La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

vendredi, juin 28, 2019

La chambre verte


Penser, classer, aimer (2019) de Marc Bruimaud (Editions Kasemate, 2019) 


J’ignore s’il existe un site ou un ouvrage encyclopédique recensant toutes les maisons d’édition, y compris les plus confidentielles mais pour un lecteur lambda, c’est toujours un plaisir de tomber sur des indépendants n’hésitant pas à proposer des ouvrages singuliers, dans des formats originaux. J’ai déjà eu l’occasion louer les courtes plaquettes publiées sous l’égide de Marie-Laure Dagoit mais les exemples sont nombreux.
Situées à Grenoble, les éditions Kasemate présentent un catalogue alléchant où se côtoient à la fois une revue et des textes d’auteurs anciens (avec une dilection particulière pour les écrivains « fin de siècle » : Rémy de Gourmont, Charles Guérin…) et contemporains.
C’est sous cette bannière que Marc Bruimaud publie sa dernière plaquette : Penser, classer, aimer. Ce court texte fait suite au récent Penser/Lister et s’inscrit dans cette volonté qu’a l’auteur de revenir sans arrêt sur les mêmes motifs : ses amours, ses passions et collections, ses emmerdes. Alors qu’un livre permet parfois d’offrir un écrin éternel à une histoire amoureuse, Marc Bruimaud s’intéresse aux « trous » laissés dans sa bibliothèque suite aux ruptures ayant marqué son existence : « aimer c’est partager et, à l’aune d’une passion, on a vite accepté de faire bibliothèque commune. » C’est donc par le biais de collections manquantes ou fraichement arrivées que l’auteur revient sur son histoire personnelle et tente de saisir quelque chose relevant de la quintessence de son existence.
Derrière cette courte plaquette se dessine une sorte de projet truffaldien (le cinéaste est d’ailleurs cité à deux occasions) visant à faire d’une bibliothèque personnelle une sorte de « chambre verte » où serait consigné à jamais le souvenir des amours mortes…

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samedi, juin 22, 2019

Dictionnaire des noms (peu) communs


Le Magasin des accessoires (2019) d’Arnaud Bordes (Auda Isarn, 2019)


Connaissez-vous Geneviève Arves ? Thibault Brons ? Fauste de Riez ou encore Alexis Pranne ? Si ce n’est pas le cas, rassurez-vous : c’est tout à fait normal ! Arnaud Bordes exhume dans son cabinet de curiosité des personnages totalement oubliés de l’Histoire. A tel point que certains n’ont même pas été retrouvés et recensés dans la vaste toile de l’Internet mondial. Le Magasin des accessoires s’apparente donc à une sorte de dictionnaire des noms (peu) communs où les illustres inconnus évoqués, pirates à Saint-Domingue, apothicaires pendant le Quattrocento, dandys obscurs ou littérateurs occultistes, bénéficient d’une notice biographique. Je dois avouer que mis à part deux ou trois noms (Paul Adam, Valentine Penrose…), tous ces personnages m’étaient parfaitement inconnus et l’intérêt du livre est bien évidemment de piquer la curiosité.
Si l’ouvrage d’Arnaud Borde évoque les notices d’un dictionnaire, c’est dans sa manière d’opter pour une forme concise voire lapidaire. En général, les biographies ne font pas plus de deux pages, sauf sur la fin où de plus longues (et les plus intéressantes) détaillent davantage les parcours des sujets exhumés. L’auteur possède également un certain style, ciselé à l’extrême, parfois un brin ampoulé :
« Née en 1859 à Bordeaux, de bonne famille, elle passa toute sa jeunesse dans un couvent où elle apprit quelques arts d’agréments, le parfilage et les recette de petits pains au citron. Dès qu’elle revint dans le monde, après y avoir fait, de bal en bal, ses premiers pas, on la maria à un officier des spahis qui eut l’élégance premièrement, de l’initier à l’opium, secondement, de très vite mourir sous le lourd soleil de l’Afrique. »
Si ce format a le mérite d’éviter au lecteur de s’ennuyer, il est parfois un peu frustrant et on aurait aimé en savoir un peu plus sur certains d’autant qu’Arnaud Bordes fait preuve d’une certaine dilection pour des individus épris d’occultisme ou de littérature fantastique (j’ignorais, pour ma part, que le fils d’Huysmans avait également écrit de la littérature qui « empruntait au gothique anglais autant qu’aux déchaînements sadiens »). Certaines figures furent même des compagnes du surréalisme (Valentine Penrose) ou du futurisme italien (Valentine de Saint-Point), ce qui n’a rien pour nous déplaire.
A part les portraits de la « deuxième série » qui se révèlent plus fouillés et donc parfois plus « analytiques » (superbe dissection du style de Paul Adam, par exemple), ce recueil se veut plus « factuel » et se déguste comme une « mise en bouche » visant à ouvrir notre appétit de connaissances et d’aller, à notre tour, farfouiller dans les recoins les plus oubliés de l’histoire « littéraire » (même si Le Magasin des accessoires ne se limite pas à la littérature, la plupart des sujets ont laissé quelques écrits).  

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jeudi, juin 06, 2019

Les corps et le fouet


Dressage et autres textes de soumission féminine de Robert Mérodack (LaMusardine, 2019)


Robert Mérodack (mort en 2001) est connu chez les amateurs de littérature érotique comme le spécialiste du roman sadomasochiste et du récit mettant en scène l’avilissement de la femme et son « dressage ». Il fut notamment directeur d’une collection « Simples murmures » qui fut reprise par les éditions Média 1000. Dressage conjugal nous offre, à travers cinq courts romans, un aperçu de son style et de ses obsessions. Prévenons d’emblée le lecteur non averti : le résultat est particulièrement hardcore et l’auteur ne recule ni devant la pornographie la plus radicale, ni devant les pratiques les plus extrêmes. Outre un panel assez conséquent de femmes fessées, fouettées et humiliées, le lecteur aura droit à des scènes scatologiques assez éprouvantes (lorsque monsieur a honoré madame par un orifice qui messied à notre Seigneur, il oblige évidemment sa compagne à lécher le membre souillé) mais aussi d’urolagnie voire même de zoophilie (dans Délicieux tourments, la jeune femme est prise sans ménagement par…un bouc). Les nostalgiques de la fameuse collection « Les Orties blanches » y trouveront sans doute leur compte mais je dois admettre que les fantasmes convoqués sont à l’opposé des miens. Alors certes, Robert Mérodack possède une certaine plume (si j’ose dire !) mais ses récits sont un peu conventionnels (échangisme dans le premier, jeune femme offerte par son mari écrivain à d’autres hommes contre rétribution dans Paulette en partage) et un tantinet répétitifs. Même le dernier, Amoureuse du fouet, où l’auteur a recours à un soupçon de fantastique (un philtre d’amour particulièrement efficace) ne dépareille pas de l’ensemble. De temps en temps, le lecteur indulgent pourra reconnaître un zeste d’Histoire d’O de Pauline Réage voire une timide allusion à Belle de jour version Buñuel. Mais l’ensemble n’est pas franchement ma tasse de thé.
Attention néanmoins de ne pas porter un jugement « moral » sur ces outrages et autre insanités que l’auteur décrit par le menu, n’hésitant pas à montrer des femmes prendre du plaisir lors de mises en scène s’apparentant parfois à des viols. Car tout cela relève évidemment du pur fantasme et de l’imaginaire d’un écrivain. Au-delà du regard que l’on peut porter sur cette littérature pornographique et du goût qu’elle peut susciter, sa grande force depuis toujours a justement été d’arpenter des territoires libérés de toute entrave morale et censoriale et de laisser le champ libre aux fantasmes les plus débridés. Libre à chacun de les partager (dans le cas présent, ce n’est pas vraiment mon cas) mais dans le cas contraire, il faut s’en remettre au sage adage : « si vous n’aimez pas ça, n’en dégoûtez pas les autres »… 

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