Bibliothèque idéale n°18 : les récits de voyage et d'exploration
Venises (1971) de Paul Morand (Gallimard. L’imaginaire. 1999)
Pour les récits de voyages et d’explorations, j’ai choisi un circuit assez proche et ne me suis pas aventuré dans le Congo de Gide ni dans l’Orient de Nerval ou l’Islande de Loti. J’ai préféré la Venise de Paul Morand et ses canotiers.
« Venise n’a pas résisté à Attila, à Bonaparte, aux Habsbourg, à Eisenhower ; elle avait mieux à faire : survivre ; ils ont cru bâtir sur le roc ; elle a pris le parti des poètes, elle a bâti sur l’eau. » écrit de la ville l’auteur de l’homme pressé.
Nous pourrions dire la même chose de son évocation : Morand ne joue pas la carte des souvenirs chronologiques et des interminables descriptions pittoresques d’une ville qu’il a connu depuis le début du siècle mais préfère la forme éclatée et poétique des réminiscences qui s’entrechoquent sans la moindre chronologie.
Ce qu’il y a d’étonnant dans Venises, c’est que l’auteur a 83 ans quand il consigne ses souvenirs. Né en 1888, il avait donc 20 ans à la Belle Epoque, 30 à la fin de la première guerre mondiale, 35 pendant les « années folles », un peu plus de 50 lorsque éclate la seconde guerre mondiale et il écrit ce livre trois ans après Mai 68. C’est dire s’il a eu le temps d’assister aux mutations du monde (certains de ces mondes ont même totalement sombré, comme cette Europe de l’avant première guerre) et de voir défiler les individus.
Dans Venises, nous croiseront donc de manière quasi-simultanée Marcel Proust dont Morand fut proche et les hippies anglo-saxons avachis sur la place Saint-Marc (que l’auteur regarde avec sévérité mais non sans une certaine tendresse, eut égard à sa jeunesse de « moderne »).
Loin de troubler les esprits, ces rapprochements temporels font le sel d’une évocation pointilliste où les souvenirs d’autrefois engendrent les réflexions d’aujourd’hui.
Contrairement à ce que certains passages peuvent aussi laisser entendre (Morand est assez sévère pour son époque et pour l’impérialisme yankee), Venises n’est pas un recueil de souvenirs d’un caractère aigri et plein de ressentiment. De la nostalgie, certes ; mais pas de vinaigre ou d’attaques gratuites.
Plutôt un regard toujours émerveillé sur le monde porté par un vieillard pour qui Venise fut toute sa vie (avec Londres). A travers ses souvenirs de la cité vénitienne, nous traversons les salons de la communauté française de l’avant-guerre (Edmond Jaloux, Henri de Régnier, Charles du Bos, Abel Bonnard…), les flamboiements de l’après-guerre, la montée du fascisme et la seconde guerre mondiale.
Soyons précis : Morand ne s’attarde jamais sur de longues descriptions ni sur des évènements précis mais préfère se concentrer sur les ambiances et les couleurs des époques. Peu d’anecdotes mais beaucoup de sensations, de portraits rapidement esquissés, de tableaux aussi vivants qu’évanescents.
C’est souvent très beau (le style de Morand est lumineux) et très touchant ; comme le sont souvent ces souvenirs d’hommes de lettres qui ont vécu réellement au cœur des siècles…
PS : Quels sont pour vous les plus indispensables récits de voyages et d’explorations à posséder dans une bibliothèque idéale ?
Libellés : Bibliothèque idéale, Morand, Proust, récit de voyage et d'exploration, Venise
3 Comments:
J'ai lu peu de livre de voyage mais j'avoue que je me suis plongé dans "Les Sept piliers de la sagesse" de T.-E. Lawrence qui relate son expérience et son rôle dans le révolte arabe lors de la première guerre mondial.
BOURLINGUER de Blaise Cendrars ! Dans le désordre le plus électrisant,Cendrars voyage dans sa memoire et aux quatres coins du globe. Plus que récits pittoresques,ce bouquin est un manuel de l'aventure, un mode d'emploi pour atteindre l'ivresse.
Et c'est écrit dans un style uppercut et romantique, à l'image de l'auteur, fils naturel d'André Pousse et Joseph Conrad.
Superbe article et au passage super blog aussi! Merci pour tous tes conseils.
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