La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

samedi, octobre 12, 2013

Manuel d'anti-écologie

49 jours pour devenir un vrai militant anti-écolo (2013) d'Olivier Griette. (Editions Xénia 2013) Sortie le 15 octobre 2013


Avec un titre pareil, on pouvait s'attendre à un revigorant pamphlet contre l'écologisme devenu idéologie et un excellent moyen pour venger tous ceux qu'exaspèrent la conne de la météo qui vous recommande de faire « un geste pour la planète », les bacs multicolores pour trier les déchets et les Cassandre qui prêchent le « catastrophisme » pour mieux obtenir la « soumission durable ».
Or Olivier Griette (auteur d'une Histoire de France politiquement correcte) a beau être un disciple d'Alain Paucard (ronchon en chef à qui le livre est dédié), son livre se révèle être, en fait, une charge assez féroce et souvent drôle...en faveur de l'écologie !

Précisons. Ce « guide » n'est pas un pamphlet mais une sorte de manuel pratique où en 49 fiches, l'auteur propose des actions pour devenir un véritable militant anti-écolo. Vous pourrez donc, au choix, installer un pare-buffle sur votre 4x4, goudronner votre jardin, abandonner votre chien sur l'autoroute et détruire les radars au bord des routes... Même si Griette raille avec pertinence les excès d'un certain écologisme (par exemple, la construction de ces hideuses éoliennes qui ne servent à rien sinon à dépenser inutilement du fric et à défigurer les paysages), ses propositions sont tellement énormes que l'on voit se dessiner derrière le second degré une véritable volonté de militer pour la préservation de la planète.
Le portrait qu'il dresse de son « militant anti-écolo » est, en effet, celui du beauf parfait roulant en 4x4, maltraitant les animaux et ne pensant qu'à sa gueule. C'est donc peu dire que ce second degré exacerbé tend, à l'inverse, à montrer pourquoi l'écologie est une nécessité selon Griette.

La forme employée est celle de fiches bourrées de conseils absurdes, de bibliographies fantaisistes (les auteurs s'appellent Ray Auburn War, Oussama Fehmal, Harris Todt...), de contes chinois fantasques, de questionnaires débiles, etc. D'une certaine manière, on pense aux ouvrages du bien oublié chroniqueur de Canal + Camille Saféris qui publiait dans les années 90 des livres humoristiques (Le manuel des premières fois) où il y avait aussi cette même manière de mettre des étoiles aux conseils proposés (difficultés, risques...)

Cette dérision généralisée est souvent assez drôle et on ne peut qu'approuver Olivier Griette lorsqu'il se moque du culte de la bagnole, de ces ridicules parasols chauffant aux terrasses des cafés ou de cette course folle et stérile à la surconsommation.
La limite du projet, c'est justement de rester dans l’exagération et de railler les comportements « anti-écolo » sans distance. Il aurait été aussi intéressant de remettre aussi en cause l'idéologie écologiste actuelle et ce que cela peut sous-entendre d'hypocrisie. Comme le montrent fort bien René Riesel et Jaime Semprun dans l'indispensable Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable , le constat du désastre planétaire (indéniable) permet aujourd'hui au système de s'auto-réguler en culpabilisant les individus mais en ne remettant pas fondamentalement en question ce qui détruit quotidiennement la planète : le capitalisme.
Si Griette se moque parfois des gros groupes industriels qui s'attribuent eux-mêmes des labels éco-durables, il ne creuse pas suffisamment, à mon avis, dans cette direction. C'est bien joli de mettre des papiers dans un bac jaune et, parallèlement, de consommer de plus en plus de saloperies inutiles (voir toutes les boutiques de téléphones portables qui polluent les centres de toutes les villes de France!).

Cette réserve posée, l'humour acerbe de l'auteur vous permettra de passer un bon moment...

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jeudi, octobre 03, 2013

L'art de rater sa vie



Comment rater complètement sa vie en onze leçons (2002) de Dominique Noguez (Editions Payot et Rivages. Collection : Manuel Payot. 2002) 

L’honnête lecteur égaré dans cette cave où je n’ai plus guère le temps de mettre mon nez pourra s’étonner que je lui propose aujourd’hui de se pencher sur un manuel destiné à rater sa vie. En effet, notre hôte pinailleur aura beau jeu d’affirmer qu’un livre vaut moins que des actes et qu’il suffit d’observer les actions et réformes du gouvernement actuel pour avoir une idée assez précise de cette notion de ratage. Ce n’est pas faux mais, à la décharge de l’excellent Dominique Noguez, je me dois de vous rappeler que ce Comment rater complètement sa vie en onze leçons date d’il y a plus de dix ans et que l’écrivain, aussi perspicace soit-il, ne pouvait pas deviner que les termes « socialiste » et « ratage » deviendraient aussi immanquablement pléonastiques ! (je sais, il y avait pourtant des précédents en 2002).   
Mais ne nous égarons pas. Pour aborder un sujet aussi vaste que le « ratage » et élaborer une « ratologie » la plus précise possible, Noguez procède avec méthode et discernement. Rien de plus difficile que la définition d’une vie « ratée » puisque cette notion dépend de nombreux facteurs (objectifs de départ, rôle du hasard, ratages paradoxaux à l’instar de ces artistes méconnus de leur vivant et croupissant dans la misère qui finissent par connaître une gloire posthume…). En digne successeur des éminents membres du collège de pataphysique, l’auteur élabore ici une série de formules mathématiques pour tenter de cerner au mieux la notion. Il sera question de TRV (taux de ratage d’une vie), de TRB (taux de ratage brut) ou encore de RIA (rapport inconvénients/avantages). Dans ce cas précis, la démonstration est limpide : certains actes peuvent apporter de menus avantages mais il convient de les effectuer si la somme des inconvénients semble supérieure et permettre un bon ratage. Un exemple me vient immédiatement en tête : si vous circulez en trottinette, vous obtiendrez quelques petits avantages immédiats comme celui d’avancer un peu plus rapidement que le piéton de base. Mais ces bénéfices paraitront tellement dérisoires comparés au ridicule dont vous vous affublerez et de la haine que vous attirerez sur vous lorsque vous bousculerez avec votre diabolique engin les gens compressés dans le métro ! La trottinette est donc un objet dont le RIA nous semble largement positif.
Une fois ces équations posées, ces formules énoncées, le professeur Noguez nous propose une quarantaine de principes de base pour bien rater sa vie (« Soyez un jeune emmerdeur puis un vieux con », « Ne tenez pas votre langue »…), quelques trucs à mettre en pratique dans différentes situations (chez le dentiste, pour un dîner – voir plus bas-) et enfin, un panorama du ratage selon votre profession (d’après les résultats, il semble que le taux de ratage soit beaucoup plus fréquent chez les journalistes et les politiques que dans les autres professions).
Il y a du Swift chez Noguez. Son traité évoque les Instructions aux domestiques du grand écrivain : humour noir, impertinence, intelligence et une écriture ciselée. Alors plutôt que de poursuivre ces élucubrations qui ne feront qu’affadir la saveur de Comment raté complètement sa vie en onze leçons, un petit extrait dont je ne me lasse pas :
***
Rater un dîner
(…)
   1)      Chez un particulier
a)      Vous êtes l’invité(e)
Arrivez très en retard, ou, mieux, très en avance, quand vos hôtes sont encore en train de prendre tranquillement leur douche avant de s’habiller ou finissent au galop de mettre la table et de pousser du balai les derniers moutons sous l’armoire de la salle à manger.
Venez les mains vides. Si vous tenez à apporter quelque chose, trois options : le cadeau dérisoire, le cadeau inutile ou le cadeau munificent. Chacun à leur façon, ils mettront vos hôtes mal à l’aise et plomberont ce tout début de soirée. Le premier parce qu’il est mesquin, le deuxième parce qu’il est incompréhensible et le troisième parce qu’il est insultant.
Premier cas : un sachet de bonbons à cinq balles, une (1) fleur – rose inodore ou pétunia- solennellement emballée avec étiquette du fleuriste, une plaquette de chocolat au lait, une bouteille de Coca light éventuellement entourée de papier journal.
Deuxième cas : la condition principale est que le cadeau n’ait aucun rapport, de près ou de loin, avec vos hôtes et qu’il les plonge dans une perplexité infinie. Par exemple une paire de palmes de plongeur sous-marin chaussant du 45 si votre hôtesse est une vieille dame sédentaire de Maubeuge. Ou le dernier livre du tandem Derrida-Roudinesco si vos hôtes sont un couple de coiffeurs de Clermont-Ferrand qui viennent en plus d’ouvrir une discothèque et n’ont vraiment pas le temps de lire. Ou une béquille. Ou une perceuse. Ou des rognures d’ongles ayant appartenu à Gilles Deleuze. (Ces trois derniers articles pour tout public.)
Troisième cas, des vins fins ou des champagnes excessifs en quantité (carrément deux caisses) et en qualité (d’un cru et d’un millésime qui éclipseront forcément les vins de vos hôtes ou des autres invités), ou encore un énorme gâteau à la crème très nourrissant – qui persuaderont vos hôtes que vous avez douté de leur aptitude à préparer un dîner convenable et en quantité suffisante.

b)      Vous êtes l’hôtesse
Goûtez le vin de votre invité et faites la grimace. Si vous avez du métier et comptez vraiment vous faire détester pour le reste de votre vie, ajoutez quelques commentaires du genre : « 1990 ? Ce n’est pas la meilleure année », « un peu vert, il aurait été bien dans cinq ans », ou surtout : « Il n’est pas un peu bouchonné (ou éventé, ou madérisé), ton vin ? »

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