La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

jeudi, mai 08, 2008

Bibliothèque idéale n°15 : le roman russe

La steppe (1888) suivi de Salle 6 (1892) et de L’évêque (1902) d’Anton Tchékhov (Gallimard. Folio classique. 2003)


Pour terminer ce premier tiers de la « bibliothèque idéale » et en finir avec l’approche « nationale » des littératures, abordons l’une des plus riches qui soit : la littérature russe.

J’avoue n’avoir pas encore eu le courage de me jeter dans le fleuve Tolstoï (par contre, je connais et adore ceux de Dostoïevski !) et je me suis rabattu sur trois nouvelles de Tchékhov dont je ne connaissais jusqu’à présent que le théâtre.

« Nouvelle » est d’ailleurs un terme un brin réducteur pour désigner La steppe, court récit qui fait quand même près de 150 pages.

Il s’agit d’une œuvre de jeunesse (l’auteur n’a pas trente ans) où l’on suit les pérégrinations de personnages à travers l’immensité de la steppe russe que l’auteur peint avec un certain génie impressionniste. Le récit est entièrement construit autour du point de vue d’un jeune garçon, Iégor, que sa mère a confié à un oncle marchand pour qu’il l’emmène faire des études. Aux côtés de cet homme juste préoccupé par ses affaires voyage également un doyen d’église qui rassure l’enfant comme il peut.

Un paysage comme la steppe ne semble pas, a priori, propice à de nombreux rebondissements et pourtant, Tchékhov nourrit son voyage de ses souvenirs d’enfance et de légendes populaires autour d’auberges où les marchands se faisaient assassiner par des brigands peu scrupuleux…

La steppe est aussi un récit ouvert et initiatique, qui laisse présager pour le petit Iégor d’une vie qui n’a rien, pour le moment, de toute tracée. L’auteur parvient à la fois à épouser le point de vue de l’enfance (certaines images surgissent d’une conscience embrumée par le sommeil ou la maladie) et à retrouver les senteurs et couleurs du paysage dans lequel évoluent les personnages.

C’est très beau et pourtant, je dois confesser avoir préféré à cette Steppe le deuxième récit (un peu plus court mais sa centaine de pages l’éloigne lui aussi de la forme courte de la nouvelle) du recueil intitulé Salle 6. Tchékhov décrit dans cette histoire, avec une force indéniable, le quotidien de personnes internées comme folles. Son héros, le docteur Raguine, est un personnage cultivé et blasé, conscient des conditions d’hygiène et de gestion désastreuses de son hôpital mais qui ne se résout pas à changer le cours des choses…

Comme le dit fort justement Roger Grenier dans sa préface, Tchékhov se démarque avec Salle 6 de Tolstoï et de ses théories sur la non-résistance au Mal. Face à Raguine qui prêche le stoïcisme et cite Marc-Aurèle, l’écrivain dresse le portrait d’un fou (Grimov) dont la culture et l’intelligence ont frappé le médecin. Or cet interné remet vigoureusement en question ce stoïcisme et remarque avec justesse que cette acceptation de la douleur n’est souvent qu’une vue de l’esprit de gens qui n’ont pas souffert. Face à cela, Grimov opte plutôt pour la critique radicale de la société et pour la rébellion (d’une certaine manière, il annonce les soubresauts qui soulèveront la Russie au début du 20ème siècle !).

Le processus par lequel la société met finalement le grappin sur Raguine est également montré avec beaucoup de force et de subtilité. Par sa manière de glisser inéluctablement vers son dénouement, Salle 6 est un pur petit chef-d’œuvre.

L’évêque est une nouvelle (le mot peut être employé ici) écrite peu de temps avant la mort de l’écrivain. C’est sans doute dans ce texte que j’ai retrouvé le plus ce « ton » Tchékhov si caractéristique de son théâtre, cette mélancolie douce qui n’a pas fini de nous toucher. L’auteur met en scène un vieil évêque qui retrouve peu avant sa mort sa mère qui lui parle désormais avec déférence (en raison de sa fonction). Le personnage se retourne sur sa vie et se demande alors quel sens lui donner. Il est parvenu à un certain statut social mais ce statut le confine dans la plus extrême solitude.

Par sa manière de faire planer l’angoisse de la mort et du néant, par sa tristesse mélancolique ; l’évêque se révèle être une nouvelle très touchante, témoignant du talent unique de Tchékhov pour suggérer par de petites touches les plus grandes angoisses existentielles…

NB : La littérature russe, me semble-t-il, est un vivier fertile en immenses écrivains. Je ne les cite pas et vous laisse le loisir de me dire lesquels parmi eux vous placeriez immanquablement dans votre bibliothèque idéale…

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4 Comments:

Blogger losfeld said...

Je te conseille très très vivement un chef d'oeuvre russe trop peu connu, seul livre de son auteur qui n'a laissé aucune trace derrière lui: Maurice Agueev. On ignore d'ailleurs s'il s'agit d'un pseudonyme ou non. Son seul roman a pour titre Roman avec cocaïne et je ne voudrais pas l'abimer avec mes mots. Ca se trouve en grand format et en poche chez 10/18. Indipensable!

11:39 PM  
Blogger Dr Orlof said...

Tu m'intrigues! Je note! Merci pour le conseil...

4:40 PM  
Anonymous Anonyme said...

Autre jubilatoire roman du russe Gontcharov. OBLOMOV; ou comment apprendre que la vraie paresse créatrice, est parfois appelée un peu facilement, "l'âme russe". Grand merci pour ce site. Daniel.

12:16 PM  
Blogger tyery1 said...

Et bien encore une suggestion de ma part, j'avoue la littérature Russe j'aime beaucoup (en tout cas ce qui est passé entre mes mains..).
Je pourrais donc conseiller Dostoïevski avec "crime et châtiment" qui est ..que dire..retournant? même si ça n'est pas très original.
Sinon autre grand livre "le maitre et marguerite" de Boulgakov un roman qui contient ..tout...oui tout...je suis incapable dans dire plus..!
J'espère que vous apprécierez autant que moi!

9:01 PM  

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