L'aventure de "Champ Libre"
Gérard Guégan. Cité Champagne, esc. I, Appt. 289, 95- Argenteuil (Champ libre 1 : 1968-1971). Grasset
J’ai toujours un peu de mal avec les témoignages des anciens de 68 qui généralement se divisent en deux catégories : ceux écrits par les renégats qui font amende honorable et se rallient sans complexe aux abominations de la société actuelle ; et ceux des anciens combattants aigris qui se retournent, la larmichette au coin de l’œil, sur un passé définitivement enterré. Deux travers qu’évitent admirablement Gérard Guégan qui signe ici l’un des livres les plus passionnants du moment.
Le pari n’était pas gagné d’avance car, en sachant comment s’est terminée l’aventure de Champ libre pour l’auteur (évincé en 1974 par Lebovici), il y avait du règlement de compte dans l’air. Or malgré quelques piques irritantes lancées contre certaines personnalités (nous y reviendrons), Guégan évite également cet écueil. Mais commençons par le début.
Cité champagne… est l’évocation de la naissance d’une des plus fabuleuses aventures éditoriales de l’après-guerre. Jeune père de famille et apprenti écrivain tout juste sorti de l’épopée de Mai 68, Gérard Guégan fait la connaissance d’un autre Gérard (Lebovici), riche impresario avec qui il décide de lancer une nouvelle maison d’édition qui publierait les textes les plus à même de prolonger la Révolution. C’est ainsi que naquirent les éditions Champ libre dont le catalogue des publications laissent encore aujourd’hui pantois. Des classiques de la subversion (Déjacque, Darien, Coeurderoy, Zo d’Axa…) aux agitateurs de l’époque (Jules Celma, le Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire, le Groupe d’Information sur les Prisons et bientôt la réédition de L’instinct de mort de Mesrine) en passant par les situationnistes (Debord, Voyer, Jaime Semprun…) et Boulgakov, Cravan, Schwitters, Gracian, Ardant du Picq, Clausewitz, Orwell, Groucho Marx, W.C Fields ; Champ libre ne laissa quasiment rien passer des manuels destinés à nous mettre « les yeux en face des troubles » (même si Guégan regrette d’avoir loupé l’édition française de l’excellent et indispensable Do it de Jerry Rubin).
Ecrit de manière très vivante, dans un style haletant (de courts paragraphes qui rythment l’aventure), Guégan mêle les souvenirs personnels (ses tracas avec les staliniens dans la cité rouge d’Argenteuil, ses tours pendables, ses amours tumultueuses…) à un tableau étonnamment juste de la société française à la charnière des années 70.
Entre les souvenirs de l’assassinat de Sharon Tate et de la découverte de La nuit des morts-vivants de Romero, on croise les gens de la Vieille Taupe (cette librairie d’extrême gauche qui deviendra malheureusement par la suite une officine du révisionnisme), Jim Morrison et Reiser. On sent parfaitement les tensions qui pouvaient alors exister entre les divers groupuscules (les conflits entre la Vieille Taupe et les situationnistes qui, au fur et à mesure que le temps passe, gravitent de plus en plus autour de Champ Libre par l’intermédiaire de Voyer et Viénet) et le durcissement de la répression étatique (les flics du sinistre Marcellin).
Au milieu de tout ça, les rêves et la mauvaise foi d’un individu prêt à en découdre avec le monde entier. Guégan, c’est son mérite, ne renie pas son passé mais ne se met pas non plus en valeur. Dans cette histoire, ce qui pouvait gêner a priori, c’est que ses principaux acteurs ne sont plus de ce monde aujourd’hui (Lebovici a été assassiné dans des circonstances qui restent toujours mystérieuses en 1984 et Debord s’est suicidé). Facile donc de se donner le beau rôle et de faire parler les morts. Guégan ne le fait pas (il met lui même en scène ses difficultés à ordonner ses souvenirs et les confrontent avec les impressions d’autres témoins de l’époque : Sorin, Le Saux…) même si on sent toujours une véritable rancœur contre Debord (devenu par la suite le grand ami de Lebovici qui produira ses films).
Si certains faits donnent raison à Guégan (dans Considérations sur l’assassinat de Gérard Lebovici, Debord nie avoir connu l’auteur alors que sa Correspondance révèle un certain nombre de lettres envoyées à l’auteur des Irréguliers), certaines remarques me paraissent totalement déplacées (sur la virilité ou la calvitie de Debord) et ne présentent aucun intérêt. Mis à part ces quelques piques fielleuses, le livre ne suscite pas la moindre réserve tant il est écrit avec fougue. Guégan, et c’est tant mieux, n’a rien renié de ses combats d’antan (les quelques remarques qu’il s’autorise sur notre époque sont très pertinentes) et son livre n’a jamais l’allure de souvenirs momifiés.
C’est dire si on attend le deuxième tome avec impatience…
J’ai toujours un peu de mal avec les témoignages des anciens de 68 qui généralement se divisent en deux catégories : ceux écrits par les renégats qui font amende honorable et se rallient sans complexe aux abominations de la société actuelle ; et ceux des anciens combattants aigris qui se retournent, la larmichette au coin de l’œil, sur un passé définitivement enterré. Deux travers qu’évitent admirablement Gérard Guégan qui signe ici l’un des livres les plus passionnants du moment.
Le pari n’était pas gagné d’avance car, en sachant comment s’est terminée l’aventure de Champ libre pour l’auteur (évincé en 1974 par Lebovici), il y avait du règlement de compte dans l’air. Or malgré quelques piques irritantes lancées contre certaines personnalités (nous y reviendrons), Guégan évite également cet écueil. Mais commençons par le début.
Cité champagne… est l’évocation de la naissance d’une des plus fabuleuses aventures éditoriales de l’après-guerre. Jeune père de famille et apprenti écrivain tout juste sorti de l’épopée de Mai 68, Gérard Guégan fait la connaissance d’un autre Gérard (Lebovici), riche impresario avec qui il décide de lancer une nouvelle maison d’édition qui publierait les textes les plus à même de prolonger la Révolution. C’est ainsi que naquirent les éditions Champ libre dont le catalogue des publications laissent encore aujourd’hui pantois. Des classiques de la subversion (Déjacque, Darien, Coeurderoy, Zo d’Axa…) aux agitateurs de l’époque (Jules Celma, le Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire, le Groupe d’Information sur les Prisons et bientôt la réédition de L’instinct de mort de Mesrine) en passant par les situationnistes (Debord, Voyer, Jaime Semprun…) et Boulgakov, Cravan, Schwitters, Gracian, Ardant du Picq, Clausewitz, Orwell, Groucho Marx, W.C Fields ; Champ libre ne laissa quasiment rien passer des manuels destinés à nous mettre « les yeux en face des troubles » (même si Guégan regrette d’avoir loupé l’édition française de l’excellent et indispensable Do it de Jerry Rubin).
Ecrit de manière très vivante, dans un style haletant (de courts paragraphes qui rythment l’aventure), Guégan mêle les souvenirs personnels (ses tracas avec les staliniens dans la cité rouge d’Argenteuil, ses tours pendables, ses amours tumultueuses…) à un tableau étonnamment juste de la société française à la charnière des années 70.
Entre les souvenirs de l’assassinat de Sharon Tate et de la découverte de La nuit des morts-vivants de Romero, on croise les gens de la Vieille Taupe (cette librairie d’extrême gauche qui deviendra malheureusement par la suite une officine du révisionnisme), Jim Morrison et Reiser. On sent parfaitement les tensions qui pouvaient alors exister entre les divers groupuscules (les conflits entre la Vieille Taupe et les situationnistes qui, au fur et à mesure que le temps passe, gravitent de plus en plus autour de Champ Libre par l’intermédiaire de Voyer et Viénet) et le durcissement de la répression étatique (les flics du sinistre Marcellin).
Au milieu de tout ça, les rêves et la mauvaise foi d’un individu prêt à en découdre avec le monde entier. Guégan, c’est son mérite, ne renie pas son passé mais ne se met pas non plus en valeur. Dans cette histoire, ce qui pouvait gêner a priori, c’est que ses principaux acteurs ne sont plus de ce monde aujourd’hui (Lebovici a été assassiné dans des circonstances qui restent toujours mystérieuses en 1984 et Debord s’est suicidé). Facile donc de se donner le beau rôle et de faire parler les morts. Guégan ne le fait pas (il met lui même en scène ses difficultés à ordonner ses souvenirs et les confrontent avec les impressions d’autres témoins de l’époque : Sorin, Le Saux…) même si on sent toujours une véritable rancœur contre Debord (devenu par la suite le grand ami de Lebovici qui produira ses films).
Si certains faits donnent raison à Guégan (dans Considérations sur l’assassinat de Gérard Lebovici, Debord nie avoir connu l’auteur alors que sa Correspondance révèle un certain nombre de lettres envoyées à l’auteur des Irréguliers), certaines remarques me paraissent totalement déplacées (sur la virilité ou la calvitie de Debord) et ne présentent aucun intérêt. Mis à part ces quelques piques fielleuses, le livre ne suscite pas la moindre réserve tant il est écrit avec fougue. Guégan, et c’est tant mieux, n’a rien renié de ses combats d’antan (les quelques remarques qu’il s’autorise sur notre époque sont très pertinentes) et son livre n’a jamais l’allure de souvenirs momifiés.
C’est dire si on attend le deuxième tome avec impatience…
Libellés : Champ libre, Debord, Guégan, I.S, Lebovici, Mai 68, Vieille Taupe, Voyer
2 Comments:
Merci pour tous ces articles je vais me pencher sérieusement dessus!
C’est pour la première que je viens de visiter votre site et je le trouve vraiment intéressant ! Bravo !
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