La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

samedi, juin 23, 2007

Abécédaire imaginaire

Tendre comme le souvenir (1915-1916) de Guillaume Apollinaire (Gallimard. L’imaginaire.1997)

Comme convenu, je débute un nouvel abécédaire qui sera sans doute moins strict que le précédent (en ce sens que d’autres lectures l’interrompront sans doute) mais aussi plus ciblé puisque j’ai décidé de le dédier à la belle collection de Gallimard : l’imaginaire. Il est bien entendu que des entorses au règlement sont à prévoir en raison de la difficulté à trouver des auteurs pour chaque lettre dans cette collection (la première est déjà prévue avec la lettre E).

A comme Apollinaire, donc.

Le 1er janvier 1915, Apollinaire monte dans un train qui le mène de Nice à Marseille et fait la connaissance de Madeleine, une jeune femme qui rentre de vacances et retourne dans sa famille, à Oran. De cette rencontre éphémère va naître une fulgurante histoire d’amour et huit mois plus tard, alors qu’il ne l’a jamais revue, le poète écrit à la mère de Madeleine pour lui demander sa main.
Tendre comme le souvenir est le récit de ce coup de foudre incroyablement romanesque, le recueil des lettres qu’Apollinaire envoie à sa dulcinée presque quotidiennement. Le ton est d’abord très respectueux : l’auteur évoque son œuvre poétique, revient sur quelques faits marquants de son passé (le fameux vol de la Joconde où il fut impliqué), parle de son quotidien dans les tranchées ou de littérature (il explique son point de vue radicalement moderne sur l’art, évoque son désir de se débarrasser du style et n’hésite pas à fustiger ceux qui se complaisent dans la «littérature d’images » à l’instar de Claudel : « On s’est habitué aux images. Il n’en est plus d’inacceptables et tout peut être symbolisé par tout. Une littérature faîtes d’images enchaînées comme grains de chapelet est bonne tout au plus pour les snobs férus de mysticité. »
Peu à peu, la prose d’Apollinaire s’enflamme et son désir pour Madeleine devient de plus en plus vif. Du vouvoiement, il passe au tutoiement et compose des poèmes «secrets » de toute beauté où l’expression du désir se fait de plus en plus leste (Cf. Les neufs portes de ton corps). Pour être tout à fait franc, malgré son grand intérêt, cette correspondance est parfois un brin répétitive, Apollinaire n’ayant sans doute pas le loisir d’être plus précis quant à ses expériences de soldat et d’officier. Elle devient d’ailleurs plus intéressante à l’hiver 1915 quand il décrit avec un peu plus de précision l’horreur du champ de bataille, le froid et la peur qui s’insinue dans les tranchées (du moins, il la laisse deviner). Car jusqu’ici, son attitude face aux événements semble presque désinvolte : la guerre fait désormais partie de son quotidien et il est assez surprenant de voir comment elle s’intègre naturellement à son œuvre poétique de façon presque dédramatisée (le fameux « Ah Dieu ! que la guerre est jolie »). De la même manière, lorsqu’il écrit des poèmes d’amour, le champ lexical guerrier se mêle à celui de la passion dans une étrange alchimie (voir Fusée : « Tes seins sont les seuls obus que j’aime », «Ton souvenir est la lanterne de repérage qui nous sert à pointer la nuit »).
Rythmée par un «suspense » qui finit par accrocher le lecteur (Appolinaire obtiendra-t-il sa permission qui lui permettra de revoir sa fiancée ?), Tendre comme le souvenir (quel beau titre !) dévoile au quotidien la personnalité du poète passionné. Et c’est là qu’intervient la remarque que pourront faire certains : à la même époque, Appolinaire entretenait le même type de relation épistolaire avec Lou, lui envoyant d’ailleurs parfois les mêmes poèmes. Difficile pourtant de mettre en doute la sincérité de l’auteur : Lou représentait l’amour charnel de jeunesse, la maîtresse voluptueuse mais rétive au véritable amour alors que Madeleine incarne à la perfection cet amour spirituel, cette communion de pensée que recherchait le poète dans la passion.
L’éloignement, la guerre et la fin tragique d’Appolinaire rendent cet amour à distance encore plus bouleversant…

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