineau. Le drame (en vers !) est ici très classique (un mariage entre deux familles n’appartenant pas aux mêmes couches sociales est l’un des principaux enjeux de la pièce) mais contient néanmoins cette chouette profession de foi du héros :
« Là ! maintenant, voici. J’ai pour premier principe
De m’aller promener, libre, le nez au vent,
Quand il m’en prend envie ; et ça me prend souvent.
J’ai pour second principe, et n’en veux pas démordre,
D’envoyer promener quand on me donne un ordre.
Autrement dit, je suis un mauvais garnement,
Roulant en vagabond la grand’route, et l’aimant,
Travaillant pour manger, tout juste, et qui préfère,
Quand c’est son goût, ne rien manger, mais ne rien faire. »

BROCHURES, REVUES.

Internet est une belle invention. Grâce à la toile, je complète peu à peu ma collection de Fascination. Je me réserve l’occasion de revenir sur cette fabuleuse revue (créée et menée de main de maître par Bouyxou), une des plus passionnantes de la fin des années 70, début des années 80 (avec le Hara-Kiri de Choron).

Les deux derniers numéros des Cahiers du cinéma m’ont paru, par contre, assez consternants de médiocrité. J’ai du mal à saisir l’orientation de la revue qui ne semble plus désormais envisager le septième art autre part qu’à l’école ou au musée (au secours !). Quand au traitement des films, entre les faramineuses dithyrambes pour OSS 117 et V pour Vendetta et une notule condescendante pour Ruiz, on reste rêveur…

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« Un gros commerçant proclamera sur ses affiches publicitaires : « il est interdit d’interdire de vendre moins cher (E.Leclerc), un autre : « Tous unis contre la vie chère » (Intermarché).
[…]
Quel fut ce bon temps où les sans-culottes plantaient leurs fourches dans le postérieur des sinistres possédants, aristocrates ou bourgeois, pour chasser ces parasites de leurs assemblée nationale et hôtels particuliers. Quel est ce mauvais temps où les possédants se font les propagandistes de la « rebelle attitude », afin de nous faire avaler l’amer venin de la servitude démocratisée. »
Cette judicieuse réflexion (parmi d’autres) se trouve dans une brochure intitulée Le publicitaire (n°11, Mars 2006) qu’on peut trouver pour une somme dérisoire (30 centimes) dans toutes les bonnes librairies (« la mémoire du monde » à Avignon, « la machine à lire » à Bordeaux, « Le sphinx » à Grenoble, « Meura » à Lille, « la Gryffe » et « La plume noire » à Lyon, « Nautilus » à Paris…). Sa lecture est hautement recommandable.

BD.

Diable, j’ai été trop long ! Alors très rapidement, en ordre décroissant.

Retour au collège de Riad Sattouf. Un vrai régal ! un jeune auteur de BD fait toujours des cauchemars à 27 ans où il se revoit au collège. Pour exorciser cette angoisse, il décide de réintégrer une classe de 3ème dans un lycée parisien ultra-chic. Sattouf croque avec un humour constant et une rare justesse ces fils de riches qui ne sont finalement que des ados comme tous les autres (obsédés par le cul et la mode). Ce n’est jamais condescendant ni paternaliste et malgré tous leurs défauts, on s’attache vite à ces jeunes gens (la petiote qui tombe amoureuse du dessinateur est extrêmement touchante).

Le combat ordinaire de Manu Larcenet. Une chouette découverte (ben ouais, ce n’est pas original mais je n’y connais rien en BD !). Cette histoire d’un photographe vaguement névrosé, de ses relations avec ses parents, son frère et sa copine m’a paru à la fois juste et profonde. Les personnages sont croqués avec délicatesse et l’auteur parvient à leur donner de l’épaisseur en quelques cases. Comme ce récit intimiste n’est pas dénué d’humour, la lecture s’avère tout à fait plaisante.

Cour Royale de Jean-Marc Rochette et Martin Veyron. Gros pastiche (avec jeux de mots et langage d’époque ad hoc) des BD historiques avec cette histoire de perruquier qui arrive à la cour avec sa fille qui attire toutes les convoitises des nobles et même du roi. Rigolo.

Une épaisse couche de sentiments de Sébastien Gnaedig et Philippe Thirault. Une bande dessinée située au cœur du monde impitoyable des ressources humaines avec des types aux dents de requins qui licencient à tour de bras. Histoire assez forte mais aussi très caricaturale. Dessins assez statiques auxquels je n’ai adhéré qu’ à moitié. Un équivalent dessiné du cinéma de Michael Moore, si vous voulez…

Jack.B.Quick : enfant prodige. D’Allan Moore et Kevin Nowlan. Un jeune prodige en culotte courte des sciences se livrent à toutes sortes d’expériences fantaisistes. Si une tartine beurrée tombe toujours du côté beurre et si un chat retombe toujours sur ses pattes, que se passe-t-il si on beurre le dos d’un chat ? C’est le seul gag qui m’a arraché un sourire dans cette BD chiante comme un jour de mai sous la pluie. J’avoue ne pas accrocher du tout à l’esthétique américaine du « Comic » et préférer, dans le genre, l’hilarante Rubrique scientifique de Boulet.
Mais là, on va dire que je ne suis plus objectif…

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samedi, mai 06, 2006

L'aventure de "Champ Libre"

Gérard Guégan. Cité Champagne, esc. I, Appt. 289, 95- Argenteuil (Champ libre 1 : 1968-1971). Grasset



J’ai toujours un peu de mal avec les témoignages des anciens de 68 qui généralement se divisent en deux catégories : ceux écrits par les renégats qui font amende honorable et se rallient sans complexe aux abominations de la société actuelle ; et ceux des anciens combattants aigris qui se retournent, la larmichette au coin de l’œil, sur un passé définitivement enterré. Deux travers qu’évitent admirablement Gérard Guégan qui signe ici l’un des livres les plus passionnants du moment.
Le pari n’était pas gagné d’avance car, en sachant comment s’est terminée l’aventure de Champ libre pour l’auteur (évincé en 1974 par Lebovici), il y avait du règlement de compte dans l’air. Or malgré quelques piques irritantes lancées contre certaines personnalités (nous y reviendrons), Guégan évite également cet écueil. Mais commençons par le début.

Cité champagne… est l’évocation de la naissance d’une des plus fabuleuses aventures éditoriales de l’après-guerre. Jeune père de famille et apprenti écrivain tout juste sorti de l’épopée de Mai 68, Gérard Guégan fait la connaissance d’un autre Gérard (Lebovici), riche impresario avec qui il décide de lancer une nouvelle maison d’édition qui publierait les textes les plus à même de prolonger la Révolution. C’est ainsi que naquirent les éditions Champ libre dont le catalogue des publications laissent encore aujourd’hui pantois. Des classiques de la subversion (Déjacque, Darien, Coeurderoy, Zo d’Axa…) aux agitateurs de l’époque (Jules Celma, le Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire, le Groupe d’Information sur les Prisons et bientôt la réédition de L’instinct de mort de Mesrine) en passant par les situationnistes (Debord, Voyer, Jaime Semprun…) et Boulgakov, Cravan, Schwitters, Gracian, Ardant du Picq, Clausewitz, Orwell, Groucho Marx, W.C Fields ; Champ libre ne laissa quasiment rien passer des manuels destinés à nous mettre « les yeux en face des troubles » (même si Guégan regrette d’avoir loupé l’édition française de l’excellent et indispensable Do it de Jerry Rubin).

Ecrit de manière très vivante, dans un style haletant (de courts paragraphes qui rythment l’aventure), Guégan mêle les souvenirs personnels (ses tracas avec les staliniens dans la cité rouge d’Argenteuil, ses tours pendables, ses amours tumultueuses…) à un tableau étonnamment juste de la société française à la charnière des années 70.
Entre les souvenirs de l’assassinat de Sharon Tate et de la découverte de La nuit des morts-vivants de Romero, on croise les gens de la Vieille Taupe (cette librairie d’extrême gauche qui deviendra malheureusement par la suite une officine du révisionnisme), Jim Morrison et Reiser. On sent parfaitement les tensions qui pouvaient alors exister entre les divers groupuscules (les conflits entre la Vieille Taupe et les situationnistes qui, au fur et à mesure que le temps passe, gravitent de plus en plus autour de Champ Libre par l’intermédiaire de Voyer et Viénet) et le durcissement de la répression étatique (les flics du sinistre Marcellin).
Au milieu de tout ça, les rêves et la mauvaise foi d’un individu prêt à en découdre avec le monde entier. Guégan, c’est son mérite, ne renie pas son passé mais ne se met pas non plus en valeur. Dans cette histoire, ce qui pouvait gêner a priori, c’est que ses principaux acteurs ne sont plus de ce monde aujourd’hui (Lebovici a été assassiné dans des circonstances qui restent toujours mystérieuses en 1984 et Debord s’est suicidé). Facile donc de se donner le beau rôle et de faire parler les morts. Guégan ne le fait pas (il met lui même en scène ses difficultés à ordonner ses souvenirs et les confrontent avec les impressions d’autres témoins de l’époque : Sorin, Le Saux…) même si on sent toujours une véritable rancœur contre Debord (devenu par la suite le grand ami de Lebovici qui produira ses films).
Si certains faits donnent raison à Guégan (dans Considérations sur l’assassinat de Gérard Lebovici, Debord nie avoir connu l’auteur alors que sa Correspondance révèle un certain nombre de lettres envoyées à l’auteur des Irréguliers), certaines remarques me paraissent totalement déplacées (sur la virilité ou la calvitie de Debord) et ne présentent aucun intérêt. Mis à part ces quelques piques fielleuses, le livre ne suscite pas la moindre réserve tant il est écrit avec fougue. Guégan, et c’est tant mieux, n’a rien renié de ses combats d’antan (les quelques remarques qu’il s’autorise sur notre époque sont très pertinentes) et son livre n’a jamais l’allure de souvenirs momifiés.
C’est dire si on attend le deuxième tome avec impatience…

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lundi, mai 01, 2006

Eloge de Georges de la Fouchardière



Si Jean Renoir et Fritz Lang (la rue rouge) n’avaient pas eu la judicieuse idée de porter à l’écran son roman La chienne, il est fort probable que la postérité aurait totalement enterré le nom de Georges de la Fouchardière. Oubli fort regrettable et d’autant plus étonnant que, comme le souligne Noël Godin dans son indispensable Anthologie de la subversion carabinée, « Georges de la Fouchardière a pourtant connu pendant trente ans en France la baleste popularité d’un Henri Rochefort ou d’un Tristan Bernard… »

Le hasard faisant bien les choses, je viens de revoir le film de Renoir juste après avoir fini Au pays des chameaux, dégotté à vil prix chez un petit libraire d’occasion, récit de voyages où l’auteur raconte avec un humour goguenard et sarcastique son séjour en terres tunisiennes et algériennes. Ecrit en 1925, on pouvait craindre le regard condescendant du colon arrogant. Il n’en est (presque) rien et si La Fouchardière raille quelques coutumes locales, il utilise certaines transpositions pour s’en prendre à ces cibles favorites, l’armée et la religion.
Car comme le note Clément Vatel (avec qui il a écrit plusieurs romans en collaboration, notamment la grande rafle que ma sœur vient de me ramener d’Egypte, quand je vous dis que le hasard fait bien les choses !) :
« Georges de la Fouchardière était anarchiste et il l’est resté. Ses milliers d’articles pourraient être, pour la plupart, répartis en deux catégories :
1- Les sarcasmes contre les maréchaux, les généraux, les officiers supérieurs, les officiers subalternes, les sous-officiers, surtout les adjudants.
2- Les sarcasmes contre le pape, les cardinaux, les évêques -surtout Mgr Grente, évêque du Mans et académicien-, les chanoines, les curés, les vicaires et l’abbé Bethléem, censeur entre tous sévère, qui met à l’index, son index à lui, jusqu’aux romans de Zénaïdes Fleuriot, déclarés dangereux pour les mœurs et pour la foi ! »

Nous verrons que notre amuseur ne limitait pas ses attaques à ces deux seules cibles. Pour l’heure, contentons-nous de vous signaler que ses livres (qu’on débusque encore relativement facilement chez les bouquinistes ou dans les braderies, ne vous en privez pas !) peuvent également se répartir en deux catégories.

Primo, des romans soit rigolards (la plupart du temps), soit dramatiques comme cette fameuse Chienne où un modeste employé d’une compagnie de bonneterie, marié à une douairière acariâtre, succombe au charme d’une petite prostituée. Celle-ci, poussée par son souteneur, va abuser du brave homme en lui soutirant un maximum d’argent. Le roman n’est ni mon préféré de l’auteur tout comme le film n’est pas mon préféré de Renoir même si Michel Simon fait merveille dans le rôle de cet homme discret soudain dévoré par les flammes de la passion. La fameuse scène où il assassine Lulu est assez fabuleuse (le désarroi de l’homme et le rire terrible de la femme, comme dans Parfait amour ! de Catherine Breillat ). Dans ses romans d’analyse, Georges de la Fouchardière faisait montre d’un pessimisme noir et d’un désabusement teinté de misogynie. Dans le genre, son roman le plus réussi reste, à mon sens, Joseph Pantois, fils de gendarme, un bijou où l’auteur décrit l’itinéraire d’un jeune homme timide qui, du catéchisme à l’armée en passant par l’incarcération scolaire, verra son destin brisé par les institutions et les ridicules conventions sociales. Outre les formidables missiles que La Fouchardière lance contre l’armée, la police, l’école, la religion ; ce roman est l’un des plus beaux jamais écrits sur la timidité (« …car les hommes timides, par un paradoxe de la nature, sont toujours des hommes sensibles. Les femmes se moquent d’eux, comme il convient, les femmes n’aiment que les hommes qui se moquent d’elles. »).
Je connais moins bien ses romans gaguesques. La grande rafle a une très bonne réputation chez les deux seuls zélateurs de Georges de la Fouchardière que je connaisse (Godin mais aussi Jean-Pierre Bouyxou qui lui consacra un très bel article dans le numéro 29 de Fascination) .
Pour ma part, j’ai aussi trouvé très intéressant Histoire d’un petit juif (1938), conte philosophique à la manière du Candide de Voltaire où l’auteur suit les pérégrinations d’un petit juif dans l’Europe troublée d’avant-guerre et dresse un panorama de la folie des hommes qui allait les mener à la seconde guerre mondiale (pour les amateurs de curiosité, La Fouchardière brocarde de manière très drôle au détour d’une page l’antisémitisme hystérique de Céline dans ce livre).
Pacifiste convaincu, La Fouchardière sera de ceux qui pensent qu’un pacte avec Hitler est préférable à une nouvelle guerre mondiale. Résultat, il continue à écrire sous l’Occupation dans l’Oeuvre du sinistre Déat, ce qui lui vaudra des ennuis à la Libération et son exclusion de la Ligue internationale contre l’antisémitisme. Il meurt en 1946, abandonné de tous et c’est peut-être cette triste fin qui commande l’ostracisme dont il est victime aujourd’hui.
Reste une flopée de romans terriblement inégaux. Je n’en ai pas lu énormément mais il est vrai que sa série relatant les aventures d’un héros franchouillard surnommé « le bouif » ou son Tibs d’étoupe et Nib de tifs , équivalent littéraires possible des films d’Emile Couzinet, ne peuvent intéresser que les amateurs d’invraisemblables nanars (j’en suis !).


Deusio, les recueils des innombrables articles que La Fouchardière donne à la presse (grand public ou anar). Ces youpitants pamphlets constituent la part la plus « actuelle » de l’œuvre de l’auteur et conservent une verve qui mériterait des rééditions. Je pense à ce superbe brûlot antimilitariste intitulé Au temps pour les crosses (« Je ne déteste pas l’homme qui est sous l’uniforme, je déteste l’uniforme qui se trouve sur l’homme parce qu’il est le signe d’une servitude ou l’instrument d’un prestige abusif et fallacieux ») ou encore à Balles sans résultat.
Là encore, je n’ai pas réussi à trouver tous les titres qui m’intéressent mais il est probable que son Vive l’armée ! ou le diable dans le bénitier doivent valoir leur pesant de cacahuètes.
J’ai par contre déniché le superbe les médecins malgré nous où les saillies de La Fouchardière sont une fois de plus virulentes et font souvent mouche. J’aime particulièrement la manière dont il fustige la servitude volontaire chère à La Boétie.
C’est sur cette citation que je vous laisserai mais si vous croisez au hasard d’une foire aux livres le nom de La Fouchardière, n’hésitez pas à y jeter un œil, ça vaut le détour…

« Ce n’est pas le médecin, c’est le malade.
Ce n’est pas le tyran, c’est l’opprimé.
Ce n’est pas le général, c’est le troufion de deuxième classe.
On nous embête en voulant toujours nous apitoyer sur les victimes ; les victimes choisissent leur bourreau et vont le chercher. Jamais on ne flétrira assez la passivité et la résignation de la victime, et sa complaisance qui est de la complicité. Car les victimes représentent le nombre et la force. »
[…]

« Je dénonce les victimes, seules responsables des maux dont elles souffrent. Les victimes : le malade, le contribuable, le soldat… »

* * *

« Il faut haïr les bourreaux, mais il faut se méfier des victimes. » (Didi, Niquette et Cie)

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