La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

lundi, mars 31, 2008

Bibliothèque idéale n°10 : le roman d'amour français

Les lois de l’hospitalité (1954, 1959 et 1965) de Pierre Klossowski (Gallimard. L’imaginaire. 1995)


Ça devait être ma catégorie préférée (le roman d’amour français) et c’est, pour l’instant, ma lecture la plus décevante de cette bibliothèque idéale. Et c’est bien humblement que j’avoue avoir peiné pour arriver au bout de ces 350 pages signées Klossowski.

Les lois de l’hospitalité regroupe trois textes autonomes écrits sur 10 ans par l’écrivain : Roberte, ce soir, La révocation de l’Edit de Nantes et Le souffleur. Trois variations autour du même personnage féminin (Roberte) sous forme de dialogues, de pages de journaux intimes et de récit.

Même si je n’avais jusqu’à présent rien lu de Klossowski, ce livre ne m’était pas totalement inconnu car j’ai découvert il y a peu l’adaptation cinématographique qu’en a tirée Pierre Zucca. Si Roberte (le film) n’est pas forcément d’un accès très aisé (on y retrouve d’ailleurs Klossowski acteur), il permet au moins de n’être pas totalement décontenancé en entrant dans le livre et d’avoir quelques images en tête pour aborder l’univers de l’écrivain.

Comment résumer les lois de l’hospitalité si ce n’est en indiquant très schématiquement qu’il s’agit d’une série de « tableaux vivants » où l’écrivain (sous les traits d’Octave, de Théodore ou de K.) met en scène sa femme et l’offre, sous son regard, à d’autres hommes.

Il ne s’agit en aucun cas d’un récit bouclé de A jusqu’à Z mais d’une succession de mises en scène fantasmatiques et érotiques autour d’une femme énigmatique (dans le souffleur, Roberte et son mari se dédoublent et semblent devenir eux-mêmes les personnages d’une pièce de théâtre).

Pour être tout à fait franc, même si ce livre est traversé par de brillants éclats ; il m’a paru plutôt obscur et hermétique (la postface, par exemple, est totalement sibylline).

Klossowski a été proche, avant la guerre, du mouvement surréaliste avant de se diriger vers des études de théologie et de rentrer au séminaire pendant l’Occupation (durant laquelle il se liera avec des réseaux de Résistance). A la Libération, il reviendra à une vie laïque et se mariera. Il racontera dans La vocation suspendue (adapté au cinéma par Raul Ruiz) sa crise religieuse et son abjuration.

Si je précise ces quelques éléments biographiques, c’est pour comprendre que Klossowski est, à l’instar de son ami Georges Bataille, un écrivain hanté par les problématiques du Sacré et de la Transgression, du Divin et du Mal et qu’il aime, comme dans Les lois de l’hospitalité, mêler l’érotisme au sentiment religieux. Lesdites lois de l’hospitalité consistant pour le maître de maison à « offrir » sa femme à ses hôtes tout en restant lié à elle par le sacrement indéfectible du mariage.

Klossowski met le doigt sur toutes ces problématiques : le désir, la possession, le fantasme, l’interdit, la quête de Dieu dans l’extase…Mais tout cela reste assez obscur et plutôt ardu à la lecture.

Dommage.

Et vous, quel(s) roman(s) d’amour français me conseillez-vous ? Pour ma part et si je me tiens à la liste de la « bibliothèque idéale », j’ai une tendresse toute particulière pour l’écume des jours de Vian. Mais parmi les livres proposés, j’aime aussi énormément les Proust, Stendhal et Laclos…Et vous ?

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mercredi, mars 26, 2008

Bibliothèque idéale n°9 : le roman français

Bel-Ami (1885) de Guy de Maupassant (Le livre de poche. 1983)


Nous voilà donc arrivés à l’abordage de la littérature française et plus particulièrement cette fois du roman. Paradoxalement, le choix du livre ne fut pas aisé. D’une part parce que je connais (quand même !) un certain nombre d’entre eux ; d’autre part pour ne pas rédiger ma prochaine note dans deux ans en me plongeant dans La comédie humaine !

Le problème vient sans doute aussi du fait que beaucoup de ces romans nous font venir à l’esprit des souvenirs (pas forcément très bons !) de notre scolarité et que l’on rechigne (à tort) de revenir aux « classiques ».

Prenons l’exemple de Maupassant. C’est sans doute l’écrivain typique pour lycéens : quelqu’un qui passe bien auprès des ados (parce que la nouvelle et parce que le fantastique !) tout en restant suffisamment « scolaire » pour les profs.

Or en découvrant Bel-Ami (eh oui ! je ne l’avais jamais lu, ne connaissant de ce roman que la très belle adaptation cinématographique signée Albert Lewin avec l’immense George Sanders), je me suis demandé ce qu’un écolier pouvait réellement saisir de la beauté de l’œuvre de Maupassant. Attention ! Je ne suis pas en train de dire que tous les ados sont des incultes abêtis par leur télévision, leur FM et leurs jeux vidéo mais mis à part quelques individus très en avance, comment saisir à cet âge la richesse du sous texte de l’écrivain, les allusions au contexte sociopolitique de l’époque et la profondeur de son analyse psychologique ?

Encore une fois, je le dis sans la moindre condescendance et je me mets volontiers dans le lot : je n’aurais pas du tout apprécié de la même manière ce Bel-Ami si je l’avais lu lycéen.

Non pas que le roman serait « mal passé », Maupassant prouvant une fois de plus ici son sens incroyable du récit. Sorti en feuilleton durant l’année 85, Bel-Ami file à toute vitesse et fait preuve d’une rapidité dans la narration qui préserve le lecteur du moindre bâillement. Ce récit d’un jeune arriviste à la Stendhal qui gravit un à un les échelons de la société en séduisant les femmes influentes est mené tambour battant et Maupassant sait traiter son sujet avec une incroyable légèreté, sans plomber sa narration par une trop grande ambition « scientifique » ou par d’interminables descriptions. C’est d’ailleurs ce qui l’éloigne irrémédiablement de la lourdeur de Zola et du naturalisme !

Mais à côté du plaisir basique de se laisser prendre à une histoire, le roman est d’une incroyable richesse dans la manière qu’il a de naviguer tout naturellement d’un milieu à un autre, à l’image de Mme de Marelle, la première maîtresse du héros Georges Duroy, qui cherche à s’encanailler et traîne son amant dans les quartiers populaires de Paris.

Maupassant dresse ainsi un savoureux tableau du milieu du journalisme (avec -déjà !- cette collusion entre les patrons de presse et les milieux politico-financiers) mais il sait rendre vivant aussi bien une scène avec ces chers paysans Normands (les parents de Bel-Ami) que les grandes soirées mondaines de la bourgeoisie.

A côté de ces tableaux « sociaux », l’écrivain excellent à nous faire partager les états d’âmes de son héros parvenu. Son cynisme a, bien entendu, quelque chose de très antipathique mais est en quelque sorte compensé par la manière dont Maupassant parvient à décrire les atermoiements du cœur du personnage qui rend la chose légère (on retient moins son désir de gloire que sa quête effrénée de conquêtes féminines). Entre la maîtresse fidèle et légère, l’épouse terre-à-terre et la femme mariée perdue et éperdue ; l’auteur donne chair à de très beaux personnages qui lui permettent d’explorer très finement les arcanes du désir et de la séduction.

Bon ! Le rôle de ce blog n’est en aucun cas de faire de l’explication de textes donc je ne vais pas poursuivre plus longuement cette note. Juste insister une dernière fois sur la richesse de Bel-Ami : richesse d’une écriture parfaitement ciselée, richesse des tableaux et portraits composés par Maupassant, richesse de l’analyse des personnages…

J’en avais déjà la conviction mais maintenant j’en suis certain : il ne faut en aucun cas hésiter à se replonger dans les « classiques » !

Et vous ? Quels roman(s) français choisiriez-vous pour votre bibliothèque idéale, que ce soit dans la liste suivante ou non ?

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samedi, mars 22, 2008

Bibliothèque idéale n°8 : Les littératures d'Europe centrale

Ferdydurke (1937) de Witold Gombrowicz (Gallimard. Folio 2007)


Intérêt non négligeable de la « bibliothèque idéale » : se plonger enfin dans des romans convoités depuis longtemps ! Cela faisait effectivement un certain temps que je tournais autour de Gombrowicz sans faire le premier pas. C’est désormais chose faite avec ce Ferdydurke qui connut une adaptation cinématographique (je me demande comment l’excellent Skolimowski a pu s’en tirer tant ce livre me semble difficilement transposable à l’écran).
De quoi est-il question ? D’un jeune homme de 30 ans, Jojo, qui se voit soudain contraint par un professeur de retourner à l’école et de vivre à nouveau une vie d’adolescent coincé entre les rixes de bandes rivales (les Gaillards contre les Adolescents). Par la suite, il logera dans une famille « moderne » et devra se confronter à une redoutable adversaire : la Lycéenne moderne (la sportive Zuta) avant de fuir chez une vieille tante.
Cette trame minimaliste ne rend absolument pas compte de la teneur de ce drôle de roman tout en déconstruction, en apartés et en digressions (la savoureuse bagarre entre les deux savants, spécialiste pour l’un de l’Analyse tandis que l’autre est imbattable pour la Synthèse).
Le propos de Gombrowicz, c’est de montrer que l’individu social est entièrement dépendant de formes qui le dépassent et le modèlent. C’est de décrire « le tourment de voir constituer notre moi par autrui ».
Ces mécanismes, il les démonte de manière percutante en se replongeant dans l’univers de l’école où les maîtres ne cherchent rien d’autre qu’à façonner à leurs sinistres images des élèves gavés par d’ineptes leçons. Mais on aurait tort de ne voir dans Ferdydurke qu’une charge contre le système scolaire. Le propos est bien plus vaste et l’écrivain synthétise sa pensée dans ce concept majeur de « cucul ». Il s’agit encore d’un procédé destiné à déformer l’individu, lui imposer un autre visage que le sien mais, cette fois, en infantilisant l’adulte, en le traitant comme un enfant.
Dès lors, cette infantilisation générale ne concerne pas uniquement les lycéens mais toutes les strates de la société : infantilisation de l’artiste soumis aux diktats du bon goût officiel et des recettes convenues, infantilisation des adultes en quête de l’éternel jeunesse, infantilisation des domestiques par les maîtres et des maîtres par les domestiques…
Ce qui frappe alors dans Ferdydurke, c’est l’incroyable actualité du propos de Gombrowicz lorsqu’il décrit les effets de la « modernité ». Les passages avec la lycéenne comme parangon de la modernité et les digressions sur ses mollets sont assez stupéfiants dans la mesure où ils expriment parfaitement ce culte actuel de la jeunesse pour elle-même (« Sa jeunesse n’avait aucun besoin d’idéaux puisqu’elle était en elle-même un idéal »). Comment ne pas voir un incroyable reflet de notre époque dans ces pages consacrées au « déchaînement du cucul », aux idéaux sportifs et hygiénistes de la beauté, à ce perpétuel besoin qu’a l’homme de se mirer dans le regard d’autrui pour modeler son Moi (« l’homme dépend très étroitement de son miroir dans l’âme d’autrui, cette âme fut-elle celle d’un crétin. »).
Ferdydurke me paraît être un livre incroyablement visionnaire mais il ne doit cependant pas vous effrayer : c’est aussi un roman très drôle (pour qui goûte l’humour absurde) qui ridiculise de manière assez jubilatoire toutes les contradictions de la modernité (les adolescents qui prennent un masque qui finalement est le même, le vieillard pédant qui craque pour la jeune adolescente…).
Voilà encore une très belle découverte…
Et vous, quels livres d’Europe centrale (disons plutôt d’Europe de l’Est) me conseilleriez vous ? (Dans la liste de la bibliothèque idéale, je connais très peu de noms si ce n’est ceux de Kundera, Kadaré et Eliade. Mais je ne les ai pas lus : ai-je tort ?)

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lundi, mars 17, 2008

Bibliothèque idéale n°7 : les littératures d'Espagne

Mon dernier soupir (1982) de Luis Buñuel (Ramsay. 2006)

Un régal ! J’ai lu quelques bons (voire très bons) livres depuis que j’ai entamé cette épreuve de la « bibliothèque idéale » mais aucun ne m’a procuré autant de plaisir que Mon dernier soupir, les merveilleuses mémoires d’un des plus grands (LE plus grand ?) cinéastes de tous les temps. De son enfance à Calanda aux derniers films tournés en France avec la complicité de l’indispensable Jean-Claude Carrière en passant par l’épisode ô combien important du surréalisme, son séjour à Hollywood ou son engagement durant la guerre d’Espagne ; Luis Buñuel livre ici une savoureuse autobiographie, bourrée d’anecdotes passionnantes et écrite avec ce sens de l’humour si caractéristique de ses films.

Au début des années 80, alors que ses jours sont comptés, Buñuel entreprend de revenir sur toutes les étapes de sa vie, lui le petit garçon né en Aragon avec le siècle (en 1900). De son enfance, il ramène des couleurs spécifiques (cette Espagne vivant encore au Moyen Age), des sons (ces fameux tambours de Calanda qui le fascinèrent toute sa vie) et des odeurs (l’éveil des sens, la découverte de la mort…). Et dès ces premières pages, nous sommes conquis par le style limpide de ce conteur hors pair, par sa capacité à rendre vivant les tableaux qu’il dresse et par cet humour constant dont regorge le livre. Buñuel n’hésite ni devant la digression (des récits de rêves, des scènes imaginées mais malheureusement non tournées, des réflexions sur l’alcool, le tabac, la provocation…) ni devant l’anecdote (on se régale de toutes les blagues ou scandales dont il fut à l’origine) mais sans jamais nous ennuyer.

Nous le retrouvons étudiant à Madrid où il se lie d’amitié avec Garcia Lorca et, bien entendu, Dali. Puis c’est le séjour à Paris et la rencontre déterminante avec les surréalistes. Les pages qu’il leur consacre sont admirables. Il peint de manière concise et vivante les portraits d’Aragon, de Breton, de Ernst et Sadoul ou encore d’Eluard. Même si par la suite, il s’éloigna du mouvement, il resta toujours en excellent terme avec tous ces gens (mis à part Dali, nous allons y revenir) et à plus de 80 ans, il reconnaît toujours le rôle décisif qu’eurent ces quelques années passées au sein de ce groupe magique.

Le surréalisme, c’est aussi le moment où il fait ses premiers pas derrière la caméra et la grande aventure d’Un chien andalou (la légende veut que le film ait provoqué deux avortements chez des spectatrices affolées !) et la mise en chantier de l’âge d’or, financé par ces immenses mécènes que furent les époux de Noailles. La suite est connue : le scandale énorme du film (auquel Dali ne participa que très peu, même s’il est considéré comme le co-scénariste officiel), les manifestations d’extrême droite au studio 28 où l’écran fut lacéré ainsi que les toiles surréalistes qui garnissaient le hall d’entrée.

A propos du surréalisme, Buñuel évoque le rôle du scandale (il revient sur certaines actions très célèbres, comme la fameuse lettre de Jean Koppen (ou Caupenne) et Sadoul au major de promotion de Saint-Cyr (« Nous crachons sur les trois couleurs. Avec vos hommes soulevés, nous mettrons au soleil les tripes de tous les officiers de l’armée française. Si on nous oblige à faire la guerre, nous servirons du moins sous le glorieux casque à pointe allemand…)) et de ce mot de Breton, désolé, constatant qu’aujourd’hui le scandale est impossible.

C’est d’ailleurs ce que j’aime dans l’attitude de Buñuel : jamais, si l’on excepte ses deux premiers essais et coups de maître, il n’eut recours à la provocation pour la provocation. Si son humour est dévastateur, c’est qu’il ne sert aucune idéologie et qu’il n’est pourtant jamais l’ironie cynique aujourd’hui de mise. C’est un humour qui fait une part essentiel au doute (suis-je dans le vrai lorsque j’affirme telle ou telle chose ?) et que l’on retrouve dans le plus célèbre de ses paradoxes (« je suis athée, grâce à Dieu ») et dont la puissance de déflagration vient dans la manière tranquille et goguenarde de mettre en lumière le ridicule de tous les rites sociaux.

Même si le cinéaste confesse sur un même ton badin son attirance pour la destruction (« L’idée d’incendier un musée, par exemple, m’a toujours paru plus séduisante que l’ouverture d’un centre culturel ou l’inauguration d’un hôpital »), il ne s’agit jamais de renverser un ordre ancien pour en bâtir un autre nouveau, sans doute aussi criminel. C’est cette attitude de suspicion généralisée qui l’empêche d’adhérer au parti communiste malgré son engagement au côté des Républicains pendant la guerre d’Espagne. L’épisode où il raconte la guerre civile est troublant car malgré ses amitiés affichées pour l’anarchisme, Buñuel se montre assez sévère pour leur rôle dans le conflit (sauf pour la colonne Durutti) et critique également le POUM. Mais ce qui le sauve, c’est de ne pas tirer de leçons générales de cette guerre mais de se contenter de la montrer par la lorgnette du simple observateur et acteur qu’il fut.

Même si l’un des derniers chapitres (un régal !) est construit sous la forme du « j’aime, je n’aime pas » (le cinéaste confie ici son goût pour les écrits de Sade et son aversion pour certains écrivains américains comme Steinbeck, Hemingway ou Dos Passos), une des caractéristique de Buñuel, c’est d’éviter constamment les avis par trop tranchés. Lorsqu’il reparle de Dali, avec qui il se brouilla (en grande partie à cause de Gala), il se montre toujours nuancé et ne nie pas son génie (il l’estime supérieur à Picasso). Alors que le peintre lui a quand même fait perdre son boulot aux Etats-Unis en le calomniant dans un de ses bouquins et qu’il a montré une complaisance plus que douteuse pour le régime du Caudillo !

Il y a mille choses à dire de ce livre trop court (seulement 300 pages : on en voudrait le double !) qui fourmille de témoignages divers (Ah ! ce banquet chez Cukor où tout le gratin, de Ford à Hitchcock en passant par Wilder et Wyler, était présent ! ces conversations avec Fritz Lang ou Nicholas Ray !), d’hommages magnifiques aux acteurs avec qui il a tournés, d’anecdotes savoureuses…

Pour ceux qui aiment le cinéma, c’est rigoureusement indispensable. Mais ça l’est aussi pour les autres qui s’intéressent un tant soit peu à l’histoire politique et artistique du 20ème siècle que ce génie sans commune mesure à traversé avec ce regard qui nous manque tant…

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mercredi, mars 12, 2008

Bibliothèque idéale n°6 : Littératures de la Méditerranée orientale et du Maghreb

Nedjma (1956) de Kateb Yacine (Points Seuil. 1996)

Quatre jeunes gens dans l’Algérie colonisée par les français. Rachid, Mustapha, Mourad et Lakhdar se font engager comme manœuvres sur des chantiers. Lakhdar sort de prison pour avoir frappé un odieux petit contremaître qui le brimait. Tous les quatre sont, d’une manière ou d’une autre, liés par le sang. Et tous sont attachés à la figure énigmatique de Nedjma (« étoile » en arabe), jeune femme qui finit par devenir le portrait allégorique d’une nation…

Nedjma est construit un peu à la manière des derniers films de Gus Van Sant : par petits segments fragmentaires et cycliques, qui se jouent de la chronologie et proposent de revenir sur un même évènement mais d’un autre point de vue. Pour Kateb Yacine, il ne s’agit pas d’offrir une vision globale de ce que fut l’Algérie de la deuxième guerre mondiale au milieu des années 50 (début de la guerre d’indépendance), mais de proposer, sous formes de bribes, des trajets individuels, de confronter divers points de vue afin d’aboutir à un tableau pointilliste de ce qu’est et pourrait être l’Algérie.

Je trouve le début du roman assez passionnant (la langue de Kateb Yacine est parfaite), l’auteur parvenant très rapidement à créer un climat pesant où ces quatre jeunes algériens sont la proie idéale à la fois du despotisme colonial mais également d’une suspicion généralisée des habitants sédentarisés. Suspectés parce que l’un a été un étudiant agitateur, que l’autre a déserté et que certains d’entre eux ont connu la prison…

Quand arrive la figure de Nedjma, les choses se corsent un peu. Disons que Kateb Yacine tente de nous faire saisir une généalogie extrêmement complexe (j’aurais du noter sur une feuille les liens entre les personnages car j’ai fini par m’y perdre), à base de remariages, d’adoptions et d’incestes. Il ne s’agit plus de dessiner le portrait d’une jeune femme mais d’en faire une allégorie d’un pays né de conflits entre diverses tribus, agitée par des convoitises multiples.

Ce n’est pas inintéressant mais sans doute ne disposé-je pas des pré requis nécessaire pour goûter parfaitement les enjeux du livre. Avec ses incessants flash-back (on revient souvent à l’enfance et l’adolescence des personnages), ses digressions (un voyage avorté vers La Mecque) et ses changements de perspective (la narration est sans arrêt brisée, épousant le rythme de chaque parties du livre, divisées à chaque fois en douze courts chapitres) ; Nedjma est un roman à la fois stimulant et parfois obscur.

D’une certaine manière, c’est un puzzle dont Kateb Yacine assemble petit à petit chaque pièce. Certaines de ces pièces sont absolument magnifiques mais il reste, en fin de compte, beaucoup de trous dans ce puzzle. C’est sans doute la volonté de l’auteur mais pour le lecteur, c’est parfois un peu déroutant…

Voilà donc ma contribution à la littérature du Maghreb, du Proche et Moyen-Orient que je connais également extrêmement mal, mis à part les sublimes quatrains d’Omar Khayyâm (scandaleusement oubliés dans le livre la bibliothèque idéale) et un roman de David Shahar dont je vous ai parlé ici même. Me conseillez-vous Khalil Gibran, Mahfouz, Ben Jelloun et Andrée Chédid ?

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samedi, mars 08, 2008

Bibliothèque idéale n°5 : le rêve asiatique

Un barbare en Asie (1933) d’Henri Michaux (Gallimard. L’imaginaire. 2004)




Autant l’avouer tout de go : si je commence à connaître un peu le cinéma asiatique, je suis un parfait néophyte quant à la littérature extrême-orientale. A part un assez célèbre roman érotique de Li Yu (De la chair à l’extase) et l’indispensable Les belles endormies de Kawabata, je ne me souviens pas avoir lu un seul livre asiatique (honte à moi ! Je ne connais même pas Mishima !).

Pour pousser le paradoxe à son comble (car je n’ai jamais caché la fascination qu’exerce sur moi ce continent), j’ai choisi d’aborder « le rêve asiatique » de la bibliothèque idéale par un des seuls livres français de la sélection (qui est néanmoins classé dans les 10 premiers) !

Sans doute parce que j’ai beaucoup aimé Passages de Michaux et qu’il me tardait de retrouver cet auteur.

Dans Un barbare en Asie, Michaux évoque les différents voyages qu’il a effectués en Inde, en Chine, au Japon et en Malaisie. Il s’agit moins d’un carnet de voyage (à la manière de Jean Grenier) que de courtes esquisses où l’auteur jette sur le papier un certain nombre d’impressions. Amateur d’expérience « par les gouffres » et de voyages imaginaires, Michaux s’immerge dans ces cultures lointaines pour en rapporter des expériences aux confins du réel et de l’imagination.

Un barbare en Asie n’a absolument rien à voir avec les romans exotiques qui fleurirent dès la fin du 19ème siècle et qui firent fureur en France (je pense, par exemple, au Jardin des supplices de Mirbeau ou aux romans populaires de Félicien Champsaur et Claude Farrère). Comme son titre l’indique, l’auteur se place lui-même du point de vue du « barbare » qui tente de comprendre la grandeur de civilisations méconnues des occidentaux.

Il s’émerveille de la capacité de méditation des hindous, de la sagesse des chinois et s’agace de certains traits du caractère japonais. Jamais on ne sent chez lui le regard du « civilisé » colonialiste regardant d’autres peuples avec une curiosité hautaine. Grâce à une écriture plus poétique (en prose) que descriptive, Michaux esquisse des comparaisons, ramène des parfums et des couleurs lointains, s’imprègne des coutumes et des gestes des peuples auxquels il rend visite en tentant d’en saisir la quintessence.

Bien avant la mode de la fin des années 60, il tente de découvrir d’autres chemins de connaissance du côté de l’Asie et de découvrir la voie d’une spiritualité qui le touche même s’il ne semble pas y adhérer totalement.

Je n’ai pas envie de parler plus longuement de ce beau livre qui, je le répète, est totalement impressionniste et, de fait, me semble moins un objet à commentaires qu’une belle gamme de sensations que Michaux parvient à traduire parfaitement.

Mis à part les récits de voyageurs occidentaux, que mettriez-vous dans votre bibliothèque idéale en matière de littérature asiatique ?

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lundi, mars 03, 2008

Bibliothèque idéale n°4 : la littérature anglaise

La puissance et la gloire (1940) de Graham Greene (Le livre de poche.1989)

Pour aborder la littérature anglaise, j’avais dans l’idée de m’attaquer à Emma de Jane Austen, d’autant plus qu’une jolie promotion me tendait les bras. Sauf qu’à quelques heures près, je l’ai vu passer sous mon nez ! Le bec dans l’eau, je me suis interrogé sur le choix du livre à acheter. J’ai écarté Huxley (pas envie de science-fiction) et les deux derniers romans en lice furent ceux dont les auteurs ne m’étaient pas inconnus. Sa majesté des mouches de Golding étant en trop mauvais état (je rappelle qu’en ces temps difficiles, je ne prends que les livres en promo !), je me suis résolu à lire un deuxième roman de Graham Greene, me souvenant de la très agréable découverte que fut pour moi Notre agent à la Havane, roman d’espionnage loufoque et savoureux.

Sur le papier, La puissance et la gloire avait tout pour me faire fuir puisqu’il est présenté comme le « sommet des romans catholiques » et qu’il est préfacé par ce calotin gâteux de Mauriac ! Se taper plus de 300 pages de sermon bien-pensant : très peu pour moi ! Mais c’est mal connaître Greene que de se le représenter comme un prêcheur béni-oui-oui et même si je n’adhère pas à tout dans La puissance et la gloire, force est de constater qu’il s’agit d’un très beau roman à la puissance (ok, c’est facile !) indéniable.

Le récit prend place dans le Mexique « révolutionnaire » (du moins, quand la révolution de Villa et Zapata a été confisquée par le seul et unique PRI, parti révolutionnaire institutionnel) lorsque la campagne anticléricale bat son plein. Il ne reste plus un prêtre dans le pays, si l’on excepte Don José, un renégat et notre héros (dont on ignorera l’identité) qui tente de fuir vers la frontière.

Contrairement à ce que ce postulat de départ laisse entrevoir comme facilités caricaturales (le gentil martyr catholique persécuté par les méchants communistes), Graham Greene dote son récit d’une véritable complexité et de beaucoup de subtilités. Son prêtre est ce que l’on pourrait appeler un « mauvais prêtre » puisqu’il a fait un enfant à une de ses paroissiennes et qu’il est porté sur la boisson. Avec un personnage pareil, il est évident que l’auteur ne vise pas à l’édification béate et sulpicienne des masses mais qu’il s’inscrit dans la tradition de ces auteurs catholiques tourmentés comme Bloy ou Bernanos. Et c’est en ayant pris conscience des pires avanies et des pires turpitudes, en ayant fait l’expérience du péché que notre homme pourra être racheté par la grâce dans la mesure où il dispose de ce pouvoir inégalable (je me place du point de vue catholique, bien entendu) de donner le corps du Christ et l’absolution.

Avec son bon larron et un traître à la Judas, le parcours de ce prêtre a quelque chose de christique tout en évitant toujours les écueils du moralisme pontifiant. Il faut voir la manière dont Greene égratigne au passage les ridicules dévotes et celle dont il offre une chance aux « ennemis » du prêtre. Même le lieutenant de police, qui pourrait être le monstre absolu, est rendu à sa faiblesse d’être humain qui n’agit que parce qu’il se laisse porter par les circonstances.

C’est peut-être ce qu’il y a de plus beau dans la puissance et la gloire : au-delà de son côté « religieux », c’est la manière dont ce roman s’obstine à aller chercher ce qu’il y a de grand dans ce torrent de boue qu’est le cœur humain. Et ce qui malgré mon indécrottable athéisme me fait admirer les grands auteurs catholiques, c’est la rugosité avec laquelle ils malmènent l’humanité (on ne peut pas dire que les livres de Bernanos, Bloy ou Greene soient très optimistes) tout en extrayant ce qu’il peut y avoir de grand en elle (je répugne encore à écrire de « divin »). On est loin de l’humanisme béat ou de la niaiserie bien-pensante !

Lorsque Greene écrit « il savait maintenant qu’en fin de compte une seule chose importe vraiment : être un saint », on songe aux mots de Léon Bloy et ce n’est pas rien. Loin de tout cliché et de toute caricature, il réussit un grand livre qui témoigne, malgré toutes les horreurs et tous les crimes, d’une foi indéfectible en l’Homme (puisque pour lui, Il reste malgré tout une image de Dieu).

NB : Les œuvres de Graham Greene furent souvent adaptées au cinéma (songeons au fameux Troisième homme de Reed qui transposa également Notre agent à la Havane). John Ford s’inspira, quant à lui, de la puissance et la gloire lorsqu’il tourna Dieu est mort. Peut-être que Vincent pourra nous en dire quelques mots…

Sinon, quels livres anglais choisiriez-vous pour votre bibliothèque idéale ? Outre les classiques Shakespeare ou Woolf, je placerais volontiers Nick Hornby mais également mon cher gallois John Cowper Powys…

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