La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

dimanche, janvier 28, 2007

Note de lecture 2007 : Part 2

Poursuivons, si vous le voulez bien, nos notes de lectures, consacrées cette fois à la littérature française. Mes deux, trois lecteurs fidèles ne seront pas surpris de retrouver des noms déjà beaucoup cités en ces pages et appartenant pour la plupart à la même époque (grossièrement, de la Belle-époque aux Années folles).

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Commençons par notre petit chouchou du lot, à savoir Pierre Louÿs. Outre son recueil de poésies érotiques chroniqué ici-même il y a peu ; j’ai également découvert Les aventures du roi Pausole, délicieux conte philosophique (dans la lignée de ceux du XVIIIe) nous narrant les pérégrinations d’un bon roi, souverain d’un Etat imaginaire, dont la fille a soudainement disparu. Ce roi, inutile de préciser qu’il nous est d’emblée sympathique puisque dès les premières pages, l’auteur précise que « ses habitudes étaient, par ordre décroissant, la paresse, le plaisir et la bienfaisance. Il recherchait, en premier lieu, l’inactivité. Puis la satisfaction. Enfin la philanthropie. ». Personnage charismatique, donc ; régnant sur un pays administré comme l’abbaye de Thélème et où priment avant tous les plaisirs, les désirs individuels et la liberté. Par le biais de l’utopie, Louÿs fustige les travers de ses contemporains et les conventions sociales (« …et il n’y a pas d’obéissance qui ne soit désastreuse pour la beauté de l’esprit ») , notamment (et surtout !) dans le domaine des mœurs. Féru des mœurs antiques et fieffé érotomane, Louÿs imagine un royaume où les belles filles se promènent nues toute la journée et où le souverain couche chaque soir avec une reine différente.
Comme toujours chez l’auteur, le livre est donc irrigué d’un érotisme omniprésent même si, contrairement à ses œuvres « libres », cette dimension est ici moins explicite que suggérée. Ce qui prime avant tout dans cette fable, c’est l’humour et son côté farce picaresque que l’écrivain appuie en exacerbant les oppositions de caractère (le poète polisson contre l’ignoble puritain qui surveille le gynécée royal en incarnant l’horreur du regard posé par la religion sur le sexe).
A l’origine, le roman a paru sous forme de feuilleton (comme beaucoup de livres à l’époque) et il faut bien convenir qu’il souffre parfois de son caractère feuilletonesque. Le récit piétine un peu (comme s’il fallait permettre aux lecteurs de la presse de ne pas perdre le fil) ou souffre encore de quelques redondances un peu lourdes.
Ces réserves faites, on savoure sans modération ce conte libertin que résume parfaitement, à mon sens, ce très beau passage :
« Monsieur, l’homme demande qu’on lui fiche la paix ! Chacun est maître de soi-même, de ses opinions, de sa tenue et de ses actes, dans la limite de l’inoffensif. Les citoyens de l’Europe sont las de sentir à toute heure sur leur épaule la main d’une autorité qui se rend insupportable à force d’être toujours présente. Ils tolèrent encore que la loi leur parle au nom de l’intérêt public, mais lorsqu’elle entend prendre la défense de l’individu malgré lui et contre lui, lorsqu’elle régente sa vie intime, son mariage, son divorce, ses volontés dernières, ses lectures, ses spectacles, l’individu a le droit de demander à la loi pourquoi elle entre chez lui sans que personne l’ait invitée ».

Toujours Pierre Louÿs mais cette fois pour un livre composé à l’occasion de sa mort et intitulé sobrement Le tombeau de Pierre Louÿs. Je ne remercierai jamais assez mon frère de m’avoir déniché ce très bel ouvrage numéroté, constitué de témoignages de diverses personnalités (de Paul Valery à Emile Henriot en passant par Claude Farrère) et de superbes fac-similés. Mis à part l’hommage de Claude Farrère (qui exprime ce qu’il doit à Louÿs, moins en terme purement littéraire –Farrère s’est plus inspiré de Loti- qu’en terme de carrière puisque c’est l’auteur de la femme et le pantin qui l’a lancé) ; les textes n’ont pas un énorme intérêt (quoique tout ce qui touche de près ou de loin à Louÿs a de l’intérêt) et se révèlent être un recueil d’oraisons convenues. Reste que ce tombeau a le mérite de nous révéler un visage de l’écrivain que nous ne connaissons plus. Aujourd’hui, force est de constater qu’il est un auteur un peu oublié dont le seul intérêt qu’il suscite éventuellement provient de ses textes pornographiques publiés sous le manteau après sa mort. Or en 1925 (date de sa mort), Pierre Louÿs est un auteur qui n’a plus publié depuis de nombreuses années. Pour tous ces gens qui lui rendent hommage, il représente le souvenir d’un génie précoce (ces grands succès ont été publiés alors qu’il n’avait qu’une vingtaine d’années) , d’un styliste de haut vol et d’un écrivain ayant « gâché » son talent par un régime infernal (la débauche, la cigarette…). Ce tombeau n’est finalement que la face visible (officielle) de l’iceberg Louÿs et l’on sourit aujourd’hui en voyant comment les thuriféraires de l’auteur se contorsionnent pour condamner ses mœurs tout en louant son œuvre, comment ils devinent qu’un autre visage de l’écrivain risque de voir jour (l’un des auteurs évoque les kilos de manuscrits qu’il a laissés) sans oser le dire franchement.
L’impression finale que procure cet ouvrage est celui d’un mystère autour d’un écrivain dont les succès n’ont finalement représenté qu’une petite proportion d’une œuvre immense, méconnue à l’époque…

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Autre figure de la littérature « fin de siècle » dont je vous ai déjà parlée : Rachilde. Je n’avais jusqu’à présent lu qu’un roman de cet écrivain mais il représentait parfaitement cette déliquescence faisandée de cette littérature dite « décadente ». Je n’étais donc pas mécontent d’avoir trouvé un exemplaire dédicacé de Refaire l’amour, roman écrit à la première personne où un peintre tente de séduire une jeune femme qu’il a choisie comme modèle tout en n’arrivant pas à oublier une de ses anciennes conquêtes dont il conserve le souvenir grâce à un tableau…
Ecrit en 1928, ce roman fait déjà partie de l’œuvre tardive de Rachilde et témoigne d’un certain affadissement de son écriture. Après la première guerre mondiale, nombre d’écrivains anticonformistes de la fin du XIXe siècle ont mis de l’eau dans le vin de leur révolte et ont parfois même sombré dans le patriotisme le plus rance (Cf. Jean Richepin). Pour avoir affirmé qu’une « française ne peut pas épouser un allemand », la mère Rachilde recevra même un coup de pied au derrière dans le mythique scandale qu’organisèrent les surréalistes en 1925 lors d’un banquet organisé en l’honneur de Saint-Pol Roux.
Sans être franchement réac, Refaire l’amour ne se départit jamais d’un ton pontifiant et moraliste qui irrite un peu. L’auteur refuse de s’abandonner au romanesque et ne peut s’empêcher de truffer son récit de petits commentaires surplombants qui ne sont d’ailleurs rien d’autre qu’une accumulation de lieux communs bourgeois.
L’intéressant, c’est que le personnage de la fille aimée autrefois est devenu, à l’instar de Rachilde, une vieille rombière de Province. Elle revient donc voir son peintre pour lui racheter la toile, preuve de ses « débauches » passées. L’œuvre devient alors une espèce de portrait schizophrène d’une artiste qui refuse le portrait qu’ont laissé d’elle ses œuvres antérieures. Et par-là, une réflexion (le mot est un peu fort !) sur le pouvoir qu’à l’Art d’arrêter le temps. Le résultat n’est pas inoubliable mais curieux…

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Vous n’y couperez pas : il sera encore question de Claude Farrère dans cette note puisque j’ai lu deux nouveaux romans de cet auteur (rassurez-vous, je n’en ai plus en réserve pour l’instant). A l’instar de l’œuvre de Rachilde, ces deux livres témoignent du déclin de l’œuvre de cet écrivain puisque le meilleur, la bataille date de la fin de la première guerre mondiale tandis que le médiocre le chef a été publié en 1930.
A première vue, ces deux romans s’inscrivent dans la même continuité de livres où Farrère mêlent l’exotisme à l’intime, l’analyse psychologique à l’épique. La bataille nous transporte au Japon en 1905, au cœur du conflit russo-japonais tandis que le chef se déroule au Portugal, à la veille d’une Révolution.
Pourtant, quelque chose a changé entre-temps. Dans la bataille, on retrouve le style délicat et capiteux de Farrère. Mis à part la partie purement guerrière du roman (elle est relativement condensée) que je trouve ennuyeuse à mourir, le roman possède un certain charme qui est celui d’un auteur fasciné par les cultures lointaines. Sans trop forcer le trait, Farrère fustige les personnages japonais qui renient leurs traditions pour s’ « occidentaliser » (en fait, pour s’uniformiser sous le moule –déjà !- américain). Par contre, il laisse aller sa fascination pour la culture ancestrale chinoise dans de très beaux passages où son héros va partager des pipes d’opium avec un vieux chinois. Le roman s’imprègne alors de ces volutes opiacées et touche de manière assez subtile tout ce qui relève des sentiments. Je ne crie pas au chef-d’œuvre mais la bataille fait partie des bons romans du stakhanoviste Farrère.
Par contre, le chef est beaucoup plus pénible. Pourtant, l’auteur nous place du côté d’un leader charismatique communiste prêt à utiliser la colère du peuple pour renverser le pouvoir. Si ce héros est un « pur » (il agit par idéal et non pas par intérêt), son entourage ne l’est pas et sa relation avec la femme d’un marquis ministre finira par entraîner sa chute. Qu’est-ce qui ne fonctionne pas cette fois ? D’une part, Farrère devient beaucoup plus caricatural et ses personnages n’existent que comme des pantins (il faut voir la manière dont l’écrivain peint l’affreux émissaire soviétique qui se charge de l’agit-prop). De l’autre, à l’instar de Rachilde, il ne cesse de pontifier et de consteller son histoire de petites digressions sur, au choix, le danger du communisme, la fin du bon vieux temps, le sens de l’honneur et autres balivernes du même acabit. Sans pouvoir l’affirmer avec certitude (je ne connais pas assez le parcours de cet homme), il semblerait que Farrère soit devenu, l’âge venant, un sacré vieux con. Le fait que l’Académie Française l’ait accueilli en son sein quelques années plus tard me semble corroborer ce diagnostic sévère…

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Terminons ce petit tour d’horizon en quittant cette époque et en remontant le temps jusqu’au milieu du 19ème siècle pour évoquer le très grand écrivain Jules Barbey D’Aurevilly
Je ne connaissais de cet auteur admiré par Bloy que les diaboliques (grand livre). Ecrivain catholique, il nous apparaît aujourd’hui comme le cas typique de cette littérature contre-révolutionnaire qui va fleurir au 19ème en s’obstinant à refuser l’odieux utilitarisme bourgeois. La qualifier de « réactionnaire » n’a pas vraiment de sens car si Barbey prêche en faveur du roi, il se montrera également très « progressiste » en matière d’art (le seul domaine qui vaille !) en soutenant Baudelaire et en bâtissant une œuvre dont le style somptueux annihile les stupides clivages politiques.
De roi il sera question puisque j’ai lu avec beaucoup de plaisir les deux romans « historiques » de Barbey, le chevalier Des Touches et l’ensorcelée ; deux récits ayant pour cadre sa Normandie natale et les guerres chouannes. Le premier narre la manière dont douze de ses compagnons ont tiré un chevalier chouan des griffes des « bleus ». L’écrivain légitimiste choisit clairement son camp et l’on ne pourra pas s’empêcher de sourire à quelques passages grandiloquents où, à la veille de l’expédition, un preux chevalier et sa fidèle dulcinée se proclament mari et femme sous une croix de fortune que les compagnons improvisent avec la lame de leurs épées. Mis à part pour quelques lecteurs nostalgiques des croisades, l’emphase de la scène a quelque chose d’un peu ridicule. Ceci dit, le livre est très bien écrit et d’Aurevilly ne joue pas au grand pontife. Il polit à mesure que le récit avance ses personnages et les rend à la fois plus ambiguës et plus proches. Des Touches possède également une part sombre et n’est pas ce que l’on peut appeler un « modèle ». De la même manière, les chouans ne sont pas toujours présentés sous leur meilleur visage (voir la scène où est évoquée la mort du fils de la gardienne du cachot de Des Touches : les chouans l’ont enterré jusqu’au cou avec d’autres républicains et ont entamé une partie de quilles macabre avec les têtes !) et l’écrivain se méfie des caricatures réductrices.
Toujours est-il que j’ai préféré L’ensorcelée, splendide roman où un prêtre chouan revient officier dans sa paroisse après avoir frôlé la mort (une tentative de suicide lui ayant emporté une partie du visage et les atroces tortures des « bleus » -ils lui ont arraché ses pansements et posés des braises incandescentes sur ses plaies- ont fini de le défigurer) et séduit jusqu’à la folie une femme des environs.
Au-delà du cadre historique, Barbey n’hésite pas à faire entrer dans son récit l’élément surnaturel, à intégrer les traditions et croyances populaires bien ancrées dans sa terre normande. De fait, son livre possède un souffle incandescent rare et nous propulse au cœur d’un combat entre le Bien et le Mal qui outrepasse largement les positions antagonistes des acteurs de la guerre civile. Ce prêtre est à la fois une figure chevaleresque à laquelle l’écrivain pourrait éventuellement s’identifier (serviteur de Dieu et du Roi) mais également une figure satanique, qui bouleverse et envoûte les consciences pour les conduire à la folie et à la mort.
Comme dans les diaboliques, les flammes de l’Enfer soufflent le chaud et le froid dans le cœur des hommes dont l’écrivain dissèque les moindres recoins. Comme on l’observera plus tard chez les écrivains « fin de siècle », il y a chez ce dandy une certaine fascination pour le Mal qui vaut au lecteur quelques passages particulièrement macabres.
Même si on ne partage pas ses idées, on ne peut qu’être séduit par le style éblouissant de l’écrivain Jules Barbey D’Aurevilly !




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lundi, janvier 22, 2007

Note de lectures 2007 : Part 1

Ne croyez pas que mes lectures actuelles se limitent aux deux seules notes que j’ai publiées récemment. Mais une fois de plus, je me suis laissé déborder et me vois dans l’obligation de résumer très succinctement mes dernières découvertes. Nous le ferons sous forme de trois notes regroupées par thèmes. La première, celle d’aujourd’hui, sera entièrement consacrée à la littérature étrangère.

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Frank Wedekind. Le coup de foudre (L’âge d’homme. 1983).
Je l’avoue sans fierté, c’est la première fois que je lisais les mots du grand dramaturge allemand Frank Wedekind, plus connu pour son théâtre expressionniste (l’esprit de la terre et la boîte de Pandore) que pour les nouvelles rééditées ici. Que dire de ces courts et cinglants récits dont le cœur tourne toujours autour de la passion amoureuse ? En souvenir de la magnifique adaptation que Pabst a tirée des fameuses pièces sus-citées (Lulu), nous lancerons l’hypothèse que Wedekind prolonge avec ces nouvelles les thèmes de son théâtre : sentiments amoureux vécus sous le signe du rapport de force, de la manipulation et de la domination (ce que l’homme obtient par la force et le cynisme, la femme peut l’obtenir par la séduction) ; amours brisés par une destinée malheureuse mais qui permettent à l’auteur de fustiger l’odieux règne des conventions sociales (dans le très beau le vieux prétendant)…De ces injustices que l’ordre social créé et que Wedekind dévoile cruellement, on retiendra ce petit passage plus que révélateur :
« Elle n’avait jamais voulu le mal, et le malheur était sur elle. Lui, de sa vie entière, n’avait jamais voulu le bien, et pourtant, il n’était pas irrémédiablement perdu, il le sentait. Ce qu’il éprouva dans ce moment le marqua pour la vie. ».
La dernière nouvelle intitulée Mine-haha, ou l’éducation corporelle des jeunes filles, plus longue que les autres, dépareille un peu dans le recueil. Non que Wedekind abandonne ses thèmes mais il les traite sous forme d’une féerie allégorique assez étonnante où une vieille femme, avant de mourir, laisse au monde ses mémoires. Elle y raconte surtout son éducation au milieu d’autres fillettes au sein d’une étrange demeure coupée du monde. Sans avoir vu le film de Lucille Hazihalilovic, j’ai pensé à Innocence (j’imagine le film comme ça !). Pour ces fillettes, à chaque âge semble correspondre un rite initiatique qui est, bien évidemment, un symbole de l’asservissement du corps féminin afin qu’il puisse trouver sa place sur la scène du théâtre social. Cette manière de résumer brutalement la nouvelle ne rend absolument pas compte du climat fantasmagorique et évanescent qui y règne. Nous sommes dans un univers à mi-chemin entre un Eden idéal (où règne la pureté et l’innocence) et une maison d’éducation destinée à formater les filles. C’est assez étonnant.

Ambrose Bierce. Est-ce possible ? (Famot. 1974).
S’il fallait absolument dénoncer un oubli scandaleux dans la fameuse Anthologie de l’humour noir d’André Breton, ça serait évidemment celui de l’œuvre macabre et cynique d’Ambrose Bierce. Vous avez eu un aperçu de ce cynisme en lisant ma dernière note, extraits de son fabuleux dictionnaire du diable où l’auteur passe au crible de son regard féroce et désabusé toutes les conventions sur lesquelles repose l’édifice social. Il y aurait beaucoup de choses à dire sur cet enfant de fermier qui fit la guerre de Sécession (du côté des Fédéraux) , occupa divers métiers avant de devenir un écrivain férocement drôle et d’un cynisme agressif jamais démenti. Plus étonnant, on ne sait pas exactement comment il est mort mais il est fort probable qu’il ait été tué dans une bataille à près de 80 ans alors qu’il avait rejoint les troupes de…Pancho Villa ! (Loué soit son nom !) Est-ce possible ? n’est pas un véritable recueil de nouvelles mais plutôt un échantillon de nouvelles tirées de trois volumes (Récits de soldats et de civils, Cela est-il possible ? et Histoires négligeables). Comme tout recueil de nouvelles, le résultat est parfois un peu inégal. Personnellement, les histoires de bidasses ne sont pas mes préférées même si certaines ont une vraie force. Bierce, comme tout grand écrivain américain qui se respecte, est également un paysagiste et j’avoue que certaines longs tableaux de la nature m’ont parfois un peu ennuyé. Par contre, ces récits fantastiques sont délectables. L’auteur y cultive un goût de l’étrange et du morbide qui met du baume au cœur. Son imagination cruelle est sans limite et certaines chutes cinglantes sont franchement glaçantes. Le tout arrosé, comme de bien entendu, d’un humour noir succulent. Je reparlerai sans doute de cet écrivain majeur…

GK. Chesterton. Le scandale du Père Brown (L’âge d’homme. 1982)
Tiens ! Voilà un écrivain dont je vous ai déjà parlé et qui mérite assurément, lui aussi, d’être redécouvert. Là encore, il s’agit de nouvelles mais relevant cette fois du genre policier. Chesterton met ici en scène son fameux héros le Père Brown dont la particularité est d’allier la profession de détective et celle de prêtre. Ces petites enquêtes sont toutes construites sur le même modèle : un événement plus ou moins tragique (disparition, meurtre, adultère…) dont le père Brown parvient à démêler les fils en regardant au-delà des apparences. D’ou ce mélange d’humour et de mysticisme qui donne tout son sel à la verve de Chesterton. Le scandale évoqué dans le titre d’une nouvelle provient du fait que le Père Brown prend les platitudes de l’époque érigées en conventions à rebrousse-poil et en pointe l’inanité. Ces petits récits policiers sont parsemés de piques ironiques à l’égard du pouvoir de l’époque et de ses préjugés. C’est, entre autres choses, ce qui les rend savoureux…

Bram Stoker. Dracula (Famot. 1974)
Alors que je tiens Dracula pour un des plus beaux mythes fantastiques qui soient, j’avoue à ma grande honte que je n’avais jamais lu le classique de Bram Stoker. Est-il encore besoin de présenter ce grand seigneur (saigneur) de la nuit qui décide de quitter sa Transylvanie natale pour étendre son règne démoniaque au monde entier ? Faut-il louer une fois de plus la diabolique habileté d’un récit composé de fragments de journaux intimes, de correspondances entre plusieurs personnages, de coupures de presse ? Avec Dracula, Stoker plonge au cœur des pulsions les plus secrètes de l’homme et offre un fabuleux roman sur la contamination du Mal (on comprend qu’il ait inspiré Murnau dans son chef-d’œuvre Nosferatu).
Si ce mythe du vampire est si beau, c’est qu’il englobe énormément de choses et qu’il est, à l’instar de ce héros aux multiples visages, polymorphe. Autant Frankenstein est une parabole sur le progrès des sciences qui permet à l’homme de rivaliser avec les dieux mais qui, corollairement, met en péril la race humaine ; autant Dracula me semble aller plus loin dans tout ce qui compose l’homme : le Mal, la séduction, les pulsions érotiques (on ne dira jamais à quel point le mythe du vampire est puissamment érotique, ce qu’ont très bien compris des gens comme Jean Rollin ou Jess Franco), la peur de la contamination…
Un très grand livre qui n’a pas démérité de son statut de chef-d’œuvre.

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dimanche, janvier 21, 2007

Elections 2...

"Député n. Individu dépendant d'un quelconque affairiste ou de son homme de main. Le député est généralement un jeune homme bien fait de sa personne, nanti d'une cravate rouge et d'un fin réseau de toiles d'araignées qui relie son nez à son pupitre. Quand le concierge le heurte par inadvertance avec son balai, il produit un nuage de poussière.
Ministre n. Personne qui agit avec un grand pouvoir et une faible responsabilité. En diplomatie, dignitaire envoyé dans un pays étranger comme une incarnation visible de l'hostilité de son souverain. Sa qualification principale est à un degré d'allégations plausibles juste en dessous de celles d'un ambassadeur.
Politicien n. Anguille habitant la fange dans laquelle sont enfoncés les pilotis de la société organisée. Quand elle avance en se tortillant, elle confond l'agitation de sa queue avec le tremblement de l'édifice. Si on le compare avec les grands hommes d'Etat, le politicien souffre du désavantage d'être encore vivant.
Politique n. Lutte d'intérêts déguisée en débat de grands principes. Conduite d'affaires publiques pour un avantage privé.
Présidence n. Le cochon le plus gras du champ de la politique américaine.
Président n. Figure de proue d'un petit groupe d'hommes dont- et dont seulement- il est parfaitement connu que l'immense majorité de leurs compatriotes ne voudrait à aucun prix d'aucun d'eux comme Président.
Vote n. Acte et symbole du droit d'un homme libre de faire de lui-même un sot et de son pays un chaos."
Ambrose Bierce Le dictionnaire du diable

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dimanche, janvier 14, 2007

Louÿs interdit

Pierre Louÿs. « Et ta bouche en peau de lys… ». (Editions de l’aube. 2006)

Dans la foulée de Noël et de son lot de cadeaux, je me suis fait un petit plaisir (ce n’est pas le genre de livre qu’on peut demander à la famille) en m’offrant ce très beau livre, recueil de poésies érotiques de l’immense Pierre Louÿs (dont nous reparlerons prochainement) illustrés de 141 « photos inconvenantes » (en fait, des photos pornos de la Belle Epoque).
Commençons, si vous le voulez bien, par les réserves à émettre sur « Et ta bouche en peau de lys… ». Personnellement, je regrette l’absence totale de mise en perspective de ces poèmes présentés ici brut de décoffrage (avec juste des indications de dates). Pour quelqu’un qui connaît peu l’œuvre « libre » de Louÿs (c’est mon cas), il n’aurait pas été inintéressant que ce recueil fut accompagné d’un véritable travail bibliographique (ne serait-ce qu’une préface). Idem pour les photos dont on ne sait rien mis à part qu’il s’agit, en gros, d’une compilation d’images déjà publiées dans d’autres ouvrages spécialisés. Or on sait (Cf. Fascination n°1) que Pierre Louÿs fut lui-même photographe et j’aurais préféré un livre qui donne moins de place aux photos mais qui aurait pu se concentrer sur les travaux de l’auteur.
Dans l’état, nous avons un peu l’impression d’avoir dans les mains un très bel objet (de ce point de vue, c’est très réussi) plus destiné aux collectionneurs érotomanes qu’aux férus de littérature. Il me semble que les deux auraient pu cohabiter.

Ces réserves faites, le livre est totalement recommandable. D’une part, je le redis, parce qu’il est très beau et superbement illustré (j’avoue toujours trouver assez émouvantes ces vieilles photographies polissonnes datant du début du siècle (attention, la plupart sont « hard »)) d’autre part, parce qu’il y a l’écriture de Pierre Louÿs qui est, de tout point de vue, remarquable.
Le recueil se divise en plusieurs parties : une grosse première partie composée de sonnets où l’auteur laisse divaguer sa plume autour de toutes les parties de l’anatomie féminine qu’il détaille sous toutes les coutures (de la « senteur des bras » à la « vulve blonde »). De la même manière, il consacre un poème à tous les moments intervenant dans l’acte érotique (les caresses, la toilette, les énervements, les positions…). La deuxième partie, beaucoup plus courte, est composé du célèbre Trophée des vulves légendaires (neuf sonnets sur les héroïnes de Wagner que Louÿs admirait tant) et de pastiches, de parodies et de quelques poésies libres.
L’ensemble permet de mesurer le talent d’un écrivain qui avait une vingtaine d’année lorsqu’il composait ces œuvres friponnes marquées par une écriture très pure et un style classique impeccable. Je ne citerai, à titre d’exemple, qu’un sonnet intitulé La senteur des bras :

Entre tes bras jetés sur mes épaules nues,
Chère ! je sens monter des odeurs si connues !
Des arômes si blonds, des parfums si légers…
Ö le vol sidéral sur les bois d’orangers !

La sueur qui vient poindre où ton coude se plisse
Comme un gel de nectar à la chair d’un calice
Fleure dans un enchaînement rieur et fou
Deux lys longs et câlins mis autour de mon cou.

Aussi quand loin des lits heureux où tu me lies
Mon nostalgique amour rêve aux nuits abolies
C’est l’odeur de tes bras qui m’enlace et m’étreint.

Et dès qu’un souvenir de leur parfum lointain
Revient errer encor dans mon âme touchée.
Je vois dans un éclair toute ta chair couchée.

Vous pourrez constater que ce sonnet n’a rien de pornographique, à l’inverse des géniaux quatrains « hard » de Pybrac. Même si j’ai sélectionné un des sonnets les plus « corrects », le recueil est plus volontiers « érotique » que purement sexuel. Mais contrairement à ses œuvres « officielles » parfois un brin compassées (Les chansons de Bilitis, que j’adore par ailleurs) , Louÿs laisse éclater ici en toute liberté sa sensualité débridée, son lyrisme amoureux ; ne reculant jamais devant une expression « raide » ou un mot cru.
Dans ses poèmes, il voue un culte insensé et obsessionnel à la Femme, à son corps et ses chairs dont il adore la moindre parcelle. (« Blotti sous la tiédeur des nymphes repliées/ Comme un pistil de chair dans un lys douloureux/ le Clitoris, corail vivant, cœur ténébreux, / Frémit au souvenir des bouches oubliées. »).
« Et ta bouche en peau de lys… » est un savoureux recueil pour qui goûte la sensualité exacerbée de l’œuvre de Louÿs et son lyrisme érotique.

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samedi, janvier 06, 2007

Sauvée par Ozu !

Muriel Barbery. L’élégance du hérisson (Gallimard.2006)

N’est-ce pas conforter un cliché que d’en prendre l’exact contre-pied ? L’exception n’est-elle pas là que pour justifier la règle ? C’est un peu ce sentiment qui nous vient à la lecture de l’élégance du hérisson, deuxième roman de Muriel Barbery. En prenant comme héroïne Renée, une concierge qui n’aime ni TF1, ni les racontars mais leur préfère la philosophie d’Husserl, la littérature russe et la peinture hollandaise ; elle ne fait que finalement souligner la singularité de son personnage et laisser toutes les autres (concierges) dans le même sac. Idem pour la petite Paloma, fillette de 12 ans surdouée qui méprise absolument le milieu dont elle vient (la grande bourgeoisie parisienne) et qui est bien décidée à se suicider à la fin de l’année scolaire.
Les deux habitent le même immeuble de la rue de Grenelle et le roman adopte leurs points de vue successifs : récit au style direct pour Renée, indirect pour Paloma à travers les pages de son journal intime.

A travers ces deux personnages dans lesquels Muriel Barbery se projette certainement, nous assistons dans un premier temps à une satire sociale assez mordante (les vieilles rombières à caniches, les filles de riches qui parlent à la manière des loulous de banlieue, le néant de ces existences sous cellophane…) quoiqu’un peu vaine. C’est assez drôle et piquant mais on se demande où l’auteur veut nous emmener si ce n’est vers des lieux communs qui se profilent dangereusement comme écueils (« il ne faut pas se fier aux apparences », « l’argent ne fait pas le bonheur », etc.)
Dans un premier temps, j’avoue avoir craint le livre destiné aux lecteurs de Télérama, quelque chose conjuguant un semblant d’indignation sociale (taper sur les nantis, ça ne mange pas de pain) et un goût pour la culture institutionnelle (notre concierge ne lit ni Sade, ni Fourier, ni Bakounine !). Une preuve entre mille et qui me touche particulièrement (allez savoir pourquoi ), les pages consacrées aux goûts cinématographiques de Renée. Alors que celle-ci peut s’emballer pour les œuvres littéraires les plus classiques (Tolstoï en particulier), dès qu’il s’agit de cinéma, elle se vautre dans le cliché le plus éculé : les blockbusters sont crétins mais divertissants tandis que le cinéma d’auteur est beau mais chiant (« Greenaway suscite en moi admiration, intérêt et bâillements… ») C’est un peu agaçant.
Puis soudain, Muriel Barbery consacre deux pages au cinéma d’Ozu est c’est extraordinaire ! Parce qu’on n’est plus dans l’ordre de l’idée générale mais du ressenti et ce que les films du maître japonais lui inspirent est à la fois totalement personnel et universel. Rarement ai-je lu des choses aussi magnifiques sur ce cinéaste en si peu de lignes !

Finalement, la réussite de l’élégance du hérisson tient dans ce subtil vacillement. Au départ, nous avons quelque chose de trop balisé, une trame dont les ficelles restent trop apparentes (l’arrivée du vieux japonais qui, forcément, fait basculer les cours de ces vies monotones, la rencontre de Renée et de Paloma…) et par je ne sais quel miracle (l’écriture, sans doute), Muriel Barbery parvient à déjouer les écueils, à donner de l’ampleur et une densité à son récit qui devient franchement émouvant sur la fin.
Les personnages, un brin monolithiques au premier abord, deviennent plus complexes et leurs silhouettes s’affinent. Les plus grotesques possèdent des failles et une certaine humanité et l’écrivain parvient à restituer un microcosme qu’on ne trouve plus du tout artificiel.

Je le redis : ce n’était pas gagné d’avance et cette gageure tenue prouve que Muriel Barbery a un véritable talent d’écrivain. Je vais sans doute aller jeter un coup d’œil à son premier livre en attendant le prochain avec une véritable curiosité…

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