La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

mercredi, mars 02, 2016

Lectures de février

En me lançant, de front, dans deux livres faisant respectivement plus de 700 pages pour l'un et 660 pour l'autre, il ne fallait pas s'attendre à une moisson impressionnante pour le mois de février. La voici :

6- Midi-Minuit fantastique : l'intégrale, volume 2 (2015) sous la direction de Michel Caen et Nicolas Stanzick. (Rouge Profond. 2015)

Une absolue merveille dont j'ai déjà parlé ici

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7- Science et vit (1982) de Philarète de Bois-Madame (La Brigandine. 1982)


Pénultième roman des quatorze que Jean-Pierre Bouyxou a écrits sous les bannières du Bébé noir et de la Brigandine. Torché en quelques jours, il s'agit de l'aveu même de son auteur de son plus mauvais livre. Difficile, effectivement, de sauver quelque chose de cet improbable roman de science-fiction où un brave paumé rencontre dans un bar une sulfureuse extra-terrestre puis sa sœur. Ces deux créatures sensuelles l'embarqueront dans un voyage intersidéral plutôt stupéfiant (à tous les sens du terme).
Le problème de ce genre de livre de SF vient sans doute du fait que l'auteur part dans un délire qui n'appartient qu'à lui et peine le plus souvent à donner une cohérence à l'univers qu'il décrit. Du coup, on sent que Bouyxou tire parfois à la ligne, notamment lorsqu'il imagine une langue extra-terrestre à base de poings écrasés sur les touches de sa machine à écrire (exemple : azogjazbhzqsr) ou qu'il met en scène un long passage avec des schtroumpfs à qui nous n'aurions pas prêté de telles mœurs !
S'il ne renoue que trop rarement avec la géniale fantaisie de L'Odieux tout-puissant, Science et vit ne mérite pourtant pas l'opprobre. Même dans un jour sans, Bouyxou parvient à émailler son récit de trouvailles drolatiques qui empêchent l'ennui. Il se permet même une excellente digression sur l'écrivain Félicien Champsaur, aussi absurde qu'enchanteresse, qui nous rappelle que même dans un roman plutôt raté, l'auteur parvient toujours à glisser quelques très bonnes pages. Ce n'est pas la première Christine Angot venue qui pourra en dire autant !

***

8- Maryan Lamour dans le béton (1999) d'Alexandre Mathis (Éditions Encrage. 1999)


Se lancer dans ce roman, c'est plonger la tête la première dans un fleuve impétueux. 660 pages mais un format atypique ( petite police de caractères, paragraphes compacts sur des pages entières...) qui équivaudrait, dans une présentation plus classique, à un livre de plus de mille pages.
Avant ce roman, Mathis était avant tout connu par les cinéphiles puisqu'il avait consacré un livre à Benazeraf sous son véritable nom (Paul-Hervé Mathis) et qu'il a beaucoup écrit sur les films (que ce soit dans Libération ou dans Sex Star Systems). Il arrête toute activité de ce genre en 1979 et il faudra attendre vingt ans pour qu'il publie ce premier roman étonnant.
Si l'on se fie à son titre, Maryan Lamour dans le béton renvoie à l'univers du polar et on imagine déjà le cadavre d'une femme coulé dans du béton. Il y aura bien un flic dans ce roman et un tueur en série mais Mathis prend bien soin de désarticuler totalement le genre, d'en faire exploser les conventions. Prenons un exemple précis : Marianne, l'héroïne du roman, vient de perdre sa meilleure amie assassinée par ledit tueur. Elle rencontre alors Molard, l'inspecteur, et ils se plaisent. L'enquête que le lecteur est en droit d'attendre est alors complètement éludée et notre couple disserte pendant une cinquantaine de pages sur le cinéma, aussi bien John Ford et Aldrich que Jess Franco et le cinéma porno. Tout le roman fonctionne de cette manière tempétueuse : quelques événements dramatiques (notamment un viol très éprouvant qui renvoie Irréversible de Gaspar Noé au rang d'aimable bluette) et de longues digressions, le flux ininterrompu de réflexions, de voix intérieures, de phrases cassées et d'éclats sombres du Réel... La comparaison a souvent été faite mais on songe régulièrement à Céline, notamment dans cette manière unique qu'a Mathis de transcender le sordide des situations par une écriture d'une rare puissance.
Car pour revenir au titre, Maryan Lamour dans le béton renvoie évidemment au décor dans lequel évolue les personnages : des banlieues grises au début des années 80, des cinémas de quartier en voie de disparition, des appartements glaciaux, des stations-services grisâtres... Comme dans ses futurs romans (notamment l'extraordinaire Fantômes de M.Bill), Mathis flirte à la fois avec le fait-divers et l'instantanée pour restituer dans toute sa complexité une époque révolue. Il sera donc beaucoup question de musique dans ce livre, notamment des tubes diffusés à la radio. Mais on y verra aussi les mutations d'une ville et les résidus d'une civilisation qui paraît désormais très lointaine.
Dans ce décor, l'auteur fait évoluer quelques personnages qu'il fait vivre avec beaucoup de talent : Marianne, son héroïne, une actrice porno et une maîtresse SM, un flic désabusé et quelques autres silhouettes plus ou moins inquiétantes...

Une œuvre dense, parfois asphyxiante mais qui remue en profondeur son lecteur et lui donne le sentiment d'être face à de la grande littérature...  

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