La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

mercredi, juin 27, 2007

L'impossibilité d'une île

Tous les feux le feu (1966) de Julio Cortázar (Gallimard. L’imaginaire. 2004)

Le premier réflexe qui vient face à un recueil de nouvelles, c’est de le trouver inégal. La règle ne souffrira pas d’exception cette fois ci puisque sur les huit récits proposés par Cortázar, certains m’ont semblé de pures petites merveilles (L’autoroute du sud, Mademoiselle Cora…) tandis que d’autres m’ont laissé un peu de marbre (Réunion, l’autre ciel).

Le deuxième réflexe serait de tenter de dégager une unité de l’ensemble, qu’elle soit thématique ou stylistique. La chose n’est, au premier abord, pas facile avec Tous les feux le feu. Qu’ont en commun, en effet, certains récits dont le cadre de départ s’inscrit dans le plus banal des quotidiens (un embouteillage sur l’autoroute du sud, un homme qui assiste à une représentation théâtrale…) et qui basculent insidieusement dans l’insolite, le fantastique (l’embouteillage se prolonge des jours puis des mois entiers, le spectateur est convié à incarner sur les planches un personnage dramatique…) ; et ceux dont la facture s’avère plus « classique » (une famille qui s’organise pour cacher la mort d’un de ses membres à la mère malade, les relations conflictuelles mais affectives entre une infirmière et un jeune garçon opéré de l’appendicite) ? Quel lien entre le « nous » de la nouvelle Réunion et la multitude de points de vue sur lesquels est bâtie Mademoiselle Cora ou encore les histoires parallèles de Tous les feux le feu?

Bizarrement, c’est une nouvelle un peu en retrait (en tous cas, pas ma préférée), celle intitulée L’île à midi, qui donne peut-être une clé pour trouver un fil conducteur. On y voit un steward devenir de plus en plus fasciné par une île qu’il ne cesse de survoler avant de finir par pouvoir y aller. Or la plupart des nouvelles de ce recueil (si ce n’est toutes !) fonctionne sur ce même désir d’utopie : utopie d’une nouvelle organisation des rapports humains en privilégiant la pause à l’éternelle fuite en avant (la métaphore de l’embouteillage dans l’autoroute du sud) ; utopie du groupe soudé, que ce soit la famille dans La santé des malades ou les combattants de Réunion (si j’aime moins cette nouvelle, c’est qu’émanant d’un écrivain d’origine sud-américaine, cette histoire de guérilla s’ouvrant sur une citation du Che m’a paru plus convenue) ou utopie d’une littérature prenant en compte tous les points de vue pour trouver des points d’accord (Mademoiselle Cora, Tous les feux le feu)

Mais, corollaire de ces aspirations utopiques, la catastrophe finit par arriver et comme dans Directives pour John Howell où le spectateur devient acteur d’une pièce de théâtre et tente de se révolter contre cette condition de pantin manipulé par d’inquiétants démiurges ; l’homme n’échappe pas à son Destin.

En brouillant les pistes temporelles (Tous les feux le feu met en parallèle une histoire se déroulant pendant les jeux du cirque romain et une histoire contemporaine ; l’autre ciel débute sous le second Empire et fini en convoquant les souvenirs des deux guerres et d’Hiroshima), Cortázar souligne le caractère inéluctable de la destinée humaine.

Le fond des nouvelles est plutôt pessimiste (les séparations finales de l’autoroute du sud, la famille de La santé des malades dont l’union ne repose finalement que sur le mensonge…) et reviennent régulièrement des images de crashs aériens et d’incendies. Mais le livre n’a rien de dépressif et l’auteur parvient à souligner la vanité de nos existences en privilégiant plutôt leur caractère insolite.

Et la manière qu’il a de basculer du réalisme à une espèce de fantastique discret fait tout le prix, au bout du compte, de ce recueil de nouvelles.

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dimanche, juin 24, 2007

Déjà mort

Le héron (1968) de Giorgio Bassani (Gallimard. L’imaginaire. 2005)

En achetant ce livre, j’ai réalisé, non sans une certaine honte, n’avoir pratiquement jamais lu aucun livre italien si j’excepte les nouvelles de Buzzati que je dévorais étant jeune. Giorgio Bassani serait d’ailleurs resté un parfait inconnu si je ne m’étais rendu compte, en jetant un œil sur sa bibliographie, que j’avais vu le film que De Sica tira de son Jardin des Finzi-Contini.
Le héron retrace un dimanche ordinaire de la vie Edgardo Limentani, grand bourgeois de Ferrare désabusé qui décide de partir à la chasse au gibier d’eau. Des préparatifs jusqu’à son retour chez lui, l’auteur s’attache à suivre l’évolution d’une conscience qui prend peu à peu la mesure de l’inanité de son existence.
Comme dans le poème de Baudelaire l’albatros, l’oiseau qui donne son titre au roman est une figure métaphorique. Lors de la partie de chasse, Edgardo assiste aux dernières minutes d’un héron, bestiole pataude et impropre à être mangée. L’homme qui l’accompagne lui assure qu’un héron ne retrouve un peu d’intérêt et de majesté qu’empaillé dans un salon.
Edgardo est un «héron », un homme d’un autre temps, un survivant d’un monde ancien, une relique que l’on conserve comme signe d’un prestige révolu. Il représente cette grande bourgeoisie italienne (plus particulièrement celle de Ferrare à laquelle Bassani s’est attachée tout au long de son œuvre) en pleine décadence au sortir de la guerre, laminée par les vagues successives du fascisme et du communisme qui lui succéda après-guerre.
A travers le portrait de cet homme terne, vieillissant et totalement «inutile » (il a été dépossédé de ses terres au profit de sa femme qu’il ne peut plus supporter), l’auteur restitue un climat de déliquescence et de fin d’un monde. Sur Edgardo pèse le poids de sa famille mais également le poids d’une société qui n’en a pas fini avec son passé (l’épisode fasciste qui remonte à la surface en la personne de l’hôtelier avec qui Edgardo, bourgeois juif, entretient une relation ambiguë) et dont l’avenir semble bouché (les menaces que font peser sur lui les ouvriers communistes).
Quelque chose de lourd pèse sur ce livre, la même lourdeur qui tourmente les intestins du «héros » et dont il n’arrive pas à se débarrasser (si je souligne ce fait trivial, c’est que Bassani y revient plusieurs fois). Mais cette lourdeur ne se ressent absolument pas dans le style de l’écrivain qui parvient à captiver en s’intéressant à de tous petits faits anodins qui s’emboîtent comme les pièces d’un puzzle et finit par révéler un tableau complexe des mutations d’une société à partir des atermoiements d’une simple conscience (pour caricaturer, on pourrait dire que Le héron se situe entre Virginia Woolf et Kafka)
Le livre est pessimiste et s’inscrit aussi dans un certain courant existentialiste assez caractéristique de l’après-guerre («et comme on se sentait bien, sur-le-champ, à la seule pensée d’en finir avec tout ce monotone train-train, manger et déféquer, boire et uriner, dormir et veiller, bouger et rester immobile, en quoi consistait la vie ! ») qu’on pourra juger un peu vieilli.
Pourtant, la richesse de cette analyse psychologique et la capacité de l’écrivain à l’inscrire dans un contexte plus global m’ont fortement donné envie de découvrir d’autres romans de Giorgio Bassani…

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samedi, juin 23, 2007

Abécédaire imaginaire

Tendre comme le souvenir (1915-1916) de Guillaume Apollinaire (Gallimard. L’imaginaire.1997)

Comme convenu, je débute un nouvel abécédaire qui sera sans doute moins strict que le précédent (en ce sens que d’autres lectures l’interrompront sans doute) mais aussi plus ciblé puisque j’ai décidé de le dédier à la belle collection de Gallimard : l’imaginaire. Il est bien entendu que des entorses au règlement sont à prévoir en raison de la difficulté à trouver des auteurs pour chaque lettre dans cette collection (la première est déjà prévue avec la lettre E).

A comme Apollinaire, donc.

Le 1er janvier 1915, Apollinaire monte dans un train qui le mène de Nice à Marseille et fait la connaissance de Madeleine, une jeune femme qui rentre de vacances et retourne dans sa famille, à Oran. De cette rencontre éphémère va naître une fulgurante histoire d’amour et huit mois plus tard, alors qu’il ne l’a jamais revue, le poète écrit à la mère de Madeleine pour lui demander sa main.
Tendre comme le souvenir est le récit de ce coup de foudre incroyablement romanesque, le recueil des lettres qu’Apollinaire envoie à sa dulcinée presque quotidiennement. Le ton est d’abord très respectueux : l’auteur évoque son œuvre poétique, revient sur quelques faits marquants de son passé (le fameux vol de la Joconde où il fut impliqué), parle de son quotidien dans les tranchées ou de littérature (il explique son point de vue radicalement moderne sur l’art, évoque son désir de se débarrasser du style et n’hésite pas à fustiger ceux qui se complaisent dans la «littérature d’images » à l’instar de Claudel : « On s’est habitué aux images. Il n’en est plus d’inacceptables et tout peut être symbolisé par tout. Une littérature faîtes d’images enchaînées comme grains de chapelet est bonne tout au plus pour les snobs férus de mysticité. »
Peu à peu, la prose d’Apollinaire s’enflamme et son désir pour Madeleine devient de plus en plus vif. Du vouvoiement, il passe au tutoiement et compose des poèmes «secrets » de toute beauté où l’expression du désir se fait de plus en plus leste (Cf. Les neufs portes de ton corps). Pour être tout à fait franc, malgré son grand intérêt, cette correspondance est parfois un brin répétitive, Apollinaire n’ayant sans doute pas le loisir d’être plus précis quant à ses expériences de soldat et d’officier. Elle devient d’ailleurs plus intéressante à l’hiver 1915 quand il décrit avec un peu plus de précision l’horreur du champ de bataille, le froid et la peur qui s’insinue dans les tranchées (du moins, il la laisse deviner). Car jusqu’ici, son attitude face aux événements semble presque désinvolte : la guerre fait désormais partie de son quotidien et il est assez surprenant de voir comment elle s’intègre naturellement à son œuvre poétique de façon presque dédramatisée (le fameux « Ah Dieu ! que la guerre est jolie »). De la même manière, lorsqu’il écrit des poèmes d’amour, le champ lexical guerrier se mêle à celui de la passion dans une étrange alchimie (voir Fusée : « Tes seins sont les seuls obus que j’aime », «Ton souvenir est la lanterne de repérage qui nous sert à pointer la nuit »).
Rythmée par un «suspense » qui finit par accrocher le lecteur (Appolinaire obtiendra-t-il sa permission qui lui permettra de revoir sa fiancée ?), Tendre comme le souvenir (quel beau titre !) dévoile au quotidien la personnalité du poète passionné. Et c’est là qu’intervient la remarque que pourront faire certains : à la même époque, Appolinaire entretenait le même type de relation épistolaire avec Lou, lui envoyant d’ailleurs parfois les mêmes poèmes. Difficile pourtant de mettre en doute la sincérité de l’auteur : Lou représentait l’amour charnel de jeunesse, la maîtresse voluptueuse mais rétive au véritable amour alors que Madeleine incarne à la perfection cet amour spirituel, cette communion de pensée que recherchait le poète dans la passion.
L’éloignement, la guerre et la fin tragique d’Appolinaire rendent cet amour à distance encore plus bouleversant…

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vendredi, juin 15, 2007

Note de lectures

Avant de me remettre à un nouvel abécédaire (eh oui ! c’est décidé. Mais il sera un peu différent du précédent. J’en reparle lors de ma prochaine note) ; je vous propose un bref panorama de mes lectures les plus récentes (vous me pardonnerez d’omettre sciemment les comptes-rendus sur les livres d’art)

Ce n’est pas la première fois que je vous parle de Félicien Champsaur, écrivain « fin de siècle » aujourd’hui totalement oublié. J’ai souvent regretté cet oubli injuste à propos de romans assez passionnants (en particulier le triptyque qui compose l’arriviste). Or les deux livres que je viens de découvrir de cet auteur me laisse entrevoir pourquoi il a pu être oublié. Le bandeau et Poupée japonaise ne présentent, en effet, pas le moindre intérêt et m’ont ennuyé au plus haut point (seule consolation : je possède désormais deux beaux objets de collection, plutôt rares et joliment illustrés).

L’édition du bandeau que l’on m’a offerte date de 1916 mais, comme l’explique Champsaur dans une préface très patriotarde, le livre a été écrit avant le début des hostilités. Il s’agit tout bonnement d’un vaudeville antédiluvien où un jeune peintre frivole s’éprend et devient l’amant de la femme de son tailleur. Personnages caricaturaux (le cocu chauve roulé dans la farine mais toujours de bonne humeur ; la petite parisienne gouailleuse à souhait…), situations éculées (on frôle l’amant dans le placard) et style anodin. La fantaisie ne prend absolument pas et sous ses airs « libertins » (l’auteur montre que le triangle amoureux n’empêche pas le bonheur), Champsaur se montre parfois assez réactionnaire, notamment lorsqu’il évoque l’art contemporain en général et Cézanne en particulier (qu’il semble détester).

Poupée japonaise est beaucoup plus ancien et date de 1900. C’est une œuvre assez symptomatique de ce goût pour l’exotisme qui fit florès à la fin du 19ème. Je m’attendais à un roman raffiné et subtilement érotique, un peu à la manière des romans les plus réussis de Claude Farrère (la bataille). Las ! La déception fut énorme ! Cette histoire d’une jeune japonaise que devient courtisane pour venir en aide à sa famille ruinée est d’une indigence totale. L’auteur plombe littéralement son livre d’interminables et ennuyeuses descriptions et ne parvient jamais à faire naître la moindre émotion. C’est sans doute le plus mauvais livre que j’aie lu de Champsaur.

L’imaginaire, la plus belle collection de chez Gallimard, vient de fêter ses 30 ans. Sans vouloir à tout prix acquérir les éditions « collector » qui viennent de sortir, j’ai farfouillé dans les rayons des librairies pour m’en prendre quelques uns.

Je n’avais jusqu’à présent lu aucun livre de Jacques Audiberti. Le maître de Milan est une histoire d’amour assez traditionnelle entre une jeune fille muette et Génio, le gouverneur de la province. Dans un style aussi classique qu’élégant, l’auteur nous décrit d’abord la naissance de cet amour avec un mélange de dérision et de mélancolie. J’aime assez la manière qu’a Audiberti de dégager des sensations fugaces et de montrer le caractère dérisoire de toutes les « grandes » actions humaines (conquêtes du pouvoir, les guerres, stratégies politiques…) qui finissent par s’effacer lorsque la femme pointe le bout de son nez. Toute la prestance de Génio, ses certitudes et l’aisance qu’il a dans sa profession s’effondrent lorsqu’il s’éprend de Franca et se montre incapable de prendre la moindre distance avec sa passion. C’est plutôt bien vu mais, malheureusement, Audiberti semble incapable de résoudre son début d’intrigue. Du coup, il a recours à un procédé de mise en abîme que je ne trouve pas très convaincant. Génio se met à écrire un livre qui met en scène des personnages ayant le même genre de relations (car j’ai oublié de préciser que Franca a une tante autoritaire et jalouse qui veille sur elle). Le récit se dédouble et devient le récit de la fiction troussée par Génio. A ce moment, l’ensemble m’a paru un peu plus anecdotique et ne m’a qu’à moitié convaincu.

Georges Perec est surtout connu pour sa participation primordiale à l’OULIPO et pour ses jeux littéraires (écrire tout un roman sans la lettre e, Cf. La disparition). W ou le souvenir d’enfance est d’une autre nature et enchâsse deux récits totalement distincts. Le premier est une fiction où un homme part à la recherche d’un adolescent à qui il a subtilisé l’identité et se retrouve dans un lieu imaginaire, à savoir une cité entièrement régie par les lois du sport et de la compétition. Le second est un récit autobiographique où Perec se penche sur son enfance (il a été très tôt orphelin) et égrène, au gré de ses souvenirs parcellaires, des anecdotes graves ou futiles, souvent anodines mais qui finissent par dessiner son autoportrait.

D’abord un peu artificiel, ce dispositif (fiction/autobiographie) s’enrichit à mesure que le livre avance et finit par distiller une très belle émotion. Car à travers ces deux formes, Perec tente de définir le contour de quelque chose de flou et qui n’est rien d’autre que sa propre identité.

A travers ce voyage à W, pays qu’il inventa enfant et qu’il tente ici de retrouver par le travail de l’écriture, il s’agit de renouer avec son fantasme enfantin de ce monde de sportifs et d’y voir plus clair dans son esprit d’autrefois. Il s’agit là d’un travail sur la mémoire mais également de renouer avec le fil d’une histoire douloureuse. Car l’enfance de Perec, c’est la guerre, les persécutions contre les juifs et les camps. A travers ce monde « olympique » se devine la terreur envers ce monde absurde du chacun pour soi et de la lutte permanente pour sa propre survie. La grande réussite du livre est de ne pas jouer la carte de la métaphore trop voyante mais de laisser affleurer, par petites touches, un certains nombres d’images que le lecteur peut se réapproprier. C’est également une belle réflexion sur la mémoire et sur la manière dont l’écriture peut tenter de la fixer. Car pour chacun de ces souvenirs, c’est l’incertitude qui domine : l’auteur prend à son compte des anecdotes qui sont arrivées à d’autres que lui, réinvente ou embellit le passé…Qui est vraiment l’enfant qu’il fut ? Reste-on toujours, au fond, la même personne ? A travers d’infimes détails, l’auteur tente de se rapprocher de la personne qui nous est finalement la plus étrangère : celle que nous fûmes pendant l’enfance…

C’est un coopérant qui m’a, pour la première fois, parlé d’Emmanuel Bove, auteur injustement oublié de la première moitié du 20ème siècle. Je retrouvai par la suite ce nom sous la plume élogieuse de JP.Bouyxou dans Fascination. Enfin, Jean-Pierre Darroussin, lorsqu’il adapta Le pressentiment, permit de rééditer l’auteur et de le sortir, un tout petit peu, de son purgatoire. Ce n’est que justice au vu de ce très beau livre que reste Le piège. Publié en 1945, peu de temps avant la mort de Bove ; le roman narre les mésaventures de Bridet, un homme qui sous l’Occupation, tente de gagner l’étranger pour, ensuite, rejoindre De Gaulle en Angleterre. En frappant aux portes de l’administration de Vichy, notre homme met en branle un immense mécanisme qui finira par le prendre comme dans une souricière. L’ambiance de ce Piège très bien écrit (le style à la fois délicat et précis de Bove fait merveille) m’a rappelé celle des grands romans de Kafka. Bove rend à merveille l’absurdité de la situation d’un individu écrasé par la machinerie d’une administration inhumaine. Je pense que l’ambiance sous l’occupation devait être celle que l’on ressent à la lecture de ce livre : un mélange d’angoisse et d’impuissance pour tous ceux ne voulant pas se plier à la veulerie générale. Bove capte à merveille cette tension qui ne cesse de monter et, en grand pointilliste, décrit d’un simple trait les différents types humains croisés dans cette situation tragique (les profiteurs, les lâches, les zélés, les froussards…). Le résultat est très prenant et mérite vraiment le détour…

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lundi, juin 11, 2007

Une famille en or

Les ogres de barback. Du simple au néant



Revenons donc aux Ogres de Barback puisque leur nouvel album, le sixième en studio, est sorti dernièrement. Du simple au néant confirme qu’au cœur de cette nébuleuse que constitue la scène alternative française (et plus particulièrement cette tendance lourde du « rock guinguette »), les Ogres restent le groupe le plus passionnant et le plus inventif du moment.

L’album s’inscrit dans la droite ligne des disques précédents et s’avère donc réjouissant. Unique bémol : la verve anarchisante des débuts (ah ! les sublimes Rue de paname ou Grand-mère !) s’est un peu tarie au profit d’une bonne conscience de gauche qui frôle parfois la pleurnicherie. Même si les combats du groupe sont « nobles », on est en droit de trouver un peu trop insistantes les grandes orgues sorties pour Jérôme (hymne à la tolérance envers les homosexuels), un peu déplacés les pleurs d’enfants sur Brebis galeuses (évocations de la déportation des enfants juifs pendant la dernière guerre) ou encore un peu convenu le coup de la repentance sur Pardon Madjid.

Cette dernière chanson prouve néanmoins que les Ogres savent fédérer les talents autour d’eux et provoquer de belles rencontres (je vous conseille le sublime double DVD de la tournée des 10 ans ou absolument TOUS les groupes indépendants, de Marcel et son Orchestre à Tryo en passant par Debout sur le zinc et la rue kétanou sont venus participer à cet exceptionnel anniversaire) puisqu’ils y ont invité Magyd Cherfi, le chanteur de Zebda. Autre belle surprise : la participation de la chanteuse allemande Kiki (du groupe 17 hippies) sur le joli morceau Pas bien.

Musicalement, ça reste aussi dans la lignée de ce qu’ont toujours fait les ogres : valse musette rigolote (Con et blasé), cocktail détonnant de rock et d’accordéon (l’entraînante Marée basse que j’aurais aimé entendre au concert) mêlé aux sonorités tziganes (un peu moins ici) et aux fanfares (Eh oui !).

On peut néanmoins noter quelques aspects un peu nouveaux : un peu de world music (Destin artificiel, pas mon morceau préféré), un « parlé chanté » à la Loïc Lantoine assez réussi sur Brebis galeuses et un très beau morceau instrumental, adagio sur lequel les ogres insèrent des textes d’Hubert Reeves et Daniel Mermet (Pour tant qu’il y aura des hommes).

L’ambiance de l’album est à l’image de celle qui règne durant leurs concerts : chaleureuse, festive et entraînante.

J’ai parlé hier du talent d’instrumentiste de cette famille hors du commun (je rappelle que le groupe est constitué de deux frères et de leurs sœurs jumelles) puisque chaque membre joue d’au moins trois ou quatre instruments différents et des plus divers (de l’hélicon à la contrebasse en passant par le violon et l’accordéon). Mais il faut aussi évoquer les textes, comme celui assez magnifique d’Il ne restera rien, sans doute le plus beau morceau de l’album dont les paroles rappellent Léo Ferré. Les Ogres restent de talentueux conteurs et on est en droit de préférer la nostalgie amusée de C’est beau aux tartes à la crème de la bonne conscience de gauche (plus de virulence révoltée, à la Ferré ou Brel, me plairait davantage) qui alourdissent ça et là le CD.

A cette petite réserve près (détail assez mineur au vue du résultat global), Du simple au néant est une nouvelle grande réussite de cette famille en or qu’est Les ogres de barback…

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dimanche, juin 10, 2007

Orlof part en live

Imperceptiblement, la ligne de ce blog, -cave où devait s’entasser tous mes textes ne relevant pas du cinéma-, a dévié au profit d’un profil purement littéraire où seules sont désormais consignées mes notes de lecture. Ce n’est pas pour autant que je n’écoute plus de musique ou que je ne vais plus voir de concerts. Mais le temps m’est compté et je n’ai pas toujours le courage d’écrire.

Renouons cependant avec ma vieille habitude des comptes-rendus impressionnistes de concerts en retraçant un bref panorama de tous les spectacles auxquels j’ai assisté cette année (je parle en terme d’année scolaire puisque les « saisons culturelles » -passez-moi l’horreur de cette expression- fonctionnent ainsi).

1- Des découvertes locales à la renommée nationale

Le Bistrot de la scène est, à Dijon, un lieu très convivial qui accueille des concerts, des pièces de théâtre et divers type de spectacles (improvisations, représentations pour les enfants) Ce lieu, menacé de disparition depuis que le ministère de la Kultur (de droite) a coupé toutes les aides, permet aux petits groupes locaux de faire leur premiers pas.

C’est là que j’ai vu cette année les trapettistes, groupe dont la renommée ne dépasse sans doute pas les frontières de ma bonne région bourguignonne mais qui a le mérite d’enflammer les salles à chacun de leurs concerts (les ayant vu 7 ou 8 fois, je sais de quoi je parle !).

Malheureusement, après une dernière tournée très réussie et un spectacle autour de Pierre Perret que je regrette d’avoir manqué, un des membres du groupe s’en est allé. Un quatrième album a néanmoins vu le jour (prends ta main dans ma gueule) mais force est de constater que le cœur n’y est plus vraiment (l’album étant assez inégal malgré quelques très bons titres). Sur scène, le groupe fut privé, en plus, de son batteur et assura le spectacle à quatre ; jouant pendant une heure trente des morceaux que nous ne connaissions alors pas. En gros, c’était une « preview » de la tournée, pas désagréable mais manquant de l’énergie des précédents spectacles, malgré la générosité et l’humour de chaque membre du groupe. Maintenant que je connais les titres, je serais curieux de voir comment a évolué le spectacle…

Cette année, le Bistrot fêtait ses 20 ans. Pour célébrer dignement l’anniversaire, trois soirées exceptionnelles furent réservées au grand Jamait, artiste local qui a désormais conquis toute la France. J’y suis allé le deuxième jour et ce fut un très grand moment. L’ambiance intimiste (la salle doit contenir aux alentours de 200 places) sied parfaitement à ce grand chanteur qui, pour l’occasion, fit venir un certain nombre d’invités. Le soir où j’y étais, nous eûmes le plaisir de voir (et d’entendre) Daniel Fernandez (là aussi, c’est local !), Bastien Lallemant et Claire Joseph (C’est la vie de Jamait avec une voix féminine, c’est très bien), Mulet-Mulet, le fabuleux Nicolas Jules (je ne connaissais pas cet hilarant extra-terrestre) et Thiéfaine. Grand moment que la reprise de La fille du coupeur de joint par toute la bande, sans parler de ce moment exquis où Jamait demanda à Thiéfaine de jouer Confessions d’un never been sans répétition préalable. Nous eûmes le privilège de voir le chanteur suivre le texte de sa chanson sur… des boites de pizzas ! Ambiance chaleureuse (le public connaissant parfaitement les paroles de notre idole locale) et à la bonne franquette, présence incroyable sur scène de ce digne successeur des Brel et Aznavour et beauté des titres choisis ce soir-là. Soirée sublime.

Mon seul regret lors du concert de Jamait fut d’apprendre que, la veille, Aldebert était venu en personne pousser la chansonnette avec lui. Besançon, ce n’est plus tout à fait notre région mais nous n’en sommes pas loin aussi est-ce sans scrupule que je l’associe aux chanteurs « locaux ». Car après son passage l’an dernier au Zénith de Dijon, Aldebert est revenu présenter son nouveau spectacle. Ce que j’écrivais à propos de son dernier album (suivre les tags) s’est vérifié : si le disque les paradis disponibles est un tout petit peu décevant, les nouveaux titres gagnent en intensité sur scène et sont faits pour être entendus « live ». Rien à redire par rapport au précédent concert si ce n’est que notre bonhomme est toujours aussi génial face au public, réveillant en deux temps trois mouvements même les personnalités les plus rétives au fiesta des concerts. Son nouveau spectacle prouve qu’il a su se renouveler (fini l’Aldebert avec son cartable sur les épaules) et même progresser. Les quelques sketches d’introduction aux morceaux sont souvent désopilants (le hard rocker, la soirée disco…) et chaque titre a provoqué l’enthousiasme (signalons d’ailleurs une très belle reprise de l’orage de Brassens). Je ne le redirai jamais assez : allez découvrir Aldebert sur scène, c’est assez grandiose (notons au passage qu’en première partie, nous avons pu entendre Ours qui commence à bien marcher sur les ondes…)

2- Du côté des neurasthéniques.

L’amitié exige parfois de lourds sacrifices. Ainsi, pour accompagner un ami qui a la gentillesse de toujours me conduire lorsque nous allons aux concerts, je me suis tapé le spectacle de Jean-Louis Murat. Et ce n’est pas la première fois ! Sans être allergique à toutes ses chansons, je dois reconnaître que ce n’est pas ma tasse de thé. D’autant plus que le bonhomme n’a pas beaucoup de charisme sur scène, enchaînant les titres sans décocher un mot. J’avoue que le pseudo rebelle dont les inrocks font chou gras m’agace, se comportant comme un esclave salarié gagnant son pain sur scène mais ne semblant y prendre qu’un plaisir modéré. Personne ne l’oblige à se produire devant un public si ça l’ennuie !

Dans le même style, j’ai re-re-revu Miossec, pour les mêmes raisons. Musicalement, je préfère sa performance à celle de Murat (disons que c’est plus « rock ») mais là encore j’ai été agacé par cette incapacité à faire vibrer le public si ce n’est en racontant toujours la même histoire périmée (le chanteur se serait fait casser la gueule dans une boîte dijonnaise fermée depuis bientôt 7 ans !). De plus, Miossec a tendance à s’embrouiller dans ses paroles et doit suivre ses chansons à l’aide d’un chevalet ! Une fois, il nous a fait le coup de partir au bout d’une heure, sans le moindre rappel. Cette fois, le concert a duré pilepoil une heure trente (eh oh ! Faudrait voir à pas faire d’heures sup’) mais ne m’a guère enthousiasmé.

3- Festivus, festivus

A l’opposé de ces deux chanteurs dépressifs sous tranquillisants, j’ai découvert avec un grand plaisir deux groupes survoltés qui ont embrasé deux soirées mémorables. Le premier ne m’était pas inconnu puisque je possède quelques CD de La ruda salska. Pour l’occasion, j’avais acheté leur dernier album la trajectoire de l’homme canon que je considère comme une assez belle réussite même si une première écoute donne l’impression de redite. Sur scène, ils sont impressionnants, ne laissant pas une seconde pour souffler et parvenant à déchaîner une foule très jeune et totalement conquise (pas une seconde n’ont cessé les fameux slams que l’on voit lors de certains concerts). Le groupe a profité de ce concert pour reprendre leurs « tubes » les plus célèbres (ceux de leur meilleur album : l’art de la joie) et nous ont régalé de leur cocktail ska (les nombreux cuivres) et rock (guitares électriques saturées). Je pense qu’ils sont des dignes successeurs de la Mano négra de la grande époque !

A l’inverse, je ne connaissais Marcel et son orchestre que de nom (excepté leur titre phare les vaches) . Et bien ça ne m’a pas gêné un seul instant pour apprécier ce concert également déchaîné où le public (très jeune, encore une fois) avait pris soin de se déguiser, de se vêtir de robes multicolores et de perruques agressives. Sur scène, les lillois sont, eux aussi, assez fabuleux et ils ont beaucoup d’énergie à revendre en mélangeant toutes sortes de styles (rock, ska, punk, ragga…) et en inventant des mots d’ordre totalement délirants (délicieux morceau intitulé la jeunesse emmerde Nelly Holson !)

Deux groupes à recommander chaleureusement pour les amateurs de soirée festive.

4- L’apothéose

C’était hier puisque étaient réunis deux des groupes phares de la nouvelle scène alternative française et peut-être mes deux préférés : la rue kétanou et les ogres de barback.

L’évènement eut lieu au Zénith, lieu que je ne prise pas tellement puisque après une première saison assez riche (Bénabar, Cali, Fersen, Luke et Deportivo, Aldebert, Louise Attaque…), la deuxième fut d’une affligeante médiocrité, accueillant uniquement les débris nullissimes capables de faire entrer de la monnaie (les ignobles Sardou, Hallyday, Obispo, Bruel ou encore la Star academy). Impression étrange de voir ces deux groupes habitués des petites salles dans un lieu aussi vaste et bondé. La seule petite pointe de déception vint d’ailleurs de là : l’atmosphère m’a paru moins chaleureuse que celle que j’avais pu à connaître avec les Ogres en les découvrant sous leur chapiteau à Chalon. Rien à dire pour les groupes : La rue kétanou nous a proposé quelques nouveaux titres (pas ce qui m’a semblé le plus emballant) et a enchaîné sur quelques classiques mettant en joie une foule conquise. Si manquait certains titres que j’affectionne particulièrement, nous avons eu droit au Cigales, aux Mots (avec un public répondant avec enthousiasme), à la très belle fiancée de l’eau et aux Hommes que j’aime. Par rapport à l’album live que je possède, je n’ai cependant pas vu beaucoup de différence et c’est le seul bémol que j’apporterais à cette belle prestation.

Je parlerai sans doute prochainement du dernier album des Ogres. Je ne les avais pas vu depuis 4 ans et ça m’a fait rudement plaisir de recroiser leur chemin. Curieusement, je n’ai pas eu l’impression d’une « nouvelle tournée » puisque seuls quatre titres du dernier CD ont été joués, et pas forcément les meilleurs (la pleurnicharde et politiquement correct Jérôme prenant la place de la sublime Il ne restera rien ou de l’entraînante Corinna). Là encore, j’ai eu l’impression d’entendre certains moments des deux albums live récents qu’a sorti le groupe.

A côté de ça, c’est superbe ! Les deux frères et leurs deux sœurs sont des instrumentistes hors pair et savent jouer de tout (ils changent d’instruments au cours des morceaux et ont recours au plus insolite, de la scie à cette espèce de vélo à percussions). Mis à part un passage très politiquement correct (la diffusion du film des enfants de sans-papiers ! Misère !), je n’ai pas vu le concert passer et les Ogres nous gratifièrent d’un splendide final en forme de « medley » chanté sans micro (ils laissèrent le public entonner Rue de paname) . J’ai hâte de les revoir dans une salle à dimension humaine pour profiter pleinement de leur mise en scène (c’est dur quand vous êtes loin de la scène, derrière des costauds d’1 mètre 95 !)

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dimanche, juin 03, 2007

Lettre ouverte aux jeunes filles

Manuel de civilité pour les petites filles à l’usage des maisons d’éducation (1917) de Pierre Louÿs (Allia. 2005)

Jeunes filles voluptueuses (les autres méritent-elles que nous nous adressions à elles ?), vous avez sans doute oubliées depuis longtemps les assommants auteurs que l’institution scolaire persiste à mettre à l’honneur dans ses grotesques « programmes » et vous avez su cueillir les fruits plus piquants de la véritable littérature. Je vous souhaite donc de n’avoir pas oublié la splendide recommandation que vous adresse Sade au début de la philosophie dans le boudoir : « Jeunes filles trop longtemps contenues dans les liens absurdes et dangereux d’une vertu fantastique et d’une religion dégoûtante, imitez l’ardente Eugénie, détruisez, foulez aux pieds, avec autant de rapidité qu’elle, tous les préceptes ridicules inculqués par d’imbéciles parents. »

Vous voilà donc prêtes à sacrifier « tout à la volupté » mais pour se faire, il convient de garder une certaine élégance et de se préserver, avant tout, de la moindre vulgarité. Dans une époque atroce comme la nôtre, où le sexe est devenu marchandise et monnaie d’échange, il ne saurait être question de vous réclamer du divin Marquis sous prétexte que vous laissez dépasser vos strings sous vos jeans taille basse depuis le CM2 ! Il en est des plaisirs de l’amour comme des plaisirs de la table : sans un certain savoir-vivre il n’est de jouissances exquises.

C’est pour cette raison que je ne saurai trop vous recommander la lecture de ce Manuel de civilité pour les petites filles à l’usage des maisons d’éducation de Monsieur Pierre Louÿs. Il est dommage, encore une fois, que vous n’ayez jamais entendu parler par vos maîtres de cet auteur raffiné qui publia de beaux poèmes hellénisants et des romans imprégnés d’un érotisme sensuel (Aphrodite, la femme et le pantin). Car il ne fait aucun doute que ce petit Manuel (publié pour la première fois, à titre posthume, en 1926) serait devenu depuis longtemps votre livre de chevet.

Avant d’en venir aux nombreux conseils que prodiguent sagement cet ouvrage et qui vous permettront d’affronter sereinement la vie quotidienne dans ses moindres détails ; je vous propose d’abord de vous pencher sur la question du langage.

« L’amour physique, c’est comme la légion d’honneur, ça ne se refuse jamais mais c’est de mauvais goût d’en parler. Je me méfie de ceux qui s’en vantent. » a dit Jean d’Ormesson (si on m’avait dit un jour que je citerai ici ce vieux débris de Coupole malodorante !). Au lieu de déballer vulgairement la misère de votre vie sexuelle à la télévision ou chez les lobotomisés de la bande FM, suivez donc les conseils de Pierre Louÿs dont je vous donne quelques exemples marquants et sachez tenir votre langue :

« Ne dites pas : « Elle jouit comme une jument qui pisse. » Dites : « C’est une exaltée. »

« Ne dites pas : « Il a joui dans ma gueule et moi sur la sienne. » Dites : « Nous avons échangé quelques impressions. »

« Evitez les comparaisons risquées. Ne dites pas : « Dur comme une pine, rond comme une couille, mouillé comme ma fente, salé comme du foutre, pas plus gros que mon petit bouton », et autres expressions qui ne sont pas admises par le dictionnaire de l’Académie. »

Lorsque vous maîtriserez parfaitement un langage châtié, le seul qui puisse permettre de distinguer une véritable libertine d’une vulgaire Mathilde Seigner, vous pourrez alors puiser dans votre Manuel quelques banalités de base relatives à votre pucelage, à l’art de sucer (« Prenez modestement la pine dans la bouche, en baissant les yeux. Sucez lentement. Ecartez les dents pour ne pas mordre et serrez les lèvres pour ne pas baver. ») et aux divers devoirs qui vous incombe envers votre père (« Si votre père vous prie de le sucer, ne dites pas étourdiment que sa pine sent le con de la bonne. Il pourrait se demander d’où vient que vous reconnaissez cette odeur-là. »), votre mère (« Le soir, quand madame votre mère vient vous border dans votre lit, attendez pour vous branler qu’elle ait quitté la chambre. »), vos frères et sœurs mais également envers les vieux messieurs, les domestiques et même monsieur le Président (« Si monsieur le Président de la République venait à mourir subitement pendant que vous tétez son foutre, vous pouvez raconter l’histoire à tout le monde : on ne vous poursuivra pas. Il y a des précédents. ») et Dieu (« Quelques jeunes filles trop surveillées achètent une petite sainte vierge en ivoire poli et s’en servent comme d’un godmiché. C’est un usage condamné par l’Eglise. »

« Par contre, vous pouvez vous servir d’un cierge à cet effet, pourvu que le cierge ne soit pas béni. »).

Restent ensuite toute une série de conseils qu’il vous est recommandé d’appliquer dans toutes les situations de la vie quotidienne, du musée au confessionnal en passant par le bal ou que vous vous trouviez à la mer, à la campagne ou dans les boutiques.

C’est sur ces dernières recommandations, frappées au coin du bon sens, que j’achève cette note, mes chères jeunes demoiselles. Et c’est à tous que je recommande également la lecture de ce pastiche hilarant et joyeusement obscène des livres de « bonnes manières » d’antan.

A table.

« Quand on vous servira des bananes, ne mettez pas la plus grosse dans votre poche. Cela ferait sourire les messieurs, et peut-être même les jeunes filles. »

Jeux et récréations.

« Ne demandez jamais à une dame la permission d’aller jouir avec sa fille. Dites « jouer », qui est plus décent. »

A l’école.

« Si l’on vous demande ce que c’était que Pompée, ne répondez pas : « Ca devait être une pine » ; et si l’on vous demande quel personnage historique vous auriez voulu être, ne dites pas en clignant de l’œil : « Je voudrais toujours être Persée ». Ce genre de facéties ferait rire vos camarades mais ne ferait pas rire la maîtresse. »

Au bal.

« Lorsqu’un monsieur, derrière un meuble, vous décharge dans la main, il vaut mieux vous sucer les doigts que de demander une serviette. »

A l’Eglise

« Si vous sucez un monsieur avant de partir pour communier, gardez-vous bien d’avaler le foutre : vous ne seriez plus à jeun, comme il faut que vous soyez. »

A la campagne

« Ne faites pas annoncer par le tambour de la commune que vous avez perdu votre pucelage. L’homme qui l’a trouvé ne vous le rendra pas. »

NB : Pour les plus pingres d’entre vous, le livre est consultable dans son entier ici.

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vendredi, juin 01, 2007

Quelques mots sur Jean-Edern Hallier

Le refus (1994) de Jean-Edern Hallier (Ramsay. 1994)

Se garder de porter des jugements trop rapides ! Lorsque j’avais une petite vingtaine d’années (au moment où a paru ce livre), je ne pouvais pas supporter le personnage de Jean-Edern Hallier. Ce provocateur de pacotille, ce trublion médiatique toujours en quête de publicité me semblait exaspérant. Du coup, je n’avais jamais ouvert un de ses livres.

Depuis, Jean-Edern est mort, les passions autour de son nom se sont apaisées et l’on peut commencer à envisager sereinement son œuvre.

D’avoir découvert Le refus me donne une très forte envie de poursuivre mon exploration de la personnalité de ce brillant polémiste. Il ne s’agit pas ici à proprement parler d’un pamphlet mais d’un assemblage assez hétéroclite de textes d’Hallier, tirés de diverses publications (surtout l’idiot international mais aussi Paris-Match ou Le Figaro), d’articles de journalistes consacrés à l’auteur auxquels s’ajoutent des extraits de correspondances (des fax adressés à Jérôme Garcin, à son éditeur…), des poèmes et un délicieux dictionnaire (très subjectif) de la littérature française pour conclure le tout.

Le résultat, quoique inégal, s’avère assez passionnant. Commençons par le moins bon : les poèmes que nous livre Jean-Edern Hallier sont absolument insignifiants et ne présentent pas le moindre intérêt. D’autre part, certains aspects de la personnalité du fanfaron continuent de m’irriter. Malgré la liberté que s’accorde le polémiste (nous allons y revenir), il faut bien reconnaître qu’il subsiste toujours chez lui un côté servile qui le fait s’aplatir devant de biens médiocres personnalités du moment qu’elles le soutiennent. C’est ainsi qui flagorne, un peu trop à mon goût, devant les plus tartignolles « gendelettres » de Paris (que ce soit les flatulents « Jean » (foutre) : Cau, d’Ormesson et Dutourd ou François Nourissier) ou devant d’insignifiants politicards : Seguin ou Balladur (pour ce dernier, Hallier demeure dans l’expectative et conserve une distance critique. Mais c’est sans vergogne qu’il ose écrire qu’il a « rallié la majorité » ! Le comble de la vulgarité pour un pamphlétaire !)

Hallier fut toute sa vie en quête de publicité et usa pour ce faire de stratagèmes assez puérils (comment prendre autrement que comme un caprice ce désir incongru d’être admis à l’Académie Française ?).

Plus intéressant est le tour « journal intime » que finit par prendre ce patchwork de textes. Nous y suivons, au jour le jour, les démêlées de l’auteur avec les éditions Albin Michel lors de la publication de son roman Je Rends Heureux, le feuilleton judiciaire qui l’opposa à Bernard Tapie et ses ennuis de santé qui le rendirent, ces années-là, aveugle. Hallier évoque également le scandale des écoutes de l’Elysée et nous voilà replongé dans la France d’il y a 15 ans, dans les sinistres dernières années du règne Mitterrandien (le sang contaminé, les scandales financiers, le suicide de Bérégovoy…) et le retour (non moins sinistre !) de la droite balladurienne au pouvoir. L’aspect « document » du Refus est assez passionnant.

Mais là où Hallier se montre le plus percutant, c’est sur le terrain de la polémique. Qu’il fustige l’Europe de Maastricht (« Adolescent, je me sentais jeune Européen. J’aimais l’Allemagne des Niebelungen, la Belgique du rempart des béguines, la douce Italienne de Florence, ou la Carmen de Séville. J’étais prêt à coucher avec toutes les Européennes et voici qu’on veut me marier de force avec une fonctionnaire à lunettes de Bruxelles, liftée, son corsage béant sur les gros nichons de sa Silicon valley à elle, et qui s’exprime dans un jargon que le plus prétentieux des bas-bleus n’oserait même pas employer. ») ou la guerre en Irak (du temps de l’immonde Bush senior), c’est toujours avec une verve insolente et plutôt revigorante.

Le livre est construit autour de trois polémiques majeures où Hallier et son journal furent partie prenante. Dans un premier temps, c’est le violent combat que l’écrivain a mené pour publier son pamphlet contre Mitterrand et ses virulentes saillies contre les brontosaures de la gauche caviar (Lang, Fabius, Kiejman.). Bien avant ses multiples condamnations, le bandit Bernard Tapie fut l’objet des fureurs de notre redresseur de torts. Résultat : un procès à rallonge et la saisie des biens d’Hallier (l’avenir prouva que ce dernier était pourtant bien en dessous de la vérité lorsqu’il comparait l’escroc Tapie à Stavisky !).

Deuxième polémique : les boulets tirés sur Le monde des livres et en particulier Josyane Savigneau, copine de Sollers défendant presque exclusivement les ouvrages Gallimard dans les colonnes de son journal. Les attaques d’Hallier ne volent parfois pas très haut mais elles ont le mérite d’éclairer un certain malaise de la presse qui n’a fait qu’empirer depuis (les réseaux de connivence, la dépendance aux grands groupes financiers…)

Dernière polémique dont l’écrivain fut, pour le coup, la victime : l’assimilation de son journal l’idiot international à une passerelle d’entente entre les anciens communistes et l’extrême droite (les « rouges-bruns »). La publication des articles retraçant le film de l’histoire montre à quel point l’épouvantail « fasciste » fut et reste l’une des armes les plus utilisées pour manipuler l’opinion et clouer au pilori quiconque n’adhère pas au moule du prêt à penser de la démocratie molle (à l’époque, c’était le moule de la gauche caviar mais c’est exactement la même chose sous la droite actuelle).

On ne sera pas non plus étonné de retrouver le fourbe Daeninckx derrière cette tentative d’amalgames douteux !

Le refus dessine donc les contours d’une pensée vive et insolente dans la lignée de celle des Lumières qu’Hallier vénère. Cerise sur le gâteau, le livre se termine par un insolent dictionnaire de la littérature française. C’est sur quelques exemples que je terminerai cette note :

« Apollinaire : mort d’un éclat de poème dans la tête. »

« Nègre : prénom inconnu. L’auteur le plus prolifique de la littérature de tous les temps. »

« Bourdieu : […] Finalement, cette macédoine de concept, genre surgelé de resto U, donne Bouvard et Pécuchet qui voudraient bien refaire le dictionnaire des idées reçues par sondage- et qui vous expliquent en cinq cents pages que les enfants pauvres réussissent moins bien à l’école que les riches. »

« Jean-François Revel : confirmation de la théorie de Lavater sur la morpho-psychologie. Dispensez-moi d’écrire le reste… »

« Marguerite Duras. Vieille dame indigne des lettres françaises. Littérature Tampax à l’usage des attachés de direction et des divorcées sur la quarantaine. […] L’indigence de sa phrase donne l’illusion de mettre l’avant-garde à la portée des classes moyennes sans culture. […] Vieux corbeau littéraire. A jeter dans la Vologne. »

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