La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

mardi, octobre 31, 2006

Nougé (fin de la note précédente)

« Vos
Yeux morts
Vos
Mains sans chair
VIEILLARDS
Il
Vous
RESTE
L’
AMOUR »



« Il y a
Des gens
Qui ont un
AIR
De
LIBERTE
Sur les
LEVRES
Et qui ne sont pas
NECESSAIREMENT
Des
ASSASSINS

Tentez
De
Prendre
L’
AIR »

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Redécouvrir Paul Nougé

Histoire de ne pas rire (L’âge d’homme.1980) et L’expérience continue (L’âge d’homme.1981) de Paul Nougé

« Rien mais rien qui soit rien »

Ami de Magritte, de Paulhan, de Ponge ; Paul Nougé (1895-1967) fut l’une des figures de poupe du surréalisme belge. Il collabore à la revue Les lèvres nues de Marcel Mariën1 en compagnie de Louis Scutenaire, E.L.T.Mesens et Camille Goemans (entre autres) mais ne cherchera jamais à faire « œuvre ». D’où sans doute sa distance bienveillante (pendant la guerre, il ne cessera de louer la liberté de la geste surréaliste) avec les surréalistes français. Ce qu’il fuit à tout prix, c’est l’étiquette « surréaliste » et le risque de se voir figer dans le domaine culturel : « Regarder jouer aux échecs, à la balle, aux sept arts nous amuse quelque peu, mais l’avènement d’un art nouveau ne nous préoccupe guère. L’art est démobilisé, par ailleurs –il s’agit de vivre. » écrit-il en 1925 à André Breton.
Ce refus de tout embrigadement, cette volonté acharnée de ne rien publier expliquent sans doute que l’œuvre de Nougé reste à ce point méconnue. Au début des années 80, les éditions l’âge d’homme ont entrepris de compiler les textes de Nougé. Dans Histoire de ne pas rire, on trouvera ses textes théoriques tandis que dans L’expérience continue sont regroupés ses écrits poétiques.

Commençons par la théorie, voulez-vous. Dans ses essais (où se trouvent également regroupées sa correspondance et les réponses données à diverses enquêtes), Nougé disserte sur le cinéma, la peinture, la musique, la poésie et l’évolution de l’art en général (d’où de fréquentes mises au point quand à sa position vis-à-vis du surréalisme). Deux idées principales doivent être dégagées. D’une part, la primauté d’une pensée en action (voir le très beau texte intitulé l’action immédiate) et la fameuse théorie des « objets bouleversants ». Nougé note qu’ « ainsi apparaît la nature véritable de l’objet : il doit son existence à l’acte de notre esprit qui l’invente ». Il tente alors de définir une véritable poétique de l’objet, de donner aux objets les plus banals une vertu subversive en leur conférant une nouvelle réalité totalement subjective où l’esprit individuel va se perdre : « L’on peut remarquer encore que plus la réalité d’un objet est puissante, plus cette réalité a réussi, plus les chances sont grandes également de pouvoir par une invention nouvelle l’étendre, l’enrichir ou la bouleverser pour en tirer une réalité nouvelle. » D’où son attachement pour les objets les plus banals que l’esprit parvient à isoler pour leur donner une nouvelle réalité. Cet acte de transfiguration des objets, Nougé le voit, à juste titre, dans la peinture de Magritte qu’il ne va cesser de défendre. Une grande partie (un tiers) d’Histoire de ne pas rire est centrée sur l’analyse et la défense de l’œuvre du grand peintre.
On trouvera également dans ce recueil ce délicieux récit d’un tour pendable dont Nougé et ses camarades des lèvres nues n’étaient pas avares. En 1928, suite à une conférence d’André Gide, Nougé lui offre une sangsue dans un bocal avec un mot qui précise qu’elle s’appelle Alissa (« nom de l’héroïne inhumainement éthérée d’une nouvelle de M.Gide » [Mariën]) et qui lui fournit quelques indications sur la manière de nourrir la bestiole (le texte est très drôle).

Dans sa monumentale Anthologie de la subversion carabinée, Noël Godin se montre très sévère pour Paul Nougé, estimant qu’on peut « gaillardement se passer de le lire pour peu qu’on ne tienne guère à devoir chaque fois s’entifler cent soixante-dix pages de haute poésie torcheculo-farcineuse pour quatre-cinq lignes valant leur pesant d’orties ». Je ne souscris évidemment pas à ce jugement mais j’admets que dans les 700 pages que je viens de me goinfrer, certaines sont totalement indigestes, hermétiques à souhait et d’un ennui considérable. Mais il n’y a pas que du bran dans L’expérience continue (euh, oui ! c’était juste une transition pour attaquer les œuvres poétiques !). Certes, il me semble qu’on peut raisonnablement se dispenser du Dessous des cartes (un spectacle mis en musique par André Souris) et de certains poèmes sibyllins. Par contre, j’aime beaucoup Le jeu des mots et du hasard, jeu de 52 cartes où sont inscrites des phrases permettant d’inventer toutes sortes de combinaisons poétiques (« la table importe peu si vous faites TABLE RASE. Battez. Retournez une à une, alignez les cartes. Il arrive que le jeu vous donne CARTE BLANCHE. Mais qu’il en soit pour l’instant à dépendre de vous, prenez garde : LE JEU NE VAUT QUE SELON LA CHANDELLE. Avancez doucement jusqu’à la cinquante-deuxième carte. Battez. Reprenez. Si vous abandonnez vous êtes PERDU. ») . J’aime également l’Hommage à Seurat (une même scène dans un cirque vu selon différents points de vue) et La chambre aux miroirs, 38 petits paragraphes s’attachant à décrire des types féminins. Une véritable poésie finit par se dégager de ces descriptions au départ très anatomiques (« 5 – Une jeune fille. Docile. Très noire. Se présente de face. Beaux seins rigides et colorés. Ventre étonnamment étroit et plat. Forte et longue toison dressée. ») et m’a fait songer au très beau court-métrage d’Olivier Smolders L’amateur.
Mais ce que je préfère par-dessus tout dans ce recueil, c’est La poésie transfigurée où Nougé détourne allègrement les slogans publicitaires (l’idée de bouleverser les objets banals) et en fait de vibrants appels à l’action individuelle. Je vous renvoie à une note précédente et vous offre encore deux spécimens de cette nouvelle « publicité » en guise de conclusion.


1 En 1955, la revue octroie le Prix de la Bêtise humaine conjointement au roi Baudouin pour son voyage au Congo belge et à André Malraux pour l’ensemble de son œuvre esthétique. Vous pouvez imaginer à quel point ce genre de provocation me réjouit !

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dimanche, octobre 29, 2006

Au tournant du siècle

C’était à prévoir : alors que j’avais courageusement rattrapé mon retard, me voilà à nouveau à la traîne pour vous parler de mes dernières lectures. Avant de consacrer des notes plus détaillées à des auteurs méconnus dont je viens de dénicher certains titres (j’ai découvert l’existence d’un fabuleux gisement !) , un petit topo rapide sur quatre livres ayant été écrits au tournant du siècle (je parle, bien entendu, du passage du 19ème au 20ème !).

Henri Rochefort. La lanterne.
Banalité de base : un homme n’est jamais constitué d’un seul bloc homogène, d’où la difficulté pour l’esprit éprit de littérature de composer avec les multiples facettes des personnalités qu’il idéalise ou rejette. Ainsi, il faut parfois reconnaître que de sinistres crapules ont pu avoir un grand talent (Aragon et ses débuts surréalistes, Brasillach lorsqu’il écrit ses mémoires dans le beau Notre avant-guerre…) tandis que certains aspects d’incontestables génies nous pousseraient à nous en éloigner (exemplairement, l’antisémitisme de Céline). A l’instar d’un autre grand pamphlétaire de notre histoire littéraire (Gustave Hervé), Rochefort a d’abord suivi un trajet exemplaire avant de sombrer, sur la fin de sa vie, dans le n’importe quoi.
Résumons : Rochefort fut d’abord l’un des plus virulents et des plus populaires polémistes du Second Empire. Républicain, il fut avec Vallès l’un des plus féroces contempteurs de Napoléon III (Badinguet, comme il se plaisait à l’appeler). Les pamphlets qu’il intitule La lanterne et qu’il lance au visage de l’Empire lui valent à la fois des amendes et une condamnation à 13 mois de prison. Qu’importe ! Rochefort s’installe en Belgique et fait paraître la Marseillaise. Lorsque l’Empire s’écroule, notre homme épouse la cause de la Commune (loué soit son nom !) et est arrêté par les allemands. Remis par l’occupant aux autorités françaises, l’abject Thiers le fait déporter en Nouvelle-Calédonie d’où il s’évadera.
C’est après que les choses tournent mal : toujours républicain, Rochefort fonde l’intransigeant en 1880 et dénonce la corruption en vigueur sous la troisième République (c’était légitime) et, malheureusement, se précipite dans les bras de cette vieille baderne de Boulanger (le général nationaliste qui failli bien réussir un coup d’état). Pour finir, notre ex-« franc-parleur » se range au moment de l’affaire Dreyfus du côté des anti-dreyfusards, d’où certainement les portraits élogieux que Léon Daudet trace de Rochefort dans ses mémoires.
Oublions cette triste fin de règne et revenons au moment où notre mousquetaire met toute sa fougue à soigner ses coups contre l’Empire. La lanterne est un recueil des meilleurs ( ?) textes polémiques publiés par Rochefort dans différents journaux et réédités chez l’excellent Jean-Jacques Pauvert (le livre date de 1966). Outre ces textes journalistiques, on trouvera également quelques extraits des passionnantes Mémoires de ma vie que publia Rochefort (réédité dans les années 80 en version abrégée, je ne peux que vous recommander chaleureusement cette lecture).
« La France contient, dit l’almanach impérial, trente-six millions de sujets, sans compter les sujets de mécontentements ». C’est par cette phrase célèbre que débute un article de La lanterne et déjà on devine l’humour et la verve de ce polémiste hors-pair. Ces textes sont un régal de fiel et de tirs mouchetés qui visent toujours justes et qui, paradoxalement, n’ont pas vieilli. Rochefort s’en prend au régime impérial, aux magouilles politicardes, à la politique extérieure de l’Empire (les textes sur la politique coloniale frappe par leur modernité), à l’hypocrisie religieuse, à la propagande et au bâillonnement de la presse libre… C’est acide, c’est satirique : c’est très fort !

Rachilde. La tour d’amour
Aux côtés des Lorrain, Champsaur, Péladan, Richepin, Catulle Mendès et Mirbeau ; Rachilde occupe une place prépondérante dans ce que l’on a nommé la littérature « fin de siècle ». Elle incarne à merveille cette littérature décadente et faisandée à souhait. La tour d’amour narre l’étrange relation qui se tisse entre un jeune homme (Maleux) nommé gardien de phare et le vieillard mutique qui fait office de gardien-chef. Le style rocailleux de l’auteur laisse d’abord supposer que nous sommes face à un roman naturaliste, attaché à décrire les conditions de vie de deux gardiens de phare dans un environnement hostile (le phare est planté sur un roc isolé à la pointe bretonne). Puis le livre bascule dans la folie la plus furieuse lorsqu’on se rend compte qu’après un naufrage, le vieil homme est parti abuser d’une jeune noyée. Rachilde déploie un univers où se mêle érotisme morbide, nécrophilie et pure folie.
Le plus curieux, c’est que ce roman a été écrit quelques années avant que n’éclate un fait divers atroce, « l’affaire Ardisson », lui donnant un éclairage nouveau. Ardisson, aide-fossoyeur et surnommé « le vampire », profita de son statut pour déterrer les cadavres qu’il venait d’inhumer et les violer. Et comme le personnage du roman de Rachilde, il décapita certaines de ses victimes et garda leurs têtes afin de les « embrasser mieux et beaucoup plus souvent ». Sur ce, je vous souhaite un bon appétit…

Claude Farrère. L’extraordinaire aventure d’Achmet pacha Djemaleddine chef tcherkess, pirate, amiral, vali, grand d’Espagne, Marquis de France et ami de plusieurs sublimes princes. (Sic !)
Continuons notre exploration de l’œuvre de Claude Farrère. Non que je cherche absolument à tout lire (j’avoue que cet auteur me saoule un peu !) mais que voulez-vous : quand je trouve un de ses recueils de nouvelles dans une jolie édition reliée à 50 centimes d’euro, je ne puis résister ! (Je viens d’en acheter un nouveau aujourd’hui –un euro- et ma sœur vient de me téléphoner pour m’annoncer qu’elle m’en avait pris un autre ! Vous voyez que je n’ai pas fini avec Farrère).
Le livre dont il est question aujourd’hui et dont je me refuse à répéter le titre pour des raisons que vous devinerez facilement est un recueil de nouvelles ayant la particularité de prendre fait et cause pour la Turquie à une époque (1921) où le pays est occupé par les Alliés et où la Grèce occupe l’Asie mineure (Farrère n’a pas de mots assez durs pour les Grecs !). Ce point de vue, conforme à celui de son maître Pierre Loti, est intéressant et nous vaut d’assez beaux hommages à la civilisation ottomane et au monde musulman. Après un conte oriental un peu long (et qui donne ce titre à rallonge au recueil), Farrère nous offre quelques jolies, quoique inégales, nouvelles (j’aime assez celles consacrées aux chiens et chats turcs). Par contre, ces positions pro-turques restent parfois en travers de la gorge, surtout lorsqu’il évoque le sort fait aux Arméniens (comme quoi, on peut suivre l’actualité en lisant les livres oubliés du début du siècle !). Je cite son avant-propos : « Les Arméniens sont, en effet, les véritables juifs de l’Orient […]. Le Turc, lui, honnête musulman, à qui sa religion défend rigoureusement l’usure, le Turc qui jamais n’entendit goutte aux questions de doit, d’avoir et d’intérêts composés, le Turc a toujours été tondu de si près par l’Arménien, préteur à la petite semaine, que le cuir lui fut souvent arraché avec la laine. Ruiné, affamé, désespéré, le Turc alors a souvent pris son bâton pour sa raison suprême. Je ne l’en glorifie point. Mais je l’en excuse. ». Même si je prie mon aimable lecteur de remettre ces propos dans leur contexte historique (n’allez pas me faire de Farrère un précurseur du nazisme ! ) ; ils font froid dans le dos lorsqu’on songe au sort que le 20ème siècle a réservé à ces deux peuples !

Léon Bloy. Lettres à René Martineau (1901-1917)
Grâce soit rendue à mon libraire qui m’a déniché et mis de côté ce recueil de la correspondance de Léon Bloy. En 1901, le critique et bibliophile René Martineau entre en relation avec « le mendiant ingrat ». C’est le moment où les affaires vont le plus mal pour Bloy qui voit l’arrivée de ce dévoué admirateur n’hésitant pas à mettre la main à la poche comme un signe divin. Va s’ensuivre une longue amitié qui ne sera jamais démentie et où le brave Martineau ne manquera jamais de venir en aide à l’écrivain terrassé par la misère. Des années les plus difficiles où Bloy et sa famille sont installés à Lagny, en Seine-et-Marne (dont on aura un aperçu en lisant Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne) aux dernières années plus sereines de son existence se dessine une étrange et sincère amitié. A travers ces lettres se dessine un autre visage de Léon Bloy, à mille lieues de ses éructations splendides. C’est ici au quotidien de l’écrivain auquel on assiste, à sa manière de lutter contre la misère (d’où les nombreuses fois où il réclame des mandats à son zélateur) et de tenter d’imposer ses livres (beau moment où il espère que l’exégèse des lieux communs deviendra le grand succès dont il n’a cessé de rêver).
Ces lettres à René Martineau sont à lire comme un codicille intéressant au monumental (et indispensable) Journal de Léon Bloy.

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samedi, octobre 28, 2006

Le plein de vitamines


Aldebert. Les paradis disponibles

Quiconque a eu l’occasion de voir Aldebert en concert ne peut qu’être animé des meilleures attentions à son égard. Notre « adulescent » dégage effectivement un tel charisme, une telle énergie qu’on lui pardonne tout, notamment un univers assez balisé entre les souvenirs d’enfance et d’adolescence, la nostalgie du temps qui passe et les petites chroniques drôles ou désenchantées sur le quotidien du trentenaire d’aujourd’hui.
Les paradis disponibles est son quatrième (déjà !) album studio et se pose d’emblée la question à laquelle toute cette génération qu’on a regroupé sous le label « nouvelle chanson française » se trouve confrontée : continuer sur la voie qui a mené ces chanteurs au succès au risque de la redite ou renouveler son style quitte à perdre une partie de ce qui faisait leur attrait (authenticité, fraîcheur…). La question s’est posée pour Bénabar, j’en ai également parlé à propos de Vincent Delerm et je le referai prochainement quand j’évoquerai pour vous le nouvel album de Jeanne Cherhal.

Aldebert n’offre pas ici de réponse tranchée. D’un côté, il reste fidèle à son univers et l’on retrouvera sans peine les thèmes qui parcouraient ses précédentes galettes. De l’autre, on sent néanmoins le désir d’une évolution musicale et ne plus se cantonner aux petits arrangements à base d’accordéon et de cordes.
Le titre qui ouvre l’album nous met tout de suite dans le bain : avec l’appétit du bonheur, Aldebert tient sans doute là son tube et prouve une fois de plus son talent pour trousser des ritournelles aux textes astucieux dont les airs trottent très rapidement dans la tête. C’est rythmé, c’est enjoué : on adhère. N’empêche que musicalement, les arrangements sont un peu anonymes et assez formatés pour les diffusions en boucle sur les FM.
A vrai dire, c’est la seule réserve que je ferais sur ce disque qui me plait plutôt : à vouloir sortir des ornières du « rock-musette » (très peu de chansons accompagnées par le son de l’accordéon, snif !), Aldebert perd un peu de ce qui faisait le charme de ses albums précédents.
A part une Lulue Marlène joliment enlevée sur un rythme reggae et un très beau morceau au swing jazzy (Des chatons dans un panier), les titres s’enchaînent sur des musiques assez illustratives et parfois un peu déconcertantes (le zouk tout pourri de l’homme songe).

Cette réserve sur l’instrumentation pourrait être rébarbative sauf que, paradoxalement, ce n’est jamais la musique qui a fait la singularité de cet auteur-compositeur. Une fois de plus, c’est sur les textes qu’Aldebert emporte l’adhésion. Si les arrangements laissent à désirer, il y a chez lui un sens de la mélodie et du rythme qui grise rapidement l’auditeur. Quand à l’écriture, qui se laisse volontiers aller à jouer sur les mots (« pas de régime sans elle » , « l’homme descend du songe », « le moral à Zorro »), elle a cette qualité de toucher toujours juste et d’agir comme un miroir tendre et ironique. A chacun ensuite de trouver ce qui lui est le plus cher, que ce soit la première fois ou les réminiscences liées aux photos de famille (l’album photo qui louche une fois de plus du côté de Bénabar). Personnellement, les titres que je préfère sont ceux où Aldebert se livre un peu plus comme dans ces très belles odes au père (Mon père ce héros) ou à la bien-aimée (toujours Lulu Marlène).

Les musicologues patentés auront beau jeu de mépriser cette chanson qui ne révolutionnera certainement pas l’histoire des formes. N’empêche que le résultat est plutôt stimulant et que j’ai maintenant hâte de découvrir cet album en « live », sur cette scène où Aldebert donne le meilleur de lui-même et où il est exceptionnel…

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dimanche, octobre 15, 2006

Des plumes et du goudron


Repenti. Renan Luce

C’est au mois d’avril dernier (voir ici) que j’ai découvert Renan Luce sur scène. En fait, nous étions, mes amis et moi, allés voir Bénabar et nous n’étions pas les seuls. Le Zénith était plein à craquer ce soir là et l’ambiance surchauffée. C’est alors que nous découvrîmes un petit jeune homme qui allait avoir la rude tâche d’assurer la première partie du spectacle, seul avec sa guitare sèche. Jeu périlleux où j’ai déjà vu échouer des artistes pourtant très doués (je pense à l’excellent Bastien Lallemant, jouant dans une indifférence totale à un grand concert gratuit en plein air). Renan Luce parvint pourtant à emporter haut la main son pari et réussit même à faire reprendre en cœur à la foule ses petits airs guillerets.
J’avais trouvé sa prestation vraiment sympathique mais ne me sentais pas transporté au point d’acheter l’album. Et puis j’ai entendu ça et là quelques titres que je connaissais sans leurs arrangements instrumentaux et me suis laissé séduire.
J’ai donc acheté ce premier album qui s’avère vite être une jolie réussite.

L’ayant découvert avec Bénabar, nous aurions tendance à le ranger dans la même famille, celle des trentenaires décalés (avec Aldebert et Jeanne Cherhal, par exemple). Le critique de Télérama le place quant à lui aux côtés de Thomas Fersen et d’Alexis HK (sans doute pour cette propension qu’à Luce de bricoler de petites fictions drôles ou tragiques, toujours insolites). Si l’auteur-compositeur-chanteur ne me semble pas avoir encore la maturité de Fersen ni son génie d’une écriture à nulle autre égale ; j’admets qu’il y a une communauté d’esprit qui n’empêche d’ailleurs pas Renan Luce de développer un univers personnel et d’imposer sa patte.

Ca commence par ce qui est appelé sans doute à devenir son tube, à savoir Les voisines, délicieuse petite comptine sur le plaisir d’observer les fenêtres d’en face, de surprendre une jolie voisine qui se change (remarquez que ce genre d’aventure n’arrive que dans les chansons ou dans les films !) ou d’admirer leurs dentelles sécher sur les balcons. Morceau délicieusement enjoué qui va donner la tonalité de l’album : humour décalé, saynètes quotidiennes transfigurées par l’écriture, art de croquer des portraits insolites ou tragiques…Renan Luce a un vrai don pour faire vivre en quelques mots des personnages assez farfelus comme ce mafioso repenti qui a donné ses anciens complices et qui vit désormais terré dans « la banlieue nord de Dijon » (Repenti), cette jeune femme qui vend des « trucs qui ne servent à rien » (Camelote) ou encore ce fossoyeur narcoleptique, héros d’un des morceaux les plus réussis de l’album (Monsieur Marcel).

A côté de ces titres rigolards, l’inspiration du chanteur peut aussi virer au tragique. Plusieurs chansons sont hantées par l’idée du suicide, en particulier La lettre, très beau morceau où le narrateur se place du point de vue de la feuille de papier qui va recueillir les derniers mots d’un homme bien décidé à en finir avec la vie (« J’aurais pu être pressée sur le cœur d’une enfant/ Ecoutant dans mes lignes la voix de son amant/ Ou être le pliage d’un gamin de huit ans/ Et voler dans les airs sous les rires des enfants/ Mais je tourne la page d’une triste histoire/ Qui dit que le chemin n’était pas tellement long…/Pas tellement long…). Le titre est assez bouleversant et la voix rauque et un brin éraillée de Renan Luce fait merveille à ce moment.
Au final, l’album parvient à nous faire sourire, à nous toucher et ses petites mélodies deviennent vite entêtantes. Jolie réussite donc, et satisfaction de voir que la famille de la « nouvelle chanson française » s’agrandie en accueillant en son sein un nouveau venu qui ne tardera pas à se faire une place bien à lui. C’est tout le mal que l’on souhaite à Renan Luce…

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samedi, octobre 14, 2006

Forêt magique


La forêt des mal-aimés de Pierre Lapointe

Lorsque l’on s’appelle Lapointe, le plus difficile est sans doute de se faire un prénom. Pari gagné pour le jeune canadien dont on peut découvrir actuellement la forêt des mal-aimés, son deuxième album et le premier à sortir en France. Même si son univers n’a absolument rien à voir avec son homonyme (le génial Boby), il faut désormais se résoudre à compter avec ce Lapointe là tant son album est frappé du sceau de l’évidence. Evidence de la naissance d’un auteur-compositeur hors-pair, d’une écriture poétique et musicale renversante et d’une voix puissante et remuante. A l’opposé de tout ce qui se fait actuellement dans la chanson française (cette génération de trentenaires, que j’aime beaucoup d’ailleurs, se penchant avec humour et nostalgie sur leurs années d’adolescence), nous découvrons avec Pierre Lapointe un authentique lyrique. Par la grâce de son chant puissant, le jeune chanteur a par moment des accents déchirants qui vous collent des frissons dans le dos et offrent une émotion que je n’ai ressentie qu’en écoutant certaines chansons de Brel et de Barbara.

A mesure que je rédige cette note, je me rends compte que cet album reste assez indéfinissable. Lorsque j’en ai entendu quelques extraits à la FNAC aujourd’hui même, je me suis dit que c’était aussi un véritable album pop, avec ce qu’il faut de guitares électriques, de synthétiseurs emmenés par le tempo de la batterie. Mais c’est sans compter sur un grand nombre d’orchestrations classiques magistrales où le clavecin dialogue avec le violoncelle, le piano avec les violons. Qu’est-ce qui lie alors le rythme échevelé de Deux par deux rassemblés et la douceur mélancolique de ce sublime nocturne qu’est Au 27-100 rue des Partances ? (« Mais je n’aurai qu’à penser au passé// Tu sais celui qu’on s’est bâti/ A coup de rires et de joies/ Celui qu’on s’est donné le droit d’habiter/ Tu sais celui qu’on a souvent touché/ Du bout de nos doigts/ Celui qui a grandi entre toi et moi »).
Certainement l’écriture mais là encore, rien de simple.
Pierre Lapointe cisèle à merveille des textes qui ne parlent que d’amour, de l’amour qui donne des ailes et des envies de conquêtes ou celui qui vous tourmente, qui s’enfuit et vous fait perdre dans de drôles de forêts. Son écriture n’est pas vraiment surréaliste mais elle n’est jamais non plus naturaliste. On pencherait pour une sorte de baroque où une forêt mythique devient le décor des états d’âme du poète (« Chaque arbre est un membre oublié/ Chaque feuille, une âme délaissée/ Dans la forêt des mal-aimés/ Comme il fait bon s’y promener »). Paysage imaginaire où explose parfois la ferveur amoureuse et la fougue de l’amant (« Redis encore que cheveux gris/ Que même les yeux repeints de blanc/ Tu resteras couché sur moi/ Comme dans un grand étang de sang/ Que même lendemains dégrisés/ Ne viendront jamais pour froisser/ Nos vœux étincelants de soleil/ Et nos amours d’entre-sommeil ») ou au contraire la lassitude et le désespoir (« Je sais qu’encore hier/ L’amour s’est liquéfié/ Quelque part entre nous/ Aux trois quarts de l’allée// Resterons-nous toujours/ Pleurant à ses côtés/ Espérant retrouver/ L’ardeur des premiers jours ?).

Toutes les paroles de ces chansons seraient à citer tant séduit la finesse d’une écriture singulière et poétique, portée par des arrangements d’une rare beauté. Je n’en dis pas plus et me contente de vous suggérer d’accompagner Pierre Lapointe au cœur de son périple :
« L’épopée fantomatique commence
Au pays des fleurs de la transe
Les cheveux accrochés au vent
Je partirai les pieds devant
Le sourire amer d’irrévérence
Au pays des fleurs de la transe. »

Son album est tout bonnement époustouflant…

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La publicité transfigurée

Ne vous LAMENTEZ plus sur
La
MISERE
de votre
VIE
Mais
VOLEZ ou ACHETEZ
un bon
MIROIR
Il vous aidera
Le
matin
à
INVENTER
QUELQUES ACTIONS
A VOTRE
MESURE
VERITABLE
Paul Nougé

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dimanche, octobre 08, 2006

Heureuses démangeaisons

Les piqûres d’araignées de Vincent Delerm

« Le 26 mars 2006, Peter von Poehl a conduit une voiture de location sur le pont reliant Copenhague à Malmö, sélectionné une vitesse d’essuie-glaces performante, déconseillé un plat à base d’œufs et de trémas sur le a […] ». Avant même d’avoir écouté l’album, la lecture de cette phrase en dernière page de la jaquette du disque m’a fait sourire et m’a conquis d’avance. Juste quelques mots et j’ai retrouvé ce qui me plaît tant chez Vincent Delerm, cette manière de s’attacher aux choses les plus infimes du quotidien et de trouver la formule adéquate pour que le décalage soit à la fois drôle (je vous recommande sa désopilante pièce de théâtre Le fait d’habiter à Bagnolet) et universel. C’est sans doute parce que nous avons tous connus, au collège, une Sandrine écrivant des poèmes d’amour à l’encre violette en faisant des ronds sur les i que cet auteur-compositeur nous touche tellement et a obtenu un succès immédiat et justifié.

Ce troisième album ne réconciliera certainement pas Delerm avec ses détracteurs (OK, j’admets que ce n’est pas un grand chanteur mais est-ce la voix qui a fait le génie de Brassens, de Gainsbourg et de Barbara ?) mais il réjouira ses fans (j’en suis) en leur offrant une certaine rupture au cœur de la continuité (pour parler le langage ineptes des politiques). Inutile de s’attarder longuement sur tout ce qui a été déjà dit à propos de cette nouvelle galette : moins de name-dropping, des textes plus en demi-teintes et des arrangements plus guillerets... C’est juste mais il n’y a pas que ça. On se souvient du titre chanté en duo avec Mathieu Boogaerts (na, na, na), délicieuse parodie des insignifiants entretiens journalistiques auxquels les artistes doivent se prêter de bonne grâce. Delerm se voyait reprocher de n’être pas « engagé » et s’en sortait en rétorquant que la chanson n’était pas, selon lui, le meilleur terrain pour parler des dysfonctionnements de la société. Est-ce pour faire taire ses détracteurs qu’il signe dans les piqûres d’araignées deux titres « engagés » que je considère comme les sommets de l’album ? Tout d’abord Sépia plein les doigts, tableau très ironique d’une France nostalgique des petits chanteurs à la croix de bois et de la IIIe République (« Tiens ça repart en arrière/ noir et blanc sur poster/ maréchal nous voilà/ du sépia plein les doigts ») ; d’une France qui « pense pareil qu’hier/ avant Simone Veil/ avant Badinter ». Je reconnais que les deux noms cités ne représentent pas la quintessence de la rébellion mais la chanson fait quand même du bien. De la même manière, la très enjouée Il fait si beau est assez caractéristique de l’ « engagement » de Delerm : pas de grands slogans à l’emporte-pièce mais une ironie communicative où le soleil permet ce jour-là d’accepter tout ce qui pourrit habituellement notre quotidien : Christine Boutin, les affiches UMP, les posters Benetton, les rollers en troupeau, les témoins de Jéhovah… (« Il fait si beau sur les trains/ de banlieue qui retardent/ envie de faire un câlin/ avec une chienne de garde »). Délicieux.

Autre nouveauté, Delerm chante en anglais le temps d’un très joli duo avec Neil Hannon.

Les autres titres témoignent de la finesse de l’écriture de l’auteur qui déploie une nouvelle fois son univers où se mêlent la mélancolie des amours qui finissent et la nostalgie amusée des petits riens qui nous reviennent en mémoire comme la saveur des madeleines de Proust. Des petits riens que Delerm arrive à fixer par une écriture concise et elliptique. Parfois, les accords sourds d’un piano laisse planer l’angoisse de la maladie (Ambroise Paré) ou évoquent ce moment précis où une histoire d’amour finit par pâlir comme une affiche du grand palais (la très belle 29 avril au 28 mai qui rappelle Deauville sans Trintignant).
A tenter de s’approcher de l’indicible, de sentiments très volatiles (Cf. Marine où le narrateur sent qu’il n’arrive pas totalement à « effacer le garçon avant moi »), Delerm se montre peut-être un tout petit moins séduisant au premier abord et il faut plusieurs écoute pour pleinement jouir de la réelle beauté du disque. Ca n’a l’air de rien, une petite piqûre de rien du tout (certainement une araignée) mais peu à peu, la démangeaison se fait sentir et on ne peut plus s’empêcher de gratter. La métaphore n’est pas très heureuse car ces démangeaisons sont plus qu’agréables et à mesure qu’on y revient, le disque s’impose comme une très belle réussite.

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