La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

mercredi, janvier 31, 2018

Humain, trop humain



L’Animal de compagnie (2018) de Léo Barthe (Jacques Abeille) (LaMusardine, 2018) Sortie le 11 janviers 2018


Cela faisait très longtemps que je voulais lire du Jacques Abeille, auteur secret proche du surréalisme, ami de Pierre Molinier et Jean-Pierre Bouyxou, auteur du « Cycle des contrées » mais également d’une abondante production érotique sous le pseudonyme de Léo Barthe. Si l’on se réfère à la plus célèbre des encyclopédies en ligne, cette œuvre pornographique est, pour l’auteur, une manière d’explorer le « continent noir » de la féminité.
A découvrir L’Animal de compagnie, son dernier roman à ce jour, on se dit que Léo Barthe n’a pas encore épuisé le sujet. Henriette et Jean coulent des jours heureux jusqu’au moment où un couple d’amis leur confie Buster, un chien bien dressé qu’ils ne peuvent pas emmener en vacances. Très vite, la présence de cet animal va créer une tension érotique palpable et bouleverser la vie sexuelle du couple…
On l’aura compris, le sujet est à la fois extrêmement tabou (la zoophilie) et scabreux. Pourtant, par la grâce d’une écriture somptueuse, Jacques Abeille transcende constamment la crudité de son propos. S’il s’agit de nommer les choses sans se défiler, ce n’est pas pour se contenter de l’incongruité de cette relation « contre-nature » entre la femme et l’animal. Il s’agit d’ausculter les territoires les plus enfouis du désir et du plaisir, de remonter à la source de sa propre enfance pour saisir quelque chose du mystère de la sexualité et du fantasme :
« -Ah ! Je retrouverais l’enfance que j’ai oubliée. Nous ne sommes adultes que pour nous adonner sans contrainte aux jeux de l’enfance. » Même si la référence devient un peu une tarte à crème dès qu’il s’agit d’évoquer des textes érotiques relativement torturés, on songe ici à Bataille. Mais il n’y a pourtant pas chez Abeille ce sentiment d’effroi et d’horreur que l’on trouvait chez l’auteur de Ma mère. Au contraire, toutes les actions semblent ici couler de source et se déroulent avec le plus grand naturel. Ce qui rapproche les deux écrivains, c’est le vertige d’une liberté ineffable à laquelle donnent accès la sexualité et les fantasmes.
Cette liberté, c’est également celle de l’écriture qui permet d’aborder tous les sujets, y compris les plus tabous. Suite aux aventures de son épouse, Jean décide d’écrire leurs expériences, de trouver une forme littéraire pour exprimer ces gouffres insondables. Le roman se double dès lors d’une réflexion sur le pouvoir de l’écriture, notamment l’écriture pornographique.
Sans entrer dans les détails des péripéties (d’ailleurs relativement peu nombreuses) de ce roman, il faut savoir qu’il bifurque à un moment vers une sorte de fantastique à la Villiers de L’Isle-Adam avec un homme qui construit une imposante machine capable de reproduire les mouvements du chien pour offrir le plus grand plaisir à ces dames. Ce robot monstrueux pourrait symboliser une certaine routine du roman pornographique « classique », entièrement tourné vers la performance, la répétition mécanique des mêmes gestes. Or ce qui intéresse Abeille se situe ailleurs : dans « l’accident », l’accroc qui rend les relations entre deux êtres si troublantes et vertigineuses. Il fait dire à Jean ces paroles très significatives :
« Mon amour, je le saurai désormais, n’a jamais voulu se rassasier que de l’épanouissement du désir de l’autre et mon propre plaisir m’importe assez peu. Mon vice est l’inverse de celui de mes semblables. Je ne cherche la pure et exquise beauté que dans la contemplation enfiévrée d’une liberté sans frein ni borne, infinie. »
Cette liberté, c’est aussi celle de l’abandon et de la soumission. En se focalisant sur une relation entre des femmes et un chien, l’auteur gratte sous le vernis de la civilisation et ses tabous cette part d’animalité qui subsiste en nous. La « soumission » à ces « machines sexuées » n’a rien à voir avec l’oppression sociale qui s’exerce constamment sur les individus, notamment sur les femmes (« Je n’avais pas, comme elle, cette belle confiance en nos semblables et il est probable que je ne l’acquerrai jamais. Pétris d’une tradition millénaire qui les condamne à vivre dans la terreur et les pousse à projeter sur l’autre leurs pires défaillances, les hommes n’ont de cesse de subjuguer et humilier les femmes, en sorte que s’entretient dans l’espace de notre monde une guerre sans trêve qui brise en deux l’humanité et engendre bien d’autres conflits. ») mais signifie, au contraire, la souveraine liberté de s’abandonner à tous ses fantasmes et ses désirs :
« Je désire le vertige d’être livrée sous vos yeux dans l’aveu forcé d’un plaisir dans but. Ah, être au moins une fois dans ma vie tout à fait inhumaine dans une liberté ultime. »
Car, comme Sade, Abeille saisit parfaitement ce que cette « liberté ultime » a d’inhumain mais aussi qu’elle peut donner lieu à de très belles œuvres de l’esprit comme cet Animal de compagnie troublant et fascinant…

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jeudi, janvier 25, 2018

Aux mateurs amateurs...



Osez…La photographie érotique (2017) de Jean-Louis del Valle (LaMusardine, 2017)


Outre un beau catalogue de littérature générale et de beaux livres, La Musardine possède également une petite collection phare intitulée « Osez » (tout ce que vous pouvez imaginer ensuite : le tatouage sexy, découvrir le point G, la fessée, le sexe après 60 ans…). D’une certaine manière, l’éditeur surfe sur la mode des livres de « développement personnel » sur un mode ludique et sexy. Qu’on ne s’y trompe pas pourtant : si le livre de Jean-Louis del Valle, photographe de son état, est parsemé de touches d’humour, il ne s’agit en aucun cas d’un ouvrage égrillard mais d’un manuel pratique sérieusement construit et où l’on n’hésite pas à citer Barthes et Kant ! J’allais même dire que la dimension « érotique » mise en avant par le titre est presque accessoire et que l’auteur nous livre avant tout un guide pratique pour débuter en amateur une pratique de photographe. Del Valle s’attarde longuement, par exemple, sur le matériel à choisir, soulignant les qualités et les défauts de chaque produit présenté. Il évoque aussi bien les appareils à choisir mais également les éclairages et le choix couleurs ou noir et blanc.
Ensuite, il fait le point sur les lieux à privilégier pour ce genre de photos et les modèles à envisager (avec des entretiens avec des professionnelles évoquant les joies de leur métier et ses désagréments). Enfin, l’auteur fait le point sur la question des téléphones et insiste sur les règles juridiques liées à la photo (faire signer des contrats, ne pas diffuser l’image de quelqu’un sans son consentement écrit…)
Pour celui qui voudrait se lancer dans cet art, ce petit guide regorge de renseignements, y compris les plus techniques (50 pages d’annexes où del Valle zoome sur les questions de diaphragme, de luminosité, de temps d’exposition…). C’est peut-être d’ailleurs la limite du livre en ce sens qu’il est presque « trop pro », destiné à des individus qui voudraient se lancer dans la photo avec l’espoir d’être publiés ou exposés (le lecteur vraiment néophyte ne se verra sans doute pas faire des démarches pour payer un modèle !). On aurait aimé, pour l’amateur de base, plus de précision sur le côté « esthétique » de la photo : des techniques pour bien cadrer, des astuces pour magnifier un corps ou un visage…
Si le livre est parfois un peu frustrant, c’est qu’il mise plus sur les côtés pratiques et techniques que sur l’esthétique et le sens de l’image. Comme si un livre pour apprendre le dessin se contentait de conseiller les bons pinceaux, les bonnes toiles et les types de lieux où peindre !
Mais à cette réserve près, le livre est intéressant et fera la joie des « a mateurs » désireux de mettre en images leurs velléités artistique et, pourquoi pas, leurs fantasmes érotiques…

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jeudi, janvier 04, 2018

Lectures de novembre et décembre 2017



Pour les lectures de ces deux derniers mois, je ne serai pas plus disert que le mois précédent puis que j’ai évoqué ou évoquerai la plupart de ces titres ailleurs : 

54- J’peux pas l’encadrer (1953) de George Maxwell (Edition du Condor, 1953)


Un épisode de la mythique saga « La môme double shot » dont je parlerai plus tard.
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55- Les Mauvais rêves de Wes Craven (2017) de Jacques Demange (Marest éditeur, 2017)


Un essai très intéressant que j’ai chroniqué ici
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56- La Passion Polanski (2017) de Dominique Legrand (Marest éditeur, 2017) 


Une lettre ouverte au cinéaste le plus controversé du moment. J’en ai parlé .
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57- Madame Atomos croque le marmot (1967) d’André Caroff (Fleuve noir, collection Angoisse, 1967)

Les chroniques sur la collection « Angoisse », c’est pour un autre projet…
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58- Redneck movies : ruralité et dégénérescence dans le cinéma américain (2014) de Maxime Lachaud (Editions Rouge Profond, collection Raccords, 2014) 


Voilà un ouvrage qui mériterait à coup sûr une note entière mais mon retard est tel que je me contenterai de quelques mots. C’est dommage car il s’agit sans doute d’un des livres les plus passionnants jamais écrits sur le cinéma américain. Dans Une encyclopédie du nu au cinéma, Jean-Pierre Bouyxou émettait le souhait que les historiens du cinéma se penchent sur les territoires méconnus du septième art et analysent, par exemple, l’influence occulte du nudie sur le cinéma traditionnel plutôt que « d’établir l’énième filmographie d’Hitchcock ou de Capra ». En partant à la découverte du cinéma « sudiste », Maxime Lachaud exauce ce vœu dans la mesure où sa thématique lui permet une approche transversale captivante du cinéma américain. Evoquer le cinéma « redneck », c’est ouvrir un éventail qui va des plus grands classiques (exemplairement, le Délivrance de Boorman mais également La Nuit du chasseur de Laughton ou le Sparrows de William Beaudine) au plus improbable cinéma d’exploitation destiné aux drive-in (comédies paillardes, films d’horreur à petit budget dans la lignée de ceux d’HG.Lewis…). S’inscrivant dans un contexte culturel plus large que Lachaud nous rappelle précisément, s’attardant aussi bien sur une tradition littéraire sudiste (Faulkner) jusqu’aux combats de coqs en passant par la musique country,  le cinéma « redneck » nous propose une autre facette de l’Amérique telle qu’on l’imagine en la découvrant par le prisme hollywoodien.  L’auteur  dégage un certain nombre de thèmes qui lui permettent de donner une cohérence à son corpus. Pour simplifier, il distingue deux courants principaux dans ce cinéma du sud. Tout d’abord, un versant sombre où l’univers campagnard représente tout ce que la civilisation américaine a refoulé : les pulsions les plus primitives, une certaine dégénérescence… Pour prendre les deux films les plus représentatifs, Délivrance exprime parfaitement cette opposition entre les citadins fiers à bras et des campagnards sauvages tandis qu’à l’heure où de nombreuses vies sont sacrifiées au Vietnam, Massacre à la tronçonneuse et sa famille de dégénérés nous présente un tableau saisissant de tous les exclus de cette Amérique belliciste. L’autre courant s’avère plus jovial et présente le « redneck » comme un bon gars adepte de la débrouille (le trafic d’alcool revient comme un thème récurrent dans ce courant) et de la rigolade (Lachaud s’attarde sur le cas exemplaire de Burd Reynolds).
Si le livre est si fascinant, c’est qu’il plonge dans un univers qui nous reste finalement assez étranger et méconnu. En faisant le grand écart entre les grandes œuvres séminales et d’obscures séries Z, Maxime Lachaud parvient à nous livrer une impeccable analyse sociologique, esthétique, historique et culturelle de ce cinéma rural poisseux, étrange et inquiétant (de nombreux films d’horreur utilisent les décors de marais du sud pour poser leur atmosphère). Et c’est peu dire que cette exploration est captivante et parfaitement réussie…
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59- Mémoires (2017) de Jean-Charles Tacchella (Séguier, 2017) 


Là encore, un ouvrage passionnant dont il est question ici.

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