Bibliothèque idéale n°3 : la littérature hispano-américaine
L’amour n’est pas aimé (1982) d’Hector Bianciotti (Gallimard. L’imaginaire 1986)
Existe-t-il une littérature hispano-américaine en dehors de Borges et Cortázar ? C’est un peu la question que je me posais avant d’aborder cette catégorie de la bibliothèque idéale qui m’a permis de renouer avec ma chère collection l’imaginaire.
Je ne savais rien de Bianciotti avant de me plonger dans ce recueil de nouvelles, genre que j’apprécie particulièrement dans la mesure où il permet de zigzaguer entres plusieurs récits et qu’il y a toujours un moyen d’apaiser sa faim même si tous les textes ne se valent pas. L’amour n’est pas aimé n’échappe d’ailleurs pas à la règle d’airain du recueil de nouvelles et s’avère très inégal.
Les initiales, récit qui ouvre le livre, laisse craindre le pire tant il est rasoir (je sais que c’est de la critique très prosaïque mais je vous livre mes impressions brutes de décoffrage !). J’ai songé à ce moment au texte très drôle de Jean-Edern Hallier (dans le refus) sur Garcia Marquez et le latino-américanisme en littérature avec ses sempiternelles « indications climatologiques qui ne trompent pas ». « D’abord, le soleil est torride alors que chez nous, il n’est que chaud. Les odeurs sont nauséabondes. Chez nous, celles (sic) ne sont que mauvaises. Ajoutons-y cette révélation essentielle, celle de la pluie humide. Serait-elle sèche en Europe ?»… Avec ses pampas qui s’étendent à perte d’horizon, ses personnages plongés dans le mutisme ou écrasés sous le fardeau du labeur et des traditions ; Bianciotti n’échappe pas toujours à ces clichés de la littérature sud-américaine.
De plus, le style de l’auteur est un brin affecté et vire parfois même à la pure componction. Ses personnages se voient refuser toute chance de salut ou d’espoir. Il ne s’agit pas même de réclamer quelques touches d’humour mais de constater qu’au bout du compte, cette gravité a quelque chose d’un peu pesant.
Bien sûr, il est difficilement niable que Bianciotti a un univers et des obsessions. Obsessions du passé, des racines familiales, de l’écrit ; mêlées à une insondable nostalgie qui s’abat sans arrêt sur des personnages convaincus d’être passés à côté de tout dans la vie. Mais franchement, sur les onze nouvelles qui composent ce recueil, une petite moitié est ennuyeuse à mourir et j’avoue avoir déjà oublié (quelques jours après les avoir lues !) de quoi il était question dans des nouvelles comme Le bal ou L’or de la mémoire !
Parfois, on se surprend à lire un passage magnifique (« La vie laisse les mêmes cendres que les rêves que nous a procurés la nuit et, les années passant, aucun indice ne nous permet de savoir avec certitude si ce que nous avons vécu a été plus réel que ce que nous avons imaginé. ») et l’on regrette que tout le recueil ne soit pas de la même eau.
Pour ne pas rester sur une trop mauvaise impression, signalons tout de même à nos lecteurs curieux quelques nouvelles plus réussies, comme l’escalier du ciel ou des imprudences de la courtoisie. J’aime aussi celles où Bianciotti évoque des figures littéraires réelles pour y greffer ses obsessions. Dans Bagheera, il décrit Rudyard Kipling sur son lit de mort, constatant le déclin de l’Empire Britannique dont il fut le chantre inspiré. Dans Bonsoir les choses d’ici-bas, c’est Valery Larbaud qui se souvient d’un de ses camarades de collège qui lui inspirera son plus célèbre personnage.
Mais s’il ne fallait lire qu’une nouvelle, il faudrait se précipiter sur Albina, la plus parfaite du lot. En évoquant, du point de vue d’un fils, une histoire d’amour entre un vieil homme et une femme rencontrée lors d’un voyage en Europe ; Bianciotti nous serre la gorge en faisant vibrer la corde des amours impossibles et des parenthèses enchantées qui nous rappellent que nos vies auraient pu être radicalement différentes.
Pour le coup, ce texte est magnifique…
Et vous, quels livres hispano-américains me conseilleriez-vous de mettre dans une bibliothèque idéale ?
Libellés : Bianciotti, Bibliothèque idéale, Jean-Edern Hallier, Kipling, Larbaud, littérature hispano-américaine, nouvelles
6 Comments:
Je mettrais pour ma part LE TUNNEL d'Ernesto Sabato. C'est un roman extrêmement marquant.
Je vais passer mon tour, connaissant très mal cette littérature. Dans ma bibliothèque, il y a un recueil de Pablo Neruda, "La centaine d'amour", "L'homme à l'affut" de Cortazar et les carnets de voyage du Che. Peut être autre chose, mais ça ne me vient pas sur le moment.
"Le tunnel" est cité dans la "bibliothèque idéale" de Boncelle. J'ignore par contre s'il est réédité en poche.
Pour le Che, nous le retrouverons peut-être dans la catégorie "Révolte, révolution"...
Moi non plus ce n'est pas mon rayon... A moins que les romans de B. Traven ne comptent, en tout cas le Trésor de la Sierra Madre et le Visiteur du Soir.
Lu aussi Les Fictons de Borges, je suppose que ça rentrerais dans une bibliothèque idéale ; et Le llano en flammes de Juan Rulfo qui sur le coup m'a plu mais ne m'a pas laissé une impression immémorable (là aussi, je crois qu'il y avait des paysans mutiques et des paysages écrasés de chaleur... A moins que les clichés soient tout ce que j'ai retenu).
J'imagine que je garderais aussi les écrits de Che Guevara, parce que j'adore son sens de l'ironie et son humour. Découvert aujourd'hui qu'une des dernières phrases du journal de Bolivie, écrite juste avant sa mort, alors que lui et ses compagnons étaient en bout de course, est "Les onze mois de notre commencement de guerilla se terminent sans complications, bucoliquement."
Pour la bibliothèque idéale, ce sont les "oeuvres poétiques" de Borges qui ont été retenues ("Fictions" entrant dans la catégorie "nouvelles") et le "Pedro Paramo" de Rulfo sur lequel je m'interrogeais.
Personne n'a lu Vargas LLosa, Garcia Marquez ou Carlos Fuentes pour nous donner un avis plus détaillé?
La littérature et la culture argentines sont peut-être les moins latino-américaines de toute l'Amérique latine.
Je crois qu'il faut lire Garcia-Marquez. "Cent ans de solitude" est un livre colossal. Un monument.
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