La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

mardi, janvier 29, 2008

R comme Ribes et Rire

Le rire de résistance (2007) sous la direction de Jean-Michel Ribes (Beaux-arts éditions)

En parallèle à un spectacle donné au théâtre du Rond-point, Jean-Michel Ribes a dirigé ce très bel ouvrage consacré au rire sous toutes ses formes, de l’humour noir d’Ambrose Bierce à l’absurde de Ionesco, des grandes heures de Canal + à l’humour des philosophes (Diogène, Nietzsche…), de la caricature acerbe au conte loufoque d’Allais en passant par l’aphorisme dévastateur.

Les invités conviés au festin sont nombreux et on s’interroge parfois sur leur présence en ces pages. Le sympathique Ribes aurait gagné à être plus sélectif et ne pas laisser passer certaines sales trognes du style Attali ou Delanoë, que nous refusons de considérer comme des « résistants » et qui, surtout, n’ont vraiment rien de drôle ! Idem pour le dégoûtant Christophe Girard (adjoint au maire de Paris, la belle affaire !), le ridicule Donnedieu de Vabres, les inutiles Hubert Védrine ou André Santini.

Quand à Philippe Val, sa répugnante contribution à l’ouvrage mérite qu’on s’y attarde quelques instants. Vous aurez sans doute remarqué que le bonhomme est devenu depuis quelques temps l’une de mes cibles favorites. Sans doute parce qu’on est toujours plus déçu par ceux en qui on a cru dans notre jeunesse. Et parce que j’ai tellement la nostalgie d’un journal comme Hara-kiri ou Charlie-hebdo de la grande époque (celle que je n’ai pas connue) que je ne peux pas supporter ce type qui a dévoyé tout l’héritage de Choron, Gébé et consorts. Il y eut d’abord des attaques ridicules contre Céline, contre Nabe et le ralliement sans vergogne au traité constitutionnel européen (cette immense supercherie qu’on va nous imposer sans vaseline !). Outre le fait qu’il a transformé Charlie-hebdo en un canard d’instit de la 3ème république, Philippe Val est un menteur et un falsificateur. La manière dont il s’échine à dénigrer Chomsky est totalement scandaleuse et vous en aurez un aperçu dans cet excellent article. Et que croyez-vous que fasse Val d’hilarant dans cet ouvrage de Ribes ? Il persiste à mentir ! Mais Val n’est pas bête, il sait qu’il n’a aucun argument alors il joue sur l’amalgame et la rhétorique. Il raconte dans un premier temps sa visite dans une foire aux armes en Arizona et, au détour d’une phrase, il écrit : « Quelques stands de livres (…) offraient des biographies d’Hitler, des essais sur Goebbels, des souvenirs du Reich, croix gammées, casquettes d’officier SS, évidemment, Mein Kampf, un fascicule de Noam Chomsky contestant l’existence d’un génocide. » Vous pourrez admirer la confusion et l’incroyable amalgame que se permet le scribouilleur. Dans un premier temps, le lecteur distrait pense à l’affaire Faurisson et se dit : Chomsky = révisionniste ! Or Val sait parfaitement que cela est faux, que l’essayiste n’a jamais cautionné les thèses négationnistes et que le seul « soutien » qu’il a apporté à Faurisson, il l’a fait au nom de la seule liberté d’expression (son texte a été, par la suite, accolé en préface de l’ouvrage révisionniste sans son accord). Quand on relit attentivement la phrase et qu’on fait fi de tout cet entourage gênant (Goebbels, Mein Kampf…), on s’aperçoit que Val parle prudemment « d’un » génocide (il ne s’agit donc peut-être pas de la Shoah). Moyen commode pour lui d’amalgamer les choses et de faire référence à la polémique autour du génocide khmer que, là encore, Chomsky n’a jamais nié. En une petite phrase perfide et fallacieuse (pourquoi ne pas citer le titre de cet « opuscule » ?), Val incarne parfaitement la dégueulasserie d’une époque qui cherche à rendre suspect de tous les crimes (antisémitisme, totalitarisme…) ceux qui ne pensent pas comme elle !

Heureusement que le livre nous offre des choses plus réjouissantes que ce petit étron. Pour ma part, je trouve que les contributions des écrivains sont les plus exaltantes : Martin Page nous offre deux superbes textes sur Oscar Wilde et Karl Kraus (quel bon goût !), Benoît Duteurtre réjouit en parlant d’Offenbach et le très court texte sceptique de Régis Jauffret est particulièrement bien vu (« Le besoin inextinguible de comiques de toutes sortes dont notre société fait un usage de plus en plus immodéré, est le symptôme d’une capitulation définitive. » « Le rire est notre révolution de flanelle, notre manière de participer à une grande insurrection molle. »). On appréciera aussi les textes signés par le toujours excellent François Caradec (évidemment sur Allais et Queneau !).

Outre quelques textes à caractère historique ou analytique (quelques réflexions casse-couilles sur le rire dans l’art contemporain, sans doute imposées par la maison d’édition !), l’ouvrage se présente comme une espèce d’anthologie où sont recensés les rois du rire, déjà distingués par Breton dans son Anthologie de l’humour noir (Swift, Picabia, Vaché, Cravan, Allais…) ou part Robert Benayoun dans Les dingues du nonsense (Allen, WC.Fields, Bierce…). Et comme toute anthologie, le lecteur se réjouira de voir figurer des gens qu’il aime (Vialatte, Topor, Buñuel…) et regrettera certains oublis (même si figurent certaines de ses citations, on se demande pourquoi Desproges a été évincé au profit d’une longue note sur Coluche ou sur l’humour Canal dont il y aurait beaucoup à dire…).

Plus généralement, le livre de Ribes a le mérite de cibler les véritables enjeux du rire, à savoir une manière de subvertir l’ordre des choses, d’y introduire du désordre et de mettre à nu les différents pouvoirs. Que le rire de Nietzsche, de Charlie-Hebdo (ancienne manière) et ceux de Mai 68 résonnent dans ce livre, c’est tout à fait légitime. Maintenant, s’il fallait apporter un bémol à tout cela, il faudrait souligner que l’auteur reste très attaché à un rire « citoyen » aux cibles convenues (les religieux, les militaires, les politiciens…). Il n’y a pas de reproche de ma part dans cette remarque puisque je n’hésite pas non plus à accabler de sarcasmes ces ridicules catégories d’individus.

Mais il me semble que le livre aurait gagné en attaquant avec plus de malice la dictature molle de nos démocraties libérales. Certains évoquent ce rire qui devient finalement « complice » (Cf. Jauffret) en se contentant de viser les sempiternels cibles des bien-pensants (on peut penser ce que l’on veut de Dieudonné mais la manière dont certains l’égratignent au passage m’a paru très inélégante…). Pour ma part, je dois avouer qu’il n’y a pas un seul « professionnel » du rire qui me fasse marrer autant que Marc-Edouard Nabe et je regrette aussi amèrement l’ironie dévastatrice d’un Philippe Muray.

Il ne s’agit pas de se transformer en bigot et d’ériger des statues à ces écrivains mais de constater qu’il existe une autre forme de rire qui « résiste » elle aussi à une sorte de totalitarisme : le totalitarisme de la modernité…



NB: A l'heure où j'écris cette note, j'apprends la mort d'un fidèle de l'émission Palace, l'excellent Philippe Khorsand. L'ironie du sort est parfois bien triste...

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dimanche, janvier 27, 2008

PQ et autres friandises...

J’ai pris du retard dans mes notes de lecture et comme je ne vais pas tarder à attaquer la lettre S de mon abécédaire, je vais être relativement concis aujourd’hui.
Commençons par quelques friandises lues en dehors dudit abécédaire. Pour poursuivre ma collection L’imaginaire, j’ai débusqué aux puces un roman de Jules Supervielle intitulé L’homme de la pampa. C’est le premier livre que je découvre de cet auteur et j’ai pu constater qu’il laissait une grande place à un imaginaire pas si éloigné que ça du surréalisme. Mais j’avoue par ailleurs n’avoir pas été convaincu. Je n’en dirai pas plus.

Je n’attendais pas grand chose de cet Homme de la pampa et je n’ai donc pas été, d’une certaine manière, déçu. Ce fut différent avec O révolutions de Mark Z. Danielewski. J’avais énormément aimé la maison des feuilles que je considère comme l’un des plus grands romans contemporains et j’attendais donc beaucoup de ce nouvel ouvrage. On retrouve d’ailleurs ici ce goût de l’auteur pour l’expérimentation puisque son livre raconte simultanément l’histoire d’un couple vécu par le garçon (Sam) et par la fille (Hailey). Le roman se lit donc dans les deux sens et Danielewski ajoute au récit principal des notes en marge qui évoquent une frise chronologique. Si l’idée de confronter deux subjectivités pour raconter la même chose est plutôt intéressante, je dois avouer que je n’ai pas été sensible du tout à ce style « moderne » qui fait ressembler ce roman à un long poème en prose branché (les critiques parleront sans doute d’un « trip halluciné »). Entré dans cette histoire avec curiosité, je me suis vite lassé et O révolutions m’a plutôt déçu malgré quelques fulgurances stylistiques…

Toujours pour écluser mes cadeaux de Noël, j’ai relu avec un grand plaisir le Casse-pipe de Céline. Ce court récit où le narrateur raconte son arrivée au 17ème régiment de Cuirassiers est l’occasion de transformer un banal épisode de la vie militaire (une patrouille qui doit en relever une autre) en une épopée apocalyptique, aussi drôle que tragique. C’est également l’occasion pour Céline de dessiner d’inoubliables portraits (le brigadier Le Meheu, le maréchal des logis Rancotte…) et de faire revivre des tableaux d’une expressivité rare (la planque dans une écurie où le crottin des chevaux semblent tout envahir). Le style est, comme toujours, lumineux et ses cataractes incessantes plongent le spectateur dans une atmosphère oppressante. Pour le dire très bêtement : on a le sentiment d’y être. L’édition que je viens de terminer est celle, toute nouvelle, que le grand Tardi a illustrée. Son trait charbonneux s’accorde à merveille avec l’écriture de Céline et fait de ce livre une pépite à posséder coûte que coûte !

Venons-en à notre abécédaire et à la lettre P. Pour poursuivre dans la lignée de Nietzsche et d’Onfray, j’ai opté pour un recueil de deux textes de Georges Palante, édité par les (excellentes) éditions Mille et une nuits et intitulé La sensibilité individualiste. Je le disais dans ma note précédente mais il faut le redire : c’est l’excellent passeur Onfray qui a permis de redécouvrir (un petit peu) cet auteur singulier, professeur de philosophie et penseur anticonformiste. Alors que triomphe au début du 20ème siècle les idées collectivistes, Palante défend pour sa part l’individualisme. Dans La sensibilité individualiste, il prend soin de distinguer cette notion de l’égoïsme et du libéralisme qui se satisfait « du plus plat arrivisme ». Pour lui, l’individualisme est avant tout « un esprit de révolte antisociale » : il ne s’agit pas d’ériger de nouveaux modèles sociaux en remplaçant les anciens par des nouveaux (il réfute l’idéalisme) mais d’adopter une posture de retrait par rapport à la société. Contre tous les dogmes sociaux qui entravent l’individualité (le dogme « économiste » est sans doute le plus violent et c’est pour cela que Palante a tout à fait raison de souligner que les libéraux ne sont pas des individualistes) : « le trait dominant de la sensibilité individualiste est en effet celui ci : le sentiment de la « différence » humaine, de l’unicité des personnes. ». Il appuie sa théorie par de nombreuses références à Vigny et Stendhal mais également à Stirner.
L’auteur de L’unique et sa propriété amène Palante à s’interroger sur les liens entre individualisme et anarchisme. C’est précisément l’objet du deuxième texte (passionnant) proposé : Anarchisme et individualisme. Après avoir noté les points où les deux « doctrines » peuvent se rencontrer (révolte contre l’Etat, primauté de l’individu sur le groupe…), Palante note ce qui les sépare irrémédiablement. Pour lui, l’anarchisme reste encore un idéalisme qui cherche à remplacer la société existante par une société idéale, où les hommes deviendront bons parce que leurs conditions d’existence auront été changées. L’individualiste est plus pessimiste et croit que toute forme de société entrave par définition la souveraineté de l’individu. « Pessimiste sans mesure ni réserve, l’individualisme est absolument antisocial, à la différence de l’anarchisme, qui ne l’est que relativement (par rapport à la société actuelle) ». Il y a dans ce texte des réflexions saisissantes où Palante montre que l’anarchisme voit volontiers une antinomie entre l’individu et l’Etat tout en s’échinant à penser que l’antinomie entre l’individu et la société peut être résolue (il cite des exemples chez Stirner). Alors qu’il a parfaitement raison de souligner que « La société ainsi entendue constitue un tissu serré de tyrannies petites et grandes, exigeantes, inévitables, incessantes, harcelantes et impitoyables, qui pénètrent dans les détails de la vie individuelle bien plus profondément et plus continûment que ne peut le faire la contrainte étatique. »
On pourra reprocher à Palante de n’opposer à la société que son pessimisme et de ne pas envisager de solutions de rechange. Mais lorsqu’il exprime, sur la fin, des idées pour préserver au maximum la liberté de l’individu, il ouvre quelques voies qu’il ne serait pas idiot de méditer à l’heure des troupeaux dociles et des « mutins de Panurge »…

Q comme Queneau. Est-il encore besoin de vous présenter les Exercices de style ? Cette histoire de deux passagers dans un bus racontée de 99 manières différentes, en prose, en vers et en pièce de théâtre ? Toujours est-il qu’on y trouve là la quintessence des jeux formels de l’OULIPO et un sens de l’humour qui me paraît toujours ravageur. Ce livre ne se commente pas : il se savoure !

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lundi, janvier 21, 2008

Apologie de Diogène

Cynismes (1990) de Michel Onfray (le livre de poche. 2005)

Je l’ai déjà dit mais pourquoi ne pas le répéter : Michel Onfray m’est sympathique. Je ne sais pas si c’est un grand penseur ou un grand philosophe mais je m’en fous. Je suis prêt à reconnaître tous les défauts du monde à son Traité d’athéologie (je les avais pointés) et à m’incliner devant ceux qui lui reprochent son manque de nuances, ses simplifications parfois un peu douteuses.

Mais après avoir lu Cynismes, qui débute par un bel hommage rendu par notre mécréant à l’un de ses professeurs de la faculté de Caen (le genre de personnage que tout le monde souhaiterait avoir rencontré lors de ses études), j’avais envie de dire qu’Onfray faisait, à son tour, œuvre d’excellent pédagogue. Je crois qu’on ne peut pas lui enlever d’être un admirable « passeur », un essayiste qui met toute sa passion dans ses livres pour nous faire circuler hors des sentiers battus du savoir universitaire et de l’académisme philosophique (son Antimanuel de philosophie fut important pour moi lorsque je le découvris). Autant ses attaques peuvent être un brin convenues (l’appendice consacré au « cynisme vulgaire » qu’Onfray décèle dans les pouvoirs politiques, religieux et idéologiques est sympathique mais vraiment très schématique) ; autant je suis toujours admiratif par la manière dont l’auteur parvient à attirer notre attention sur des pans totalement oubliés de la pensée et nous donner envie d’y aller voir de plus près.

Dans Cynismes, il s’intéresse à l’école grecque des cyniques dont la figure la plus célèbre demeure encore aujourd’hui Diogène de Sinope mais qui compte des personnalités comme Antisthène ou Hipparchia.

Il s’agit pour Onfray de proposer, à travers l’exemple cynique, un éventuel portrait de ce que pourrait et devrait être le philosophe à notre époque. En revenant, entre autres, sur les frasques les plus célèbres de Diogène (son ascétisme, son irrespect et ses sarcasmes envers toute forme de pouvoir –le fameux « Ote-toi de mon soleil » lancé à Alexandre le grand-, ses pratiques sexuelles débridées –on connaît la légende du philosophe se masturbant en public-, sa manière de faire tomber les masques et ridiculiser toutes les conventions sociales…), l’auteur l’érige comme modèle possible pour l’individu d’aujourd’hui.

Sur les traces de Nietzsche (Onfray n’a jamais caché sa dette envers l’auteur du Gai savoir), le philosophe propose de nouvelles valeurs s’inspirant du cynisme et réinvente un individualisme libertaire s’opposant à toute forme de pouvoir : « Devant tout pouvoir qui exige soumission et sacrifices de toute nature, la tâche du philosophe est l’irrespect, l’effronterie, l’impertinence, l’indiscipline et l’insoumission. »

A travers la figure des cyniques, il rejoue l’éternel combat entre l’idéalisme platonicien (dont le christianisme est, selon Onfray, une sorte de dérivé) et le matérialisme. En mettant l’accent sur ses désirs et ses besoins (Diogène se masturbe pour ne pas laisser ses désirs envahir son être) et en réfutant toute idée de vie après la mort (il refuse d’avoir une sépulture) ; le cynique apparaît comme un précurseur de ce matérialisme.

Nietzsche en parle souvent dans Ainsi parlait Zarathoustra et Onfray le détecte aussi chez Diogène et les cyniques : le rire se doit d’être la principale arme du philosophe. Pas le rire de révérence et d’acquiescement à toutes les platitudes et conventions de l’époque mais ce rire immense qui résonnera chez Cravan, Jarry, Vaché et les surréalistes (entre autres). Cynismes est un essai souvent très drôle parce que les cyniques étaient des gens très irrespectueux et insensibles aux honneurs et aux hiérarchies. Diogène le disait lui-même : « Il revient aux boucs, et non aux hommes, de combattre pour une couronne. ». On lira chez Onfray des pages assez amusantes sur le philosophe qui se fait pétomane ou zélateur de l’anthropophagie !

Cynismes puise dans une école mal-aimée de la philosophie grecque une pensée pouvant nourrir une pratique contemporaine. Onfray recherche là diverses stratégies subversives pouvant apporter de l’eau à son moulin hédoniste et libertaire. Il érige Diogène en « modèle » pour l’apprenti philosophe d’aujourd’hui et écrit joliment : « la seule issue pour un philosophe consiste à être la mauvaise conscience de son temps, de son époque, donc de son monarque, quel qu’il soit. »

Joli programme…

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mercredi, janvier 16, 2008

L'enseignement de Zarathoustra

Ainsi parlait Zarathoustra (1883-85) de Friedrich Nietzsche (Gallimard. Folio Essais. 1987)


Il était à peu près certain que la période de Noël allait perturber mon abécédaire puisqu’il est de tradition qu’on m’offre des livres à cette époque sans que j’aie la moindre envie de patienter pour les lire. Je vous parlerai, quand nous arriverons à la lettre R, d’un fort bel ouvrage (patience !) mais je ne dirai par contre rien de la très belle BD Maus de Spiegelman (hautement recommandable) ni des inutiles (et donc indispensables !) Miscellanées culinaires de Mr Schott qui m’ont permis d’apprendre que le mot « Spam » venait des…Monty Python !

Ces quelques précisions annoncées, nous pouvons reprendre l’abécédaire où nous l’avions laissé et aborder la lettre N avec le grand philosophe de l’Eternel retour.

J’avoue que je ne me sens ni le courage, ni surtout les épaules pour me lancer dans une savante exégèse des concepts de Surhomme ou de volonté de puissance et que je ne tiens pas à me mettre tous les nietzschéens à dos en passant au gril de mes pauvres connaissances le grand philosophe. Et puisque l’enseignement de Zarathoustra est destiné à être médité plus qu’à être commenté, je vous propose plutôt un petit florilège de ses sages sentences…

« Je vous conjure, mes frères, à la Terre restez fidèles, et n’ayez foi en ceux qui d’espérances supraterrestres vous font discours ! Ce sont des empoisonneurs, qu’ils le sachent ou non ! »

« On ne devient plus pauvres ou riches ; les deux sont encore trop pénibles. Que veut encore commander ? Qui encore obéir ? Les deux sont trop pénibles.

Pas de pasteur, un seul troupeau ! Chacun veut même chose, tous sont égaux ! Qui sent d’autre manière, à l’asile des fous il entre de plein gré ! »

« Etat, ainsi se nomme le plus froid des monstres froids. Et c’est avec froideur aussi qu’il ment ; et suinte de sa bouche ce mensonge : « Moi, l’Etat, je suis le peuple. »

« Là où encore existe un peuple, point il n’entend l’Etat et comme un méchant œil le hait, et comme péché contre les mœurs et contre les droits. »

« Libre pour les grandes âmes encore est une libre vie. En vérité, qui peu possède est d’autant moins possédé ; louange à la petite pauvreté. »

« Où cesse l’Etat, là seulement commence l’homme qui point n’est superflu, là seulement commence le chant du nécessaire, l’unique, l’irremplaçable mélodie. »

« Où cesse la solitude commence la place publique ; et où commence la place publique commence aussi le vacarme des grands comédiens, le bourdonnement des mouches venimeuses. »

« A l’écart de la place publique et de la renommée se fait toute grande œuvre ; à l’écart de la place publique et de la renommée toujours vécurent ceux qui inventèrent de nouvelles valeurs. »

« Autour du prochain vous vous pressez ; et pour ce faire avez de belles paroles. Mais je vous dis : votre amour du prochain est votre mauvais amour de vous-mêmes. »

« Mais ce que hait le peuple, comme les chiens le loup, c’est l’esprit libre, l’ennemi des chaînes, celui qui point ne prie et hante les bois. »

« Qu’on soit laquais devant les dieux et de divins coups de pied, ou qu’on le soit devant les hommes et de fades opinions d’hommes, sur toute manière de laquais il jette son crachat, ce bienheureux égoïsme ! »

« … ; car a peu de valeur ce qui a son prix. »

« Rien n’est vrai, tout est permis. »

« Mais nous, en ce royaume des Cieux, d’aucune manière nous ne voulons entrer ; hommes virils sommes devenus : -ainsi c’est le royaume de la Terre que nous voulons. »

NB : À la fin du livre, Zarathoustra se désespère des disciples qu’il a engendrés et refuse absolument qu’on répète comme un âne ses paroles et son enseignement. Il ne s’agit donc pas d’apprendre son Nietzsche comme on apprend le catéchisme mais puiser dans cette pensée lumineuse les éléments pouvant nous nourrir…



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samedi, janvier 05, 2008

Orlof part en live (2)

En guise de rétrospective de l’année 2007, un petit panorama des concerts auxquels j’ai assisté de septembre à décembre.

Traditionnellement, la « saison » des concerts s’ouvre par un grand concert de rentrée gratuit, en plein centre-ville de Dijon. Depuis 2002, toute la ville se presse pour assister à ce grand évènement où les personnalités invitées sont généralement « locales » sans pour autant être totalement inconnues. Ainsi, en six concerts, nous avons eu le plaisir de voir et d’entendre l’immense Yves Jamait, Bastien Lallemant, Aldebert ou encore Pauline Croze. Cette année, après deux groupes du cru, ce fut Jacques Higelin qui vint se produire devant le palais des ducs.

A part deux ou trois chansons, j’avoue connaître très peu ce chanteur pour qui je n’ai ni passion excessive, ni antipathie. Le début du concert fut plutôt rude car malgré quelques « tubes » (Tombé du ciel), Higelin eut du mal a dégeler un public dijonnais rarement expansif (qu’on se le dise, c’est une ville désagréablement bourgeoise !). Mais l’énergie et la générosité de l’interprète sont venues à bout des réticences de chacun. Même si j’avoue ne goûter que modérément ces morceaux de bravoure où Higelin harangue les foules pendant un quart d’heure, j’ai été séduit par sa présence sur scène et l’entrain qu’il mit pour offrir un beau spectacle à la foule.

Début octobre, nous eûmes le plaisir de voir à nouveau le grand Sanseverino. Je disais ici même que je n’avais pas été totalement convaincu par son dernier album (Exactement) et ses arrangements pour big band. Mais force est de constater qu’il prend une toute autre ampleur sur scène et que le chanteur et ses musiciens impressionnent. Le concert s’est divisé en deux parties : dans la première, Sanseverino joue ses derniers titres avec son incroyable orchestre (j’exagère peut-être mais je pense qu’il devait bien y avoir une vingtaine de musiciens sur scène) et reprend quelques anciens titres en les réaménageant. La trilogie André fut un grand moment puisque le premier morceau fut raccommodé à la sauce yiddish et que le deuxième fut joué comme une ballade folk guitare/voix. Autre grand moment : la reprise très musclée des Etrangères de Ferré/Aragon après une introduction désopilante (car en plus d’être un grand musicien, Sanseverino est quelqu’un de très drôle sur scène et il a une énergie abasourdissante). Deuxième partie du concert : le chanteur constate qu’il y a « beaucoup d’abonnés dans la salle » et donc « beaucoup de petits vieux » et il entame alors les morceaux plus « doux » où l’on retrouve avec délice son jazz manouche. Si l’artiste ne fait pas toujours dans la légèreté (il chante le titre J’ai un homme dans ma vie vêtu d’une robe du soir à la Marlène Dietrich qu’il enlève au moment de sortir, prouvant qu’il ne portait rien en dessous !), il parvient à séduire un public conquis et très réceptif. Super ambiance pour un grand concert !

Une semaine plus tard, je me suis retrouvé dans une petite salle de la banlieue dijonnaise pour voir Nicolas Jules, extra-terrestre découvert lors d’un concert de Jamait. Difficile de décrire le style musical de ce petit bonhomme qui joue tout seul de la guitare, accompagné d’un batteur patibulaire. Ca ressemble un peu à de la chanson minimaliste et rigolote à la Gérald Gentil (pas Gérard, hein !) mais c’est encore plus drôle. En deux, trois mouvements, le chanteur parvient à déclencher la plus franche hilarité et j’ai souvent pleuré de rire pendant ce concert. Sa prestation est à la fois absurde et décalée et si les chansons ne tiennent pas forcément à l’écoute en CD (il faudrait tester), je vous recommande chaudement d’aller le voir sur scène. Il est étonnant !

Fin octobre, c’est aussi le festival TSB (tango, swing, bretelles) de Montceau-les-mines. Je m’y suis rendu pour le dernier soir. Le concert a commencé très fort avec le phénomène Renan Luce. Je vous ai dis le plus grand bien de son album Repenti et j’avoue que depuis la première fois où je l’ai découvert seul avec sa guitare (en première partie de Bénabar), le jeune artiste a bien progressé. Les musiciens qui l’accompagnent sont excellents et ce fut un grand plaisir de le réentendre chanter tout son album devant un public conquis (beaucoup de jeunes demoiselles, d’ailleurs !). Nous eûmes droit également à un très beau titre inédit sur les timides et à une belle reprise « rock » du J’me suis fait tout petit de Brassens. Une très belle prestation qui fut suivie par celle de Miossec. J’ai déjà parlé de mes réticences face à ce chanteur mais j’avoue qu’il fut meilleur que d’habitude ce soir. D’une part, parce qu’il joua moins longtemps et qu’il reprit ses titres les plus célèbres. Pas extraordinaire mais pas désagréable (ses musiciens sont, eux aussi, très bons). Par contre, j’avoue m’être ennuyé face au rock répétitif d’Adrienne Pauly et son exaspérante voix haut perchée. Dans le genre, je préfère très largement ma chère Grande Sophie ! Pour finir, ce fut un plaisir de revoir quelques mois après leur prestation au zénith La rue kétanou même si j’ai crains un instant d’assister au même concert (le début était similaire, avec ces nouvelles chansons auxquelles je ne suis pas encore habitué). Mais la suite ne m’a pas déçu : beaucoup d’énergie, le plaisir d’entendre des titres occultés à Dijon (San Loucas, Danse…) et une belle ambiance ont permis de conclure merveilleusement ce beau concert.

J’ai toujours un peu peur d’aller voir des concerts si je ne connais pas avant les chansons. C’était le cas de Da Silva puisque je ne possédais pas ses deux albums. Eh bien je ne fus pas un instant déçu par la prestation de ce petit bonhomme réservé mais généreux, pas forcément très charismatique mais capable de transmettre son plaisir d’être sur scène par un simple sourire. Depuis, je me suis fait offrir son (très bel) album les beaux jours à venir. Pour définir son style, je dirai volontiers qu’il navigue entre une chanson à texte un peu dépressive à la Miossec (la voix éraillée n’est parfois pas très éloignée de celle du breton) et des arrangements musicaux à la Louise attaque. Mais Da Silva sait néanmoins conserver sa singularité et se montre d’ailleurs plus « énergique » sur scène en donnant à ses morceaux une tonalité plus « rock ». Une belle révélation, accompagnée par la prestation d’Ours en première partie, jeune chanteur « qui monte » et qui a fait, lui aussi, des progrès depuis que je l’ai découvert en première partie d’Aldebert (j’ai appris qu’il faisait d’ailleurs actuellement la première partie de Vanessa Paradis).

Le dernier concert de cette année 2007 marqua mes retrouvailles avec l’excellent groupe Luke (je les voyais pour la troisième fois). Plus je l’écoute et plus je trouve Les enfants de Saturne, leur dernier album, excellent. Sur scène, le groupe prouve qu’il est un petit frère plausible de Noir désir, en déployant une énergie assez époustouflante qui passe très bien dans les titres de ce dernier album (joué de manière intégrale sur scène) et lors des reprise des anciens « tubes » que nous eûmes le plaisir de réentendre (la sentinelle, Soledad, Hasta siempre…). Cerise sur le gâteau, le groupe rendit un bel hommage à Fred Chichin en reprenant le célébrissime C’est comme ça. Très belle soirée.

Pour conclure, je souhaite une excellente année aux trois, quatre égarés qui passent par ici et vous donne rendez-vous en 2008 pour de nouveaux concerts (rien de précis en ce moment même si je compte bien ne pas louper Dionysos en avril !)

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