Ne me sentant pas toujours capable d’écrire une note sur chacune de mes lectures, je vous propose un bref panorama de quelques unes de mes dernières découvertes. Le tout sera un peu fouillis mais bon …
Romans, Nouvelles.
L’attrape-cœur de J.D.Salinger. J’aurais aimé consacrer plus de lignes à ce magnifique roman que j’ai découvert il y a déjà quelques mois. Avec ce récit de la fugue d’un jeune homme renvoyé de son collège qui préfère errer quelques jours dans New York plutôt que d’affronter le regard de ses parents ; Salinger capte à merveille ce que j’appellerais volontiers l’essence de l’adolescence. Même si ce livre a plus de 60 ans, que les « trop fort » ont désormais remplacé les « ça me tue » ; Salinger traduit à merveille, dans une langue à la fois proche du langage parlé et très travaillée, l’état d’esprit de cet âge prit entre l’enfance et l’âge adulte. Entre parcours initiatique, crainte de devoir se conformer à la triste compagnie des adultes et révolte indécise ; le jeune anti-héros de Salinger renvoie une image pleine d’humour et d’émotion de ce qu’est l’adolescence. Ca m’a tué !
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Je ne m’appesantirai pas sur Georges de la Fouchardière puisque j’ai déjà consacré une longue note à ce lustucru. Après son récit de voyage (
Au pays des chameaux), j’ai donc lu
La grande rafle qui m’a un tantinet déçu. Le livre est certes amusant et présente un héros moultement sympathique puisqu’il s’agit d’un savant fou qui a mis au point un rayon capable d’influer sur la volonté humaine. Il utilise sa découverte à bon escient en débarrassant Paris de tous ses parasites (préfets, financiers, académiciens, politicards…). Malheureusement, mis à part quelques passages très youpiteux, le livre ne prend pas assez parti pour ce brave révolutionnaire pacifiste (toutes ses victimes sont enfermées dans un grand château et bien traitées) et préfère se ranger derrière un très conformiste (quoique chaud lapin) petit journaliste. De plus, le livre brocarde de manière un peu démagogique l’art contemporain et se vautre parfois même dans quelques réflexions racistes (une alter ego de Joséphine Baker est invitée à « remonter dans son arbre »). Au vue des autres livres de La Fouchardière, je parierais volontiers que les aspects les plus déplaisants de
La grande rafle sont à mettre sur le compte du co-auteur du livre, à savoir Clément Vautel, le déplorable auteur de
Mon curé chez les riches.
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Restons dans les auteurs oubliés en exhumant le nom de Claude Farrère. A la fin du XIXème et au début de XXème siècle, la mode est à l’exotisme. Le proche et l’extrême Orient fascinent les petits occidentaux. Combinant les métiers de militaire et d’homme de lettres, Claude Farrère va, en bon disciple de Pierre Loti, écrire une quantité de récits de voyages, de romans et de nouvelles ayant pour cadre de lointaines contrées.
L’homme qui assassina est assez caractéristique de ce goût pour l’exotisme. Dans ce roman où l’on suit un diplomate français en mission en Turquie et ses tentatives d’aider une belle dame mal-mariée avec un diplomate anglais, Farrère privilégie l’atmosphère au romanesque et se complait dans des descriptions que j’ai, pour ma part, trouvé assez emmerdantes. Ceci dit, le livre a des qualités d’écriture et recèle de fort beaux passages entre notre héros et la femme dont il devient secrètement amoureux. De plus, l’auteur pose un regard totalement fasciné sur la civilisation turque qu’il contemple et ne verse ni dans le paternalisme colonialiste, ni dans le racisme. Au contraire, comme son héros, il semble fuir les ambassades et fustiger la corruption occidentale sur le pays. C’est suffisamment rare pour susciter l’intérêt.
Les spécialistes de l’écrivain signalent à notre attention ses contes et nouvelles fantastiques. Je suis en train de lire
L’autre côté…, un de ces recueils de contes insolites. Ce n’est pas désagréable quoique un peu inégal. Certains sont assez percutants et valent le coup, d’autres sont de fumeuses considérations oniriques où l’auteur se complait dans la description de rêves inintéressants. A mi-parcours, je dirais néanmoins que ça reste une curiosité à parcourir…
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ESSAISLes grands cimetières sous la lune de Georges Bernanos. En raison de son austère stature d’écrivain et penseur catholique, j’avoue que je n’avais jusqu’à présent pas mis le nez dans les œuvres de Bernanos. N’ayant jamais pu trouver attrayant un titre comme
Dialogues de carmélites et ne connaissant de l’auteur que quelques adaptations cinématographiques de ses romans (
Le journal d’un curé de campagne et
Mouchette de Bresson,
Sous le soleil de Satan de Pialat) , je dois reconnaître également que la découverte de
La France contre les robots, sublime pamphlet écrit après la Libération, fut pour moi un choc. Du coup, j’ai déniché chez un petit libraire ces
Grands cimetières sous la lune, livre non moins étonnant que le précédent cité. Etonnant parce que Bernanos a été formé à l’école Drumont (cette nauséabonde crapule, auteur de
La France juive) et de l’Action Française, qu’il se revendique royaliste et catholique et qu’il avait tout, a priori, pour prendre le parti des sbires de Franco pendant cette fameuse guerre d’Espagne qui est l’objet du livre. Or il s’avère qu’il va prendre le parti inverse en dénonçant avec une rare virulence les exactions commises par le régime du « caudillo » et la lâcheté de l’Eglise qui va se rallier derrière une si fécale figure. D’une certaine manière, l’écrivain dénonce la lâcheté petite-bourgeoise des « Bien-pensants » qui frétillent d’angoisse dès qu’on agite le spectre rouge du communisme et préfèrent renoncer à leur libre-arbitre et leur liberté en choisissant le camp de la force dictatoriale. Inutile de préciser que dans les pamphlets de Bernanos se trouvent des réflexions qui sont encore aujourd’hui d’une rare actualité…
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Fustiger le bourgeois , tel a été également la tâche qu’a menée avec une incroyable rage un autre grand auteur catholique : Léon Bloy. A l’inverse de Bernanos qui ne m’attirait pas jusqu’à présent, j’ai toujours goûté avec délice la prose furibarde et hargneuse du « Vieux de la montagne ». Je connaissais ses deux principaux romans (
la femme pauvre, le désespéré), son journal intime (à lire absolument) et quelques uns de ses pamphlets mais je n’avais pas lu
Exégèses des lieux communs que j’ai déniché en livre de poche pour une somme dérisoire.
« Le vrai Bourgeois, c’est à dire, dans un sens moderne et aussi général que possible, l’homme qui ne fait aucun usage de la penser et qui vit, ou paraît vivre sans avoir été sollicité, un seul jour, par le besoin de comprendre quoi que ce soit, l’authentique et indiscutable Bourgeois est nécessairement borné dans son langage à un très petit nombre de formules ». Bloy entreprend donc de lister toutes ces formules (« Il n’y a pas de plaisir sans peine », « la pluie et le beau temps » , « l’argent ne fait pas le bonheur » …) et se livre à des interprétations aussi féroces que drolatiques. Plutôt que de longs discours, laissons parler l’auteur lorsqu’il se livre à une exégèse du lieu commun : « Etre dans le commerce… » :
« Le mensonge, le vol, l’empoisonnement, le maquerellage et le putanat, la trahison, le sacrilège et l’apostasie sont honorables, quand on est dans le commerce. « A plat ventre devant le client », disait un jour devant moi une patronne de café à un de ses garçons, « toujours à plat ventre, quand on est dans le commerce. ». Percutant !
THEATRE.
Lu quelques pièces de l’immense Jarry (
Ubu enchaîné,
Ubu sur la butte). Je vous fais grâce d’une exégèse mais lorsqu’on a humé l’ « Umour » du bonhomme, on ne peut plus entendre un chef d’état ou un politicard démagogue (pléonasme) de la même manière. Le théâtre ubuesque reste une fabuleuse entreprise de démystification.
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Jean Richepin.
Le chemineau.
Si l’immense Brassens n’avait pas eu la judicieuse idée de mettre en musique quelques uns de ses poèmes (
Philistins, le sublime
les oiseaux de passage…) , la nom de Jean Richepin serait lui aussi tombé dans les oubliettes du temps. C’est dommage car un homme qui se déclara « ennemi de la race blanche qui a inventé le foyer, la famille, la patrie, l’idéal et les dieux » ne pouvait pas être mauvais. Il y a donc de bonnes choses à calotter chez Richepin, que ce soit ses poèmes, ses romans ou ses contes fantastiques tordus (
le coin des fous fait partie de ses rares œuvres à être rééditées de nos jours) . Parmi ces bonnes choses, ce goût immodéré de l’auteur pour les « hors-classes », les parias de tout type, qu’ils soient gitans (
Miarka, la fille à l’ourse) ou vagabond libertaire comme ce
Chemineau. Le drame (en vers !) est ici très classique (un mariage entre deux familles n’appartenant pas aux mêmes couches sociales est l’un des principaux enjeux de la pièce) mais contient néanmoins cette chouette profession de foi du héros :
« Là ! maintenant, voici. J’ai pour premier principe
De m’aller promener, libre, le nez au vent,
Quand il m’en prend envie ; et ça me prend souvent.
J’ai pour second principe, et n’en veux pas démordre,
D’envoyer promener quand on me donne un ordre.
Autrement dit, je suis un mauvais garnement,
Roulant en vagabond la grand’route, et l’aimant,
Travaillant pour manger, tout juste, et qui préfère,
Quand c’est son goût, ne rien manger, mais ne rien faire. »
BROCHURES, REVUES.
Internet est une belle invention. Grâce à la toile, je complète peu à peu ma collection de
Fascination. Je me réserve l’occasion de revenir sur cette fabuleuse revue (créée et menée de main de maître par Bouyxou), une des plus passionnantes de la fin des années 70, début des années 80 (avec le
Hara-Kiri de Choron).
Les deux derniers numéros des
Cahiers du cinéma m’ont paru, par contre, assez consternants de médiocrité. J’ai du mal à saisir l’orientation de la revue qui ne semble plus désormais envisager le septième art autre part qu’à l’école ou au musée (au secours !). Quand au traitement des films, entre les faramineuses dithyrambes pour
OSS 117 et
V pour Vendetta et une notule condescendante pour Ruiz, on reste rêveur…
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« Un gros commerçant proclamera sur ses affiches publicitaires : « il est interdit d’interdire de vendre moins cher (E.Leclerc), un autre : « Tous unis contre la vie chère » (Intermarché).
[…]
Quel fut ce bon temps où les sans-culottes plantaient leurs fourches dans le postérieur des sinistres possédants, aristocrates ou bourgeois, pour chasser ces parasites de leurs assemblée nationale et hôtels particuliers. Quel est ce mauvais temps où les possédants se font les propagandistes de la « rebelle attitude », afin de nous faire avaler l’amer venin de la servitude démocratisée. »
Cette judicieuse réflexion (parmi d’autres) se trouve dans une brochure intitulée
Le publicitaire (n°11, Mars 2006) qu’on peut trouver pour une somme dérisoire (30 centimes) dans toutes les bonnes librairies (« la mémoire du monde » à Avignon, « la machine à lire » à Bordeaux, « Le sphinx » à Grenoble, « Meura » à Lille, « la Gryffe » et « La plume noire » à Lyon, « Nautilus » à Paris…). Sa lecture est hautement recommandable.
BD.
Diable, j’ai été trop long ! Alors très rapidement, en ordre décroissant.
Retour au collège de Riad Sattouf. Un vrai régal ! un jeune auteur de BD fait toujours des cauchemars à 27 ans où il se revoit au collège. Pour exorciser cette angoisse, il décide de réintégrer une classe de 3ème dans un lycée parisien ultra-chic. Sattouf croque avec un humour constant et une rare justesse ces fils de riches qui ne sont finalement que des ados comme tous les autres (obsédés par le cul et la mode). Ce n’est jamais condescendant ni paternaliste et malgré tous leurs défauts, on s’attache vite à ces jeunes gens (la petiote qui tombe amoureuse du dessinateur est extrêmement touchante).
Le combat ordinaire de Manu Larcenet. Une chouette découverte (ben ouais, ce n’est pas original mais je n’y connais rien en BD !). Cette histoire d’un photographe vaguement névrosé, de ses relations avec ses parents, son frère et sa copine m’a paru à la fois juste et profonde. Les personnages sont croqués avec délicatesse et l’auteur parvient à leur donner de l’épaisseur en quelques cases. Comme ce récit intimiste n’est pas dénué d’humour, la lecture s’avère tout à fait plaisante.
Cour Royale de Jean-Marc Rochette et Martin Veyron. Gros pastiche (avec jeux de mots et langage d’époque ad hoc) des BD historiques avec cette histoire de perruquier qui arrive à la cour avec sa fille qui attire toutes les convoitises des nobles et même du roi. Rigolo.
Une épaisse couche de sentiments de Sébastien Gnaedig et Philippe Thirault. Une bande dessinée située au cœur du monde impitoyable des ressources humaines avec des types aux dents de requins qui licencient à tour de bras. Histoire assez forte mais aussi très caricaturale. Dessins assez statiques auxquels je n’ai adhéré qu’ à moitié. Un équivalent dessiné du cinéma de Michael Moore, si vous voulez…
Jack.B.Quick : enfant prodige. D’Allan Moore et Kevin Nowlan. Un jeune prodige en culotte courte des sciences se livrent à toutes sortes d’expériences fantaisistes. Si une tartine beurrée tombe toujours du côté beurre et si un chat retombe toujours sur ses pattes, que se passe-t-il si on beurre le dos d’un chat ? C’est le seul gag qui m’a arraché un sourire dans cette BD chiante comme un jour de mai sous la pluie. J’avoue ne pas accrocher du tout à l’esthétique américaine du « Comic » et préférer, dans le genre, l’hilarante
Rubrique scientifique de Boulet.
Mais là, on va dire que je ne suis plus objectif…
Libellés : BD, Bernanos, Bloy, De la Fouchardière, Drumont, Farrère, Fascination, Guerre d'Espagne, Jarry, Larcenet, Richepin, Salinger, Sattouf, Veyron