La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

vendredi, novembre 06, 2020

Sonnets libertins

 

Au bonheur des dames (2020) de Jean Berteault (Thierry Sajat, 2020) 


Discrètement et humblement, Jean Berteault poursuit son petit bonhomme de chemin loin des trompettes de la renommée. Il faut dire qu’en s’adonnant à la poésie, il a peu de chances de faire la une des gazettes ou d’être invité dans les prétendues émissions littéraires télévisuelles. Après notamment Nous n’irons pas à Barbizon et La Belle Endormie, Au bonheur des dames est le dernier recueil en date du poète. 

Au niveau de la facture, ceux qui connaissent Jean Berteault ne seront pas surpris : une forme très classique (le sonnet) alliée à la rigueur de la métrique (des alexandrins ou octosyllabes). En revanche, le « fond » est plus surprenant puisque l’ouvrage est « dédié justement à mes exploits lubriques » et que l’auteur adopte une veine érotique inédite chez lui. Le terme « inédit » est peut-être un peu fort car dans ses recueils précédents, on percevait parfois un amour pour le beau sexe qui n’avait rien de platonique. Mais dans Au bonheur des dames, l’approche est beaucoup plus crue, leste et on comprend rapidement avec quel mot Berteault va faire rimer la « braise ».

Moi qui aime beaucoup la poésie de Jean Berteault, je dois reconnaitre que, paradoxalement (car j’apprécie aussi la littérature érotique), ce versant explicite de son œuvre me paraît un peu moins intéressant. Peut-être parce qu’une fois les seins auscultés et les fesses palpées, l’impression de redite se fait parfois sentir. Les poèmes les moins intéressants me semblent ceux où l’auteur (bientôt 88 ans au compteur tout de même !) la joue à la hussarde et jette son dévolu sur des images de femmes finalement assez stéréotypées.

Qu’on se rassure, ce n’est pas non plus ce que met le plus en valeur le poète. Et on retrouve dans ce recueil, malgré tout, ce qui fait le sel de son art : de l’humour, de la tendresse et une certaine nostalgie. Humour lorsque Berteault narre un amour digne du sonnet d’Arvers (la belle n’en a jamais rien su) en constatant qu’au bout du compte, à défaut de coucher, il n’a plus qu’à la coucher sur son testament. Quant à la nostalgie, elle irrigue toutes les poésies qui reviennent sur le vert paradis des amours enfantines. Ce n’est pas tant la focalisation sur certaines parties du corps qui touche (ah, les petites culottes entrevues par inadvertance !) qu’une atmosphère, une teinte parfaitement rendue de ces moments privilégiés où tout devient électrique et érotique. Berteault est plus fort lorsqu’il s’en tient au regard, à des impressions évanescentes plutôt que lorsqu’il décrit (un peu trop mécaniquement) des ébats plus « réalistes ».

La langue du poète reste belle, entre un vocabulaire un peu précieux et l’argot le plus leste, entre un style relativement classique et la paillardise revendiquée. A

lors même si on a le droit de préférer les recueils précédents du poète, l’énergie vitale qui soutient celui-là mérite notre respect et notre intérêt.

 

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