Bibliothèque Idéale n°1 : les littératures de langue allemande
Sur les falaises de marbre (1939) d’Ernst Jünger (Gallimard. L’imaginaire)
Comme je vous le laissais entendre ces derniers temps, j’ai décidé de mettre un terme (au moins provisoirement) à mes abécédaires. Tout ça pour la simple et bonne raison que j’ai trouvé un autre moyen pour assouvir ma soif taxinomiste et qu’il me paraît encore plus stimulant que l’approche par noms d’auteurs. Ce moyen, c’est la Bibliothèque idéale publiée à la fin des années 80 sous la direction de Pierre Boncenne et où l’on trouve recensés et classés dans 49 catégories différentes les 49 ouvrages qu’il faut posséder prioritairement dans sa bibliothèque.
Bien évidemment, je me méfie de ces hiérarchies souvent très académiques et peu audacieuses. Mais j’aime assez le principe d’explorer ces 49 catégories.
Le principe est donc très simple : suivre scrupuleusement lesdites catégories (nous appréhenderons la littérature sous un angle géographique dans un premier temps, puis par « genres » et enfin, nous irons jeter un œil vers les autres domaines de la connaissance) en se contentant de sélectionner un des 49 livres conseillés (de cette manière, je conserve au sein d’un cadre rigide mon libre-arbitre !).
Commençons aujourd’hui avec les littératures de langue allemande.
« Vous connaissez tous cette intraitable mélancolie qui s’empare de nous au souvenir des temps heureux. Ils se sont enfuis sans retour ; quelque chose de plus impitoyable que l’espace nous tient éloignés d’eux. »
Un livre qui débute par des phrases pareilles ne peut pas être totalement mauvais ! Et c’est avec le même plaisir admiratif que l’on poursuit la lecture du célèbre roman allégorique d’Ernst Jünger qui présage en 1939 l’apocalypse à venir. Faut-il y lire une vive protestation contre l’avènement de l’hitlérisme ou un avatar de ce nationalisme que prêchait l’auteur et qui s’exercerait ici contre le stalinisme ? La question est loin d’être tranchée et zélateurs et contempteurs n’ont pas fini de s’escrimer autour de la figure controversée de Jünger (engagé volontaire pendant la première guerre mondiale pour Guillaume II, officier d’occupation à Paris pendant la seconde, nationaliste mais antinazi, sans doute au courant du complot tenté contre Hitler en 44…)
En ce qui me concerne, je trouve que l’œuvre dépasse largement son cadre « historique » pour accéder, par un style incroyablement lumineux, à la fable universelle jetée à la face de la Barbarie.
L’action se déroule dans un décor intemporel de falaises au sommet desquelles le narrateur se livre, avec frère Othon, à sa passion pour la botanique. Lieu de retraite paisible où ces hommes peuvent s’adonner à la science et à la poésie, il offre un vaste panorama sur les beautés terrestres.
Mais voila que les choses changent et que d’inquiétantes rumeurs parviennent aux oreilles des habitants de l’Ermitage. C’est l’ombre du grand Forestier qui s’allonge sur les territoires voisins, semant le chaos et l’horreur : « …et les temps étaient mûrs pour ceux qui jettent l’épouvante. » …
Il est évident qu’on peut voir se profiler derrière la silhouette de ce « grand Forestier » l’image d’Hitler et de ses hordes nazies. Mais il s’agit surtout de la figure mythique du Mal qui ressurgit, à des époques données, en exacerbant les conflits latents entre la civilisation et la barbarie.
La position de Jünger me paraît assez claire : c’est celle de l’aristocrate lettré et scientifique (« on reconnaît les grandes époques à ceci, que la puissance de l’esprit y est visible et son action partout présente. ») contre la meute et la force brute (« Profonde est la haine qui brûle contre la beauté dans les cœurs abjects »). Il met en scène cette opposition dans une fable symbolique portée par une langue parfaitement ciselée et d’une rare beauté (je ne lis pas l’allemand mais la traduction d’Henri Thomas me paraît tout à fait remarquable).
Sur le falaises de marbre m’a donné envie de pousser un peu plus loin ma découverte de l’œuvre de cet étonnant bonhomme mort à plus de cent ans et dont certaines pages sont d’ores et déjà gravées dans le même marbre que ses falaises…
Et vous ? Quels livres de langue allemande mettriez-vous en priorité dans votre bibliothèque ? Vous pouvez vous référez à ceux recensés dans la bibliothèque idéale ici ou en proposer d’autres…
Libellés : Bibliothèque idéale, Hitler, Jünger, littérature de langue allemande, nazisme
14 Comments:
Dans ce qui est cité, La Montagne Magique (pas encore fini de le lire, mais la fin ne peut pas ne pas être bien), La Marche de Radetzsky, Vienne au Crépuscule et La Confusion des Sentiments (je suis bien contente qu'ils aient cité mon Schnitzler et mon Zweig préférés).
Sinon, du Nietzsche, mais comme je n'ai pas lu Ainsi Parlait Zarathurstra je choisirai Par Dela le Bien et le Mal. Et puis les Histoires Pragoises de Rilke, qui sont plutôt des oeuvres de jeunesse mais je les aime bien quand même.
Oui bon Ok moi j'ai toujours pas avancé dans "L'homme sans qualité" dans la catégorie "littérature allemande"(j'en suis à la 150ème page) mais j'avance dans mon autre liste, donc pas de commentaires..
Rolleyes : très bons choix! Il faudra donc que je me décide un jour à lire du Thomas Mann!
J'aime beaucoup également le Stefen Zweig. Pour Nietzsche, c'est l'inverse, je ne connais pas "Par delà le Bien et le Mal" mais nous aurons peut-être l'occasion d'en parler dans la catégorie "la littérature en miette"!
Tiens, je vais voir un peu ou en est ma bibliothèque. Peu de livre de langue allemande, un Rilke, un Karl May rigolo, surtout quelques Kafka, "A l'ouest rien de nouveau" de E M Remarque et mon préféré de la catégorie : "Die Welt von Gestern" "Le Monde d'hier, Souvenirs d'un européen" de Stefan Zweig. Tout est encore dans les cartons, mais je ne pense pas qu'il y aura de surprises.
Ce qu'il y a d'amusant, c'est que les livres que tu cites sont également conseillés mais dans d'autres catégories : le Remarque dans les "livres de guerre" et le Zweig dans la catégorie "Mémoires".
S'il fallait en emporter qu'un sur une ile déserte, lequel choisirais-tu?
J'ai vu qu'était mentionné dans cette bibliothèque idéale Siloé de Paul Gadenne. A lire de toute urgence.
S'il n'en faut qu'un, ce sera le Zweig, "Le monde de demain".
Pour les allemands ça sera facile, pour les américains, ça va pas être de la tarte.
C'est le monde d'hier,justement ! ;)
Hum, alors oui, je citerai Zweig également, Thomas Mann, Patrick Süskind, Kafka (il n'est pas allemand, mais quand même hein-dans ce cas là on peut aussi pinailler en disant que Zweig est autrichien), Rilke, surtout pour les lettres à un jeune poète. Goethe, sans doute, maisje n'ai lu que le Faust, qui m'a laissée perplexe, il faudrait que je le relise.
Bref, j'en ai encore à découvrir...!
>Rafael : n'allons pas trop vite en besogne : Siloé est classé dans une catégorie bien plus tardive...
>Vincent : Quand j'aurai fini mes 49 catégories, je me mettrai donc à Zweig! Prépare toi pour la littérature américaine car il ne me reste que 30 pages à lire de mon roman...
>M M : Oui, Kafka est le bienvenue puisque nous parlons de littérature de "langue allemande"...Je retiens encore une fois Thomas Mann
Mais au fait, personne n'a lu Jünger?
Le journal de guerre de Junger vient de paraitre dans la Pléiade, avant hier je crois qu'à Paris j'ai été un des tout premiers acheteurs, mon édition chez Julliard était complètement délabrée à force de la lire et de le consulter. Certainement l'écrivain dont je me suis senti le plus proche en le lisant.
Bernard Alapetite
En tous cas, il faut du Schnitzler ! Disons au moins "Le retour de Casanova". Et puis "Crazy" de Benjamin Lebert, pour rajouter une plume magnifique et un peu moins classique.
PS : on a pas le droit de caser encore un petit Heinrich Böll dans un coin ?
Thomas Bernhard est un auteur que je trouve insupportable (il me donne envie de hurler quand je le lis ou quand je vois son théâtre) mais passionnant. Pas un monsieur gentil qui choisit la voie de la facilité. Ca vaut le coup de le découvrir : certains lecteurs en deviennent fous.
Houlala,Ernst Junger, c'est le prototype du teuton teutonisant que raillait tant Nietzsche. On peut trouver un certain charme a ces Falaises de Marbres peu propice à l'alpinisme,une chaleur de logarythme ou de ceinture de chasteté parnassienne.Sa lecture m'a intrigué, cela semble venir du froid le plus polaire, du Tolkien prophétique et crispé dans ses visions. Une esthétique du Beau, de la Perfection proche à mon sens des Dégenérés, du Déreglement. Loin d'offrir une critique, Junger offre aux Nazis le plus bel ecrin, la resurgeance du Mythe;la Guerre, immemoriale, divinisé donc, n'est qu'un mauvais moment à passer.
Toujours aussi passionnant et tellement diversifier, je suis heureuse moi qui suis invalide vous m’apportez que du bonheur. Continuez ainsi !
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