La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

mardi, août 26, 2008

Bibliothèque idéale n°39 : la guerre

Campagne de 1814 (1816-1818) de Carl von Clausewitz (Champ Libre/ Ivrea. 1993)



Carl von Clausewitz fut un officier prussien qui participa notamment à la campagne de Waterloo contre Napoléon. Mais s’il est resté dans l’histoire, c’est davantage pour ses écrits qui firent de lui LA référence majeure en matière de théorie et stratégie militaire. De la guerre est sans doute son traité majeur mais il est l’auteur de nombreux essais sur diverses campagnes que les excellentes éditions Champ Libre eurent la bonne idée de rééditer au début des années 70.

Campagne de 1814 est celui qui a été sélectionné pour figurer dans la « bibliothèque idéale ».

A la fin de 1813, Napoléon Bonaparte est battu à Leipzig et doit se replier en France. Les puissances coalisées (Prusse, Autriche, Royaume-Uni, Russie) en profitent pour lancer la « Campagne de France » qui s’achèvera par la bataille de Paris le 31 mars 1814 et qui verra Napoléon capituler et l’Empire s’écrouler.

Clausewitz décrit dans un premier temps par le menu les différentes étapes de cette campagne qui dura trois mois. Il présente les forces en présence sur le théâtre des opérations, les avancées et reculs successifs des deux camps, les différentes batailles (notamment les étonnantes victoires de Napoléon sur la Marne, à Champaubert et à Montmirail), les premiers revers de l’empereur (à Laon et Craonne) et la marche sur Paris des coalisés (Clausewitz arrête sa description juste avant la bataille décisive).

Au-delà des considérations politiques, historiques ou sociologiques que pourraient susciter ces événements, Clausewitz décide de n’en tirer qu’un enseignement purement stratégique.

Il offre alors un commentaire critique, du point de vue de la stratégie guerrière, de cette Campagne de 1814.

Il revient sur les forces en présence (l’écrasante supériorité numérique des coalisés contre les français) et détaille chaque mouvement en précisant les moyens d’action dont disposaient et l’attaque, et la défense. Il en tire également des conclusions plus générales sur les motifs qui commandent l’offensive pour une armée (avec notamment cette précieuse notion de « point limite de la victoire ») et ceux qui justifient la défensive.

Il dresse le plan qui lui semble le plus logique pour les deux camps en raison des circonstances précises et de leurs effectifs puis cherche à comparer ce plan « idéal » avec ce qui s’est réellement passé, pointant ça et là les erreurs commises et par Schwarzenberg et Blücher, et par Napoléon.

La froide rigueur qui commande cet essai a quelque chose de fascinant. Clausewitz parvient à faire de la guerre un véritable jeu d’échec où il élide presque totalement la dimension humaine.

Chaque mouvement des armées peut être vu comme une avancée de pièces sur un échiquier. Et toute la stratégie guerrière consiste à placer ses « pions » en fonction de ceux de l’adversaire pour le piéger et l’acculer à la faute.

Tout cela est à la fois fort intéressant mais, au bout du compte, un peu rébarbatif tant l’auteur se perd dans les détails et les considérations purement techniques. Pour ceux qui, comme moi, ne possède pas le goût de l’ « art » militaire, il est fort probable que ce livre ne suscitera qu’un intérêt poli (mais réel) plutôt qu’un enthousiasme délirant…

NB : Dans la catégorie « guerre », vous avez le droit aussi bien aux livres « historiques » qu’aux témoignages romancés (Nord de Céline) ou au roman (À l’Ouest, rien de nouveau de Remarque). Alors : quels livres choisiriez-vous pour cette catégorie de notre « bibliothèque idéale » ?

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dimanche, août 24, 2008

Apocalypse now

La route (2006) de Cormac McCarthy (Editions de l’Olivier. 2008)


Sur le papier, le dernier livre de Cormac McCarthy (auteur que je voulais absolument découvrir après avoir vu la brillante adaptation des frères Coen de son No country for old men) pourrait n’être qu’un roman d’anticipation de plus, une fable de science-fiction dans la lignée du beau Je suis une légende de Richard Matheson.

Jugez plutôt : un homme et son fils déambulent le long d’une route alors qu’un cataclysme a ravagé le monde et l’a couvert de cendres. Pour survivre, ils ne disposent que d’un vieux caddie dans lequel ils entreposent le minimum nécessaire à leur survie (boites de conserves trouvées en chemin, couvertures…).

Ils doivent également éviter de croiser les quelques survivants qui sillonnent encore la planète et qui luttent désormais, sans le moindre scrupule, pour leur propre survie…

Si l’on me pardonne l’oxymore, je dirais volontiers de la route qu’il s’agit d’une épopée minimaliste où le lecteur suit pas à pas le trajet d’un homme et de son petit garçon vers le Sud et la mer où ils pourront peut-être échapper au climat intolérable qui est désormais le leur (le soleil est constamment voilé par la cendre et c’est sous la neige et la pluie qu’ils avancent en permanence).

Si le roman de McCarthy se distingue des traditionnels récits de science-fiction mettant en scène les derniers des hommes, c’est sans doute parce qu’il ne donne jamais le sentiment d’un futur proche mais de s’inscrire directement dans notre présent. Et puisque notre monde n’est, malgré tout, pas encore dévasté de la sorte, le lecteur est tenté d’interpréter la fable que nous propose l’auteur.

Même si je répugne à utiliser ce mot qui me paraît souvent employé à tort et à travers, la route possède quelque chose d’ordre métaphysique et offre une plongée incroyablement forte dans les profondeurs de la nature humaine. Les deux personnages principaux du roman ne sont pas simplement des « aventuriers », derniers survivants d’un monde ravagé par l’apocalypse mais représentent, d’une certaine manière, la condition humaine telle que l’envisage McCarthy.

« Il trouva une bougie dans un tiroir. Pas moyen de l’allumer. Il la mit dans sa poche. Il sortit dans la lumière grise et s’arrêta et il vit l’espace d’un bref instant l’absolue vérité du monde. Le froid tournoyant sans répit autour de la terre intestat. L’implacable obscurité. Les chiens aveugles du soleil dans leur course. L’accablant vide noir de l’univers. Et quelque part deux animaux traqués tremblant comme des renards dans leur refuge. Du temps en sursis et un monde en sursis et des yeux en sursis pour le pleurer. »

Le trajet de ces deux personnages, c’est celui de l’Homme livré à lui-même dans un monde sans Dieu, la course folle d’une humanité dans un monde où désormais plus rien ne fait sens (McCarthy montre de manière assez impressionnante la façon dont les civilisations industrielles ne reposent finalement que sur du vide en montrant ses vestiges à travers quelques objets épargnés par le désastre et les carcasses démantibulées du monde d’antan).

Dans un tel contexte se révèle la vraie nature de l’homme, celle d’un prédateur prêt à retourner à la barbarie la plus extrême (en l’occurrence ici : l’anthropophagie) pour assurer sa propre survie. Les tableaux proposés par l’écrivain d’une humanité (du moins, ce qu’il en reste) revenue à l’état sauvage sont impressionnants et terrifiant. Lorsque le père et son fils tombent dans une cave sur des réfugiés prisonniers destinés, sans doute, à être mangés ; ce sont les images des camps de la mort qui reviennent en tête.

Nul salut désormais à attendre d’un être humain pour qui ne demeure que la loi de la jungle. Le Mal a étendu son sombre manteau sur une espèce humaine sans avenir (j’ai songé au tueur effrayant de No country for old men). Ne reste alors plus qu’une petite flamme, ce « feu » que porte en lui le petit garçon du roman. Un feu que d’aucuns pourront nommer « foi », d’autres « éthique » (c’est lui qui demande à son père de secourir quelques résidus d’une humanité défunte, qui voudrait lier connaissance avec un autre petit garçon…) et qui empêche le livre de sombrer dans le nihilisme le plus total.

C’est aussi une des grandes forces de La route que de laisser le lecteur libre de son interprétation. Comme il ne sera jamais question des raisons de cette apocalypse (nucléaire ?) ni de son déroulement (même si le souvenir d’une femme revient effleurer la mémoire du père) ; il n’y aura pas non plus de « réponses » (Dieu ? le néant ?) à la situation que décrit l’auteur.

Juste un petit espoir au milieu d’un océan de pessimisme et de larmes…

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vendredi, août 15, 2008

Bibliothèque idéale n°38 : l'Antiquité et nous

Théâtre complet (425 av JC, 388 av JC) d’Aristophane (Gallimard. Folio. 2 tomes)


C’est peu dire que je n’y connais rien en littérature antique. A part Xénophon, lu dans le cadre de mes abécédaires, et quelques œuvres de Platon étudiées en cours de philosophie en terminale, je ne me suis jamais décidé (à tort !) à me plonger dans la tragédie antique ou les poèmes épiques de l’antiquité.

Dans le cadre de la « bibliothèque idéale », j’ai décidé de m’attaquer au théâtre d’Aristophane, soit 11 pièces et un peu plus de 1000 pages (vous comprendrez ainsi mon silence radio depuis quelques temps, d’autant plus que ma lecture a été interrompue par quelques jours passés loin de chez moi !).

Même si on frise parfois l’indigestion à ingérer d’un bloc toutes ces pièces, je dois reconnaître que j’ai pris beaucoup de plaisir à découvrir cet auteur comique, féroce pamphlétaire et habile satiriste des mœurs de son temps, n’hésitant pas à recourir aux effets les plus gras (scatologie, allusions scabreuses…) et les plus « hénaurmes » pour faire rire.

Ne comptez pas sur moi pour vous offrir une fine analyse de toutes ces pièces et je demande pardon par avance aux hellénistes pour les quelques platitudes de base que je vais débiter sur le théâtre d’Aristophane.

Je distinguerais de manière très schématique trois Aristophane : le pacifiste, l’utopiste et le polémiste littéraire.

Composées pendant la guerre du Péloponnèse, les premières pièces du dramaturge (du moins, celles qui n’ont pas été perdues) sont marquées par une verve anti-belliciste de fort bon aloi. Aristophane s’en prend violemment aux démagogues qui règnent sur la Cité d’Athènes et particulièrement à son vieil ennemi Cléon qu’il prend directement à parti lorsqu’il le met en scène dans Les cavaliers.

Dans Les Acharniens, l’auteur prend comme héros un brave citoyen (que le traducteur Victor-Henry Debidour nomme « Justinet ») qui décide devant la folie de ses concitoyens de conclure pour lui-même une trêve. Etant le seul à mettre fin aux hostilités, il montre ainsi aux spectateurs qu’ils n’ont que des avantages à espérer de la paix : les affaires de Justinet reprennent et alors que l’horrible « Vatenguerre » reprend le chemin du combat, notre bonhomme se prépare à faire bombance…

Dans Les cavaliers, sans doute le plus virulent des pamphlets aristophanesques, le peuple d’Athènes est personnifié par un vieil homme tombé sous la coupe d’un démagogue belliciste qui s’avère être Cléon. Arrive pour lui succéder un marchand de boudin, personnage à vrai dire assez filou. Aristophane met en scène le duel entre ces deux hommes qui tentent de gruger le peuple (un des serviteur l’annonce clairement « mener Lepeuple, ce n’est plus l’affaire d’un homme bien éduqué et de mœurs honorables. Il en faut un qui soit ignare et crapuleux. ») Encore une fois, la paix est le seul salut pour l’auteur de la pièce qui s’en prend violemment aux dirigeants de la Cité mais qui n’épargne pas plus l’assemblée passive des citoyens qui se laisse gouverner.

Dans La paix, c’est un brave vigneron athénien qui grimpe jusqu’à l’Olympe pour aller y dénicher la paix. Il réalise que les dieux ont déserté les lieux (dégoûtés qu’ils sont par la folie des hommes) et qu’il ne reste qu’Hermès et la Guerre. Encore une fois, toute l’argumentation de la pièce tend à prouver les avantages incommensurables d’une trêve entre Athènes et Sparte et de la réconciliation des peuples.

Parallèlement à ces attaques frontales contre la guerre qui affame ses concitoyens, Aristophane s’en prend aussi à la manie des jugements intempestifs dans Les guêpes. Et c’est peu dire que les railleries de l’auteur contre son personnage atteint de « judicardite » n’ont pas pris une ride à notre époque où rien ne semble pouvoir se résoudre sans procès et soumission totale à l’institution judiciaire !

Dans le délicieux et pratiquement constamment obscène Lysistrata, Aristophane imagine également un bon procédé pour cesser toutes les hostilités : que les femmes fassent la grève et refusent en bloc le devoir conjugal. Nul doute qu’obsédés par leur membre viril, les hommes cessent immédiatement de se préoccuper de la guerre pour revenir à des occupations plus saines ! J’ai trouvé cette pièce assez tordante dans son énormité et la franche gaillardise qui s’y manifeste m’a paru revigorante (et toujours d’actualité : si les femmes cessaient de se complaire dans leur rôle de victime et refusaient leurs charmes à quiconque les bat, les met sous des voiles immondes ou se conduit comme un gros beauf autoritaire, nul doute que le comportement des hommes se mettrait à changer !). Lysistrata illustre aussi, d’une certaine façon, la veine utopiste d’Aristophane qu’on retrouve dans les oiseaux où, las du comportement des hommes, deux individus décident de fonder une communauté idéale avec les oiseaux, perchée entre les hommes et les dieux.

Dans L’assemblée des femmes, on retrouve la prééminence des décisions féminines de Lysistrata puisque les citoyennes décident de gouverner la cité et déclarent le communisme intégral (communauté des biens régie par l’Etat et communauté des personnes, avec une priorité pour les hommes et femmes laids et vieux afin qu’ils ne soient pas délaissés par les gâtés par la nature : un peu de justice, quoi !). Quand à Plutus, il s’agit d’une satire liée au dieu Argent, dieu que l’auteur montre comme plus puissant que Zeus. Sauf que ce dieu est aveugle et qu’il ne favorise que les coquins. Il s’agira donc pour le héros de la pièce de le guérir et d’offrir ainsi l’abondance aux honnêtes gens.

A côté de ces charmantes utopies, Aristophane n’hésite pas à se livrer à des polémiques littéraires et à démolir ses contemporains. Dans Les nuées, il raille l’enseignement de Socrate dont un père de famille veut user uniquement pour ruser avec ses créanciers. Dans les Thesmophories, c’est à Euripide qu’il s’en prend en mettant en scène une assemblée de femmes (encore !) bien décidée à condamner le tragédien qui se permet de les dénigrer dans ses pièces. On retrouve Euripide dans Les grenouilles, drôle de pièce où Dionysos se rend aux Enfers pour venir récupérer le meilleur des poètes décédés. Eschyle et Euripide vont donc se livrer à une joute verbale pour déterminer lequel a la plus de valeur et c’est le premier, bien entendu, qui va l’emporter.

On reste assez étonné que dans le cadre de comédies populaires, Aristophane se permette d’introduire des pastiches assez savoureux des grandes tragédies d’Euripide et d’Eschyle et des débats littéraires pour faire rire les spectateurs. On imagine mal, comme le souligne le traducteur, un dramaturge contemporain décidant de faire rire en parodiant Racine et Corneille et en mettant en scène leurs mérites respectifs !

Voilà donc un petit panorama, forcément très réducteur, du théâtre d’Aristophane qui n’a rien perdu de sa verve et de sa saveur.

Me conseillez-vous d’autres auteurs antiques pour notre « bibliothèque idéale » ?

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mardi, août 05, 2008

Bibliothèque idéale n°37 : les grandes figures de l'histoire

Fouquet ou le soleil offusqué (1961) de Paul Morand (Gallimard. Folio Histoire. 1991)


Nous restons sous le règne de Louis XIV pour aborder la catégorie « les grandes figures de l’histoire » de la « bibliothèque idéale » qui va me permettre de retrouver Paul Morand.

Ce portrait concis de Nicolas Fouquet, richissime Surintendant sous la régence d’Anne d’Autriche et du premier ministre Mazarin qui sera désavoué et condamné à la prison à vie en 1661 au moment de l’accession au pouvoir de Louis XIV n’a, par contre, rien à voir avec les méthodes historiques d’un Pierre Goubert que je viens d’exposer.

Si Morand réhabilite Fouquet, c’est moins en historien soucieux de tirer un bilan historique et économique de son action qu’en homme de lettres qui admire le panache de l’homme qui fit bâtir le château de Vaux-le-vicomte et qui sut s’entourer des artistes les plus remarquables de son siècle (Le Nôtre, La Fontaine, Molière, Madame de Sévigné…).

L’auteur procède néanmoins de manière chronologique : un petit panorama généalogique, son ascension sous le gouvernement de Mazarin et ses liens ambigus avec le Cardinal, les débuts de l’absolutisme en 1661 et la rivalité avec un Colbert qui fera tout pour se débarrasser de ce rival gênant et enfin le procès et la fin de ses jours à Pignerol.

Est-ce parce que c’est réellement d’Artagnan qui fit arrêter Fouquet que ce récit historique m’a semblé se lire comme du Alexandre Dumas ? Toujours est-il que Morand fait de son personnage un véritable héros de roman (lorsqu’il le compare à Colbert, il note d’ailleurs que Fouquet est un personnage de Stendhal tandis que le futur intendant de Louis XIV est considéré comme un personnage de Balzac, envieux et laborieux travailleur sans grâce) et qu’il le défend sur toute la ligne.

Bien sûr, l’auteur ne nie pas la gestion plus ou moins douteuse du pays qu’a mis en œuvre Fouquet ni la manière dont il s’est enrichi prodigieusement grâce à sa fonction de Surintendant (à une époque où une grosse partie des impôts prélevés n’arrivait jamais dans les caisses de l’Etat). Morand a une jolie formule pour le qualifier : il parle d’un « honnête homme malhonnête ». Qu’importe les détournements de fonds et les méthodes employées pour renflouer le trésor public : Fouquet est pour l’auteur « l’homme le plus vif, le plus naturel, le plus tolérant, le plus brillant, le mieux doué pour l’art de vivre, le plus français. » de son temps.

On peut se demander jusqu’à quel point ce portrait de Fouquet n’est pas un autoportrait plus ou moins avoué de « l’homme pressé » Morand : un type brillant, un tantinet dandy uniquement préoccupé d’art et belles choses et peu sensible au labeur austère d’un Colbert, par exemple.

Fouquet plait au femme, il est l’ami des artistes (La Fontaine lui restera toujours fidèle) et il aime les livres et les belles choses : c’est ce qui importe le plus à Morand pour qui semble moins compter les actions que le style. Et entre le cardinal italien hypocrite (Mazarin), le roi despotique et son fourbe intendant (Colbert), c’est effectivement Fouquet qui a le plus de style et que Morand n’hésite pas à qualifier de « précurseur du Grand Siècle ».

Fouquet ou le soleil offusqué est un livre très agréable à lire (Morand est, lui aussi, un styliste de haute volée) même si son approche de l’histoire est un brin trop allusive et peut parfois perdre un peu ceux qui, comme moi, ne sont pas spécialistes du 17ème (heureusement que la lecture de Pierre Goubert m’avait un peu replongé dedans !). Je ne pense pas que les historiens professionnels le considèrent comme un ouvrage « sérieux » mais cette réhabilitation littéraire possède un certain panache qui mérite qu’on s’y attarde…

NB : Je constate avec dépit que l’histoire n’a pas l’air de vous passionner mais y aurait-il une bonne âme dans le coin pour conseiller une biographie historique méritant de figurer dans une « bibliothèque idéale » ?

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dimanche, août 03, 2008

Bibliothèque idéale n°36 : les grands textes de l'histoire

Louis XIV et vingt millions de français (1966) de Pierre Goubert (Hachette. Pluriel 2005)


Nous arrivons à la dernière partie de la bibliothèque idéale, consacrée à l’histoire et aux divers domaines de la connaissance. Ce n’est donc pas, a priori, le moment le plus facile à passer (je pense que je vais en baver en arrivant à la catégorie « Sciences » !) mais le défi vaut le coup d’être relevé !

Sacrifions à l’anecdotique : je ne sais pas si je l’ai déjà révélé mais j’ai suivi mes études (fort peu studieuses !) en fac d’histoire. Il était alors fortement conseillé par nos professeurs (je viens de voir avec plaisir que l’une d’entre eux, Sophie Wahnich, venait de faire son entrée dans la bibliographie de l’anthologie de la subversion carabinée de Noël Godin : c’est sans doute la plus belle consécration imaginable !) de lire beaucoup de livres d’historiens parallèlement à nos cours. Ce que je ne fis pas et qui me procura quelques soucis pour parvenir à décrocher (malgré tout !) une maîtrise. C’est donc avec une curieuse impression que je me suis mis à lire le célébrissime ouvrage de Pierre Goubert, me replongeant à la fois dans mes années estudiantines et en me faisant regretter quelque peu de n’avoir pas été plus curieux à l’époque.

Pour schématiser à l’extrême (j’espère que les historiens et, en particulier, M. Poirrier, dont je suivis les cours d’ « objet et méthode de l’histoire » me pardonneront ces raccourcis malhabiles), Pierre Goubert fait partie de la deuxième génération des historiens de « l’école des annales » qui révolutionna la manière d’aborder l’histoire au cours du 20ème siècle. Il s’agit alors de rompre avec une certaine vision classique de l’Histoire se limitant à quelques grandes dates et au récit de grands évènements (le vase de Soissons, 1515, 1789, blabla…) mais d’étudier les structures générales d’une société (études démographiques, économiques …) et ses évolutions.

Dans l’ouvrage qui nous intéresse, il est évident que ce qui préoccupe Pierre Goubert, c’est presque moins le monarque que ces « 20 millions de français » qui font de la France le royaume le plus peuplé d’Europe et l’un des plus peuplés du monde (derrière la Chine et l’Inde) à l’époque. L’historien délaissera donc tout ce qui se rapporte à l’imagerie traditionnelle du « grand siècle » (il expédie d’un trait de plume tout ce qui concerne Versailles et ce qui relève des secrets d’alcôves –la Maintenon est à peine citée-) mais nous proposera un panorama très détaillé des conditions de vie du peuple, des inégalités qui subsistent entre les différentes régions du Royaume (la volonté centralisatrice du Roi n’est encore qu’à ses débuts) tout en s’appuyant sur des données démographiques et économiques très précises (Goubert a auparavant rédigé une thèse très détaillée sur Beauvais et le Beauvaisis au 17ème siècle) pour expliquer certains évènements.

Les grands faits « historiques » du règne du Roi soleil (les guerres contre les Provinces-Unies, la révocation de l’édit de Nantes, la succession d’Espagne…) sont jaugés à l’aune d’une toile de fond plus globale qui permet à l’auteur de remettre en question certains préjugés (ce qui lui valut d’ailleurs des critiques acerbes de la part des vieux débris de l’extrême droite : voir la « revue de presse » en annexe du texte). Goubert se montre, par exemple, très sévère pour quelqu’un comme Colbert qui n’a fait que s’adapter, selon lui, aux conditions économiques de son temps.

De la même manière, passées les douze premières années de son règne, Louis XIV nous est présenté comme un monarque s’enfermant dans des rêves mégalomanes complètement inadaptés par rapport aux évolutions de son siècle (la volonté d’unité religieuse étant l’erreur la plus manifeste).

Si je devais me permettre un tout petit reproche sur cet ouvrage qui se dévore, il faut bien l’avouer, comme un roman (il s’agit d’un livre de vulgarisation -au bon sens du terme- et nous échappons bien heureusement au jargon des spécialistes), il concernerait la manière dont Goubert « oublie » totalement la dimension « culturelle » de l’histoire (je n’ose dire « spirituelle » pour ne pas m’avancer sur un terrain glissant !).

L’approche économique, démographique, monétaire permet d’offrir des assises stables et « objectives » au tableau historique (Goubert a raison de souligner qu’un peuple totalement affamé et miséreux n’aurait pas pu supporter des dizaines d’années de guerre comme il l’a fait). Cependant, je trouve un peu cavalier la manière dont il expédie toutes les œuvres de l’esprit en jugeant qu’elles ne concernent qu’une toute petite élite. Molière, Racine, Lulli seront à peine cités dans cet ouvrage alors qu’il me semble que c’est aussi à travers l’art et la pensée que l’Histoire se fait (c’est très simplificateur, j’en ai bien conscience, mais peut-on envisager la Révolution sans les Lumières ? ou est-ce que les Lumières sont, eux aussi, de purs produits de leur temps ? la question est difficile à trancher !).

A cette réserve près, Louis XIV et vingt millions de français mérite amplement sa place dans une « bibliothèque idéale » et je ne saurais trop vous le recommander.

A vous de me dire quels « grands textes de l’histoire » vous me conseillez pour cette catégorie…

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