La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

mardi, février 12, 2008

Apollinaire sous X

Les onze mille verges (1907) de Guillaume Apollinaire (Librio. 2006)


L’une des principales raisons pour lesquelles je vais arrêter ces abécédaires, c’est mon incapacité à trouver des écrivains commençant par la lettre X. Une fois ingurgité du Xénophon, il ne reste pas grand-chose si ce n’est un vieux livre de poche miteux signé Françoise Xenakis que je renâcle à acquérir. Du coup, même principe que la dernière fois : j’utilise la lettre X pour m’adonner sans vergogne au genre que cette lettre désigne, à savoir la littérature que l’on « ne lit que d’une main » (la seconde servant à prendre des notes, bien entendu !)

On sait que beaucoup de grands écrivains s’adonnèrent avec plaisir à la pornographie. Je vous ai suffisamment parlé de Pierre Louÿs mais il faut citer également le célèbre Con d’Irène d’Aragon ou l’hilarant Les rouilles encagées de Benjamin Péret. Apollinaire s’adonna également à la littérature licencieuse et si je ne connais pas les exploits d’un jeune Don Juan, j’ai pu réaliser à quel point les onze mille verges justifie le texte que Gainsbourg écrivit pour Birkin (« Apollinaire/ En a aussi des sévères/ Et des pas mûres dans ses vers/ Dans ses vers/ Onze mille ver-/Je me sens à bout de nerfs… »).

Le récit rocambolesque des voyages du prince Mony Vibescu où se succèdent les parties de jambes en l’air les plus indescriptibles est, en effet, d’une rare crudité. Apollinaire, comme Sade avant lui, prouve que le genre pornographique peut-être un excellent moyen de remettre en cause tous les fondements de nos sociétés. Il prouve également la toute-puissance de la littérature et de son imaginaire. Je sais que Les onze mille verges a été adapté au cinéma mais, sans avoir vu le film, je sais aussi pertinemment que cette adaptation est rigoureusement impossible ; le cinéma pornographique achoppant toujours sur le principe de réalité des corps qui l’empêche d’aller là où la littérature peut emmener le lecteur.

Si Louÿs était un érotomane complet, je pense que la pornographie fut pour Apollinaire un moyen pour vitrioler toutes les valeurs dominantes de son époque. Comme plus tard Péret aura recours au genre pour signer une œuvre incroyablement blasphématoire (ces fameuses Rouilles encagées, conte empli de prières détournées de manière obscène), Apollinaire fustige ici le militarisme, la folie guerrière des hommes et la déliquescence d’une aristocratie qui finira par mourir, emportée par le premier cataclysme mondial.

Comme le dit fort justement Elsa Marpeau dans une courte préface, l’écrivain s’amuse à tourner en dérision tout ce qui se présente comme les plus hautes « valeurs » d’une civilisation : l’armée (ici une bande de soudards assoiffés de sexe et de sang), le mariage (une cérémonie dont l’objet est de fustiger et violer un couple d’enfants), les mœurs de la haute société (le prince n'en est pas un) …

Âmes sensibles, s’abstenir ! Le livre est parfois très gore et Apollinaire ne recule devant aucune « perversion » : pédophilie, nécrophilie, zoophilie, coprophagie, gérontophilie, masochisme, sadisme seront présentés sans la moindre pudeur et inutile de dire que le tribadisme et la pédérastie sont monnaies courantes dans cet univers (gageons qu’avec des mots-clés pareils, je gagne de nouveaux lecteurs !). Une fois de plus, l’exagération est telle qu’elle ne provoque pas l’horreur qu’elle devrait susciter mais donne l’impression d’une vaste farce bouffonne où l’écriture permet une inversion carnavalesque de toutes les hiérarchies, de toutes les valeurs.

Ce n’est pas ce qu’il y a de plus raffiné chez l’auteur d’Alcools mais c’est assez roboratif…

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