La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

mercredi, octobre 16, 2019

Une vraie jeune fille


Vulvette ou Deux fesses pour expier (1977) de Walter de Roanac (La Musardine, 2019) 



L’un des grands plaisirs de la littérature dite « de gare » vient aussi du petit jeu des énigmes qu’elle suscite systématiquement. Qui est l’auteur de ce livre, ce mystérieux Walter de Roanac qui s’illustrera également chez Eurédif en signant les aventures de Frimousse ? S’agit-il d’un de ces stakhanovistes de la plume capables de répondre à toutes les commandes et d’œuvrer dans tous les genres ? Est-ce un dilettante talentueux, à l’instar des auteurs de La Brigandine, s’essayant à la pornographie comme on réalise un exercice de style ? Est-ce un écrivain célèbre ou bien Pierre Genève lui-même, éditeur aventureux qui après Mai 68 reprit en autogestion les Presses Noires, une maison d’édition qui périclitait, pour lancer Eurédif qui connut un succès foudroyant, notamment pour sa collection Aphrodite que l’on trouvait dans tous les supermarchés et kiosques de gare ?
Le mystère reste, comme on dit, entier mais la redécouverte aujourd’hui des aventures de Vulvette est une excellente surprise. Non pas tant du point de vue de l’histoire qui s’inscrit dans la longue tradition du roman érotique d’apprentissage mais de celui du style. Vulvette, c’est le surnom de Véronique, une adolescente délurée de 15 ans qui se livre à toutes les expériences que l’on peut imaginer, qui l’avoue sans détour à ses parents et qui se fait systématiquement punir pour la franchise de ses aveux (comme le titre le suggère, ses fesses sont mises à rude épreuve mais il faut dire qu'à l'époque, le législateur n’avait alors pas encore statué sur le droit ou non à la fessée !). Sans être très originales, ces aventures sont narrées de manière enlevée et selon le principe du crescendo.
Si ce roman champêtre et bucolique séduit, c’est par la grâce d’un style primesautier et fleuri qui ravit les sens et enchante l’esprit. Walter de Roanac s’amuse à changer de registres en proposant quelques dialogues (finalement assez rares) d’une verdeur familière voire grossière contrastant avec un récit rédigé dans une langue précieuse et riche. Un exemple entre mille lorsque l’auteur décrit le trouble qui saisit Véronique assistant aux ébats de son cousin : «  En parfait synchronisme avec l’obscur désir qui lui embrase le sexe, l’œillet strié qui tapit sa concupiscence au creux de la sente odorante de son périnée, se contracte en scandant chacun de ses pas, comme s’il entendait également faire valoir ses droits au divin nectar. » C’est quand même mieux que du Christine Angot ou de l’Alexandre Jardin !
Alors bien sûr, la lecture s’adresse à un public averti et certaines situations se révèlent très crues puisque l’espiègle Véronique n’hésite pas à prendre du bon temps avec nos amis les bêtes (son chien et son chat) dont les langues s’avèrent habiles ou même à offrir à son grand-père un orifice lui permettant de préserver sa virginité. Mais ces passages obligatoires pour un roman de ce genre n’ont rien de répétitif ou de glauque grâce à cette langue primesautière (sans mauvais jeu de mots) et ce style imagé : « Quant à la muqueuse aux reflets nacrés qui surgit de l’effarement des crins, elle semble d’autant plus douce que le pelage qu’elle balafre de son ondoyant sillage est plus rêche. Mais la plus grande suavité n’est-elle pas à la jonction des babines que sa ferveur entrebâille, en ce petit point précis où blotti dans la chaleur des pétales, un pistil dérisoire vibre délicieusement sous la phalange qui le harcèle de ses frétillants arpèges… »
L’humour règne en maître dans Vulvette, les frasques de l’adolescente servant de révélateur à l’hypocrisie des conventions bourgeoises et offrant le loisir à l’auteur de croquer de savoureux portraits de notables repus et scélérats (voir le précepteur de Véronique). Tandis que les filles sont présentées comme malignes, débrouillardes et pleine de vie, les garçons sont de gros farauds, des vieillards cauteleux ou des jeunes mal dégrossis :
« Il a conservé de son séjour sous les drapeaux un certain sens de la discipline, qui l’a incité à garer son vélomoteur à la grille du parc. Mais l’indolence et le laisser-aller qui sont de règle dans la fonction publique n’ont pas tardé à exercer une influence lénitive sur un dynamisme qui ne se pratique plus guère à notre époque. »
Le sens du sarcasme et l’humour pince-sans-rire du roman évoquent même parfois certains des petits ouvrages libertins de Pierre Loüys, à l’image de ce conseil plein de bon sens : «  En outre, son empressement et son aisance confirment l’intérêt de sodomiser les filles de bonne heure, car le sphincter est encore assez souple pour héberger sans problème les hommages des gens du monde. »
Bref, Vulvette ou Deux fesses pour expier est un petit roman espiègle, plein de charme(s) et qui, à l’image de l’illustration du grand Aslan, renvoie des effluves d’un temps désormais révolu où les choses paraissaient plus simples et légères…  

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jeudi, octobre 10, 2019

Libertinage à l'italienne


Pornostar (1983/1984) de Giovanni Romanini (Éditions Dynamite, 2019)


Faute de place chez moi et sans doute d’un intérêt suffisant, je ne me suis jamais laissé tenter par les « fumetti », ces BD italiennes populaires imprimées en petit format sur du papier de mauvaise qualité et faisant la part belle à tous les « mauvais genres » (le fantastique gothique, l’horreur sanglante, l’érotisme le plus racoleur…). Ces albums firent les beaux jours des mythiques éditions Elvifrance qui eurent droits à de superbes hommages d’auteurs passionnants comme Bernard Joubert (qui signe ici la captivante préface du recueil) ou Christophe Bier.
Les éditions Dynamite (le label BD érotiques de La Musardine) ont aujourd’hui l’excellente idée de lancer une collection « fumettix » et de rééditer des recueils de ces planches mal famées. Pour ouvrir le bal, le choix s’est porté sur Giovanni Romanini, un dessinateur connu pour sa collaboration avec Magnus qu’il épaula sur de fameuses séries comme Kriminal ou Satanik. Les amateurs connaissent également ses albums Les Aventures de la Cicciolina et Dodo, la petite pensionnaire (adapté au cinéma par Francis Leroi).
En 1983, il fait paraître les premières aventures de Beba, une star du cinéma porno, et sa sœur Fiona qui deviendront par la suite les héroïnes de sa série Pornostar.
Les trois épisodes regroupés ici me semblent assez caractéristiques (je mets cette supposition au conditionnel car je ne suis pas un spécialiste !) des fumetti érotiques en ce sens qu’il s’agit de pornographie brute de décoffrage qui se développe sur des scénarios élaborés à la truelle. Rien ne distingue ces histoires de la routine des films X avec plombiers testiculeux toujours prompts à boucher n’importe quel trou et facteurs libidineux incapables de trouver la boite aux lettres ! Outre les scènes convenues sur les tournages, Romanini invente quelques péripéties vite conçues, vite résolues à base d’enlèvements, de trafics de drogue ou de vol de bijoux. Le trait est assez réaliste, relativement vivant en dépit de son caractère plutôt fruste.
Une fois dit tout ceci, et sachant que l’ouvrage s’adresse à un public averti, il n’est pas interdit de trouver un certain charme à l’ensemble. A l’heure où la pornographie est disponible partout, en quelques clics, ces BD antédiluviennes fleurent bon les années 80 et les kiosques de gare. Tout est grossier voire phallocrate (les personnages féminins se pâment systématiquement dès qu’elles croisent un mâle possédant forcément une mâchoire carrée et un membre surdimensionné), les scènes pornographiques sont archi-convenues mais on ne peut pas s’empêcher de penser que ce côté « vintage » ne sera jamais aussi beauf et vulgaire qu’une bande-dessinée de Marsault ! De plus, la pornographie de Romanini se révèle souvent moins conformiste que la plupart des films X de l’époque dans la mesure où elle ménage toujours un passage de sexe homosexuel voire même, dans le troisième épisode, un rôle déterminant à un personnage hermaphrodite. Cela ne fait pas tout mais c’est à noter.
Et c’est donc avec curiosité et impatience que l’on attend la suite de cette collection « Fumettix »…

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samedi, octobre 05, 2019

Le retour de Rocambole


Le jour où mon alzhei’mère échappa aux griffes d’un nazi constipé grâce à un Croate à la coiffure étrange (2019) de Laurence Kleinberger (Editions du Basson, 2019) 



J’ignore si c’est vraiment le cas mais, depuis le succès du roman de Romain Puértolas L'extraordinaire voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea, il semblerait que les titres à rallonge aient le vent en poupe. Après J’ai pas tué Gérard, enfin je crois…, Laurence Kleinberger récidive avec Le jour où mon alzhei’mère échappa aux griffes d’un nazi constipé grâce à un Croate à la coiffure étrange (c’est dans ces instants que je regrette de ne pas être payé au nombre de signes !) que l’on peut considérer comme une « suite » du premier roman même si on le lira aisément sans connaître le précédent. En effet, nous retrouvons ici les personnages pittoresques de Franckie Apfelstrudel, de sa cousine Lilith, qui fait office de narratrice, et de son amie Victoire. C’est cette dernière qui enclenche le récit dans la mesure où, pour se venger de son patron, elle a saboté le dernier travail qu’elle devait effectuer. En guise d’implants capillaires, elle a orienté les cheveux de façon à dessiner un gros zob sur le crâne de son patient. Or il se trouve que ledit patient est un tueur croate et que Victoire l’a désormais aux trousses !

J’ai revu il y a peu Le Coup du parapluie de Gérard Oury et je dois avouer que j’ai eu un peu de mal au début : gags antédiluviens, une certaine lourdeur… Et pourtant, une fois que la mécanique est en branle (avec les quiproquos ad hoc), ça fonctionne et on se laisse séduire par une écriture bien huilée et un rythme échevelé. Le roman de Laurence Kleinberger m’a fait le même effet. Au départ, c’est un peu de l’humour « brut de décoffrage » reposant sur des situations « hénaurmes », une certaine crudité et un style parlé à l’emporte-pièce. Et puis peu à peu, on se laisse prendre par ces situations rocambolesques, cette accumulation surréaliste d’événements improbables (avec l’apparition assez désopilante des Daft Punk mais je n’en dis pas plus) et un sens de l’humour absurde qui s’avère parfois tordant.

Bien sûr, on peut émettre quelques réserves et Laurence Kleinberger ne fait pas toujours dans la dentelle, notamment lorsqu’elle nomme son méchant nazi (oui, ils apparaissent aussi dans cette histoire !) Verboten Kacka et qu’à l’instar du docteur Bérillon -ce savant devenu fou qui focalisa dans ses travaux sur les matières fécales des allemands- elle barbote dans la scatologie. Néanmoins, l’ensemble est rondement mené et on rit souvent alors on pardonne volontiers quelques facilités pour se laisser prendre par l’indéniable sens du burlesque de l’écrivaine.

Parfois, l’humour fait office, selon la formule consacrée, de « politesse du désespoir » dans la mesure où l’héroïne du roman est une paumée un brin dépressive dont la mère est atteinte de la maladie d’Alzheimer. Mais chez Laurence Kleinberger, les personnages décalés et malmenés par la vie finissent par se retrouver et former une petite communauté pittoresque (dans un kibboutz en Israël !) et tout finit bien.

Rythmé par des chapitres courts qui alternent les points de vue, Le jour où mon alzhei’mère échappa aux griffes d’un nazi constipé grâce à un Croate à la coiffure étrange est un roman enlevé et attachant.


 


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