La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

vendredi, mai 30, 2008

Bibliothèque idéale n°20 : le roman policier

La reine des pommes (1958) de Chester Himes (Gallimard. Folio, 1991)


Après le fantastique, abordons un autre genre qui me tient à cœur : le polar. Deux courants me plaisent énormément dans cette catégorie.

Primo : la nouvelle vague du polar à la française qui déferla à partir du début des années 70 et dont des gens comme Manchette, Fajardie (qui vient malheureusement juste de nous quitter), Quadruppani ou la doublette du colonel Durutti (alias Yves Frémion et Emmanuel Jouanne qui composèrent les espatrouillants Tuez un salaud et Berlin l’enchanteur : je n’ai malheureusement jamais réussi à dégotter les deux autres) furent les plus mémorables représentants.

Deusio : le polar à l’américaine que je découvre en ce moment avec des auteurs comme Hammett, Irish ou, plus proche de nous, Ellroy. Chester Himes fait partie de la catégorie et de ces auteurs que je tenais à découvrir. Bien m’en a pris tant l’intrigue rocambolesque de La reine des pommes offre un grand plaisir de lecture.

Jackson est un brave croque-morts de Harlem qui se laisse entraîner par sa fiancée (une de ces garces fatales qu’affectionne le genre) dans une sombre histoire de faux billets de banque qui tourne mal. Après s’être fait dépouiller de tout son argent, Jackson est emporté dans une spirale infernale où il attire son frère (un drogué qui vit en faisant l’aumône, déguisé en sœur de charité !) avec la police et les truands aux fesses…

La reine des pommes séduit d’abord pour des motifs purement ludiques et enfantins : l’intrigue est rondement menée et le rythme ne faiblit pas d’un poil. Nous sommes embarqués dans une aventure sans temps mort, aux côtés d’un brave type qui n’a pourtant pas inventé le marteau à bomber les verres de lunettes (comme le disait joliment Emile Pouget !) mais qui reste toujours sympathique à nos yeux.

Nous naviguons de rebondissements en rebondissements et Himes pimente son intrigue d’un humour piquant et délicieux (humour noir, devrais-je dire en jouant sur les deux sens du terme, puisque tous les personnages sont des noirs américains de Harlem !).

Face à Jackson et aux truands apparaissent les deux personnages de flics les plus célèbres de l’œuvre de Himes : Ed Cercueil et Fossoyeur. Deux brutes épaisses chargées de faire respecter la loi dans un des quartiers les plus « chauds » de New York.

C’est d’ailleurs ce contexte « social » ce décor de Harlem qui fait de la reine des pommes un polar dont l’intérêt ne tient pas qu’à un récit haletant. Ancien prisonnier pour vol à main armée, Chester Himes décrit avec ironie mais pas sans empathie un univers où règnent à la fois la violence et la pauvreté, la crasse et l’exploitation (voir l’employeur de Jackson) et une galerie de personnages haut en couleurs (travestis, ivrognes, prostituées…).

Et c’est dans cet univers que se meut le héros benêt de cette histoire, éternel dupé qui persiste à croire en la Providence et en la fidélité des femmes…

Naïf enfant !

NB : Eh bien les amis : le fantastique semble vous avoir plutôt inspiré alors je propose de me conseiller maintenant les romans policiers vous paraissant les plus indispensables pour notre bibliothèque idéale…

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dimanche, mai 25, 2008

Bibliothèque idéale n°19 : Fantastique et merveilleux

Peter Ibbetson (1891) de George du Maurier (Gallimard. L’imaginaire. 1986)


Une seule question m’est venue à l’esprit en lisant le merveilleux roman de George du Maurier : pourquoi avoir mis tant de temps à me plonger dans cette œuvre ? Pourquoi avoir différé sans arrêt l’évidence de cette rencontre ?

Je ne pouvais pas ne pas aimer ce livre. D’une part, parce que son auteur a été célébré par des gens aussi divers que Breton et les surréalistes, Robert Benayoun (qui offre une place à Du Maurier dans son anthologie du nonsense) et Noël Godin (qui classe l’auteur de Peter Ibbetson parmi les « humoristes ne sachant pas toujours « jusqu’où on peut aller trop loin » »).

D’autre part, parce que j’ai vu et énormément aimé l’adaptation cinématographique de Peter Ibbetson signée Henry Hathaway (avec Gary Cooper). Enfin parce que j’avais également lu un autre roman de George du Maurier (rappelons qu’il fut le grand-père de Daphné, auteur des Oiseaux et de Rebecca), Trilby, qui m’avait beaucoup plu.

Pourquoi ce livre si célébré (à juste titre) est un pur joyau littéraire, un chef-d’œuvre absolu d’un dessinateur humoristique qui devint écrivain sur ses vieux jours ?

Deux raisons essentielles.

La première, c’est celle qui valut au roman l’enthousiasme fiévreux des surréalistes. Il s’agit, en effet, d’un des plus beaux récits d’amour fou de la littérature mondiale. Et si l’amour qui lie depuis l’enfance Peter Ibbetson et la duchesse de Towers s’avère si extraordinaire, c’est qu’il s’épanouit par le biais des rêves des personnages. Même lorsqu’ils sont séparés physiquement (par les murs d’une prison, par exemple), nos deux amants se retrouvent la nuit dans ces « rêves vrais » qui leur permettent toutes les fantaisies (revoir les lieux de leur enfance, assister à de fameux concerts, posséder toutes les toiles de maîtres…). Quelques années avant Freud, un romancier fantaisiste a le génie de s’intéresser aux rêves et à la puissance insoupçonnée du subconscient humain. Ses conclusions n’ont rien de « scientifiques » mais il en tire des effets poétiques d’une force extraordinaire.

Rarement on aura vu histoire d’amour aussi absolue, aussi touchante, aussi indélébilement bouleversante puisque la duchesse n’hésite pas à proclamer : « Un amour comme le mien est plus fort en vérité que la mort ! ».

Amour sublime où les personnages font du monde des songes leur terrain de jeu tandis que la vie « réelle » devient, d’une certaine manière, le moment où ils veillent et dorment dans la médiocrité du quotidien.

La deuxième raison qui hisse ce roman au rang des chefs-d’œuvre, c’est le ton du Maurier. Déjà dans Trilby, j’avais été séduit par l’évocation nostalgique des années de bohème que connut l’auteur à Paris. On retrouve dans Peter Ibbetson les mêmes parfums mélancoliques d’une enfance heureuse passée par un petit anglais (on l’appelait alors Jojo) en France sous Louis-Philippe (avant que Badinguet et l’immonde Haussmann défigurent la plus belle ville du monde !). Les évocations de l’auteur sont frappées du sceau de la mélancolie et d’un humour british irrésistible. Les pages qu’il consacre à la jeunesse de son héros sont absolument magnifiques, traversées par des portraits ironiques ou touchants de personnages hauts en couleurs (ces « fous » avec qui se lie Jojo). Même lorsque Jojo devient adulte et prend le nom de Peter, le livre reste emprunt de nostalgie pour cette période bénie de l’enfance. Et tous les rêves tournent autour des souvenirs d’un jardin, de la mare d’Auteuil et d’autres lieux familiers pour les amants.

Je n’en dis pas plus : inutile d’alourdir par mes mots patauds les impressions si pénétrantes et émouvantes que ce livre laisse à l’esprit du lecteur. Si vous ne connaissez pas Peter Ibbetson, précipitez-vous chez votre libraire où chez les bouquinistes : c’est une pure merveille dont aucun superlatif n’épuisera le charme…

NB : Le récit de voyage et d’exploration ne semble pas vous avoir inspiré beaucoup ! J’espère que vous serez plus prolixes en ce qui concerne le genre fantastique et que vous me conseillerez un tas de livres à posséder d’urgence dans sa « bibliothèque idéale »…

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mardi, mai 20, 2008

Bibliothèque idéale n°18 : les récits de voyage et d'exploration

Venises (1971) de Paul Morand (Gallimard. L’imaginaire. 1999)


Pour les récits de voyages et d’explorations, j’ai choisi un circuit assez proche et ne me suis pas aventuré dans le Congo de Gide ni dans l’Orient de Nerval ou l’Islande de Loti. J’ai préféré la Venise de Paul Morand et ses canotiers.

« Venise n’a pas résisté à Attila, à Bonaparte, aux Habsbourg, à Eisenhower ; elle avait mieux à faire : survivre ; ils ont cru bâtir sur le roc ; elle a pris le parti des poètes, elle a bâti sur l’eau. » écrit de la ville l’auteur de l’homme pressé.

Nous pourrions dire la même chose de son évocation : Morand ne joue pas la carte des souvenirs chronologiques et des interminables descriptions pittoresques d’une ville qu’il a connu depuis le début du siècle mais préfère la forme éclatée et poétique des réminiscences qui s’entrechoquent sans la moindre chronologie.

Ce qu’il y a d’étonnant dans Venises, c’est que l’auteur a 83 ans quand il consigne ses souvenirs. Né en 1888, il avait donc 20 ans à la Belle Epoque, 30 à la fin de la première guerre mondiale, 35 pendant les « années folles », un peu plus de 50 lorsque éclate la seconde guerre mondiale et il écrit ce livre trois ans après Mai 68. C’est dire s’il a eu le temps d’assister aux mutations du monde (certains de ces mondes ont même totalement sombré, comme cette Europe de l’avant première guerre) et de voir défiler les individus.

Dans Venises, nous croiseront donc de manière quasi-simultanée Marcel Proust dont Morand fut proche et les hippies anglo-saxons avachis sur la place Saint-Marc (que l’auteur regarde avec sévérité mais non sans une certaine tendresse, eut égard à sa jeunesse de « moderne »).

Loin de troubler les esprits, ces rapprochements temporels font le sel d’une évocation pointilliste où les souvenirs d’autrefois engendrent les réflexions d’aujourd’hui.

Contrairement à ce que certains passages peuvent aussi laisser entendre (Morand est assez sévère pour son époque et pour l’impérialisme yankee), Venises n’est pas un recueil de souvenirs d’un caractère aigri et plein de ressentiment. De la nostalgie, certes ; mais pas de vinaigre ou d’attaques gratuites.

Plutôt un regard toujours émerveillé sur le monde porté par un vieillard pour qui Venise fut toute sa vie (avec Londres). A travers ses souvenirs de la cité vénitienne, nous traversons les salons de la communauté française de l’avant-guerre (Edmond Jaloux, Henri de Régnier, Charles du Bos, Abel Bonnard…), les flamboiements de l’après-guerre, la montée du fascisme et la seconde guerre mondiale.

Soyons précis : Morand ne s’attarde jamais sur de longues descriptions ni sur des évènements précis mais préfère se concentrer sur les ambiances et les couleurs des époques. Peu d’anecdotes mais beaucoup de sensations, de portraits rapidement esquissés, de tableaux aussi vivants qu’évanescents.

C’est souvent très beau (le style de Morand est lumineux) et très touchant ; comme le sont souvent ces souvenirs d’hommes de lettres qui ont vécu réellement au cœur des siècles…

PS : Quels sont pour vous les plus indispensables récits de voyages et d’explorations à posséder dans une bibliothèque idéale ?

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dimanche, mai 18, 2008

Couvertures...

En guise de bonus, quelques couvertures d'ouvrages que je viens d'acquérir.

On commence par l'un des 500 exemplaires (N°40) édités sur papier alfa lafuma des Lettres à ma mère de Jean Lorrain (cadeau importé d'Egypte!)


Ensuite, viennent deux romans édités dans la collection "Chute libre"




Une petite perle des Editions La Brigandine :




Et enfin, pour l'ami Losfeld, la couverture tant attendue (signée Jef de Wulf) d'Amour et Voluptés de Juan Mancéro.




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Bibliothèque idéale n°17 : le roman historique

Le parfum (1985) de Patrick Süskind (France Loisirs. 1994)



J’ignore par la grâce de quelles contorsions les auteurs de la « Bibliothèque idéale » sont parvenus à faire entrer Le parfum dans le cadre des romans historiques mais toujours est-il que cette classification un brin saugrenue m’a bien arrangé dans la mesure où elle m’a permis d’aborder un genre dont je ne suis guère friand par le biais d’un « best-seller » très agréable à lire.

De plus, cela m’a permis d’éviter des pavés que je souhaite lire depuis une éternité (Salammbô de Flaubert, Guerre et paix de Tolstoï…) mais que je repousse sans arrêt en raison d’un manque évident de temps et des ouvrages qui s’accumulent dans ma bibliothèque sans que je les aie lus !

Certes, Le parfum se déroule bien au 18ème siècle en France, sous le règne de Louis XV ; mais cet ancrage historique ne constitue même pas une toile de fond à l’histoire extraordinaire de Jean-Baptiste Grenouille, enfant né sans la moindre odeur mais doté de capacités olfactives hors du commun.

Devenu adolescent, Grenouille va utiliser son « flair » pour se faire engager chez un parfumeur et le rendre richissime. Mais il va aussi s’en servir pour fomenter un projet prométhéen et machiavélique (je sais que beaucoup d’entre vous connaissent le roman mais je renâcle cependant à déflorer totalement l’intrigue, comme c’est le cas sur l’exemplaire que j’ai dégotté aux puces).

Je me suis demandé en lisant ce roman bien après tout le monde ce qui avait bien pu susciter un tel engouement. Non pas que le livre soit mauvais (il est assez captivant et plutôt bien écrit même si je trouve que certains passages –est-ce du à la traduction ?- sont un peu lourds) mais je l’ai trouvé très sombre et plutôt glauque (personnellement, ça me plaît beaucoup mais ce n’est pas ce genre de littérature qui « marche ») d’une part ; d’autre part, l’intrigue policière que laisse supposer le sous-titre (Histoire d’un meurtrier) est plutôt secondaire et Süskind ne cherche jamais à jouer la carte du suspense.

Peut-être que l’auteur, à l’instar de son héros maléfique, a trouvé le secret pour envoûter les populations en leur offrant une réflexion assez habile sur la Beauté et l’Idéal. Car si Grenouille deviendra au cours du récit un assassin, c’est moins par goût du sang ou folie meurtrière que par « logique esthétique ». Il s’agit pour lui de créer une sorte « d’œuvre » parfaite lui permettant, comme tout créateur, d’égaler les dieux. L’excellente idée de Süskind, c’est d’avoir déporté cette problématique du Beau des yeux (traditionnellement, c’est par la vue que nous embrassons la Beauté) au nez.

Le tableau parfait que veut constituer Grenouille n’est pas à base de couleurs et de lignes mais d’une symphonie d’odeurs variées. Le Beau, l’Idéal deviennent alors des choses totalement abstraites et évanescentes, impossibles à saisir par le seul biais de la Raison (d’où peut-être cette ancrage au siècle des Lumières).

Süskind parvient à bâtir un roman assez troublant car il a beau présenter son Grenouille comme un monstre, un scélérat ; il n’en demeure pas moins une sorte d’artiste prêt à tout pour atteindre une certaine perfection esthétique.

Autant dire que le succès du roman n’a rien de « suspect » et que le parfum n’est pas un « coup » commercial mais une véritable œuvre, à la fois captivante et profonde.

NB : Question traditionnelle : quels romans historiques placeriez-vous dans votre Bibliothèque idéale ?

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vendredi, mai 16, 2008

Bibliothèque idéale n°16 : le roman d'aventures

Rhum (1930) de Blaise Cendrars (Grasset. Les cahiers rouges. 1990)


C’est l’heure d’aborder la deuxième partie de la « Bibliothèque idéale » en privilégiant désormais l’approche par « genres » littéraires. Pour ouvrir le bal, le roman d’aventures pour lequel j’avoue n’avoir aucune attirance particulière. Néanmoins, je pus me consoler en constatant que figurait dans la liste Blaise Cendrars, auteur dont j’avais beaucoup apprécié Moravagine et La prose du transsibérien.

Rhum n’est pas à proprement parler un « roman » mais une espèce de « reportage littéraire » (bien avant Truman Capote) autour de la figure de Jean Galmot, un aventurier qui fut chercheur d’or, trappeur, vendeur de rhum et de bois de rose, journaliste et écrivain sans oublier son poste de député de la Guyane.

Farouche défenseur des droits des guyanais (qui le surnommaient « Papa Galmot »), l’homme s’attira de nombreuses inimitiés et finit empoisonné en 1928. Cette mort fut d’ailleurs à l’origine de nombreuses émeutes et de représailles sanglantes pour ceux qui voulurent usurper la souveraineté de Galmot en Guyane.

Ecrit en 1930, Rhum est un portrait « à chaud » de celui que Cendrars n’hésite pas à comparer à Don Quichotte (même confiance en la justice et la légalité alors qu’il aurait pu, sans problème, devenir chef d’une Guyane indépendante sous la protection du Brésil ou des Etats-Unis ; même volonté imperturbable malgré une santé fragile…).

La sympathie visible qu’éprouve le romancier bourlingueur tient sans doute à ce goût commun pour l’aventure et les destinées hors du commun. Le portrait qu’il offre au lecteur de Galmot est suffisamment relevé et documenté pour attirer son attention.

Pourtant, j’avoue n’avoir pas été entièrement convaincu par Rhum.

Primo, parce que le style « journalistique » (je mets des guillemets car c’est quand même beaucoup mieux écrit) de Cendrars m’a parfois un peu gêné lorsqu’il se perd dans des détails techniques (les spéculations autour du rhum qui valurent, à tort, des procès à Galmot et une campagne de calomnies).

Deuxiémo (pour parler comme Pouget !), parce que je n’arrive pas, malgré les éloges que Cendrars ne cesse de lui tresser, à trouver totalement sympathique la figure de Jean Galmot. Pour moi, ça reste un marchand et un colonialiste malgré ses bons sentiments. J’ai sans doute tort de voir cette histoire avec les yeux de quelqu’un qui vit en l’an 2000 mais c’est un fait : cette figure charismatique me laisse, malgré ses indéniables qualités, assez froid et indifférent.

Je préfère largement la biographie du bandit anarchiste Alexandre (dit Marius) Jacob par l’excellent Bernard Thomas ou même le récit fait par Capote du fait-divers crapuleux de De sang-froid que ce portrait d’un personnage que je trouve sans saveur.

J’ai conscience que cet avis est, pour le coup, marqué du sceau de la subjectivité totale et que le talent de l’auteur n’a rien à voir là-dedans ! Mais vous me connaissez désormais : je suis prêt à assumer totalement cette subjectivité !

Et pour vous, quels sont les romans d’aventures qui vous paraissent indispensables dans une bibliothèque idéale ?

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jeudi, mai 15, 2008

Pouget en verve

Le Père Peinard, journal « espatrouillant » : articles choisis (1889-1900) d’Emile Pouget (Les Nuits rouges. 2006)


Puisque nous en sommes toujours à fêter les « évènements » de 68, il faut savoir que dans la foulée du joli mois de mai, une kyrielle de maisons d’édition s’est piquée d’exhumer les textes des classiques de la subversion. C’est à cette époque que naît Champ Libre, la plus belle d’entre toutes et à propos de laquelle je n’ai pas fini de jaspiner ; mais il faut également citer de bons bougres comme Roger Langlais qui réédita, chez Galilée, des gens alors oubliés comme Albert Libertad ou Emile Pouget.

Ces éditions sont aujourd’hui malheureusement épuisées et c’est alors au tour de petits éditeurs comme Agone (Le culte de la charogne) ou Les nuits rouges (le père Peinard) de nous faire redécouvrir la virulence des anars « fin de siècle ».

D’Emile Pouget, on sait surtout qu’il fut l’un des fondateurs de la CGT (n’ayez crainte : le syndicalisme n’avait alors pas le visage morne des petits chefaillons moustachus entre les mains desquelles il est tombé !) et son texte le plus régulièrement réédité est sans doute celui qui s’intitule sobrement Le sabotage, prônant comme son titre l’indique tous les moyens les plus sournois pour gripper l’infernale machine du capitalisme (inutile de dire que ce court texte est un bréviaire indispensable !).

On connaît peut-être moins l’infatigable journaliste anarchiste qui, près de 100 ans après le mémorable Père Duchesne d’Hébert, lança tel un pavé dans la mare son Père Peinard, canard déchaîné dont il fut à peu près le seul et unique rédacteur.

En se replongeant dans ces articles qui couvrent la dernière décennie du 19ème siècle, le lecteur reste sans voix (mais pas sans un franc rire) face à la prose ravageuse d’un enragé dont on peine à concevoir qu’il pût s’exprimer avec une telle violence.

Les choses ne furent d’ailleurs pas simples puisque dans un article intitulé Museler les bons bougres, Pouget résume tous les chefs d’accusation portés contre son journal et s’amuse à additionner toutes les peines que récoltèrent les preux gérants de la gazette incriminée pour arriver à un total de… 13 ans et un mois de prison (!!) et dix-sept milles trois cents francs d’amende. Un toast s’impose, donc, aux gérants Weil, Faugoux, Mayence, Berthault, Sicard, Dejoux, Durey qui tombèrent pour « provocation au pillage et à la désobéissance militaire » (« Les soldats, que sont-ils ? Nos frères de misère. Pourquoi défendraient-ils les riches ? Dans six mois ou deux ans, ils lâcheront le métier et il faudra à leur tour mendigoter du travail, subir le chômage et la faim ! Qu’ils y songent, nom de dieu, et quand on leur commandera : Feu ! qu’ils essaient les fusils Lebel sur leurs chefs et qu’ils fassent merveille ! ») ; pour « provocation aux militaires des armées de terre et de mer, dans le but de les détourner de leur devoir militaire », pour « provocation au meurtre » lorsque Pouget se réjouit de voir des ouvriers se retourner contre « les singes » qui les ont licenciés en rétorquant à ceux qui prétendent qu’il est inutile de s’en prendre aux hommes plutôt qu’aux institutions : « Turellement, ce n’est pas la watrinade[] d’un Jean-foutre, ni de dix, qui nous donnera ce qu’on souhaite.

N’importe, c’est un petiot commencement : primo, c’est des bons exemples ; deuxiémo, ça donne de l’espoir aux prolos qui voient qu’on n’est pas tous avachis ; troisiémo, ça fout la chiasse aux grosses légumes. »

Le Père Peinard s’inscrit donc d’emblée dans la tradition de la critique anarchiste la plus virulente. Pouget s’en prend aux cibles les plus classiques : l’armée, l’église, la police, la justice, les capitalistes, la République (« Tralala, mistenflûte ! La République nous a prouvé qu’elle est une garce n’ayant des mamours que pour les richards et les patrons. »), le suffrage universel (« Voter, c’est foutre une truellée de ciment dans les lézardes de la guimbarde sociale.

S’abstenir, c’est y coller gros comme une noisette de dynamite ! ») ou encore l’Etat (« Je veux simplement faire toucher du doigt que la superstition de l’Etat n’est que le dernier rogaton de la superstition religieuse »).

Pour conclure : « Le jour où le populo ne sera plus emmiellé, c’est le jour où patrons, gouvernants, ratichons, jugeurs et autres sangsues téteront les pissenlits par la racine ».

Lire les mêmes litanies pendant 400 pages pourraient devenir, à la longue, un peu lassant mais plusieurs raisons font que l’on savoure sans réserve ces articles du Père Peinard.

D’abord, il y a le style Pouget, mélange de verve, de violence et de cet argot prisé par les malfaiteurs (c’est presque à chaque ligne que nous devons souper du « foutre ! » ou du « nom de dieu »). De fait, les articles sont sans cesse relevés par ce style imagé, regorgeant de néologismes espatrouillants (« les cléricochons ») et de formules gloupitantes (« les empapaoutés du socialisme crétin »).

Ensuite, il y a cette manière qu’à Pouget de reporter des faits divers et de s’arrêter sur tous les abus du pouvoir, les diverses injustices et les tentatives de rébellion du « populo » (les grèves, les manifestations…). Mine de rien, le livre devient alors un tableau assez saisissant des conditions de vie ouvrière en ce début d’ère industrielle. Pouget se solidarise aussi bien pour les mineurs victimes des coups de grisou que pour les pauvresses obligées de se prostituer.

Enfin, il y a le regard de notre grand échauffé sur l’actualité et l’histoire avec un grand H. On le voit dénoncer ici la politique coloniale criminelle de la France et aussi rendre compte à sa manière des attentats anarchistes (suite auxquels la presse sera muselée et Pouget contraint de s’exiler à Londres pour pouvoir continuer de nourrir son canard) ou l’affaire Dreyfus.

On assistera aussi à son évolution vers le syndicalisme révolutionnaire même s’il s’en éloignera lorsque ledit syndicalisme se salira les mains en jouant le jeu de la « politiquerie ».

Au-delà de la propagande anarchiste et populiste du Père Peinard, ce recueil d’articles se révèle être également un précieux document sur une époque trouble dont on peine à imaginer aujourd’hui la violence des conflits idéologiques et politiques qu’elle put engendrer…



[] Watrin était le nom d’un ingénieur assassiné par des ouvriers mécontents en 1886.

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jeudi, mai 08, 2008

Bibliothèque idéale n°15 : le roman russe

La steppe (1888) suivi de Salle 6 (1892) et de L’évêque (1902) d’Anton Tchékhov (Gallimard. Folio classique. 2003)


Pour terminer ce premier tiers de la « bibliothèque idéale » et en finir avec l’approche « nationale » des littératures, abordons l’une des plus riches qui soit : la littérature russe.

J’avoue n’avoir pas encore eu le courage de me jeter dans le fleuve Tolstoï (par contre, je connais et adore ceux de Dostoïevski !) et je me suis rabattu sur trois nouvelles de Tchékhov dont je ne connaissais jusqu’à présent que le théâtre.

« Nouvelle » est d’ailleurs un terme un brin réducteur pour désigner La steppe, court récit qui fait quand même près de 150 pages.

Il s’agit d’une œuvre de jeunesse (l’auteur n’a pas trente ans) où l’on suit les pérégrinations de personnages à travers l’immensité de la steppe russe que l’auteur peint avec un certain génie impressionniste. Le récit est entièrement construit autour du point de vue d’un jeune garçon, Iégor, que sa mère a confié à un oncle marchand pour qu’il l’emmène faire des études. Aux côtés de cet homme juste préoccupé par ses affaires voyage également un doyen d’église qui rassure l’enfant comme il peut.

Un paysage comme la steppe ne semble pas, a priori, propice à de nombreux rebondissements et pourtant, Tchékhov nourrit son voyage de ses souvenirs d’enfance et de légendes populaires autour d’auberges où les marchands se faisaient assassiner par des brigands peu scrupuleux…

La steppe est aussi un récit ouvert et initiatique, qui laisse présager pour le petit Iégor d’une vie qui n’a rien, pour le moment, de toute tracée. L’auteur parvient à la fois à épouser le point de vue de l’enfance (certaines images surgissent d’une conscience embrumée par le sommeil ou la maladie) et à retrouver les senteurs et couleurs du paysage dans lequel évoluent les personnages.

C’est très beau et pourtant, je dois confesser avoir préféré à cette Steppe le deuxième récit (un peu plus court mais sa centaine de pages l’éloigne lui aussi de la forme courte de la nouvelle) du recueil intitulé Salle 6. Tchékhov décrit dans cette histoire, avec une force indéniable, le quotidien de personnes internées comme folles. Son héros, le docteur Raguine, est un personnage cultivé et blasé, conscient des conditions d’hygiène et de gestion désastreuses de son hôpital mais qui ne se résout pas à changer le cours des choses…

Comme le dit fort justement Roger Grenier dans sa préface, Tchékhov se démarque avec Salle 6 de Tolstoï et de ses théories sur la non-résistance au Mal. Face à Raguine qui prêche le stoïcisme et cite Marc-Aurèle, l’écrivain dresse le portrait d’un fou (Grimov) dont la culture et l’intelligence ont frappé le médecin. Or cet interné remet vigoureusement en question ce stoïcisme et remarque avec justesse que cette acceptation de la douleur n’est souvent qu’une vue de l’esprit de gens qui n’ont pas souffert. Face à cela, Grimov opte plutôt pour la critique radicale de la société et pour la rébellion (d’une certaine manière, il annonce les soubresauts qui soulèveront la Russie au début du 20ème siècle !).

Le processus par lequel la société met finalement le grappin sur Raguine est également montré avec beaucoup de force et de subtilité. Par sa manière de glisser inéluctablement vers son dénouement, Salle 6 est un pur petit chef-d’œuvre.

L’évêque est une nouvelle (le mot peut être employé ici) écrite peu de temps avant la mort de l’écrivain. C’est sans doute dans ce texte que j’ai retrouvé le plus ce « ton » Tchékhov si caractéristique de son théâtre, cette mélancolie douce qui n’a pas fini de nous toucher. L’auteur met en scène un vieil évêque qui retrouve peu avant sa mort sa mère qui lui parle désormais avec déférence (en raison de sa fonction). Le personnage se retourne sur sa vie et se demande alors quel sens lui donner. Il est parvenu à un certain statut social mais ce statut le confine dans la plus extrême solitude.

Par sa manière de faire planer l’angoisse de la mort et du néant, par sa tristesse mélancolique ; l’évêque se révèle être une nouvelle très touchante, témoignant du talent unique de Tchékhov pour suggérer par de petites touches les plus grandes angoisses existentielles…

NB : La littérature russe, me semble-t-il, est un vivier fertile en immenses écrivains. Je ne les cite pas et vous laisse le loisir de me dire lesquels parmi eux vous placeriez immanquablement dans votre bibliothèque idéale…

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dimanche, mai 04, 2008

Le savoir-vivre de Vaneigem

Entre le deuil du monde et la joie de vivre (2008) de Raoul Vaneigem (Verticales)




S’il ne fallait lire qu’un livre pour comprendre « l’esprit » de Mai 68, c’est bien entendu le Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations de Raoul Vaneigem qu’il faudrait choisir. Et puisque nous sommes en période de commémorations, la sortie du dernier essai de l’auteur du Livre des plaisirs vient à point nommé pour mesurer à quel point l’homme est resté fidèle à ses combats d’antan (combien sont-ils à pouvoir en dire autant ?) et combien sa pensée reste précieuse en ces temps moribonds.

Sous-titré les situationnistes et la mutation des comportements, ce livre laisse penser que Vaneigem se penche sur son passé au sein du groupe et en analyse le fonctionnement.

Las ! Ceux qui s’attendaient à des révélations fulgurantes ou à un témoignage détaillé sur la vie de cette désormais mythique Internationale Situationniste (mythique car demeurant la seule organisation à ne s’être pas fourvoyée dans les idéologies les plus tartignolles de la fin des années 60 et à avoir dénoncé l’horreur du maoïsme et du stalinisme renaissant sous diverses formes à travers le monde) seront déçus.

L’auteur y fait bien quelques allusions mais ce n’est en fait qu’un prétexte pour poursuivre les analyses qu’il étaye depuis près de 50 ans ! A travers son expérience au sein de l’IS, il reprend les thèmes développés alors, ceux qui sont toujours d’actualité (l’émancipation de l’individu, la volonté de vivre plutôt que de survivre, la lutte pour se libérer des prisons du travail et de la consommation afin d’assouvir ses désirs…) et les impasses auxquelles il a été confronté (la réponse de la violence par la violence, le système des exclusions au sein du groupe qui relève de l’instinct de mort et du bouc émissaire…).

En bon disciple de Stirner (la révolte qu’il propose est strictement individuelle et ne prend racine qu’à partir du désir des individus : « La volonté d’émancipation est incompatible avec la volonté de l’imposer ») et de Fourier (Vaneigem ne se réfère qu’aux désirs, aux plaisirs et aux affinités électives) ; l’auteur analyse avec une véritable lucidité l’état de notre monde actuel livré aux saccages que lui font subir les marchands et les boursicoteurs.

Lorsqu’on reste dans le domaine de la critique, le livre s’avère très fort et témoigne d’un regard qui n’a rien perdu de son acuité :

« Ainsi, au rythme de la crétinisation publicitaire, le culte de la mode s’est-il érigé en critère d’excellence et d’exclusion. L’emprise du marché exerce sur l’enfance un pouvoir de subornation qui substitue au désir d’être soi cette envie de paraître essentiellement compétitive, d’où procèdent l’agressivité, la frustration, la violence, l’instinct prédateur. »

Vaneigem se livre aussi à de très belles remises en question du travail salarié à quoi il oppose le pouvoir de la création. Comme dans Modestes propositions aux grévistes, il milite pour la gratuité, notamment de tout ce qui relève du bien public (la santé, l’éducation, le logement, les transports en commun…).

D’aucuns lui reprocheront sans doute de rester totalement cloîtré dans son système utopique mais Vaneigem élude le reproche en s’en prenant à la servitude volontaire et au pouvoir de résignation des individus quand tout indique que la société livrée aux prédateurs et mafieux de l’économie les conduit vers l’abyme.

Néanmoins, s’il fallait quand même faire quelques petites réserves sur Entre le deuil du monde et la joie de vivre, outre son caractère un brin répétitif (finalement, Vaneigem reprend sans arrêt le même livre) ; c’est qu’alors même que l’auteur professe sa méfiance pour l’intellectualisme, il offre en pâture aux lecteurs des termes comme « vie », « vivant », « désir » qui finissent par paraître presque abstraits faute d’une définition précise. Je vois parfaitement ce que peut être la « survie » (l’obligation de se vendre pour un salaire permettant de manger et de se loger en attendant la sortie du bagne en fin de semaine ; sortie qui n’offre d’ailleurs qu’un itinéraire balisé à l’intérieur des plaisirs consommables !) mais qu’elle est cette « vie » que lui oppose Vaneigem ?

Est-ce ce retour à des sociétés de cueillette pour lesquelles il semble avoir de l’affection ? Et en quoi ce retour à la nature paraît plus « désirable » qu’une soirée au cinéma ou même dans un stade de foot ? (je fais exprès de prendre ce dernier exemple car si j’ai horreur du sport, j’ai bien conscience que le désir de certains peut également se nicher de ce côté-là )

Je sais bien que je caricature : Vaneigem ne prône jamais le retour à la nature et la vie en communauté (qui ne me paraît pas plus « authentique » que celle vécue dans le cadre de l’esclavage salarié !) mais les notions qu’il emploie sans arrêt me paraissent presque trop abstraites pour être opératoires (de la même manière, qu’est-ce que cette « création » à laquelle il fait toujours allusion en l’opposant au travail : est-ce des œuvres d’art ? de l’artisanat ? du bricolage ? des découvertes scientifiques ? Et est-ce que tout le monde en est capable ?)

Ces quelques réserves ne doivent pas empêcher de se plonger dans cette pensée fertile qui dresse un constat terriblement juste de l’état de notre monde. Les solutions apportées, même si certaines me paraissent frappées au coin du bon sens (gratuité, fin du travail…), me semblent encore un peu confuses.

Mais n’ayons pas peur de tout réinventer :

« Rien n’est impossible à celui que n’arrête pas l’improbable »…

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vendredi, mai 02, 2008

Bibliothèque idéale n°14 : littératures nordiques

Contes (1835-1872) de Hans Christian Andersen (Le livre de poche. 2006)




Ouf ! Je crus ne jamais venir à bout de ma littérature nordique.

Outre mes nombreuses activités annexes du moment, j’eus beaucoup de mal à dénicher le livre me convenant pour ma bibliothèque idéale. Certains auteurs me sont très chers mais soit les titres proposés figuraient déjà dans ma bibliothèque (Ibsen), soit ils sont introuvables dans ma ville pour les auteurs dont je possède pourtant d’autres œuvres (Hamsun, Strindberg et l’immense Dagerman).

Je me suis donc rabattu sur les fameux contes d’Andersen que je souhaitais lire depuis ma découverte de l’essai de Jack Zipes sur les contes de fées et l’art de la subversion.

Que dire de plus sur ces contes dont certains sont toujours célébrés dans le monde entier et ont été adaptés en films (la petite fille aux allumettes) ou en dessin animé (la petite sirène) ?

Peut-être juste souligner l’intelligence de l’édition établie par Marc Auchet puisqu’elle offre, outre les titres des contes enfantins de renommée internationale (ceux déjà cités mais également Le vilain petit canard, la princesse sur le pois…), un panorama du talent de conteur d’Andersen qui se décline à l’intérieur de récits moins directement écrits pour les plus petits.

Pour ma part, quitte à passer pour un hérétique, je trouve néanmoins que l’ensemble de ces contes est inégal. J’adhère sans réserve aux plus connus (la petite fille aux allumettes reste un sommet d’émotion digne) mais certains m’ont paru assez assommants. Comme les histoires drôles, les plus courts sont souvent les meilleurs et j’avoue avoir baillé en lisant l’interminable Une histoire de dune ou le vent raconte l’histoire de Valdemar Daae et de ses filles.

Entre ces deux extrêmes, tout un panel de contes allant de la délicieuse satire sociale (l’excellent et très drôle Les nouveaux habits de l’empereur) au récit édifiant un brin sulpicien et cucul (Ce que racontait la vieille Johanne) en passant par des historiettes bouleversantes (la très émouvante Une peine de cœur) ou poétiques (les très beaux contes que sont, par exemples Les fleurs de la petite Ida ou Le lutin chez le charcutier).

Contrairement aux grands conteurs « classiques » (Perrault, Grimm), Andersen est issu d’un milieu social modeste. Sa renommée, il ne la doit qu’à son talent d’écrivain et à son travail acharné pour s’extirper de son milieu. A quelques exceptions près, ses contes ne sont pas non plus des réécritures de fables populaires orales mais bel et bien le produit de son imagination. Or l’on constate que la plupart de ses contes font allusion à ses origines modestes et qu’il a sans arrêt développé un complexe lié à son extraction sociale (le conte le plus significatif restant sans aucun doute le vilain petit canard).

Mais comme le souligne Zipes, si Andersen se penche souvent sur les conditions de vie des plus démunis (comment ne pas verser une larme sur le sort de la petite fille aux allumettes ?), il ne remet jamais fondamentalement en question l’ordre social existant. Il peut railler certains défauts des nantis et des gens de pouvoir (les nouveaux habits de l’empereur) ou montrer la grandeur d’individus mal jugés en raison de leurs positions sociales (Elle n’était bonne à rien !, Le jardinier et ses maîtres…) ; il reste néanmoins persuadé que cet ordre des choses est la volonté de Dieu et que chacun peut connaître le bonheur à condition d’être honnête et pieux.

Je caricature à peine tant certains contes débordent d’eau bénite et d’appels à la résignation béate !

Pour l’auteur, malgré la rudesse de l’existence pour une grande partie de la population, il ne fait aucun doute que le bonheur attend ces gens-là dans l’au-delà et qu’il faut prendre son mal en patience puisque c’est la volonté de Dieu !

Position pas très joyeuse mais qu’Andersen dépasse néanmoins en nous invitant à découvrir les individus au-delà des apparences, de voir la grandeur de certaines petites gens dont l’honnêteté et la loyauté valent mieux que l’hypocrisie des nantis.

Le rossignol est peut-être l’un des contes qui illustre le mieux les positions d’Andersen : on y voit à la fois son désir d’être reconnu par les plus grands comme poète, son envie de prouver que brille aussi une flamme incomparable chez les plus modestes (ce rossignol que seuls les enfants avaient remarqué dans un premier temps) mais aussi sa fidélité à l’égard des puissants.

Aucun désir chez lui de bouleverser la hiérarchie sociale mais juste une volonté parfois touchante d’y trouver une petite place et d’en réclamer une pour les plus modestes…

Alors, puisque les affaires reprennent, quels auteurs nordiques placeriez-vous d’urgence dans votre bibliothèque idéale ?

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