La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

jeudi, mars 30, 2006

A l'aise, Thomas...

Des deux concerts que j’avais vu jusqu’à présent de Thomas Fersen, je gardais des sentiments ambivalents. Premier souvenir : le concert à la Cigale qui donna lieu à l’édition d’un CD et d’un DVD (la cigale des grands jours). C’est l’un des plus beaux souvenirs de concert qu’il me reste : une ambiance formidable, un public reprenant en chœur les paroles des chansons, un chanteur heureux d’être là, accompagné par ses épatants musiciens et pour ne rien gâcher, la première partie était assurée par l’excellente Jeanne Cherhal.
Deuxième souvenir : le même spectacle mais donné dans ma petite ville provinciale et bourgeoise. Une salle cossue avec uniquement des places assises, un public d’abonnés de saisons culturelles donnèrent lieu à un concert décevant, non pas du côté du chanteur (qui se révéla toujours généreux même s’il sucra quelques morceaux joués lors de sa prestation parisienne) mais de ce public terne qui plomba l’ambiance.

Cette fois, la ville n’a pas changé mais la salle si. Un Zénith neuf, beaucoup de monde assis mais également un parterre assez jeune venu acclamer celui que je considère comme le meilleur chanteur français du moment. Tout est réjouissant chez Fersen : son écriture à nulle autre pareille, la singularité de son univers poétique et la richesse de ses images, ses arrangements musicaux à la fois sophistiqués (on se souvient de sa mémorable collaboration avec Joseph Racaille) et bricolés (entre la formation rock classique guitare, basse, batterie et morceaux faisant intervenir tout type d’instruments, du ukulélé à l’accordéon en passant par le violon et l’harmonica). Bref, même si je ne tiens pas son dernier album, le pavillon des fous, comme ce qu’il a fait de mieux (disons que c’est un CD qui recèle à la fois une des plus belles chansons qu'il ait écrite –Pégase- et des morceaux un peu plus ronronnants –les dernières plages de l’album en particulier), j’avais hâte de revoir le bonhomme sur scène.

Après un premier morceau (Cosmos) joué derrière un rideau, le voilà qui se présente sur scène habillé d’un pantalon à carreaux noirs et blanc, d’une chemise zébrée dans les mêmes valeurs et coiffé d’un chapeau melon. Un look un peu semblable à celui d’Alex dans Orange mécanique ! Le public est conquis dès le premier morceau et la « sauce » prend assez rapidement. Même si la salle est largement moins pleine qu’à Cali ou Louise Attaque, l’ambiance est vite assez chaleureuse (avec le désormais traditionnel « ban bourguignon » que les musiciens du chanteur tentèrent d’accompagner à la basse et à la guitare tandis que lui tournait une petite caméra vers le public) et la réussite du concert totale.

Pour qui a vu son avant-dernière tournée, le spectacle ne surprendra pas beaucoup puisque Fersen reprend en gros les chansons qu’il avait déjà joué (auquel il ajoute, bien entendu, les morceaux du dernier album). Pour un fan de ses tous premiers CD, c’est presque un peu frustrant puisque de ses trois premiers disques ne subsiste désormais plus que l’inusable Bucéphale. Ajoutez à cela trois « tubes » du merveilleux album 4 (Dugenou, Monsieur et l’increvable Chauve-souris) et il vous reste ensuite un concert essentiellement axé autour des deux dernières galettes du maître. Nul ne songerait à s’en plaindre mais nous n’aurions rien contre un concert durant deux fois plus longtemps où le chanteur reprendrait ses anciens titres.

En parlant de durée, une petite frayeur nous saisit lorsqu’au bout d’une heure, Fersen quitta déjà la scène et laissa la pause réglementaire du rappel. Allait-il se contenter d’un service minimum d’une heure et demie ? (le pire que j’ai vu restant Miossec se barrant après à peine plus d’une heure de concert !) Fausse alerte, le rappel n’aura été qu’un entre-acte marquant la fin (ou presque) des morceaux du Pavillon des fous avant d’ embrayer sur une seconde moitié aussi longue (deux heures de spectacle au bout du compte) où nous eûmes droit aux titres de Pièce montée des grands jours (le chat botté, Saint-Jean du doigt ou encore la chanson éponyme du titre de l’album).
Au bout du compte, une bien belle soirée…

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vendredi, mars 24, 2006

Nous nous sommes tant aimés (et ce n'est pas fini!)

Le premier album de Louise Attaque (sorti en 1997) eut une importance considérable pour moi. Trop jeune (et surtout campagnard) pour véritablement profiter de la scène indépendante de la fin des années 80 et du début des années 90 (les Béruriers Noirs, la Mano Negra et même Noir Désir), j’eus enfin le sentiment de l’arrivée d’une nouvelle vague de groupes rodés par les concerts correspondant parfaitement à mon désir de trouver enfin une alternative à la variétoche la plus naze et aux ancêtres du rock classique. Il y aura par la suite les Têtes raides, la tordue, les ogres de barback mais les premiers qui me transportèrent furent Louise attaque.
Un tube sur lequel je m’éclate toujours autant à n’importe quel mariage (je t’emmène au vent), un premier album excellent, plein d’entrain et d’énergie avec ses airs vous trottant dans la tête dès la première écoute.
Succès oblige, le groupe enregistra dans la foulée de son triomphe un deuxième album démarquant sans génie le premier (même s’il est assez décevant, je l’ai réécouté depuis quelques temps et force est de constater qu’il vieillit plutôt pas mal) et un premier rendez-vous manqué lorsque je les découvris sur scène en mars 2000. Je pense vraiment les avoir vus au mauvais moment et cela donna lieu à un concert pas nul mais un peu morne, le groupe se contentant de jouer leur deuxième album sans originalité et nous sevrant même du fameux « tube » que j’évoquais plus haut. Je me souviens même des lumières de la salle qui se rallumèrent pendant que les musiciens terminaient un dernier morceau instrumental.
Déception. La suite est connue : dissolution du groupe, l’aventure de Tarmac (que je n’ai pas suivi du tout) et l’annonce des retrouvailles l’an dernier avec la sortie d’un troisième album totalement convainquant où le groupe, sans renier son style d’antan, affichait une vraie maturité.

Hier soir était donc le jour des retrouvailles six ans après. Je les attendais avec excitation mais aussi une certaine appréhension (le goût amer du premier concert).
Louise attaque débute par cette chanson en guise de question symbolique : Est-ce que tu m’aimes encore ? Deux heures plus tard, la réponse est définitivement oui. Devant une salle bondée, le groupe a comblé mes espérances et s’est montré à la hauteur de ce que j’attendais d’eux. Exit le deuxième album (seuls trois morceaux ont été joués, dont le plus connu la plume), retour au source du premier (10 sur 14 quand même ! dont tous les airs qui ont fait la célébrité du groupe : d’Amours à Léa en passant par les nuits parisiennes, ton invitation et je t’emmène au vent) et une interprétation énergique de leur dernier CD (une version plus « rock » de Si l’on marchait jusqu’à demain et un tricotage sympa entre l’ancestral Vous avez l’heure ? et l’excellent Nos sourires).

Contrairement à des gens comme Mathias Malzieu, Cali ou Bénabar ; Gaëtan Roussel (le chanteur) n’est pas une « bête de scène ». Plutôt réservé et timide (ce sont ses musiciens qui demandent au public assis au fond du Zénith de se lever sur Savoir), il communique difficilement avec la foule et manque un peu de charisme. Néanmoins, il compense ce (très) léger défaut (on n’est quand même pas au niveau des sinistres Murat ou Miossec !) par une énergie musicale rare. Les morceaux s’enchaînent rapidement, sont choisis avec justesse (classiquement, les très rapides succèdent aux plus intimistes) et emballent immédiatement une foule en liesse. Seul petit bémol : une orchestration un peu moyenne de la (belle) chanson Sean Penn, Mitchum.

Beaucoup d’ambiance, donc. Un cocktail explosif des airs que j’ai tant aimé et de ceux découverts l’an dernier et des musiciens au meilleure de leur forme (avec ce violon si exaltant qui fait toute la personnalité du groupe).
Un retour en grâce mille fois mérité !

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lundi, mars 20, 2006

Temps suspendu


Certains albums vous transportent et vous convainquent dès la première écoute tandis que d’autres ne se donnent pas immédiatement et c’est à mesure que s’habitue l’oreille qu’ils dévoilent leur charme entêtant. Temps suspendu, le dernier album des Hurlements d’Léo fait partie de cette deuxième catégorie. En rompant avec un certain train-train du rock guinguette, éthylico-festif dont ils furent les précurseurs, le groupe nous oblige à revoir nos habitudes en dessinant de nouveaux motifs autour d’une ligne qui reste néanmoins la leur.
Quatre albums studio, un album live auxquels on peut ajouter la belle aventure d’Un air, deux familles (une tournée en commun avec les Ogres de barback et un album live tiré de l’expérience) et un mini-CD très réussi réalisé en compagnie des cousins allemands de 17 Hippies ; les HDL pourraient faire figure de fer de lance de cette nouvelle scène française néo-réaliste, mêlant la complainte de l’accordéon à des rythmes slaves et manouches.

Sauf que le groupe a beaucoup tourné à travers le monde (des Etats-Unis à la Russie en passant par l’Australie) et qu’il semble désormais vouloir s’ouvrir à toutes sources d’inspiration, à s’imprégner de nouvelles images (qu’on se souvienne de la très belle chanson Kaléidoscope dans leur précédent album). Et c’est cet éclectisme qui frappe à l’écoute de Temps suspendu. Dès la deuxième plage, on est surpris d’entendre un morceau hommage à Gainsbourg (I’m a freak) et, dès lors, on ne cessera de naviguer entre des styles différents.
Cela ira de la superbe ballade il, où la voix éraillée et douloureuse de R1 Wallace fait merveille au rock un peu primaire avec ses riffs violents de guitare électrique de Mon spectacle débile (où le chanteur est moins convainquant). Entre temps, il y aura eu le swing jazzy des tigres et des panthères, des cordes orientalisantes sur Bulle et Toujours, un peu de reggae (Icone.com) et de ska (un viatique qui fait penser à la Ruda).

Paradoxalement, ce mélange ne nuit pas à l’unité de l’album qui n’est peut-être pas le plus directement séduisant du groupe (ne surnagent pas des « tubes » comme le café des jours heureux ou Louise) mais témoigne d’une évolution intéressante. On quitte un peu l’ambiance des bas-quartiers et des bistrots cradingues pour une chanson plus imagée, qui sait prendre son temps. Parfois, cette chanson se fait engagée pour dénoncer les trafics internationaux (I’m a freak) ou pour botter le cul des chanteurs bien-pensants des Restos du cœur.
Cela ne va pas très loin mais entendre :
« Vivement dimanche
De l’audience, c’est Byzance
Le propos est rance
Les play-back pas soignés
Des beaux sentiments
La photo des enfants
Des bouches pleines de dents
Sous vos applaudissements
Nous faire oublier
Les enfoirés qu’ils étaient
Enfoirés d’un jour
Enfoirés pour toujours » ; ça fait toujours plaisir. (Et l’allusion à cette buse de Pagny est fort bien vue).

Textes élégants, des rythmes qui finissent par trotter dans la tête : Temps suspendu mérite le détour. D’autant plus que les HDL, qui prennent toute leur ampleur sur scène entament une nouvelle tournée. Ne les manquez pas s’ils passent vers chez vous. Nous vous en reparlerons fin mai…

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dimanche, mars 12, 2006

La mort du Beau et la résurrection du chanteur

Mes activités diverses et variées m’ont empêché de redescendre dans cette cave depuis un certain temps alors que je voulais vous parler de plusieurs choses. Sentant monter en moi une irrésistible flemme, je me contenterai d’une note plus succincte sur les sujets que j’avais l’intention d’évoquer. Commençons par la littérature avec :

Asphyxiante culture de Jean Dubuffet (Minuit.1986)

Publiées pour la première fois en 1968, cet ensemble de notes relativement courtes témoigne à la fois de la rare acuité d’un regard posé sur la notion même de « culture » (jamais ce texte n’a paru autant d’actualité qu’aujourd’hui) et d’une virulente remise en question de ce concept pouvant servir de manifeste à la propre pratique artistique de l’auteur. N’étant pas spécialiste dans le domaine de l’art, je me garderais bien d’épiloguer longuement sur Jean Dubuffet , principal fer de lance de l’art brut, passionné par toutes les productions intervenant hors du champ de la culture (le peintre nourrira un intérêt jamais démenti pour les œuvres des fous).
Cette dernière phrase résume paradoxalement assez bien la teneur du pamphlet puisque Dubuffet réfute cette notion de « spécialiste », montre qu’en étant totalement aux mains de ces « spécialistes », la culture n’est finalement plus qu’une norme se transmettant de générations en générations. Les œuvres qui nous restent du passé résultent d’abord du choix des hommes de culture de l’époque et constitue un corpus institutionnalisé par les classes dominantes. Elle ne témoigne en aucun cas de la véritable production artistique d’une époque mais déjà d’une sélection d’une caste possédante utilisant la « propagande culturelle » pour faire ressentir « aux administrés l’abîme qui les sépare de ces prestigieux trésors dont la classe dirigeante détient les clefs, et l’inanité de toute visée à faire œuvre créative valable en dehors des chemins par elle balisés. »
A cette notion de « culture », Dubuffet oppose la création artistique individuelle. Il prend comme image l’opposition entre le voyageur solitaire explorant les continents inconnus (l’artiste) et le touriste qui se promène en meute pour contempler et admirer les mêmes paysages présélectionnés (l’individu « enculturé »). Or, « la production d’art ne peut se concevoir qu’individuelle, personnelle et faite par tous, et non déléguées à des mandataires ».
A l’heure où il faut réserver ses places à la FNAC pour espérer entrer dans un musée, où l’esprit de révolte le plus subversif est congelé par une culture prête à recycler tout ce qui dérange (Dada au musée !), cet essai s’avère parfaitement roboratif. En préconisant l’insoumission aux normes et la création par tous, Dubuffet n’est pas si éloigné que ça des situationnistes et de la remise en question de « la société du spectacle » : « Il n’y aura plus de regardeurs dans ma cité, plus rien que des acteurs. Plus de culture, donc plus de regard. Plus de théâtre- le théâtre commençant où se séparent scène et salle. Tout le monde sur scène, dans ma cité. Plus de public ».
En s’attaquant radicalement à cette notion de culture, de Beau (« l’esthète fait comédie de chérir la beauté. Mais de beauté il n’y a nulle part nulle, sinon conventionnelle - culturelle.), Dubuffet réalise une splendide apologie de l’individu contre la norme, du renversement du rapport acteur/spectateur et un très beau traité d’insoumission dont devraient se souvenir tous ceux qui ne soutiennent pas à fond le mouvement étudiant renaissant actuellement :
« Il faut mentionner encore, précieux terreau pour l’éclosion des créations et des ferveurs, l’humeur de refus systématique, l’entêtement, le goût de bafouer et piétiner, l’esprit de contradiction et de paradoxe, la position d’insoumission et de révolte. Rien de salvateur n’éclôt que de ce terreau-là ».


Sans transition, je passe à la chanson et à Cali que j’ai pu découvrir sur scène cette semaine. La figure qui le représente le mieux est celle du crucifié. Eternel écorché vif sacrifié sur le temple de la cruauté et la perfidie féminine, Cali s’esquintant à ne chanter que ses états d’âme d’amoureux transi et forcément trahi avait tendance à nous lasser un peu. Après un premier album très réussi, le second (Menteur) faisait un peu redite malgré la présence de trois ou quatre très beaux morceaux. Cependant, inutile de céder au péché mignon des français pour qui succès rime forcément avec suspect et de ces journaleux qui commencent à remettre en question les artistes que l’on a regroupé sous l’appellation forcément réductrice de « nouvelle chanson française ». Ceux qui les critiquent devraient avoir la curiosité d’aller voir Bénabar ou Cali sur scène pour réaliser à quel point c’est cette scène qui les a fait et que leurs triomphes n’ont rien de scandaleux.
Je le dis d’autant plus facilement que son dernier album ne m’a qu’à moitié convaincu, Cali est époustouflant sur scène : une patate inimaginable, deux heures quarante cinq de spectacle avec en apothéose ce corps crucifié offert au public le transportant de la scène à l’autre extrémité de la salle.
Ses chansons reprennent un autre sens lorsqu’il les offre sur scène, même si parfois il en fait trop (d’après moi, la limite a été franchie une seule fois lorsqu’il hurle le désespoir du père privé de la garde de son enfant en chantant avec une complaisance assez insupportable le vrai père, une des plages les moins réussies de l’album). Des « tubes » repris avec une incroyable énergie et l’approbation d’une foule en liesse aux moments plus intimistes (très belle succession de chansons entonnées dans une ambiance bal pop’ et orchestre, avec comme point culminant la magnifique ode à Roberta, la muse de 82 ans), Cali mène sa barque avec une immense générosité.
Il fait monter sur scène une jeune fille du public (courageuse !) pour l’accompagner à la place de Daniel Darc sur Pauvre garçon ou invite Hubert-Félix Thiéfaine (eh oui !) le temps d’un duo très réussi.
Si Cali est l’homme crucifié par l’amour, la scène est le lieu où s’opère sa résurrection chaque soir…

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