La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

mercredi, juin 27, 2007

L'impossibilité d'une île

Tous les feux le feu (1966) de Julio Cortázar (Gallimard. L’imaginaire. 2004)

Le premier réflexe qui vient face à un recueil de nouvelles, c’est de le trouver inégal. La règle ne souffrira pas d’exception cette fois ci puisque sur les huit récits proposés par Cortázar, certains m’ont semblé de pures petites merveilles (L’autoroute du sud, Mademoiselle Cora…) tandis que d’autres m’ont laissé un peu de marbre (Réunion, l’autre ciel).

Le deuxième réflexe serait de tenter de dégager une unité de l’ensemble, qu’elle soit thématique ou stylistique. La chose n’est, au premier abord, pas facile avec Tous les feux le feu. Qu’ont en commun, en effet, certains récits dont le cadre de départ s’inscrit dans le plus banal des quotidiens (un embouteillage sur l’autoroute du sud, un homme qui assiste à une représentation théâtrale…) et qui basculent insidieusement dans l’insolite, le fantastique (l’embouteillage se prolonge des jours puis des mois entiers, le spectateur est convié à incarner sur les planches un personnage dramatique…) ; et ceux dont la facture s’avère plus « classique » (une famille qui s’organise pour cacher la mort d’un de ses membres à la mère malade, les relations conflictuelles mais affectives entre une infirmière et un jeune garçon opéré de l’appendicite) ? Quel lien entre le « nous » de la nouvelle Réunion et la multitude de points de vue sur lesquels est bâtie Mademoiselle Cora ou encore les histoires parallèles de Tous les feux le feu?

Bizarrement, c’est une nouvelle un peu en retrait (en tous cas, pas ma préférée), celle intitulée L’île à midi, qui donne peut-être une clé pour trouver un fil conducteur. On y voit un steward devenir de plus en plus fasciné par une île qu’il ne cesse de survoler avant de finir par pouvoir y aller. Or la plupart des nouvelles de ce recueil (si ce n’est toutes !) fonctionne sur ce même désir d’utopie : utopie d’une nouvelle organisation des rapports humains en privilégiant la pause à l’éternelle fuite en avant (la métaphore de l’embouteillage dans l’autoroute du sud) ; utopie du groupe soudé, que ce soit la famille dans La santé des malades ou les combattants de Réunion (si j’aime moins cette nouvelle, c’est qu’émanant d’un écrivain d’origine sud-américaine, cette histoire de guérilla s’ouvrant sur une citation du Che m’a paru plus convenue) ou utopie d’une littérature prenant en compte tous les points de vue pour trouver des points d’accord (Mademoiselle Cora, Tous les feux le feu)

Mais, corollaire de ces aspirations utopiques, la catastrophe finit par arriver et comme dans Directives pour John Howell où le spectateur devient acteur d’une pièce de théâtre et tente de se révolter contre cette condition de pantin manipulé par d’inquiétants démiurges ; l’homme n’échappe pas à son Destin.

En brouillant les pistes temporelles (Tous les feux le feu met en parallèle une histoire se déroulant pendant les jeux du cirque romain et une histoire contemporaine ; l’autre ciel débute sous le second Empire et fini en convoquant les souvenirs des deux guerres et d’Hiroshima), Cortázar souligne le caractère inéluctable de la destinée humaine.

Le fond des nouvelles est plutôt pessimiste (les séparations finales de l’autoroute du sud, la famille de La santé des malades dont l’union ne repose finalement que sur le mensonge…) et reviennent régulièrement des images de crashs aériens et d’incendies. Mais le livre n’a rien de dépressif et l’auteur parvient à souligner la vanité de nos existences en privilégiant plutôt leur caractère insolite.

Et la manière qu’il a de basculer du réalisme à une espèce de fantastique discret fait tout le prix, au bout du compte, de ce recueil de nouvelles.

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2 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Connaissant ta passion pour la littérature fin de siècle, je te conseille d'écouter l'émission "Mauvais genre" de France Culture (une merveille tous les samedis soir à 21 heure) d'hier qui est écoutable sur le site de la radio durant une semaine ou plus avec le podcast;

9:05 AM  
Anonymous Anonyme said...

Ton commentaire (quelle profondeur d'analyse !) m'a donné l'envie urgente de lire le recueil Tous les feux le feu. Je lis les nouvelles dans le désordre, en fonction de la curiosité suscitée par tes lignes stimulantes. C'est vraiment un excellent livre.

7:39 AM  

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