La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

samedi, septembre 30, 2006

Pour une contre-histoire surréaliste du maoïsme depuis 1968

Après quelques bafouilles malhabiles sur des livres récents, venons-en aux antiquités (du moins, aux ouvrages ayant plus de 20 ans). Peu de « littérature » dans cette sélection alors c’est par ce domaine que nous allons débuter.

Brand de Henrik Ibsen.

J’étais très curieux de découvrir cette pièce dans la mesure où je me souvenais d’une émission « théâtre » du Masque et la plume ou le très traditionaliste Jacques Nerson s’en était pris violemment à l’œuvre en la qualifiant d’ « intégriste », à mille lieues de « l’amour chrétien et de sa charité ». Encore heureux que la pièce ne soit pas une sinistre bigoterie sulpicienne ! Et c’est un contresens absolu de parler d’intégrisme : si Ibsen prend pour personnage principal un pasteur, il dit clairement que le propos aurait été le même si celui-ci avait été un savant rationaliste. Une fois de plus, le grand dramaturge norvégien exalte l’individu et son absolue liberté. Si Brand n’a pas la force de ce chef-d’œuvre absolu qu’est Un ennemi du peuple, on y trouve quelques très beaux passages pas inutiles à méditer à l’heure où règne le plus plat des conformismes moutonniers : « Combien durera la lutte ? Elle durera jusqu’à notre dernier jour, jusqu’au sacrifice suprême, jusqu’à ce que vous soyez libres de compromis, maîtres de votre volontiers entière et que vous n’hésitiez plus lâchement devant cet ordre : tout ou rien ! »

Bêtes et gens qui s’aimèrent (1920) de Claude Farrère (Ed. Flammarion)

Je continue, au gré de mes pérégrinations chez les libraires d’occasion et autres foires aux livres, à picorer dans l’œuvre de Claude Farrère que l’on retrouve très facilement. Tout ne me tente pas mais j’avais très envie de lire ces Bêtes et gens qui s’aimèrent puisque c’est l’une des nouvelles de ce recueil, sélectionnée par la revue Fascination, qui m’a fait découvrir cet auteur. Les nouvelles sont d’ailleurs ce que je préfère chez Farrère et cette sélection nous offre un joli panorama de son talent dans le registre. Si l’on excepte le récit, un brin longuet, qui ouvre le volume (les amours d’une chatte) ; les autres histoires sont assez délicieuses. Farrère maîtrise parfaitement l’art de la chute (à ce titre, l’intacte vertu, la meilleure de tout le recueil, est une pure merveille) et flirte souvent avec le fantastique. Tournant autour du thème des amours (comme le titre le suggère), Bêtes et gens qui s’aimèrent oscille entre l’humour noir et la tragédie, le vaudeville le plus classique et le bizarre. Pour cette diversité de ton et pour la pureté du style de Farrère, ces nouvelles mériteraient d’être redécouvertes…

***

Mes autres lectures de ces derniers temps furent d’avantage axées vers les essais ou l’histoire. Tout d’abord…

Pour une contre-histoire du cinéma de Francis Lacassin (1972. Ed. 10/18)

Spécialiste de la littérature populaire (on lui doit des ouvrages sur le fantastique, sur Jack London, sur Tarzan…) et co-scénariste sur le Judex de Franju, Francis Lacassin fut également un brillant critique et historien du cinéma. Contrairement à ce que pourrait laisser entendre le titre, nous n’aurons pas affaire ici à une « histoire » (même parallèle) du cinéma bien structurée. Il s’agit en fait d’un recueil des articles publiés par Lacassin dans la revue Cinéma au cours des années 60. L’intérêt du livre est que l’auteur se penche sur des pans oubliés jusqu’alors de l’histoire du cinéma (le serial, le burlesque français, Joé Hammam, le cow-boy français ayant le premier osé tourner des westerns en Camargue !). L’érudition de Lacassin donne au livre toute sa saveur et son travail s’avère assez passionnant. A travers ces articles, on constatera sans difficulté que l’auteur de prédilection de l’historien reste sans conteste Louis Feuillade. D’ou le caractère parfois un peu redondant de certains articles qui redonne des informations déjà données dans un article précédent (c’est la seule réserve que l’on puisse faire). D’où aussi le côté un peu étonnant de cette notion de « contre-histoire » puisque Feuillade est aujourd’hui, à juste titre, un cinéaste reconnu et souvent célébré. Gageons que Lacassin n’est pas pour rien dans cette redécouverte et cette réhabilitation…

Histoire du surréalisme de Maurice Nadeau

L’histoire que nous propose Maurice Nadeau d’un des mouvements les plus passionnants et les plus marquants de l’histoire du 20ème siècle est à la fois très orthodoxe et captivante. Orthodoxe parce qu’on n’y trouvera pas de grandes révélations ni de faits qui ne soient déjà très connus (Dada et les origines du surréalisme, les grands scandales du groupe –le procès Barrès, le pamphlet Un cadavre publié à la mort d’Anatole France…- , les divergences dans le groupe et les exclusions…). Breton et Aragon se taillent la part du lion et Nadeau passe un peu rapidement (parce que ce n’est pas son propos) sur le rôle des immenses Péret et Crevel et sur les dissidents (le groupe du Grand jeu). De sorte qu’on peut préférer à cette histoire classique le superbe essai de Raoul Vaneigem (sous le pseudonyme de Jules-François Dupuis) intitulé Histoire désinvolte du surréalisme. Ces réserves faites, le livre est passionnant. D’une part, parce que le surréalisme est un mouvement artistique et politique totalement renversant. D’autre part, parce que Nadeau a le talent de ne pas figer le mouvement dans le passé ni d’en faire une relique du passé, un objet d’étude pour conservateur de musée. Il capte surtout le formidable élan vital du surréalisme et précise avec justesse (dans la très belle introduction) que le surréalisme doit être « surmonté et dépassé par ses continuateurs ». C’est à cette exigence dialectique que s’emploieront, dans les années 50, les lettristes puis (surtout), l’internationale situationniste…

Catalogue du prêt à penser français depuis 1968 de Serge Quadruppani (1983. Ed. Balland)

Peut-être le livre où il y a plus à dire mais j’essaierai d’être concis. Quadruppani, qui se distinguera ensuite dans la série noire, est un enfant de Mai 68, un révolté nourri par les idées de l’extrême gauche, des situationnistes et des grands libertaires. Avec cet essai, il prend violemment à parti les intellectuels français qui, pour paraphraser Guy Hocquenghem, sont passés « du col Mao au Rotary » (le pamphlet de ce dernier, publié chez Albin Michel, est à lire toutes affaires cessantes !). Lui qui n’a jamais été dupe des « gnôleries » [Pouget] maoïstes ou staliniennes pointe avec lucidité l’attitude de gens comme Sollers qui découvre soudain l’horreur des régimes dits communistes pour se rallier sans vergogne aux pires ignominies du capitalisme. La cible principale de Quadruppani reste surtout ce que l’on a appelé la « nouvelle philosophie » (le pire, c’est que les ignobles épluchures dénoncées, que ce soit BHL ou Glucksmann, occupent toujours le devant de la scène !), experte en « coups médiatiques » et en falsifications historiques.
Il s’en prend ensuite à la « nouvelle droite » (l’épisode est moins convaincant dans la mesure où l’on a totalement oublié les Pauwels et les Alain de Benoist !) et dénonce la manière dont ses ténors abusent de thèses pseudo-scientifiques pour ressasser des horreurs du passé (sur la prétendue « inégalité des races », par exemple).
Puis arrive la page 283 et là, nous marchons sur des œufs puisque Quadruppani aborde « l’affaire Faurisson ». On se souvient alors de la polémique qui a opposé il y a peu l’auteur à Didier Daeninckx, ce dernier l’ayant accusé d’être un révisionniste. On sait aussi que les milieux d’extrême gauche furent, paradoxalement, les premiers promoteurs des thèses de Faurisson (c’est la librairie « La vieille taupe » qui l’a publié et qui a réédité les textes de Rassinier). Cependant, il faut bien prendre garde à distinguer deux attitudes : d’un côté, celle adoptée par Pierre Guillaume et Serge Thion, à savoir un ralliement total aux ignobles thèses négationnistes ; de l’autre, celle qui consiste à défendre Faurisson sur le principe de la liberté d’expression sans pour autant cautionner son délire. C’est cette option que choisit, à l’instar de Noam Chomsky, Serge Quadruppani. Jamais l’auteur ne souscrit aux thèses de Faurisson (qu’il trouve « antipathique » et dont il évoque souvent le « délire ») mais il s’étonne également des tempêtes qu’il a déclenchées et de la censure qui l’accable. Sans jamais remettre en question le génocide (que ce soit clair ! Je n’aurais jamais cautionner le livre sinon !) , Quadruppani s’interroge sur sa « sacralisation » à l’époque où les « démocraties » occidentales justifient, au nom de la Shoah, les pires assassinats de Begin et Sharon. Pour schématiser de manière très rapide (je ne devrais peut-être pas, sur un sujet aussi complexe et épineux), Quadruppani réfute l’idée de « guerre juste » et s’insurge sur le fait que certains morts aient droit à plus de considérations que d’autres. « L’affaire Faurisson » est ici évoquée de biais et permet de prolonger le propos général du livre qui pourrait se résumer par cette citation très juste : « L’obligation de choisir entre la barbarie du capitalisme d’état et celle du capitalisme de marché, c’est cela le totalitarisme de notre temps ». Bref, si vous n’adhérez pas au merveilleux modèle occidental des démocraties capitalistes, vous êtes au choix, un stalinien, un nazi ou un terroriste. Malheureusement, les pourritures intellectuelles de notre époque sont toujours là pour nous rabâcher de telles calembredaines et pour empêcher toute critique globale…

Les habits neufs du président Mao de Simon Leys.

Pas besoin de s’attarder sur cet implacable et formidable témoignage du plus grand historien de la Chine contemporaine. Après un résumé pas inutile de la vie politique chinoise depuis le « grand bond en avant », Leys dresse une chronique, mois par mois, de la « Révolution culturelle » chinoise de 1967 à 1969. Jamais on aura décrit avec tant de vérité la décrépitude d’un régime totalitaire ignoble. La Chine de Mao et sa valse d’épurations et de réhabilitations des cadres, c’est Ubu Roi ! Le plus effrayant, c’est que ce livre a été publié en 1971 en France (aux éditions Champ libre, forcément) et que cela n’a pas empêché bon nombre d’intellectuels de rester fidèles au maoïsme (coucou La cause du peuple !) On rejoint alors la thèse de Quadruppani : l’horreur totalitaire, que ce soit en URSS ou en Chine, a souvent été dénoncée par les véritables révolutionnaires (on se souvient de l’article de Debord intitulé Le point d’explosion de l’idéologie en Chine, publié dès 1967 dans l’internationale situationniste) et ce sont pourtant les anciens Maos (style Sollers) qui vont soudain découvrir cette horreur pour adhérer sans réserve à l’idéologie capitaliste et accuser ceux qui ne les suivent pas d’être des suppôts des totalitarismes ! La dialectique prend parfois des chemins sinueux !
La force de Simon Leys, c’est de n’avoir jamais pris les vessies pour des lanternes (le régime maoïste pour un régime révolutionnaire) sans pour autant tirer des conclusions hâtives sur l’impossibilité de tout changement (à la différence des dissidents pleurnichards à la Soljenitsyne). Un livre indispensable…

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dimanche, septembre 24, 2006

Notulettes et friandises

Ayant accumulé un certain retard, me voilà reparti dans mes séries de notules consacrées à mes lectures. Pour cette fois, je vous parlerai d’ouvrages plus ou moins récents. Les « vieilleries » feront l’objet d’une note ultérieure (si le courage ne me manque pas !)

Givrée d’Alain Monnier. Flammarion. 2006

Sans doute le meilleur roman de cette sélection du jour. Une couverture très « pop » qui donne d’emblée envie d’ouvrir ce livre dont le point de départ repose sur une simple panne de frigidaire. Ce contretemps va provoquer une réaction en chaîne dans la vie de l’héroïne Marie que je me garderais bien de révéler ici. Il n’est pas rare de trouver des livres drôles mais Givrée se singularise par le fait qu’il repose entièrement sur un comique d’accumulation. Une petite panne et la boule de neige devient avalanche en bouleversant la vie des personnages. Même si la fin me paraît un poil décevante, ce roman désopilant a, en outre, le mérite d’offrir au passage quelques notations très justes sur l’époque et son délire consumériste, sur la glaciation des sentiments et la solitude contemporaine. Une très belle découverte.

99 francs de Frédéric Beigbeder. Grasset. 2000

On sait qu’en France le succès est toujours suspect. Face à ce best-seller, il fut alors de bon ton de réduire Beigbeder à son rôle de bouffon télévisuel et d’accuser l’histrion de cracher dans la soupe (ce qui est très mal élevé dans un pays où l’on ne donne la parole qu’aux laquais bien dressés !). Malgré cela, 99 francs reste un livre assez décapant qui dresse un tableau très juste de l’univers répugnant de la publicité. Cette satire au vitriol du mercantilisme, du cynisme du milieu de l’entreprise et des « créatifs » fait souvent mouche et provoque un rire très jaune. Au-delà de la verve pamphlétaire de l’œuvre, Beigbeder fait montre d’un certain talent littéraire en charpentant son récit de manière très habile (cette façon de changer de pronom personnel sujet, de la première personne du singulier à la troisième du pluriel, en passant d’une partie à une autre) et en utilisant une écriture très vivante. Certes, nous ne sommes pas au niveau du constat glacial et cynique d’American psycho de Bret Easton Ellis et Beigbeder, plus politiquement correct que Houellebecq, ne possède pas encore la personnalité de ce dernier. Ses 99 francs méritent néanmoins le coup d’œil…

L’empreinte du renard de Moussa Konaté. Fayard. 2006

Un petit polar pour changer. Ce roman qui narre les aventures d’un vieux commissaire et de son second enquêtant sur des meurtres mystérieux survenus dans une petite bourgade reculée ne bouleversera sans doute pas les lois du genre mais ce classicisme (dosage habile de suspense et d’une bonne louchée d’humour) s’avère toujours aussi séduisant. De plus, la particularité de ce livre est de se situer au Mali et plus précisément au cœur d’une tribu Dogon. En introduisant dans cette enquête policière un peu des traditions ancestrales et magiques de ce peuple Dogon, l’auteur (malien lui-aussi !) titille notre curiosité pour les cultures lointaines et un certain exotisme. Sans doute pas un chef-d’œuvre mais un bon roman de genre qui se déguste d’un trait avec un réel plaisir.

Invisibles de Frédéric Boudet. L’olivier. 2006

Sauf erreur, c’est le premier livre de Frédéric Boudet qui nous offre ici un recueil de nouvelles. Le récit qui ouvre ledit recueil (un petit garçon plus ou moins autiste que ses parents tentent de guérir en l’emmenant faire du planeur) ne m’a pas paru très convaincant. Puis, ça s’améliore et l’auteur, au fil de ses nouvelles, fait preuve d’une véritable sensibilité qui éclate à travers une écriture sobre et pudique. J’allais dire que c’est le genre qui veut que ce type d’entreprise soit inégal (au gré de chacun de choisir la nouvelle qui lui plait le plus) mais Invisibles s’avère finalement assez homogène, brodant d’infimes variations autour des mêmes thèmes (le temps qui passe, l’érosion des sentiments et des croyances, les relations filiales…) avec une jolie délicatesse. Comme le veut la formule consacrée, ce livre touchant fait de Frédéric Boudet un auteur à suivre de près…

Eldorado de Laurent Gaudé. Actes Sud. 2006

Que choisir ? D’un côté, un jeune auteur désormais reconnu et célébré (son précédent roman a obtenu rien de moins que le prix Goncourt), de l’autre, les critiques du Masque et la plume qui ont littéralement assassiné son dernier roman (du moins, trois des quatre intervenants). La vérité est sans doute entre les deux. Ça serait mentir de dire qu’Eldorado n’est pas de la belle ouvrage : une histoire forte (l’auteur suit les destins croisés d’un capitaine chargé d’intercepter, au large des cotes siciliennes, les bateaux chargés d’immigrés clandestins et de deux frères africains tentant pour leur part d’émigrer en Europe), une écriture sobre et retenue qui sait ménager les zones d’ombre (ce personnage de femme décidée à accomplir sa vengeance et dont on ne connaîtra pas la destinée) et une volonté d’embrasser des problèmes très contemporains (l’immigration clandestine, le rôle des passeurs, l’exploitation de la misère humaine…). Malgré toutes ces qualités mentionnées, le livre ne m’a pas véritablement emballé. J’y vois la copie d’un élève studieux et très appliqué mais je ne sens aucune urgence ni souffle lyrique dans le style de Gaudé. Tout est calibré pour plaire (un « grand » sujet, une manière de se cantonner dans les limites du « bon goût » et de la plus plate des modérations –au-delà de la petite larme humaniste, on aura du mal à appréhender le point de vue de l’auteur sur son sujet-) et sent plus, à mon sens, le labeur de l’artisan que l’inspiration de l’artiste. De là à trouver le livre totalement nul et méprisable, il y a un grand pas que je ne franchirais pas et qui me semble relever de la plus flagrante injustice.

La fugue de Valérie Sigward. Fayard. 2006

Très court roman (une centaine de pages) qui narre les états d’âme d’un jeune adolescent dont le frère s’est suicidé et qui, de ce fait, n’a plus le sentiment d’exister aux yeux de ses parents et projettent de fuguer. Le résultat est plutôt touchant, l’auteur faisant preuve d’une réelle habileté pour nous émouvoir sans se vautrer dans la sensiblerie. Les portraits d’adolescents sont plutôt pas mal mais l’ensemble manque un peu de souffle et d’ampleur. Pour qui conserve une curiosité plus que légitime pour la « littérature jeunesse », La fugue se révèlera plutôt convenu (il me semblait avoir lu ce livre cent fois !) et n’aurait d’ailleurs pas dépareillé dans une de ces collections « jeunesse » qui prolifèrent actuellement…

Une odyssée de Julien Bouissoux. L’olivier. 2006

Imaginez que vous rencontriez un renne en centre-ville de Besançon. Et bien c’est ce de ce postulat que part Bouissoux pour bâtir son court roman qui fuit comme la peste le réalisme pour se lover au cœur de la plus pure fantaisie. Malheureusement, cela ne fonctionne pas du tout. Mis à part une ou deux bonnes idées (le regard assassin de la foule sur la complicité d’un adulte avec une enfant), le style loufoque du livre paraît totalement artificiel et n’arrache que très rarement quelques sourires. Quant à l’écriture, elle ne parvient pas à donner corps à cette épopée aux confins de l’absurde et reste d’une désespérante platitude. Aucun intérêt et plutôt ennuyeux.

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samedi, septembre 23, 2006

La victoire des moulins à vent

En attendant le roi du monde (2006) d’Olivier Maulin. Ed. L’esprit des péninsules

Depuis que la société spectaculaire marchande et la dictature du marché et de l’économie sont parvenues à asservir tous les domaines de la vie sociale, il ne semble plus exister aucune issue de secours. La révolte ? Pff ! Démodée. Reste la fuite en avant. C’est cette option que choisissent Ana et Romain lorsqu’ils décident d’émigrer à Lisbonne. Sous le regard sceptique de Romain, cette dernière lui explique que le Portugal est le pays de l’avenir et qu’ils trouveront là-bas du travail et de quoi bâtir leur vie.
Nous voilà donc lancés sur les traces de ce couple qui trouve refuge dans une pension occupée par une galerie de personnages haut en couleur. Nous suivrons ensuite les pérégrinations de ces deux émigrants qui n’ont plus rien des conquérants d’antan et dont l’épopée ne cessera de conserver l’allure dérisoire de ses débuts.

En commençant ce livre, j’ai réalisé qu’il était édité par la maison qui a publié il y a quelques années La littérature sans estomac de Jourde et Naulleau. Par association, je me suis dit que nous étions ici face à de la littérature avec estomac, un premier roman révélant un auteur au style déjà affirmé. Toutes proportions gardées, les premiers chapitres évoquant le voyage en bus de Paris à Lisbonne m’ont fait songer à Céline. Même ambiance apocalypto-burlesque, même regard sans concession sur une humanité à la fois méprisable mais digne de compassion. Le narrateur se trouve placé derrière une portugaise à l’odeur infecte et nous voilà plongés dans l’atmosphère du bus où tous les vieux lorgnent sur le décolleté vertigineux d’Ana tandis que Romain tente tant bien que mal d’oublier les effluves de parfum de sa voisine qui se mêlent aux odeurs de crasse et de vomi.

Le ton est donné : En attendant le roi du monde sera un livre virulent et burlesque (on rit vraiment très souvent), d’un lyrisme dérisoire tant ses personnages ne cesseront en vain de chercher à s’évader du marasme contemporain.
Après avoir campé avec beaucoup de talent l’installation du couple dans la pension lusitanienne (je recommande les cours de langue que prend Romain !), Maulin fait apparaître un personnage de grutier exalté au nom significatif : Lucien Pontifex. Comme Romain, Lucien ne croit plus en rien mais son nihilisme le pousse à la plus intransigeante des révoltes et l’emporte vers des rêves de croisades. « Ce monde est à détruire, croyez-moi. On y voue un culte sans limites à la bassesse d’âme et à l’uniforme du maillot de bain. Plus c’est veule, plus c’est dégoûtant, plus c’est commun et plus l’homme, telle la truie dans son fumier, se délecte de ses propres puanteurs » ; voilà le type même de discours qu’il tient. A partir du moment où surgit ce personnage pittoresque, le livre évoque (toujours toutes proportions gardées !) le chef-d’œuvre de John Kennedy Toole La conjuration des imbéciles. Il y a alors du Don Quichotte chez ces personnages bien décidés à en découdre avec ce « monde de l’erreur complète » [William Blake] alors que leur seule évasion consiste à consommer des substances illicites (ce qui nous vaudra quelques scènes oniriques un peu moins réussies même si l’on sourit d’apprendre de quelle manière George Bush a avalé de travers son bretzel. Malheureusement, ce type est tellement con qu’il a réussi à se louper !).

A travers cette épopée dérisoire, Olivier Maulin montre assez bien le désarroi d’une époque où ne reste plus en place que les moulins à vent et où l’attaque frontale contre le monde semble désormais inenvisageable (le dernier assaut de 68 s’étant soldé par un échec). Le livre est assez désabusé mais pas désespéré, plein de punch et de vitalité, écrit d’une manière féroce et drôle. Il est en tout cas très prometteur et annonce sans aucun doute la naissance d’un véritable écrivain.

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mardi, septembre 19, 2006

Ca commence aujourd'hui

Présent ? (2006) de Jeanne Benameur. Ed. Denoël

Jeanne Benameur, d’avantage connue pour ses livres « jeunesse », a été professeur de lettres et on le sent d’emblée dans ce court récit se déroulant dans le cadre d’un collège de banlieue. Nous sommes à la veille d’un conseil de classe de 3ème, moment décisif puisque vont être décidées les orientations des élèves et, d’une certaine manière, leurs avenirs. La principale s’inquiète de petites dégradations au sein de l’établissement tandis que la jeune prof de SVT déprime chez elle.
Je n’en dirai pas plus sinon que l’auteur va multiplier les personnages (du factotum à la principale en passant par divers professeurs, la documentaliste, quelques élèves), nous proposer un portrait en coupe d’un établissement « difficile » et en profiter pour livrer ses réflexions sur l’état de l’éducation nationale aujourd’hui.

Benameur pense bien (pense t-elle juste ? C’est un autre débat ! Personnellement, sur l’école, je renverrais plus volontiers à l’excellent Avertissement aux écoliers et lycéens de Raoul Vaneigem (Ed. Mille et une nuits).), les conclusions vers lesquelles elle tend sont difficilement réfutables (les conditions de travail de plus en plus dures des professeurs, les restrictions budgétaires qui précipitent les catastrophes et accentuent les inégalités, les classes surchargées qui empêchent l’individualisation de l’enseignement, le diktat des programmes et des notes qui nivelle les talents et n’aboutit qu’à une sélection d’enfants formatés par le savoir scolaire…) mais la question que l’on se pose en refermant le livre est celle-ci : tout cela méritait-il un roman ?

Franchement, ce n’est pas désagréable à lire mais ça ne me paraît pas relever de la littérature (à la limite, c’est un traité sociologique). Je n’ai pas lu Entre les murs de Bégaudeau mais quoiqu’on puisse en penser, il me semble que l’auteur a au moins le mérite d’adopter un parti-pris formel fort. Présent ? me semble dépourvu d’enjeux stylistiques. Benameur ne construit pas des personnages mais des stéréotypes illustrant les idées qu’elle porte sur l’école.
Les mutations des jeunes parachutés sans expérience dans les établissements les plus durs, loin de leurs familles et de leurs amis, sont un problème ? Voilà la jeune prof de SVT qui déprime en banlieue parisienne et qui se montre incapable d’enseigner, de faire preuve d’autorité.
Quel enseignement privilégier ? Le débat est toujours focalisé entre ceux qui optent pour la transmission académique des savoirs et ceux qui rêvent d’une école encourageant les vocations et les talents. Voilà donc d’un côté la prof d’Espagnol psychorigide, obnubilée par les notes et qui ne se soucie que de ceux qui réussissent et, de l’autre, le prof de français qui soudain décide de faire ce qui lui plait et de lire un extrait de livre à ses élèves. Ou encore la documentaliste qui propose des ateliers d’écriture et se fait le chantre d’une autre pédagogie (sans note).
Côté élèves, c’est la même chose. Benameur choisit à dessein deux cas particuliers (l’élève brutale qui ne possède pas les mots pour exprimer sa violence et qui soudain se reconnaît dans un texte de Kafka ; la jeune fille introvertie dont l’unique talent est le dessin) pour illustrer ses thèses. C’est très généreux mais c’est du Tavernier. Il n’y a que des idées, des stéréotypes et jamais on ne sent le moindre souffle de vie.
Même si elle fait mine de polir certains aspects de leurs personnalités, les personnages restent caricaturaux et représentent soit le mauvais côté de l’éducation selon Benameur (la prof d’espagnol, le parent d’élève anti-fonctionnaires et adepte de l’apprentissage…), soit les bons (la documentaliste, le prof de français, le conseiller d’orientation). Il n’y a pas une ligne de ce livre où l’on sente autre chose que l’illustration d’une thèse.
Le summum du « politiquement correct » arrive lors d’un épilogue artificiel et plaqué où ressurgissent les souvenirs des émeutes en banlieue de l’an passé (histoire de dire que les évènements décrits auparavant étaient prophétiques).

Tout cela fait que ce livre ne m’a procuré aucune émotion et m’est apparu comme assez décevant.

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lundi, septembre 18, 2006

Cible émouvante

Comment va la douleur ? (2006) de Pascal Garnier. Ed : Zulma

Un conseil si vous décidez de vous plonger dans ce livre, évitez de lire son résumé sur la deuxième de couverture. Je sais bien qu’une œuvre d’art (que ce soit la littérature ou le cinéma) ne se limite pas à son « sujet », à son « histoire » mais je trouve dommage aussi de révéler un élément primordial du roman alors que l’auteur cherche dans un premier temps à le dissimuler par une construction dramatique très habile et d’emblée intrigante.
Pour rester très simple, nous dirons que le récit repose sur la rencontre de deux hommes. Le plus jeune, Bernard, est d’une naïveté confondante et sa vie se résume à gagner un peu d’argent pour aider sa vieille mère alcoolique. Dans une ville d’eau, il fait la connaissance de Simon, vieil homme mystérieux qui va l’engager comme chauffeur.
Pascal Garnier va alors nous conter l’épopée dérisoire de ces deux hommes que tout oppose. Il le fait avec beaucoup d’humour, d’ironie et de tendresse désenchantée.
Les premiers chapitres du livre correspondent en fait à la fin du roman, à ce moment où Simon demande à Bernard de lui rendre un dernier service. La narration prendra ensuite ce courant à l’envers pour remonter aux origines de ce couple bien singulier.

D’un abord modeste, ce court roman (un tout petit peu plus de 200 pages) dit des choses très justes sur un certain désenchantement du monde, sur la vacuité d’existences vouées à la souffrance (sans insister vraiment là-dessus, Garnier nous fait comprendre que Simon est atteint d’une maladie grave), la solitude (la mère de Bernard, le personnage de Rose) et au néant (à quoi se résument nos vies si ce n’est à une somme de ratage ?). Mais contrairement à ce que ces lignes pourraient faire penser, le roman n’a rien de sinistre ou de désespéré. Garnier fait preuve d’un véritable talent pour l’humour noir et le cynisme vachard (comme Swift, il préconise que les pauvres mangent leur progéniture pour échapper à la misère et ne pas la transmettre !). Et le personnage de Bernard, avec son indécrottable optimisme malgré les coups qu’il prend (il a perdu deux doigts en travaillant à l’usine), donne au livre une espèce de rayonnement, comme la lueur d’un espoir.

Sur leur route, les deux hommes font la connaissance de Fiona, jeune fille-mère qui traîne Violette, sa fille en bas-âge. Ces deux personnages deviennent à la fois les boulets de Simon (qui n’en a vraiment pas besoin pour la besogne qu’il doit accomplir) et la promesse d’une famille pour Bernard qui n’en a jamais eu vraiment. Le livre oscille alors entre un burlesque de situation (voir l’épisode de la confrontation entre Simon et le père de Violette), un anti-romantisme assez dérisoire (les liens qui se tissent entre Fiona et Bernard) et une vision assez noire d’une humanité condamnée à reproduire les mêmes schémas sociaux. (Fiona est une enfant de la DDASS et elle a fait son bébé avec le premier venu).

Comment va la douleur ? séduit à la fois par son ton mais également par cette manière de faire exister les personnages par petites touches, en leur offrant à tous une véritable existence qui permet d’échapper aux stéréotypes et à la caricature. D’un autre côté, l’auteur n’insiste pas lourdement et ne se perd pas en de longues considérations psychologiques. Quelques réminiscences du passé, quelques traits dessinés finement et voilà les personnages restitués dans leur complexité. Leurs actes et leurs états d’âme nous amusent autant qu’ils nous touchent.

Je découvre Pascal Garnier grâce à ce livre, qui n’est sans doute pas le chef-d’œuvre du siècle mais qui mérite le coup d’œil et qui donne envie de découvrir les précédentes œuvre d’un auteur qu’on devine attachant.

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