La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

mardi, octobre 30, 2007

Le hussard du polar

J’ai déjà donné… (2003) de A.D.G. (Le dilettante. 2007)

Sans perdre un instant, attaquons notre nouvel abécédaire qui sera moins formaliste que le précédent. On y retrouvera sans aucun doute des titres de la collection l’imaginaire mais ça ne sera pas une priorité absolue (nous essayerons également, pour suivre les conseils d’un avisé lecteur, la collection Domaine étranger de 10/18). Néanmoins, nous donnerons pour cette série une grande priorité aux auteurs « sulfureux », ceux qui dérangent et font grincer les dents (qu’importe leur place sur l’échiquier politique du moment qu’ils fuient comme la peste l’extrême centre et les obédiences molles !).

Débutons en fanfare même s’il ne s’agit ici ni de pamphlet, ni de littérature polémique mais d’un simple roman noir.

Au cours des années 70, la littérature policière française va être totalement bouleversée par l’émergence de nouveaux talents (Manchette, Fajardie, Quadruppani…) dont les œuvres, fortement politisées (nous sommes dans la lignée de mai 68), vont rénover de fond en comble la « Série Noire ». A.D.G., dont le premier livre La divine surprise sort en 1971, fit partie de ce mouvement mais il va vite se distinguer de ses compagnons en adoptant des positions politiques à peu près opposées à celle d’un Manchette dont il reste, en quelque sorte, le double inversé (il lui fait d’ailleurs quelques clins d’œil amicaux dans J’ai déjà donné…).

Pour s’être opposé farouchement à l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie ainsi qu’au régime prétendument socialiste du monarque Mitterrand, A.D.G. va être catalogué auteur « d’extrême droite » (« Le coup commence à être connu. Toute critique non homologuée de ce monde doit être poussée vers l’extrême droite de manière à y être discréditée à jamais. » (Muray)).

Moi qui découvre A.D.G. avec J’ai déjà donné…, je peux vous affirmer que malgré un avocat royaliste comme personnage principal et quelques coups de griffes bien sentis contre le pouvoir en place en 1981, il n’y a pas l’ombre d’une ambiguïté « extrémiste » dans ce livre. L’auteur est davantage « anar de droite » (pour emprunter une expression qui ne veut rien dire !), une sorte de hussard qui, à l’instar de Nimier, use avec gourmandise du gallicisme (« ticheurte », « ouiskie », « ouiquende », « bloudjine »…) et s’inscrit volontiers dans la lignée d’auteurs comme Céline, Aymé ou encore Jacques Laurent.

J’ai déjà donné… débute par la mort d’un personnage visiblement récurrent dans les policiers d’A.D.G., le journaliste obèse et porté sur la bouteille Machin. En Nouvelle-Calédonie, son avocat et ami Pascal Delcroix enquête sur cette prétendue mort (le corps retrouvé n’a été identifié que par la veuve facilement consolable de Machin) et entre en possession d’un tapuscrit écrit par le journaliste, retour sur une sombre affaire où l’avocat fut mêlée aux environs de Tours en 1981…

L’auteur joue ici sur l’enchevêtrement des deux récits et s’amuse à distancier le récit de Machin (Delcroix intervient toujours en fin de chapitre et pointe les erreurs ou mensonges du journaliste). Il parvient ainsi à faire des révélations sur son personnage fétiche (adepte de soirées orgiaques et membre d’une loge maçonnique !) tout en témoignant une véritable tendresse puisqu’il est chargé d’endosser tous les « vices » de l’auteur (le véritable double de l’écrivain, c’est Pascal et Machin s’adresse à lui en ces termes : « Qu’aurai-je été en définitive pour toi ? interrogea-t-il les larmes aux yeux. Un double grotesque, un faire-valoir pittoresque ou simplement comme un gros frère imaginaire ? »). Le travail sur les personnages fait tout le sel de ce roman où l’on se fiche un peu, il faut bien le dire, de l’intrigue policière.

Et ce qui enchante de manière encore plus évidente, c’est évidemment le travail sur la langue. A.D.G se révèle grand styliste et son écriture est un vrai régal : outre les gallicismes cités, c’est un festival de calembours, de jeux de mots foireux, de digressions jubilatoires (j’adore quand il s’en prend au « langage jeune ») et de piques sanglantes… Il joue avec le langage avec gourmandise et sait passer du coq à l’âne, des considérations les plus triviales à un certain raffinement de style.

Inutile de vous dire que je vais désormais guetter chez les bouquinistes les œuvres antérieures du lustucru qui a eu la mauvaise idée de casser sa pipe en 2004…

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mercredi, octobre 24, 2007

Bilan de l'abécédaire 2

Difficile de faire un classement de ce deuxième abécédaire tant la majeure partie des livres lus m’a plu. A part la pénible Yourcenar et quelques textes un brin soporifiques (Thoreau, Leiris), tout le reste est recommandable. Ne pas se fier trop scrupuleusement à ce classement que je vous offre en toute subjectivité. On constatera une nouvelle fois la bonne position de James Ellroy. Voilà qui nous pousse à penser que la lettre E est déjà réservée pour le troisième abécédaire que j’ai déjà commencé…

1er Léon-Paul Fargue. Le piéton de Paris

2ème David Rousset. L’univers concentrationnaire

3ème Robert Walser. La promenade

4ème James Ellroy. La colline aux suicidés

5ème Henri Michaux. Passages

6ème Pierre Louÿs. Trois filles de leurs mères

7ème Giorgio Bassani. Le héron

8ème David Shahar. Un voyage à Ur de Chaldée

9ème Marcel Jouhandeau. De l’abjection

10ème Thomas de Quincey. Confessions d’un mangeur d’opium anglais

11ème Julio Cortázar. Tous les feux le feu

12ème Ödön Von Horváth. Un fils de notre temps

13ème Fred Uhlman. L’ami retrouvé

14ème Jack Zipes. Les contes de fées et l’art de la subversion

15ème Renée Vivien. La dame à la louve

16ème Guillaume Apollinaire. Tendre comme le souvenir

17ème Roger Nimier. Les épées

18ème Eugène Ionesco. La cantatrice chauve. La leçon

19ème Claude Debussy. Monsieur Croche et autres écrits

20ème Daniel-Henry Kahnweiler. Mes galeries et mes peintres : Entretiens avec Francis Crémieux

21ème Georges Perros. Papiers collés 1 et 2

22ème William Golding. Chris Martin

23ème Véronique Ovaldé. Toutes choses scintillant

24ème Michel Leiris. Biffures

25ème Henry David Thoreau. Walden ou la vie dans les bois

26ème Marguerite Yourcenar. Feux

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Fin de l'abécédaire

Les contes de fées et l’art de la subversion (1983) de Jack Zipes (Payot et Rivages. Petite Bibliothèque Payot. 2007)

Terminons ce deuxième abécédaire, si vous le voulez bien, par un essai ; genre de livres que j’ai un peu délaissé le temps de cette exploration alphabétique de la collection l’imaginaire. Spécialiste du conte et de la littérature pour la jeunesse, Jack Zipes analyse ici la portée sociale des contes de fées, qu’ils soient classiques ou contemporains. Après les analyses freudiennes d’un Bettelheim, voici donc venues les analyses idéologiques.

Dans un premier temps, Zipes montre avec une certaine acuité la manière dont les auteurs classiques (Perrault, Grimm et Andersen) ont transformé les contes populaires traditionnels afin d’établir un modèle de civilisation conforme à celui des classes dirigeantes. En s’appuyant sur des exemples précis, il montre comment Perrault, par exemple, a rédigé ses contes de manière à proposer aux enfants un modèle culturel qui est celui de la bourgeoisie de Cour (classe à laquelle appartenait Perrault). Si de nombreux contes semblent offrir aux jeunes filles pauvres les possibilités d’une ascension sociale, il faut d’abord qu’elles se conforment au modèle dominant de l’aristocratie. Elles doivent être belles, coquettes, discrètes, dévouées, loyales et obéissantes à leurs maris. Ce sont les « vertus » féminines qu’exalte Perrault tandis que les « vertus » masculines sont le courage, l’intelligence et l’adresse. Les femmes ne doivent être sensibles qu’à ces qualités et oublier l’âge ou la laideur de l’homme (Cf. La belle et la bête, Riquet à la houppe…). L’exemple le plus frappant que cite Zipes est celui du Petit chaperon rouge. Alors que le conte originel vient des sociétés médiévales matriarcales et témoignait d’un rituel initiatique pour les jeunes filles (dans la version d’origine, l’héroïne mange littéralement le corps de sa grand-mère : la petite paysanne prouve qu’elle est assez forte pour remplacer son aïeule), Perrault en fait un conte d’avertissement où les jeunes filles sont sommées de taire leurs désirs naturels (les bois, le loup…) et de les brider. En ce sens, il s’inscrit totalement dans un processus historique où le pouvoir cherche à contrôler totalement les femmes (c’est l’époque des procès en sorcellerie et de la chasse aux hérétiques).

A quelques nuances près, on retrouve cette même volonté de transformer les contes populaires en « armes » de socialisation chez les frères Grimm afin de permettre aux enfants du monde entier d’intérioriser les normes et valeurs de la classe bourgeoise. Je n’entre pas dans les détails mais la démonstration est assez probante.

Tout aussi intéressante est la manière qu’a Zipes de décrypter les contes d’Andersen et de souligner à quel point ils sont garants de l’ordre existant. Pourtant, Andersen vient d’un milieu pauvre et l’essayiste montre que son discours est celui du « dominé ». Mais chez l’auteur de la petite sirène, jamais l’ordre social n’est contesté même si la Providence peut intervenir et extirper un « vilain petit canard » de son milieu d’origine et lui faire gagner des galons. La résignation est toujours de rigueur.

Lorsqu’il se contente de déchiffrer le discours sous-jacent des contes de fées, Zipes est assez passionnant et très pertinent. Malheureusement, on se rend vite compte que ce n’est pas ce jeu avec l’inconscient politique qui gêne l’auteur, mais la manière dont il ne sert qu’une classe favorisée. Or ce qu’il veut, ce sont des contes aussi édifiants mais pour la « bonne cause ». Notre intellectuel gentiment de gauche, forcément féministe et écologiste bienveillant nous propose alors de nous emballer pour des contes « subversifs » dont le contenu, à quelques rares exceptions près (j’aime bien l’analyse des contes d’Oscar Wilde que Zipes défend avec réserves), semble totalement cucul et aussi moralisateur (même si c’est avec des visées différentes) que ceux de Perrault, Grimm et Cie.

Jamais il n’est question d’écriture et de style. Un conte a beau présenter un elfe du nom de Xram (Marx à l’envers) et militer pour la collectivisation des biens ; ça n’en fait pas une grande œuvre et il est même probable que cela n’atteigne jamais le millième de la beauté classique des contes de Perrault et Grimm !

Ce côté « idéologique » de l’auteur affaiblit un peu la portée de son essai qui n’en demeure pas moins une tentative très intéressante de décryptage sociologique des contes de fées de notre enfance…

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mercredi, octobre 17, 2007

Feu sur Yourcenar

Feux (1936) de Marguerite Yourcenar (Gallimard. L’imaginaire. 2004)

Alors que cet abécédaire brûle ses derniers feux (facile, je sais !), je vais faire très court.

Je vous avais déjà exprimé mon sentiment mitigé face aux Nouvelles orientales de la mère Marguerite. L’ensemble n’était pas inintéressant mais me semblait terriblement inégal. J’ai néanmoins opté à nouveau pour des nouvelles de l’auteur par le biais de ce recueil de jeunesse (elle l’a composé à 32 ans) intitulé Feux.

Il s’agit en fait moins de nouvelles que de poèmes en prose qui m’ont, soyons franc, accablé d’ennui et qui me semble sans le moindre intérêt.

Yourcenar nous précise qu’elle a écrit ce livre suite à une crise passionnelle, et que chacun de ces textes tentent d’explorer sous une forme métaphorique les états amoureux et douloureux qu’elle a traversés. Pourquoi pas ? Sauf que l’auteur croît bon pour cela de revenir à l’Antiquité grecque ou à la bible et de nous assommer avec un style componctueux et affecté à l’extrême. Il ne suffit pas de se projeter dans les personnages de Marie-Madeleine, Antigone, Phèdre ou Sappho pour obtenir de la grande littérature et je confesse que ces constantes références à diverses mythologies m’ont tout bonnement insupporté !

L’écrivain dit encore dans sa préface que Feux appartient, stylistiquement, à sa période « tendue et ornée ».J’opterais davantage pour « pompeux et ronflant » et le fait qu’elle se place sous la tutelle de Paul Valéry ne change rien à l’affaire !

A part Clytemnestre ou le crime, le plus supportable de tous ces textes ; la seule chose lisible de Feux restent ces petits aphorismes, ces maximes douloureuses qui « encadrent » les nouvelles et permettent au lecteur de respirer. Ces fragments semblent arrachés à des pages d’un journal intime et certains, soyons honnête, sont assez émouvants même si Yourcenar ne se débarrasse pas pour autant de ses manières affectées.

Une dizaine de pages sur 210, c’est un peu maigre !

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dimanche, octobre 14, 2007

X comme Pierre Louÿs

Trois filles de leur mère (1926) de Pierre Louÿs (Allia. 2007)

Je vous avais prévenu qu’il n’était pas impossible que je fasse quelques entorses au règlement de mon abécédaire. Aujourd’hui, la lettre X me permet de transgresser la règle que je me suis fixée puisqu’il est très difficile, surtout en province, de trouver des auteurs en X (à moins de vouloir se farcir les œuvres complètes de Xénophon !). Mais puisque l’usage veut que cette lettre désigne à la fois l’inconnue en mathématiques et les œuvres à contenu pornographique, profitons pour nous faufiler dans la brèche et poursuivre notre exploration de l’œuvre «interdite » de Pierre Louÿs.
Jusqu’à présent, les «curiosa » que j’ai évoquées ici adoptaient la forme courte du poème, de quatrains parodiques (Pybrac) ou de désopilants conseils de «bonne conduite » extrêmement concis (Manuel de civilité pour les petites filles à l’usage des maisons d’éducation). Trois filles de leur mère, probablement écrit vers 1910 et publié pour la première fois (sans lieu ni date) en 1926 (uniquement avec les initiales P.L et «Aux dépens d’un amateur et pour ses amis ») se présente comme un véritable roman.
Une des curiosités de ce livre résolument pornographique (pour une fois, la formule «âmes sensibles, s’abstenir » me semble totalement opportune !), c’est qu’il s’inspire plus ou moins des mésaventures sentimentales de Louÿs et de la fille du poète Hérédia : Marie. Cette dernière donna, en effet, un fils à Louÿs mais épousa le poète Henri de Régnier tandis que l’auteur de La femme et le pantin épousait, de son côté, la sœur de Marie !
Cette situation scabreuse se retrouve dans Trois filles de leur mère puisqu’on y suit les exploits érotiques d’un jeune homme avec trois jeunes filles et leur mère.
Autant le dire tout de suite, un livre comme celui ci est totalement inimaginable aujourd’hui et si Louÿs n’était pas devenu, à juste titre, un «classique »; chaque page de Trois filles de leur mère tomberait sous le coup de la loi. Inceste, pédophilie (la plus jeune des trois sœurs, Lili, a 10 ans et fait preuve d’une ardeur dans les jeux de l’amour qui force le respect), masochisme, scatologie, zoophilie, sodomie, saphisme, sadisme composent, entre autres, le catalogue des «perversions » imaginables (sans parler des autres !) que met en scène l’écrivain.
C’est très, très «hard » mais pour peu que nous laissions aux vestiaires nos scrupules de moraliste, nous constaterons sans peine que ce roman est un petit chef-d’œuvre du genre pornographique.
D’abord parce que le livre est très bien écrit et qu’il prouve, comme chez Sade, la toute puissance de l’écriture comme défi à tout : Dieu, la morale, les lois des hommes… Le langage transcende ici le caractère parfois odieux des situations et ce n’est pas le moindre des mérites de Louÿs que de parvenir à retrouver l’humain et toutes ses contradictions dans les pages qui semblent les plus bestiales. Il est même assez surprenant que la ligne générale du roman reste plutôt sentimentale et que les pires des pratiques soient toujours dictées par le désir de faire plaisir à l’autre (le narrateur affirme toujours son dégoût du viol et de la violence envers les femmes et même les passages les plus «inadmissibles » -il est évident qu’une sexualité d’adulte ne peut pas être librement consentie par une enfant !- il parvient à conserver un ton tendre et complice qui lui évite de sombrer dans l’ignominie).
Ensuite, parce qu’on retrouve cet humour si caractéristique des œuvres pornographiques de l’auteur. Il s’amuse ici à faire de son narrateur un homme relativement «prude » qui découvre avec toujours plus d’effroi les turpitudes de ces quatre femmes tout en sachant très bien en profiter : «Malgré la réserve et la modestie de mes exercices amoureux comme de mon langage, mes scrupules de moraliste ne vont pas jusqu’à m’interdire de baiser une mère sur sa fille et de déflorer ensuite la fille sur la mère. »
Ce passage est, je le précise pour vous donner une idée de la teneur du roman, un des plus «soft » que j’aie pu trouver à vous citer et je ne me risquerai pas à aller plus loin dans la description des scènes imaginées par Louÿs pour ne pas m’attirer de nombreux lecteurs inhabituels en usant de mots-clés trop explicites (je vous laisse le soin de savourer la manière assez inhabituelle dont est née la petite dernière Lili et le parcours amoureux pour le moins chargé de l’aînée Charlotte).
Vous l’aurez compris, l’auteur use ici d’un langage particulier qui est celui de la pornographie mais comme le dit, à un moment donné, le narrateur : « C’était le langage de la sagesse avec un vocabulaire qui, pour n’être pas celui des sermons, avait néanmoins de la force et même une certaine éloquence. »…

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samedi, octobre 13, 2007

En rouge et noir...


Luke. Les enfants de Saturne.


Vous l’ai-je déjà avoué ? Je n’écoute quasiment jamais la radio et encore moins l’atroce gémissement continu décérébrant des ondes FM. Je ne connaissais donc absolument pas le nouveau «single » de Luke lorsqu’un ami m’a appelé pour me demander d’acheter expressément des places pour leur concert en prétextant que ce dernier titre était «vraiment bien ».
En achetant les enfants de Saturne, j’ai d’emblée repéré une chanson au vaste «potentiel radiophonique » et mon petit frère me l’a confirmé en l’entendant : la terre ferme passe en ce moment régulièrement sur la bande FM. Plus que d’un premier album que je persiste à trouver un peu fade (la vie presque), on se souvient surtout du succès du précédent album de Luke (la tête en arrière) dont chaque titre semblait taillé pour le succès. Qu’on n’aille pas croire que j’émets ici un jugement de valeur : j’aime énormément cet album et je ne suis pas en train de le trouver bassement «commercial » malgré ses refrains entraînants et son rock survolté. Mais si j’évoque cet aspect, c’est que j’ai lu, ici et là, des reproches visant le dernier album, lui reprochant de ne pas parvenir à trouver une voie originale entre le rock estampillé FM et une vraie pop mélodique.
A mon sens, l’intérêt des Enfants de Saturne vient de sa capacité à poursuivre dans le chemin d’un rock musclé tout en osant des chansons moins «séduisantes » au premier abord, plus expérimentales dirons-nous en employant un terme bien trop ronflant.

Lorsque retentit pour la première fois la voix de Thomas Boulard sur le premier titre (l’excellent Il y a longtemps), la référence à Noir désir vient immédiatement à l’esprit. Je sais qu’il est difficile en France de se lancer dans le rock sans se voir juger ipso facto à l’aune de ce groupe mais il est vrai aussi qu’il est difficile de ne pas se remémorer les accents de Bertrand Cantat lorsqu’on entend le chant de Boulard. Certains titres (Un seul jour, Stella…) semblent même être des variations autour de certains morceaux de Noir Désir. Bien heureusement, cette référence ne s’avère pas écrasante et j’affirme sans rougir que Luke soutient parfaitement la comparaison avec le glorieux ancêtre.
On trouvera donc dans Les enfants de Saturne des titres taillés pour le succès public, extrêmement efficace quant aux refrains et à la mélodie que l’auditeur garde immédiatement en tête (Un seul jour, La terre ferme, Stella…) et des titres moins «mélodiques » (le rock rugueux de Je suis Cuba par exemple), qui permettent au groupe de se renouveler en restant fidèle à la ligne occupée depuis La tête en arrière. Pour prendre des exemples très précis sans être capable de les expliciter véritablement (je ne suis absolument pas musicologue !), j’aime beaucoup le «redoublement » du rythme par une autre guitare dans La nuit et le jour ou la ligne mélodique heurtée de La transparente (peut-être le plus beau morceau de l’album).

Un mot des textes : j’ai encore lu qu’on reprochait au groupe le côté «adolescent révolté » des paroles de leurs chansons. Il est vrai que Luke ne se départit pas toujours d’un faux hermétisme juvénile et que les mythologies rouges et noires auxquelles le groupe se réfère ont été bien usées jusqu’à la corde dans le domaine de la chanson. Une fois ces réserves faites, je trouve que ces textes sont moins insignifiants et «adolescents » que ceux d’un groupe comme Déportivo (que j’aime bien d’ailleurs et dont on attend prochainement le deuxième album) et que leur énergie révoltée a le mérite d’être sincère à l’heure où beaucoup de chanteurs «engagés » se drapent dans de nobles idéaux tout en passant sans remords sur TF1 !

Dans la mesure où Noir Désir n’existe plus, on ne peut que se réjouir de la belle santé de Luke, sans doute le meilleur groupe de rock français avec les zygotos de Dionysos…

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samedi, octobre 06, 2007

Eloge de la flânerie

La promenade (1917) de Robert Walser (Gallimard. L’imaginaire. 2007)

Retour à la collection L’imaginaire avec ce très court récit de l’écrivain suisse de langue allemande Robert Walser. Même si l’un de ses livres a fait l’objet d’une adaptation cinématographique relativement renommée (L’institut Benjamenta, tourné par les frères Quay), je dois reconnaître une fois de plus que j’ignorais absolument tout de cet auteur. Encore une fois, cet abécédaire m’a permis de découvrir un texte assez extraordinaire et d’une grande originalité. Pourtant, le point de départ du récit est bête comme chou puisqu’il s’agit pour un écrivain de raconter en détails une journée de promenade qui le mène de la ville aux abords de la campagne, d’un repas chez une admiratrice à des visites chez des commerçants et bureaucrates…

« De fait, j’aime tout ce qui est tranquille et en repos, j’aime l’économie et la mesure, et j’éprouve une aversion profonde pour tout ce qui est hâte et précipitation. » Cette phrase qu’énonce en passant le narrateur (cet écrivain qui n’est autre que Walser) traduit parfaitement le rythme nonchalant de cette balade, éloge de la flânerie et de la rêverie. Nous voilà donc en train d’accompagner cet homme au cours de sa marche et partager les divers mouvements de sa conscience. Entre l’émerveillement pour les choses simples (la beauté de la nature, deux enfants jouant sur le bord d’une route…) et l’agacement devant les signes dévastateurs de la modernité (son mépris pour les automobilistes) ; Robert Walser nous offre un petit bijou d’humour et de sensibilité. Car la construction de la nouvelle est plus complexe qu’elle ne peut le sembler au premier abord. L’auteur ne cesse de briser la narration en s’adressant au lecteur, en lui annonçant son programme et en ne cessant de s’excuser de devoir l’entraîner dans des endroits peu divertissant (à la banque, chez le tailleur…) : « On voit quelle quantité de choses j’ai à régler, et combien cette promenade qui semblait une flânerie tranquille fourmille littéralement d’opérations pratiques et matérielles. On aura par conséquent la bonté d’en pardonner les retards, d’en accepter les délais et de donner son agrément à de laborieuses discussions avec des personnages bureaucratiques et autres professionnels, et peut-être même de voir là des contributions et compléments tout à fait bien venus à notre divertissement. ». On peut le voir, le style est superbe, mélange de flegmatisme et de préciosité. Walser parvient par cette langue extrêmement élaborée à rendre inoubliable les détails les plus insignifiants, à nous faire voir d’un œil neuf et malicieux toutes les petites choses qui nous environnent et auxquelles on ne prête plus attention par habitude.

Je le répète, La promenade est de surcroît un livre très drôle et certains passages (la visite au libraire qui présente au narrateur le livre qui a le plus de succès et qui s’attire ses foudres pour avoir négligé ses propres œuvres, la lettre et la visite au tailleur…) sont anthologiques. Walser sait faire se succéder la douceur d’une évocation (la jeune chanteuse) et quelques diatribes bien senties contre la vulgarité contemporaine. Bien avant que nos paysages soient défigurés par la rapacité des publicitaires, des agents immobiliers et du gangstérisme touristique ; Walser s’élevait avec raison contre le clinquant d’une enseigne de boulangerie : « Dans quelle esbroufe commençons-nous à vivre, si les communes, les riverains, les autorités et l’opinion publique non seulement tolèrent, mais hélas manifestement vont jusqu’à approuver ce qui heurte tout sentiment de courtoisie, tout sens de la beauté et de la décence, ce qui s’étale de façon morbide, croyant devoir parer de je ne sais quel clinquant lamentable et dérisoire, comme s’il braillait aux quatre vents, à cent mètres à la ronde : « Je suis tel et tel, j’ai tant et tant d’argent, et je prends la liberté de vous imposer mon tapage ! Certes, ce faste hideux fait de moi un rustre, un balourd et un béotien, mais je doute que personne n’aille m’interdire ma balourdise ! ».

Ne trouvez-vous pas que ce passage s’applique à merveille aux conducteurs de 4x4 ?

Sur la fin, lorsque le soir commence à tomber, la nouvelle prend une teinte plus mélancolique et l’auteur s’interroge sur ce rapport au monde qu’il a mis en scène (comme il l’explique au fonctionnaire des impôts qui lui reproche de toujours vaquer sans rien faire ; il a besoin de sa promenade pour se rattacher au monde, pour nourrir son esprit et son inspiration). C’est alors que pointent les regrets (« Ai-je cueilli des fleurs pour les déposer sur mon malheur ? » me demandai-je, et le bouquet tomba de ma main. ») et le sentiment d’avoir peut-être laissé passer quelque chose (l’amour d’une jeune femme, bien entendu).

Derrière l’humour et la légèreté de cette Promenade s’allonge alors une ombre qui achève de faire de ce très court roman un petit chef-d’œuvre totalement délectable…

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vendredi, octobre 05, 2007

Femmes entre elles

La dame à la louve (1904) de Renée Vivien (Gallimard. Folio.2007)

Je ne sais pas si c’est parce que les prochains livres qui m’attendent dans ma bibliothèque sont épais comme des annuaires ou si parce que je commence à saturer avec cet interminable abécédaire mais, en ce moment, mon choix se porte uniquement sur des textes très courts.

La dame à la louve est un recueil de nouvelles signé Renée Vivien, écrivain « fin de siècle » dont il me semble avoir entendu parler dans la revue Fascination mais je ne suis pas parvenu à remettre la main sur l’article (faut dire que je la confond avec Renée Dunan).

Renée Vivien, comme la plupart des écrivains de la fin du 19ème siècle (les « décadents ») est une artiste dont le nom est tombé dans l’oubli et c’est dommage car La dame à la louve recèle quelques nouvelles assez savoureuses même si l’ensemble demeure un brin inégal et si quelques évocations poétiques pétries de mythologie et de légendes bibliques ont assez mal vieilli.

Ce qui frappe avant tout, c’est la tonalité résolument « féministe » de ce recueil. Vivien peint des caractères de femmes forts et indépendants, courageux et méprisants pour des hommes montrés sous leurs plus vilains jours : lâches, veules et esclaves de leurs pulsions. La métaphore animale revient régulièrement pour désigner la beauté sauvage et libre des femmes (associées aux louves, comme dans la nouvelle qui donne son titre au recueil ou encore aux sauriens –la Saurienne-) et l’auteur insiste sans arrêt sur des portraits de femmes tentant d’échapper à leur condition : souveraine se refusant aux désirs du roi (« Et, dès ce jour, les princesses de Perse et de Médie sauront qu’elles ne sont plus les servantes de leurs époux et que l’homme n’est plus le maître dans sa maison, mais que la femme est libre et maîtresse à l’égale du maître dans sa maison. »), proxénète (la chasteté paradoxale) ou jeune femme affranchie (Brune comme une noisette) exerçant leur libre-arbitre en se refusant aux amoureux transis les convoitant… Parallèlement au mépris qu’elle affiche pour les hommes, Renée Vivien, écrivain lesbienne, chante la gloire de Sapho, de l’amour et des amitiés féminines (dans Le prince charmant, une jeune femme s’enfuit avec… la sœur du jeune homme charmant qui lui était destiné !). Ce qui peut paraître aujourd’hui assez banal (et même furieusement conformiste !) doit être resitué dans son contexte historique pour en mesurer l’originalité.

Mais si la dame à la louve n’était qu’un plaidoyer idéologique ou un simple ancêtre préhistorique du SCUM manifesto de Valérie Solanas ; il n’aurait pas grand intérêt. Heureusement, il y a ce style « fin de siècle » dont je goûte toujours avec plaisir le fumet faisandé. On retrouve chez Vivien ce goût du détail morbide et déliquescent, cette fascination pour la décrépitude et la pourriture. Dans Cruauté des pierreries, un prisonnier s’échappe en abattant son geôlier et se retrouve face à face avec sa femme. Cela nous vaut la description suivante : « Je constatai d’abord qu’elle était abominablement saoule. Pareils à deux outres vides, ses seins tombaient sur son ventre gonflé comme pour une grossesse. Son nez, dans la demi-obscurité, semblait un soleil couchant. A ses lèvres grasses s’aigrissait un relent de mauvais vins. Ses cheveux, maladroitement teints, étaient rouges par plaques. De gros anneaux d’or appesantissaient ses lourdes oreilles plus accoutumées à entendre des beuglements de bêtes abattues que des sérénades. Elle titubait, et de sa gorge s’échappaient des hoquets suris. » J’adore ! Et c’est encore plus drôle quand ce style va de pair avec sa haine des hommes et son désir de voir les femmes assumer leur indépendance : « J’ai l’amour de la netteté et de la fraîcheur. Or, la vulgarité des hommes m’éloigne ainsi qu’un relent d’ail, et leur malpropreté me rebute à l’égal des bouffées d’égouts. L’homme insista-t-elle, n’est véritablement chez lui que dans une maison de tolérance. Il n’aime que les courtisanes. Car il retrouve en elle sa rapacité, son inintelligence sentimentale, sa cruauté stupide. Il ne vit que pour l’intérêt ou pour la débauche. Moralement, il m’écoeure ; physiquement, il me répugne… ». C’est quand même d’un autre niveau qu’Isabelle Alonso ! Dans une nouvelle, une jeune fille préfère même avaler un crapaud plutôt que d’embrasser celui qui se morfond d’amour pour elle !

C’est très « fin de siècle », un peu moins macabre que Rachilde mais très « décadent ». C’est donc tout à fait recommandable…

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mardi, octobre 02, 2007

Une amitié particulière

L’ami retrouvé (1971) de Fred Uhlman (Gallimard. Folio 2002)

Puisqu’il est maintenant fort peu probable que je retrouve un auteur en U édité dans la collection l’imaginaire, je me suis rabattu sur un livre court. Vu le nombre d’exemplaires disponibles en promotion chez Gibert (pour ne pas citer ma librairie), je suppose que l’ami retrouvé fait partie de ces classiques de la littérature pour lycéens. En tous cas, il possède tous les atouts pour : récit très court (en à peine une heure, c’est lu : l’idéal pour des ados incapables de se concentrer plus de dix minutes sur le même sujet !), sujet édifiant (la condition des juifs en Allemagne lors de la montée du nazisme) et thèmes à même de plaire au public scolaire : l’amitié, la vie à l’école…

Fort heureusement, le roman de Fred Uhlman vaut plus que cette catégorisation « livre scolaire » et malgré sa concision, il parvient à atteindre une certaine intensité et une véritable émotion.

L’amitié particulière que j’évoque en titre de note n’a rien à voir avec l’homosexualité mais elle renvoie à ce sentiment amical qui lie soudain Hans, fils de médecin juif assez modeste, et Conrad, jeune homme descendant d’une illustre famille. Et sa particularité vient du fait qu’elle germe au moment de l’arrivée d’Hitler au pouvoir en Allemagne et que les parents de Conrad affichent une véritable sympathie pour les idées du chancelier…

L’ami retrouvé, et c’est ce qui fait sa force, n’est jamais didactique mais se révèle vite être un touchant récit d’atmosphère. Uhlman ne cherche pas à dénoncer le nazisme (bien entendu, il le fait quand même !) mais à montrer comment insidieusement les miasmes de cette idéologie infectent l’atmosphère d’un pays et le font basculer dans une autre époque. Au départ, l’impression qui se dégage du livre est celle d’une grande nostalgie : nostalgie de la jeunesse et de son insouciance, nostalgie d’une vision idéalisée et romantique de l’amitié (Hans et Conrad ne se lient avec personne), nostalgie de paysages, de couleurs, d’odeurs que l’auteur restitue par petites touches.

Arrivent ensuite le soupçon et les brimades. Un professeur en chasse un autre et son antisémitisme déteint sur l’ambiance de la classe. L’atmosphère se tend et la catastrophe semble imminente…

Je n’en dirai pas plus. Ma note est très courte mais il me semble que ce livre n’appelle que concision tant sa beauté fragile contraste avec la lourdeur de tout ce que l’on pourrait écrire dessus.

Ce n’est pas une thèse ni un plaidoyer politique : juste de la littérature et c’est très bien…

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