La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

vendredi, avril 21, 2006

Promesses tenues


Debout sur le zinc. Les promesses

Une fois n’est pas coutume, j’ai découvert le groupe Debout sur le zinc grâce à Télérama. Je me souviens être tombé sur une notule élogieuse (ce n’est quand même pas suffisant pour me convaincre!) associant cette formation de sept musiciens à la tendance « rock-guinguette » que je dévorais à l’époque (surtout les Têtes raides, la Tordue et les Ogres de barback).
J’achetais donc à l’époque l’homme à tue-tête et depuis, je n’ai manqué aucun de leurs albums. Le dernier en date (leur quatrième), les promesses, est une réussite totale où le groupe reste fidèle à son style, ses influences tout en évitant la sensation de redite qui peut parfois affleurer lorsqu’on écoute tous ces petits groupes mêlant fanfare balkanique et rock néo-bastringue.

Ce qui impressionne le plus à l’écoute des albums de Debout sur le zinc, c’est la grande cohésion du groupe qui fonctionne pourtant sur des bases extrêmement hétérogènes. Trois chanteurs qui écrivent chacun leurs textes, une pléthore d’instruments (de la clarinette aux guitares électriques et sèches en passant par le violon, l’accordéon, le banjo, la contrebasse, la mandole et j’en passe…), des styles venus de tous horizons (chanson française, fanfare tzigane, rythmes orientaux, arabes, yiddishs, rocks…) et à l’arrivée, une sensation de totale harmonie et une cohérence aussi bien instrumentale que dans l’univers des textes.

Si je devais, sous le menace de la torture, choisir entre les trois auteurs-chanteurs, je confesserais un petit faible pour les chansons signées Simon Mimoun. D’une part parce qu’il a écrit précédemment les plus beaux textes qui soient (Deux fois oui, les mots d’amour) et parce que j’aime beaucoup le timbre singulier de sa voix. Dans les promesses, outre une sublime reprise d’une des premières chansons du groupe (la pantomime) version raï (en duo avec Dikès du groupe Mon côté punk) ; il nous offre un revigorant et exaltant chant d’allégresse (Restez debout), une splendide ode à l’enfant qui n’est pas encore là (Te promettre la lune) et une merveilleuse Déclaration pouvant aussi bien s’interpréter comme une chanson d’amour à la femme aimée ou à la chanson en général (« C’est un peu une déclaration que je te fais car il est temps je crois /// Quand certains rêvent de nations, de football ou de vrais combats /// Moi c’est vers toi que je tends les bras /// Quand ça ne va pas /// Ma cervelle et mes sentiments /// Je te les donne /// Ils sont pour toi /// …).

Tout l’équilibre de Debout sur le zinc tient dans cette alchimie entre une poésie qui n’a rien de frelatée et des morceaux musicaux exaltants et entraînants. De ce point de vue, les morceaux composés par Christophe Bastien (le très rock Fallait pas) ou par Romain Sassigneux (et ses accents déchirants sur la lettre perdue) sont aussi très réussis et tous arrivent à créer une harmonie parfaite.

Je dirais même qu’on est séduit par Les promesses dès la première écoute alors que les précédents albums méritent qu’on les ai bien à l’oreille pour les apprécier à leur juste valeur.
Avec l’album de Jamait, c’est mon premier grand coup de cœur de l’année…

Libellés : , ,

jeudi, avril 20, 2006

Service minimum

Une heure vingt cinq ! Il n’aura pas fallu une minute de plus au groupe Mickey 3D pour boucler le premier concert qu’il donnait hier dans la capitale des ducs de Bourgogne. Pourtant, en comptabilisant le nombre de titres joués, on réalise que le groupe nous en a offert 24, soit trois de plus que Cali dont le concert dura près de trois heures ! C’est ce qu’on appelle expédier la besogne ! Les Mickey 3D s’acquittèrent de leur tâche sans enthousiasme devant une salle assez peu remplie (mais tout de même !) et dans une ambiance plutôt morne (et pour une fois, le public n’est pas le seul en cause).

Déception donc. Le concert débuta par les morceaux du dernier album Matador, joués d’ailleurs (en ce qui concerne les trois premiers titres) dans l’ordre du CD (pas bon signe !). Sans changer une seule mesure, le chanteur enchaîne les titres tel un fonctionnaire accomplissant un travail routinier et n’ayant qu’une hâte : en finir. Vingt minutes et sept chansons plus tard, on en a (quasiment) fini avec le dernier album et les « tubes » sont annoncés. Et c’est reparti pour un le jeu à la chaîne des vieux morceaux du groupe. Au bout d’une heure à peine, le chanteur annonce qu’il est temps de se quitter (!!!). Il y aura une petite demi-heure de rappels mais la fin tombera comme un couperet. C’est tout ?

Ce qui est rageant, c’est que le concert avait tout pour être réussi : un groupe qui a fait sa réputation sur scène, des morceaux plutôt rock et bien rythmés, le choix de ne retenir quasiment que les « tubes » qui commencent à être connus par le plus grand nombre (de La France a peur à Respire en passant par J’ai demandé à la lune et Tu dis mais ne sais pas), des musiciens doués…
Sauf qu’il aurait fallu donner l’impression d’être content d’être sur scène et faire vivre les morceaux. Or à part Respire (joué en rap) et les gens raisonnables (rythmé de manière reggae), les morceaux ont été joués tels que nous les connaissons dans les albums. Quand au chanteur, il n’a fait aucun effort pour communiquer avec la salle, pour faire reprendre les paroles de ses chansons. Rarement un groupe ne m’aura paru aussi peu charismatique. J’aime beaucoup le talent de la petite musicienne qui tient l’accordéon et les claviers du groupe (et qui a par ailleurs un joli filet de voix comme elle le prouve sur Ca ne m’étonne pas et Réveille-toi) mais niveau prestance, comme le faisait judicieusement remarquer un ami qui m’accompagnait (et pour faire une allusion à une chanson du groupe), « c’est Mimoun derrière sa fraiseuse ».

Bref, sans vouloir porter de jugement définitif (j’avais été déçu de la même manière la première fois que j’avais vu Louise Attaque et ils se sont bien rattrapés il y a un mois !) ; j’ai un peu l’impression que le groupe a pris la grosse tête et se contente de faire son boulot sans réel enthousiasme. Cela témoigne à mon sens d’une certaine ingratitude car c’est la scène qui l’a fait. Et même si on est désormais sponsorisé par France 2 et Europe 2, il serait de bon ton de ne pas l’oublier et de prendre exemple sur des gens comme Cali, Bénabar ou Sanseverino qui savent encore faire partager leur désir de scène et communiquer avec le public…

Libellés : , ,

jeudi, avril 13, 2006

Toujours dire Jamait


JAMAIT. Le coquelicot

Ca a commencé d’abord comme une petite histoire locale qui remonte déjà à un certain nombre d’années. Je me souviens avoir entendu pour la première fois Jamait en 1998 (en première partie des Têtes raides) : son groupe s’appelait alors De verre en vers et je n’allais dès lors pas cesser de suivre la fulgurante ascension du chanteur dijonnais.
De verre en vers devint le titre d’un premier album signé sous le nom de Jamait (Yves de son prénom) et marqua la naissance d’un auteur-compositeur d’exception. Entre chansons réalistes, poésie éthylique, accès de colère et de douleur ; cet album marquait indéniablement la naissance d’un style singulier, soutenu par une interprétation habitée et une écriture très belle.
Depuis 1998, cet album a été beaucoup joué, de petit bistrots en salles de plus en plus vastes, toujours bondées à craquer depuis quelques années (la dernière fois que j’ai vu son spectacle, c’est lors d’un concert organisé en ville en faveur du « non » au référendum sur la constitution européenne).
Le vrai déclic fut sans doute un grand concert gratuit organisé en 2002 par la ville de Dijon (et renouvelé depuis tous les ans). Jamait s’y produisit avec deux autres groupes locaux (dont les excellents Trapettistes dont je vous recommande chaleureusement l’écoute) et fit un triomphe. Après cette date, son album trôna longtemps en tête des meilleures ventes chez les disquaires du coin (Fnac, Carrefour …) et ce qui devait arriver arriva : Jamait signa avec une maison de disque et ressortit De verre en vers.

Mais ce que les fans attendaient depuis un bon bout de temps, c’est ce fameux album depuis longtemps annoncé et toujours reporté. Le voilà enfin qui arrive, tout beau, tout chaud. Intitulé le coquelicot, il est à la fois sans surprise et totalement abouti. Sans surprise puisqu’en ayant vu Jamait sept fois sur scène, je connaissais plus de la moitié des 15 titres désormais enregistrés pour la postérité. Malgré cela, difficile de ne pas être comblé par la maturité de cet album et sa grande beauté.
Pas de surprise dans le style non plus puisqu’on retrouve ces chansons néo-réalistes sombres ou mélancoliques, ces airs de java et de valse aux charmes rétros, cette voix embrumée par l’alcool, les cigarettes et la mélancolie qui donne aux interprétations de Jamait une force émotionnelle rare. Nous sommes dans la lignée des Prévert et des Dimey (très belle reprise de la chanson de celui-ci qu’interprète Aznavour : La salle et la terrasse) mais grâce au soin accordé aux orchestrations, grâce à une écriture très belle, finement ciselée (« Voilà personne ne dit mot, on est là, tous les deux à regarder nos tasses. Faut accepter que le temps passe. C’est l’heure des adieux. Il nous a fait défaut. Dehors la ville est en sanglot et pleure quelque peu sur le chaland qui passe. A force qu’on le rapetasse, notre amour piteux finit par prendre l’eau. ») ; Jamait parvient à transcender les clichés et à donner une tonalité totalement personnelle à ce CD.

Le regard de l’auteur sur l’amour et la vie est plutôt sombre mais l’humour l’emporte parfois (Testostérone émoi) sur le désespoir ou la colère (Jean-Louis ou le monologue du client). Jamait a également un sens innée du rythme qui fait qu’on a tout de suite ses chansons en tête, séduit par ces ritournelles d’emblée familières. Mais il atteint, selon moi, des sommets lorsqu’il évoque de manière totalement bouleversante la mort d’un père qu’il n’a jamais connu (Vierzon) ou lorsqu’il rend un vibrant hommage à Dijon, cette ville d’où finalement tout est parti.

Vous connaissez mon mépris absolu pour toute forme de nationalisme et autre patriotisme. Le régionalisme est une variante débile de ce nationalisme et ce n’est donc en aucun cas pour cette raison que j’exalte de manière si insistante l’album de Jamait. Soyez curieux : écoutez une ou deux chansons à la FNAC (Passe, par exemple), allez le voir sur scène (il a une patate incroyable et beaucoup d’humour) et vous ne serez pas déçus par la découverte.

Le coquelicot est un album tout simplement fabuleux.

Libellés : , ,

dimanche, avril 09, 2006

Un ban pour Bénabar

Au départ, cette cave n’était pas destinée à devenir un entrepôt pour souvenirs de concerts mais mes nombreuses sorties et mon emploi du temps relativement chargé m’empêchent de vous parler de mes lectures (l’attrape-cœur de Salinger, le théâtre de Jarry…) et des nouveaux CD qui valent le coup (nous essaierons néanmoins de vous dire deux mots du nouvel album de Debout sur le zinc et de celui de Jamait). De plus, vous allez peut-être vous lasser de mon manque d’esprit critique et des mêmes superlatifs que j’emploie après chaque nouveau spectacle. Il faut dire qu’une place de concert ne coûte pas le même prix qu’une place de cinéma et que nous nous aventurons rarement dans ce type d’endroit sans bien connaître auparavant ce que nous allons voir. D’ou la rareté des déceptions même si cela peut arriver (dans ce cas là, la déception vient surtout du manque d’ambiance, comme ce fut le cas l’année dernière quand je vis l’excellent Matthieu Boogaerts dans une salle presque vide et relativement hostile –je me souviens de quelques odieux beaufs faisant des remarques inopportunes-)

Mais sans exagérer, je vous assure que le spectacle qu’a donné hier Bénabar était merveilleux. Je connais le chanteur depuis un petit bout de temps puisque je me souviens encore l’avoir découvert, après son deuxième album, lors d’un showcase à la FNAC. Nous n’étions pas nombreux ce jour là à entendre ce qui allait devenir ses « tubes » (Vélo, Y a une fille qu’habite chez moi…) mais c’est à partir de ce jour que j’ai acheté tous ses albums (quatre en studio et un live) et que j’ai suivi avec plaisir la carrière de celui qui allait devenir une des figures de cette « nouvelle chanson française » que les crétins commencent à décrier.
On sait que le succès semble suspect en France mais il suffit de découvrir les prestations scéniques de Bénabar (que j’avais vu il y a un an et demi à Chalon-sur-Saône) pour faire taire toutes les réticences et mesurer à quel point ce succès est mérité (c’est la scène qui l’a fait et c’est sur scène, à mille lieues de ses prestations télévisuelles timorées, que le chanteur prend toute son ampleur).
Je le dis d’autant plus volontiers que je ne suis pas un fan absolu de son dernier album (Reprise des négociations). Même si certains titres sont très réussis et permettent à l’auteur compositeur de prouver une fois de plus son génie de l’observation et la finesse de son trait déclinés sous la forme de l’humour (le dîner, les épices du souk du Caire), de la tendresse nostalgique (Quatre murs et un toit) ou de la noirceur pessimiste (Qu’est-ce que tu voulais que je lui dise ?) ; l’ensemble me semblait un peu ronronnant et assez inégal. Mais, encore une fois, le charisme du chanteur et son sens de la scène m’ont totalement réconcilié avec lui. Et c’est une évidence que certaines chansons de l’album (Maritie et Gilbert Carpentier, la berceuse) prennent en public une saveur qu’elles n’ont pas forcément à l’écoute chez soi.

Résultat (je ne pense pas que Glurp me contredira) : 2 heures 20 de bonheur où Bénabar nous offrit un superbe panel de ses quatre albums (le premier étant un peu sacrifié mais il commence à être vieux) ; alternant de manière parfaite les morceaux rythmés et les chansons plus poignantes (la splendide Je suis de celles) où un effort d’orchestration était nettement perceptible (les musiciens accompagnant le chanteur furent parfaits).
Et puis, il y a l’énergie de cette bête de scène . Une des caractéristiques de cette génération de la « nouvelle chanson », c’est ce rapport très fort avec le public. Cali joue plutôt sur le côté écorché vif et une connivence presque sentimentale avec la foule, Mathias Malzieu cherche à provoquer l’hystérie et les mouvements de foule. Bénabar est plutôt dans le dialogue rigolard perpétuel, titillant nos oreilles de provinciaux par des petites provocations rigolotes (« on a joué ce morceau à Paris et la réaction était quand même mieux… ») et improvisant au milieu de certaines chansons (Adolescente) de véritables petits sketches hilarants. Un des grands moments du spectacles fut le jeu de cette chanson inédite et désopilante sur la pierrade se concluant par un véritable bras de fer (pour rire) entre une foule déchaînée entonnant le désormais indispensable ban bourguignon alors que le chanteur multipliait les piques contre le public provincial. J’en pleurais de rire !
Je ne m’appesantis pas par peur de vous lasser mais je vous assure ; si Bénabar passe dans votre coin, ne le ratez pas : le numéro qu’il offre à chaque fois est sensationnel et mérite le détour…

Libellés : , ,

vendredi, avril 07, 2006

Concert monstre

Si je vous demande qui est le meilleur groupe de rock français du monde, vous répondrez sans aucune hésitation Dionysos et vous aurez raison. A fortiori lorsqu’on évoque les prestations scéniques de la formation qui n’ont, à mon humble avis, pas d’équivalent valable dans notre bel hexagone.
J’avais hâte de revoir le farfadet volant Mathias Malzieu et ses musiciens : d’une part parce qu’ils avaient électrisé un festival de rock lorsque je les avais découvert à la suite de leur deuxième album studio(le désormais mythique Western sous la neige) et d’autre part parce que je tiens Monsters in love pour l’un des meilleurs CD sortis l’an dernier. L’écriture volontiers surréaliste et poétique de Mathias Malzieu (que l’on retrouve dans son superbe roman Maintenant qu’il fait tout le temps nuit sur toi, complément indispensable à l’album) s’est affinée, l’esprit furieusement rock d’autrefois s’estompe parfois au profit de savoureux morceaux où dominent le banjo (dont le génial les métamorphoses de Mister chat qui fut l’un des grands moments du concert) et l’ensemble possède une cohérence et une unité rare.

Avec des arbres Tim Burtonien placés sur scènes, on se dit qu’on va retrouver cet esprit sur scène et l’on n’est pas déçu puisque les Dionysos vont centrer leur spectacle presque exclusivement sur leur dernier album. Et dès le premier morceau (Giant Jack) , c’est du délire. Quiconque n’a pas vu Malzieu sur scène et sa troupe ne peut avoir la moindre idée de l’énergie (dionysiaque) que dégage ce groupe. Le chanteur invite constamment le public à réagir, à hurler, à bondir, à bouger et fait de même sur scène (après deux heures à ce régime, je me demande comment il peut encore avoir des cordes vocales et le moindre souffle !). Même des chansons plutôt calmes sont jouées dans des versions survitaminées (je ne pensais pas possible de pouvoir provoquer de tels mouvements de foule avec des titres comme l’homme qui pondait des œufs ou Don Diego 2000) et la folie qui a gagné la salle n’a pas faibli pendant toute la durée du concert.

Malzieu est une pile électrique : il félicite le public pour son chœur de « ta gueule le chat » (les connaisseurs reconnaîtront la chanson), provoque un « pogo muet », crache au passage sur Yannick Noah (forcément, c’est au moment de la chanson sur McEnroe) et invite des cuivres (deux jeunes musiciens visiblement impressionnés par l’atmosphère électrique de la salle) sur Tes lacets sont des fées et le superbe Neige (ode déchirante à la mère disparue qui est, avec Mon ombre est personne, l’une des chansons qui prend le plus de relief lorsqu’on a lu le livre du chanteur).
Au total, le groupe ne jouera qu’une quinzaine de morceaux car chacun d’eux est délayé au maximum, soit par le « show » permanent de Malzieu qui se jette dans la foule aussi régulièrement qu’il le peut ou par les musiciens qui les agrémentent de longues plages instrumentales. Prenez le rappel : deux chansons en une demie-heure. Une reprise sous amphétamines du Docteur Jekyll et Mister Hyde de Gainsbourg (j’ai eu du mal à la reconnaître) et l’indispensable Song for Jedi durant lequel notre chanteur sur ressort à refait à peu près le numéro qui l’avait rendu célèbre aux Victoires de la musique (un slam, une traversée de la salle et le voilà en train de grimper vers les techniciens du son et se nicher à deux mètres du sol pour entonner a capella un couplet de Coccinelle).

Mais je me rends compte que mon pauvre vocabulaire s’avère assez vain pour retranscrire l’atmosphère qui règne lors des concerts de Dionysos. Alors je me contenterai d’une expression qui me fait horreur :
C’était énorme.

Libellés : , ,

samedi, avril 01, 2006

Fait divers

De sang-froid de Truman Capote

Une nuit de l’hiver 1959 dans le Kansas, quatre membres de la famille Clutter sont assassinés sauvagement dans leur maison par deux petits malfrats. Pour quelles raisons ce crime crapuleux a-t-il été commis et a frappé des gens sans histoire et respectés dans leur ville ? Comment des hommes ont-ils poussé la sauvagerie jusqu’au meurtre pour quelques dizaines de dollars ? Qui sont réellement ces deux criminels ? Tels sont les questions auxquelles va tenter de répondre Truman Capote dans ce chef-d’œuvre qui reste encore aujourd’hui un livre étonnant.

Le film Truman Capote de Bennett Miller m’a donné envie de découvrir cette œuvre majeure que je me promettais de lire depuis un certain temps. Tout est désormais connu de la genèse du livre : ce fait divers crapuleux et le projet de l’écrivain d’appliquer aux codes du romanesque les méthodes du journalisme d’investigation (à moins que cela ne soit l’inverse ). D’où cette écriture « froide », objective, qui semble s’en tenir à l’évocation des faits. Des derniers jours des victimes à la préparation du meurtre par Dick et Perry, de l’horrible découverte du carnage à la cavale des deux coupables, de l’enquête d’Alvin Dewey à l’arrestation des criminels, du procès jusqu’à la peine capitale prononcée contre les accusés ; Capote entreprend le récit minutieux du fait divers, n’hésitant pas à recenser le moindre détail, à se livrer à de nombreuses digressions relatives à chaque personnage croisé à un moment donné. Et cette méthode s’avère fascinante tant la construction narrative du livre est habile, entremêlant un nombre important de personnages tout en restant d’une limpidité totale. L’auteur nous prend par la main et nous conduit dans les méandres d’une enquête passionnante de bout en bout. Enquête policière, bien sûr, mais également enquête sur la nature humaine et les abîmes qu’elle peut laisser parfois entrevoir.

Il n’est pas inintéressant de lire le bouquin après avoir vu le film (qui par ailleurs prend une autre dimension et gagne une certaine ampleur lorsqu’on a lu le livre) car ce que tente de comprendre le metteur en scène, c’est la place de l’auteur dans son œuvre.
Je m’explique. En jouant la carte de « l’objectivité » absolue, du livre écrit comme un constat journalistique, Capote fait mine de s’effacer, de supprimer en quelque sorte le point de vue de l’auteur. Or il est évident qu’on ne lirait pas De sang-froid quarante ans après s’il n’était qu’un récit journalistique (qui se soucierait d’un fait divers raconté par Serge July ?). Ce que met en évidence le film, et que l’on ressent dans le livre, c’est la manière dont Capote s’approprie le fait divers et vampirise le Réel pour le retraduire dans une œuvre d’art. D’une certaine manière, Miller dévoile ce que le livre tente de dissimuler (le rapport de séduction entre Perry et Capote qui lui attache plus d’importance qu’à Dick, la nécessité de voir ces hommes condamnés pour que l’écrivain puisse conclure son livre…) et nous prouve, a contrario, que le Réel n’existe pas sans point de vue et que c’est par son style, sa manière de poser son regard sur ce fait divers que Capote a réussi avec De sang-froid une œuvre aussi forte.

En optant pour ce désossement « objectif » d’un fait divers et en ne lésinant sur aucune des questions qu’il pose, Capote rend finalement plus opaque les explications qu’on pourrait en donner (appât du gain, problèmes psychologiques liés à l’enfance…). Il nous confronte à l’indicible, aux gouffres que recèle la nature humaine. Tout semble assez simple (erreur de diagnostic de la part des cambrioleurs qui pensaient trouver un coffre-fort, influence néfaste de leurs milieux sociaux respectifs et des traumatismes de l’enfance…) mais s’avère finalement plus compliqué et rend les explications dérisoires. Seules subsistent des questions : comment peut-on abattre froidement un être humain ? Comment ne pas sentir le poids du remords ni distinguer les notions de Bien et de Mal ? (Mêmes relatives, il me semble que ces notions se différencient lorsque est mis en jeu une vie humaine).
Capote ouvre finalement son œuvre sur un trou noir au cœur de l’Amérique (car le livre est aussi un superbe tableau de cette Amérique au tournant des années 60 où règne le refoulé. Ce n’est pas un hasard si la mort frappe injustement une famille « modèle »). Et derrière un fait divers affreux mais finalement assez banal se dessine finalement l’ombre de la Monstruosité absolue, tapie au cœur de l’homme et, qui sait, peut-être en chacun de nous…

Libellés : ,