La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

dimanche, mai 20, 2007

Correspondance de Léon Bloy

En 1947 et 1948 fut rééditée, chez François Bernouard, l’œuvre complète de Léon Bloy. Heureuse initiative qui néanmoins pourra déconcerter les bibliophiles d’aujourd’hui dans la mesure où le « découpage » des œuvres ne correspond absolument pas à celui laissé par l’auteur. Ainsi, j’ai récupéré quatre tomes du Journal sans pour autant avoir un tome complet des volumes originels (je ne sais pas si je me fais bien comprendre alors je vais prendre un exemple concret : un de mes volumes comprend le journal intime des années 1903 à 1905, ce qui fait que j’ai seulement la fin de Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne et le début de l’invendable : ça serait assez frustrant si je n’avais pas déjà le Journal au complet, réédité chez Bouquins !)

C’est le même problème avec les Lettres aux Montchal, publiées en trois volumes et dont je n’ai récupéré que le deuxième tome, correspondant aux années 1886-1890.

Mais même si ma découverte reste parcellaire, cette correspondance s’est avérée passionnante.

L’un des plus grands intérêts de ces lettres étant de nous replonger dans la vie du grand écrivain avant que celui-ci décide de la dévoiler dans son journal intime (Le mendiant ingrat débutera en 1892). Et si résonne déjà l’éternelle complainte d’un auteur qui dut toute sa vie se battre pour échapper à la plus noire misère et récupérer, ça et là, quelques pièces de monnaie ; on peut dire que ces quatre années furent riches en rebondissements.

En 1886, Léon Bloy essaye tant bien que mal (son éditeur Stock s’étant rétracté au dernier moment) de publier son Désespéré. Le livre finit par sortir mais le succès escompté ne vient pas et la presse passe sous silence ce qui reste sans doute (avec la femme pauvre dont Bloy commence à parler) son plus grand chef-d’œuvre. On ressent dans la correspondance de l’écrivain sa douleur d’être incompris et son désir de ne plus être considéré comme un simple pamphlétaire mais comme un véritable Artiste, épris d’Absolu.

La publication du Désespéré occupe une bonne partie du début de ces lettres et Bloy a même la gentillesse de révéler à son ami les « clefs » du roman en citant expressément toutes les personnalités qui y apparaissent sous de fausses identités (que ce soit Paul Bourget sous le nom de Alexis Dulaurier ou Alphonse Daudet sous celui de Gaston Chaudesaigues). Pour le lecteur, ces renseignements sont précieux.

Les lettres de Bloy sont un précieux témoignage sur la vie littéraire de l’époque et sur l’ostracisme pesant sur lui et les amis qu’il fréquente alors (Huysmans, Villiers de l’Isle-Adam). On voit l’écrivain tentant de frapper à toutes les portes (c’est même avec stupéfaction que j’ai découvert qu’il avait songé à se réconcilier avec son plus irréductible ennemi : Emile Zola. En Janvier 88, il demande à ses amis d’entreprendre de discrètes démarches pour pousser l’auteur de Germinal à le secourir et écrit ces mots stupéfiants pour qui connaît la violence avec laquelle il attaquera par la suite Zola : « De plus, je vais publier dans mon nouveau livre une étude sur Zola où je dirai, quoique avec de terribles réserves, le puissant artiste que je vois en lui et je dois craindre infiniment d’avoir l’air de vouloir faire payer ma louange. »

La période la plus radieuse pour Bloy durant ces quatre années fut sans aucun doute celle qui commença en décembre 1888 lorsque l’auteur est engagé pour une chronique dans le Gil Blas. Sa collaboration ne fera pas long feu puisqu’il est évincé au mois de février 89, non sans avoir éreinté largement ses contemporains (« Fleury m’apprend que Daudet s’est couché après la lecture de mon article et que sa femme songe à me faire assassiner. »).

Puis les choses se précipitent : en 1889, Bloy voit s’éteindre son protecteur de toujours Barbey d’Aurevilly et son ami Villiers de l’Isle-Adam (je n’avais jamais fait attention à cette coïncidence : les deux grands écrivains légitimistes mourrant juste cent ans après la Révolution française !). C’est aussi à l’époque où commence sa brouille avec Huysmans.

Les premiers mois de 1890 réservent de grosses surprises puisque Bloy annonce à ses amis qu’il est père d’un petit garçon de 18 mois (d’où le redoublement de ses difficultés financières pour élever ce bébé qui faillit mourir à sa naissance) puis qu’il va se marier ; non pas avec la mère de cet enfant, mais avec la fille d’un poète danois (Christian Molbech). Le volume s’achève sur un évènement qui marquera définitivement la rupture entre Bloy et Huysmans : « Huysmans, prié par moi d’être mon témoin, a refusé par un billet d’un laconisme insultant. »

Voilà donc résumée grossièrement la teneur de cette correspondance. Je n’ai pas insisté sur la richesse de la langue de Bloy qui redouble l’intérêt purement biographique de ces lettres et ce tableau impressionniste palpitant du monde des arts et lettres en cette fin de 19ème siècle.

Libellés : , , , , ,

vendredi, mai 18, 2007

Questionnaire

Vous connaissez mon goût pour les questionnaires. En voilà encore un pêché chez Vincent et Ludovic.


Les 4 livres de mon enfance :


Commençons par tricher et faire durer l’enfance jusqu’à l’adolescence car jusqu’à 16 ans, je n’étais pas du tout un gros lecteur. Mais je me souviens :

-Le petit prince de Saint-Exupéry (le premier livre que j’ai lu)

-E=MC2, mon amour de Patrick Cauvin (moi qui n’aimais pas lire, je dénichai un jour ce livre dans la bibliothèque de mes parents et le dévorai d’un trait)

-ça de Stephen King (Stephen King fut le seul auteur que je lus avec grand plaisir pendant mon adolescence)

-La nausée de Sartre (encore un souvenir d’adolescence)


Les 4 écrivains que je lirai et relirai encore :


Aïe ! Je relis très rarement les livres et les auteurs que j’apprécient sont trop nombreux pour que je me satisfasse (oui, j’ai bien décidé aujourd’hui d’employer l’imparfait du subjonctif !) de quatre noms. Mais pour me plier à la règle, je citerai quatre auteurs que je viens de découvrir et qui m’ont suffisamment impressionné pour que j’aie envie de poursuivre la découverte de leurs œuvres :

-James Ellroy

-John Cowper Powys

-Philippe Muray

-Raymond Roussel


Les 4 auteurs que je ne lirai probablement plus jamais :


Pareil ! Ma curiosité en littérature est à peu près aussi grande qu’en matière de cinéma et je vois mal me priver d’un auteur même si je ne l’aime pas. Citons, malgré tout, sans conviction :

-Saint-Exupéry (parce qu’il y a deux choses que je ne supporte pas au monde : les gens qui font du jogging et ceux qui portent des gourmettes ! Et mon petit doigt me dit que Saint-Ex faisait du jogging…)

-Sartre (parce que c’est un auteur qui correspond parfaitement aux années de doute de l’adolescence et qui finit par sembler un peu ridicule à mesure que les années passent. On lui préfère alors, à juste titre, son vieil ennemi Céline)

-Henri Troyat (je n’ai jamais lu un de ses romans mais il encombre les foires aux livres et autres brocantes qu’il m’arrive de fréquenter et ce nom est devenu depuis un véritable repoussoir)

-Henri Vincenot (Parce que je suis bourguignon et que je n’aime rien de moins que le stupide régionalisme. On notera que le prénom « Henri » ne porte pas chance en littérature puisque dans cette catégorie aurait aussi pu figurer Henri Bordeaux et le cuistre Bernard Henri Lévy. Seul Henry Miller aurait pu échapper à mon courroux)


Les 4 premiers livres de ma liste à lire :


D’habitude, j’en ai plus que ça en réserve mais après avoir terminé le tome 5 de Raghnarok de Boulet, il me reste :

Deux romans de Félicien Champsaur (superbes éditions importées d’Egypte, merci à mon frérot !)

-Poupée Japonaise et le bandeau

Deux livres d’art que je viens d’acquérir pour changer un peu de mon marathon littéraire que fut l’abécédaire.

-L’expressionnisme et Egon Schiele

Par la suite, je compte me ruer sur les titres de la collection L’imaginaire de Gallimard (à moi Apollinaire, Bataille, Borges, Bove, Cortázar…)


Les 4 livres que j'emporterais sur une île déserte :


-Le voleur de Georges Darien (pour comprendre pourquoi il faut s’enfuir de ce monde pourri et dégueulasse et se terrer dans cette île)

-Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations de Raoul Vaneigem (pour ne pas se tromper en érigeant une nouvelle société sur ladite île)

-Les chants de Maldoror de Lautréamont (pour se souvenir de ce que peut la poésie)

-L’idiot de Dostoïevski (mon beau miroir)


Les derniers mots d'un de mes livres préférés :


Récemment, j’ai été bouleversé par la fin du Monde comme il ne va pas de Chesterton. Mais c’est très long et je l’ai déjà exposé ici. Alors pour finir par une touche aussi cinématographique que littéraire, je dirai :


« C’était déjà l’aube de cette fatigante journée que nous voyons finir, quand le jeune Marx écrivait à Ruge : « vous ne me direz pas que j’estime trop le temps présent ; et si pourtant je n’en désespère pas, ce n’est qu’en raison de sa propre situation désespérée, qui me remplit d’espoir. » L’appareillage d’une époque pour la froide histoire n’a rien apaisé, je dois le dire, de ces passions dont j’ai donné de si beaux et si tristes exemples.

Comme le montrent encore ces dernières réflexions sur la violence, il n’y aura pour moi ni retour, ni réconciliation.

La sagesse ne viendra jamais. »

Guy Debord In girum imus nocte et consumimur igni

Les 4 lecteurs dont j'aimerais connaitre les 4 :

Ben les quatre lecteurs de ce blog (dont, je l’espère, l’ami Noctémédia)

Libellés :

Huysmans par Léon Bloy

Pour compléter mon récent abécédaire et ma note sur En route de Huysmans, je vous livre ici quelques lignes consacrées à cet ouvrage par Léon Bloy dans son indispensable Journal en mars 1895. C’est, comme toujours avec le Vieux de la Montagne, assez saignant mais ça résume parfaitement mon avis sur le pensum de Huysmans :

« 23- Commencé la lecture d’En route, le récent livre de Huysmans, dont l’art pénible me harasse et dont l’ignorance documentée me lève le cœur.

24- Continué En route. Le vrai titre du livre serait : En panne. Huysmans ressasse des niaiseries et des saletés, sans jamais avancer d’un pas. Cependant, il découvre le Catholicisme et s’étonne profondément de la trouvaille. Ennui énorme.

L’indigence d’imagination de ce découvreur et le creux de sa cervelle donnent le vertige. Il n’a que des yeux et des oreilles, - dans le sens le plus charnel, bien entendu, - et encore. Quelques pages, il est vrai, relatives à ses confessions ou communions, peuvent toucher, mais c’est une force étrangère à lui, et on voit si bien la trace de certaines lectures ! En somme, compilation identique aux compilations antérieures, mais infiniment plus ennuyeuse. Rien n’est exaspérant comme de voir cet homme s’examiner, en quatre cent cinquante pages, au moyen d’un microscope acheté la veille, et dont il ne sait même pas se servir.

Simple trait caractéristique. Dans En route, les enfants haïs et méprisés, comme dans tous les livres antérieurs, sont invariablement appelés gosses. Que penser de ceci : l’apologie du Catholicisme entreprise par un écrivain dont l’instinct a toujours été d’avilir ?

25- Achevé En Route. Que ne suis-je encore l’ami de Huysmans ! Je lui donnerais un précieux conseil.

Après Là-Bas et En route, pourquoi n’intitulerait-il pas ainsi son prochain tome : EN HAUT. TOUT LE MONDE DESCEND ? »

Léon Bloy Le mendiant ingrat

Libellés : , ,

jeudi, mai 17, 2007

Bilan de l'abécédaire

Je sais bien que cette volonté de tout classer et d’établir de fausses hiérarchies (comment comparer un essai politique de Baudrillard avec des romans noirs, des récits historiques de la Grèce antique, un traité de psychanalyse et un essai sur le cinéma ?) est vaine mais puisque j’arrive au bout de mon premier abécédaire (forme qui m’est apparue comme très stimulante et que je risque de reconduire. N’hésitez pas à me conseiller de nouvelles formes de découvertes littéraires aléatoires : je suis preneur !), je me risque à un petit bilan forcément très subjectif :

1er James Ellroy. Le Dahlia noir

2ème Raymond Roussel. Impressions d’Afrique

3ème Philippe Muray. On ferme

4ème Louis-Ferdinand Céline. Guignol’s band

5ème Paul Léautaud. Le petit ami

6ème Jean Baudrillard. Miroir de la production

7ème Stefan Zweig. Le joueur d’échecs

8ème Donald Westlake. Le couperet

9ème Villiers de L’Isle-Adam. Contes cruels

10ème Stig Dagerman. Le serpent

11ème Michel Onfray. Traité d’athéologie

12ème Grimm. Contes choisis

13ème Hermann Ungar. Les hommes mutilés

14ème Thoreau. La désobéissance civile

15ème Sören Kierkegaard. Le journal du séducteur

16ème Xénophon. L’anabase suivi du Banquet

17ème Freud. Sur le rêve

18ème Jean-Claude Izzo. Chourmo

19ème Marguerite Yourcenar. Nouvelles orientales

20ème Amélie Nothomb. Attentat

21ème Clément Pansaers. Le pan-pan au cul du nu nègre

22ème Thierry Jousse. Wong Kar-Waï

23ème J.K. Huysmans. En route

24ème Pascal Quignard. Tous les matins du monde

25ème Muriel Spark. L’ingénieur culturel

26ème Christine Angot. Pourquoi le Brésil ?

Libellés : ,

Z comme Zweig

Le joueur d’échecs (1943) de Stefan Zweig (Le livre de poche. 1995)

Mon rapport à Stefan Zweig est assez étrange. Les quelques récits et nouvelles (la confusion des sentiments, Lettre d’une inconnue…) qui me sont tombés sous la mains m’ont toujours beaucoup plu mais je ne me suis jamais totalement mis, pour une raison que je ne m’explique pas, à cet auteur. Voyant arrivé la lettre Z, j’ai décidé de me plonger dans son fameux Joueur d’échecs qui apparaît davantage comme une longue nouvelle que comme un véritable roman. Et pourtant, par sa manière de briser la narration en enchâssant deux récits différents (celui d’un joueur d’échecs presque analphabète qui devient champion du monde et celui d’un docteur autrichien enfermé dans une chambre d’hôtel par la gestapo), Zweig parvient à donner une densité et une ampleur considérable à son histoire.

Pour la première fois dans son œuvre (il s’agit du dernier texte de Zweig, publié pour la première fois en 1943 à titre posthume puisque le grand écrivain s’est suicidé en 1942), l’auteur se réfère au contexte international (l’invasion de l’Autriche par l’Allemagne nazie et les persécutions). Il en tire une fable étrange et plutôt abstraite où le jeu d’échecs tient lieu de métaphore étonnante.

Dans un premier temps, Zweig évoque la fulgurante ascension de ce rustre paysan qui devient champion d’échecs. Le jeu d’échecs, sans doute le seul où n’entre pour aucune part le hasard, apparaît alors comme une logique implacable qui s’acquiert en dehors de toute « intelligence ». Czentovic a beau être une brute épaisse, personne au monde n’est plus doué que lui pour faire évoluer des pièces sur un échiquier. Face à lui, le Docteur B. apparaît également victime de cette même monomanie. Sauf qu’elle fut pour lui le seul secours pour échapper à la torture psychologique infligée par la gestapo. Dans cette passion pour les échecs se devine à la fois une volonté de s’abstraire du monde et de sa folie pour entrer dans un univers totalement mathématiques et logique mais également un remède pour lutter contre sa propre déréliction et la folie qui le ronge.

La manière dont Zweig met en scène l’affrontement de ces deux logiques est passionnante et témoigne de la richesse de son écriture. Ce très court roman se dévore comme un polar avec un trépidant suspense (qui va emporter les parties ?) tout en allant très au-delà, naviguant au bord de la folie (celle du personnage renvoyant à celle de l’époque) et d’une certaine abstraction.

C’est vraiment très beau.

Libellés : ,

Y comme Yourcenar

Nouvelles orientales (1938) de Marguerite Yourcenar (Gallimard. L’imaginaire. 2004)

Notre abécédaire est maintenant terminé et il s’agit donc de boucler rapidement mes dernières notes (très peu de courage pour écrire de longues thèses !). Yourcenar, donc ! J’avoue qu’en raison de son prénom, je l’associe toujours à Marguerite Duras et cette (fausse) parenté a toujours eu sur moi un effet repoussoir.

Comme son titre l’indique, il s’agit ici d’un recueil de nouvelles se déroulant en Orient (le terme devant se prendre dans son acception la plus large puisque certains récits ont pour cadre la Chine et l’Inde tandis que d’autres se déroulent dans les Balkans).

Légendes chinoises librement retranscrites, contes balkaniques médiévaux, mythe hindou…, Marguerite Yourcenar puise son inspiration dans un terreau qui n’a rien de vierge. Les nouvelles les plus « personnelles » (celles qui découlent de sa propre fantaisie) sont d’ailleurs, à mon sens, les moins convaincantes (je n’aime pas tellement Notre-Dame-des-Hirondelles)

L’ensemble, sans être déplaisant, m’a paru assez inégal. J’avoue ne pas être très sensible au style précieux et un brin chichiteux de l’écrivain.

Cela n’empêche pas certains contes d’être très réussis. Le premier en particulier, Comment Wang-Fô fut sauvé, est une assez belle méditation sur la puissance de l’Art et son caractère éternel par opposition au Pouvoir temporel. D’autres auxquels Yourcenar donne la forme d’apologue m’ont semblé beaucoup plus lourds. La symbolique de Notre-Dame-des-Hirondelles, où l’auteur prône la coexistence pacifique de l’austère religion chrétienne et du panthéisme des anciennes divinités grecques, est vraiment trop appuyée. Idem pour Kâli décapitée, fable assez pataude sur l’impossibilité de réconcilier la pureté de l’âme et la souillure du corps (impossibilité incarnée par cette déesse dont la tête a été ressoudée à un corps de prostituée).

Entre ces deux extrêmes, les légendes balkaniques m’ont plutôt séduit (le sourire de Marko, sur l’invraisemblable puissance du désir, le lait de la mort…) et j’ai aussi bien aimé le dernier amour du Prince Ghenghi, fable japonaise cruelle sur un Don Juan qui se souvient de toutes ses conquêtes sauf de la femme qui l’a le plus aimé.

Je le répète, ces Nouvelles orientales se lisent plutôt bien (le recueil est court, à peine 150 pages) et loin de moi l’idée de cracher dans la soupe.

Je reconnais aussi que ce n’est pas réellement le style de littérature que j’affectionne. C’est sans doute un grand tort mais le résultat ne m’a pas transporté…

Libellés : ,

X comme Xénophon

L’anabase (vers -390 avant J.-C.) Le banquet (vers -380 avant J.-C.) de Xénophon (Garnier Flammarion. 1996)

Le choix pour la lettre X fut tellement limité qu’il me poussa sans hésitation vers Xénophon. Autant dire que n’ayant pas fait d’histoire grecque depuis fort longtemps (une dizaine d’années), je craignais un peu cette plongée dans l’Antiquité. L’anabase étant, effectivement, une épopée historique où l’Athénien Xénophon raconte la campagne menée par Cyrus, frère du roi de Perse Artaxerxés, qui tente de s’emparer du trône à l’aide des troupes spartiates et de mercenaires grecs. Xénophon prend part à cette expédition des Dix Mille qui se termine par la mort de Cyrus à Counaxa. Dès lors, de simple « spectateur », Xénophon devient l’un des principaux chefs de l’armée chargé d’organiser la retraite et de retourner en Grèce.

Au départ, il s’agit de se remettre dans le contexte de l’époque (la fin de la guerre du Péloponnèse et l’hégémonie de Sparte) et de se rappeler un peu laborieusement nos vagues souvenirs de cours (les lacédémoniens, ce sont bien les spartiates ; où se situe l’Arcadie…). Après cette très légère préparation, le récit de l’anabase se révèle beaucoup moins rébarbatif que je ne le craignais. Ecrit en très cours chapitres, eux-mêmes assez découpés ; nous suivons non sans un certain plaisir les différentes phases de l’expédition et les différentes manœuvres stratégiques mises en place par l’armée grecque pour se tirer de mauvais pas. Certains passages où les hommes de Xénophon traversent l’actuel Kurdistan et se trouvent confrontés à la rigueur de l’hiver (la neige qui freine la marche, le froid qui gangrène les membres…) sont même assez palpitants.

Reste à savoir le rôle réel de l’auteur des Helléniques, frappé d’exil par Athènes à l’époque où il entreprend ce récit. Cherche t-il par là à justifier sa conduite et à s’attirer les lauriers ? Certains auteurs ont parlé de l’anabase comme d’une simple œuvre apologétique : je laisse régler cette question aux spécialistes. Toujours est-il qu’il apparaît ici comme un redoutable stratège (toujours confiant envers les dieux et les augures) et comme un habile orateur toujours prompt à s’attirer la sympathie de l’armée par une certaine rectitude morale.

A côté de cela, le banquet apparaît comme une œuvre beaucoup plus légère et anecdotique. Mais Xénophon nous expose d’emblée son ambition en écrivant : « Il me semble que non seulement les actions sérieuses des hommes bons et beaux, mais encore leurs divertissements sont dignes de mémoires. ». Nous voilà donc chez le richissime Callias pour un banquet où se retrouvent un certain nombre de personnalités, dont Socrate de qui Xénophon fut disciple. De nombreux sujets sont abordés ce soir-là : la beauté, la vertu, la richesse et la pauvreté, l’Amour physique et spirituel, la volonté des dieux…Là encore, il n’est pas de mon ressort de vous exposer toute la dimension philosophique de l’ouvrage qui, apparemment, aurait été écrit après le célèbre Banquet de Platon. Mais cette petite quarantaine de pages se lisent très agréablement et nous propulsent dans l’intimité des grands hommes de la Grèce antique avec beaucoup d’humour et de vie. Xénophon n’a sans doute pas la profondeur de Platon ni sa richesse de pensée mais, d’après le préfacier de cette édition, il nous représente un Socrate sans doute plus proche de la réalité que celui mis en scène par Platon.

Rien que pour entendre la voix de ce glorieux personnage, le livre mérite le coup d’œil…

Libellés : , , ,

dimanche, mai 13, 2007

W comme Westlake

Le couperet (1997) de Donald Westlake (Flammarion. 2007)

Retour au polar à l’américaine pour terminer doucement ce premier abécédaire. Donald Westlake faisait partie de ces « romanciers populaires allumeurs » (dixit Noël Godin) qu’il me tardait de découvrir. Ayant vu l’adaptation cinématographique signée Costa-Gavras du Couperet, c’est sur ce livre que j’ai fini par jeter mon dévolu.
La première chose qui m’a frappé, c’est la fidélité à toute épreuve dont a fait preuve le cinéaste en transposant ce roman à l’écran. L’histoire de ce cadre dans une grande entreprise de papier qui se fait licencier et qui décide, par la suite, d’éliminer consciencieusement ses éventuels concurrents pour obtenir le poste qu’il convoite a été parfaitement respectée par Costa-Gavras et c’est sans doute la rigueur et la nervosité du style de Westlake qui lui ont permis de réaliser ce qui reste sans doute son meilleur film à ce jour (l’auteur de Z m’ayant toujours semblé assez balourd, par ailleurs, dans le traitement de ses récits «engagés »).
Le couperet s’inscrit d’emblée dans cette grande tradition du polar «social », de ces récits noirs qui éclosent sur le terreau humide d’une réalité peu reluisante. Westlake décrit parfaitement bien un monde de l’entreprise en pleine mutation, où les individus n’ont plus leur place et où règnent seuls en maîtres absolus le profit et les actionnaires.
Burke Devore n’est pas un prolo victime des grands patrons. C’est quelqu’un appartenant à la classe moyenne (c’est ce que prétend l’auteur mais reconnaissons que sa situation antérieure évoque plutôt celle de la bonne bourgeoisie américaine) et qui s’aperçoit soudain qu’il s’est fait voler son existence. En tombant dans le cercle vicieux du chômage, des entretiens d’embauche infructueux et des difficultés croissantes pour retrouver une place sur un marché du travail qui exclut les individus ayant passé un certain âge (il a la cinquantaine) ; Burke réalise à quel point il n’existe plus sans emploi, qu’il n’a plus sa place dans un échiquier social devenu totalement absurde.
Westlake montre très bien dans Le couperet que la précarisation menace désormais tout un chacun et pas seulement les plus démunis. Alors pour démonter les rouages de ce mécanisme absurde, l’auteur pousse à bout la logique implacable de l’économie de marché : « Mais un autre changement s’est produit récemment. Aujourd’hui, notre code moral repose sur l’idée que la fin justifie les moyens. ». Puisque les entreprises ont montré l’exemple en «dégraissant », en licenciant malgré leurs profits pour atteindre par tous les moyens leurs «buts » (faire encore plus de profit et complaire aux actionnaires) ; Burke décide de faire de même. Ce n’est pas un criminel ni un fou : juste un type comme vous et moi engagé dans cette impitoyable compétition qu’est devenu le marché de l’emploi et qui tente de s’en sortir par tous les moyens, y compris le meurtre («la fin de ce que j’accomplis, l’objectif, le but, est juste, incontestablement juste. Je veux m’occuper de ma famille ; je veux être un élément productif de la société ; je veux faire usage de mes compétences ; je veux travailler et gagner ma propre vie et ne pas être à la charge des contribuables. Les moyens de cette fin ont été difficiles, mais j’ai gardé les yeux rivés sur l’objectif. Comme les PDG, je n’ai rien à regretter. »).
Le couperet est donc une fable très grinçante sur l’époque (le roman va d’ailleurs plus loin que le film dans la dimension sarcastique) et Westlake détruit avec un humour noir ravageur tous les dogmes absurdes qui régissent le monde du travail (l’outrance de la compétition, le chacun pour soi, le poids immense qui pèse désormais sur les épaules des salariés…). En ne rendant pas antipathique son «héros » (la fin, délicieusement amorale, est savoureuse) mais en lui prêtant une véritable compassion pour ses victimes ; l’auteur vise surtout les responsables de ce jeu grotesque et cette inhumanité qui caractérisent les patrons, les actionnaires et le monde de l’entreprise d’une manière générale.
Le résultat est percutant…



Libellés : , , ,

jeudi, mai 10, 2007

V comme Villiers de l'Isle-Adam

Contes cruels (1883) de Villiers de L’Isle-Adam (Garnier Flammarion. 1980)

Retour au 19ème siècle et à l’un de ces grands aristocrates des lettres que j’apprécie tant, figure assez ambiguë d’une littérature « fin de siècle » dont les contours demeurent parfois un peu flous. Le catholicisme de Villiers nous amènerait bien volontiers à le classer avec des écrivains comme Barbey d’Aurevilly ou Léon Bloy (eux aussi ayant proposé des recueils de « contes cruels » avec respectivement Les diaboliques et Histoires désobligeantes) mais les choses sont plus compliquées, comme en témoigne cet ensemble de contes.

Villiers de l’Isle-Adam reste un écrivain rétif aux étiquettes : certains de ses contes restent très influencés par le Parnasse mais cela n’en fait pas un parnassien pour autant. D’autres cultivent une ironie féroce qui évoque Flaubert mais à peine a-t-on fini un conte satirique qui fustige le bourgeois que nous voilà propulsé dans un univers romantique et morbide qui place alors l’écrivain dans la lignée d’un Poe ou d’un Baudelaire qu’il admirait. Malgré cette apparente diversité de styles (certains contes annoncent aussi le décadentisme et l’on n’oubliera pas que dans A rebours, Des Esseintes possède dans sa bibliothèque des ouvrages de Villiers), les Contes cruels m’ont paru assez « homogènes » et n’ont pas perdu une once de leur force.

Je mets à part le dernier conte, l’annonciateur, horreur de 20 pages qui n’est qu’une caricature ampoulée et totalement démodée du Parnasse. Sur un sujet biblique plutôt pénible pour quiconque n’est pas spécialiste, l’auteur abuse d’un vocabulaire abscons et de références ultra pointues (à la Kabbale…) et nous assomme littéralement (symptomatiquement, sur les 300 notes que comportent l’édition en ma possession de ces contes, 100 sont consacrées à ces vingt dernières pages !). Oubliez donc cette dernière nouvelle ratée et plongez-vous dans le reste : ce n’est que pur délice. Je n’entends pas faire ici une étude détaillée de chaque conte, ni de l’œuvre de Villiers que je connais assez peu (honte à moi ! Je vais me rattraper !). Contentons-nous de noter que ces contes peuvent se regrouper grossièrement sous trois catégories.

La première, c’est la fable vacharde qui s’en prend avec une virulence et une ironie mordante à la bourgeoisie et à sa principale valeur : l’argent. Une de ses stratégies est de retourner sur eux-mêmes des lieux communs, que ce soit l’amour pur devenu un affreux jeu de stratégies vénales (Virginie et Paul) ou encore cette prostituée qui fait la honte de sa famille puisqu’elle sacrifie son gagne-pain à une histoire d’amour, devenant la risée de tous. Dans A s’y méprendre, Villiers affirme l’horreur sans fond que lui inspirent les « affaires » (comme on le comprend !) et il n’hésite pas à recourir au burlesque et à l’exagération grotesque pour peindre ces bourgeois qui s’entre-tuent pour faire triompher leur morale bornée (les bourreaux. « Les bourgeois sont de joyeux vivants, ronds en affaires. Mais sur le chapitre de l’honnêteté, halte-là ! par exemple : intègres à faire pendre un enfant pour une pomme. ») ou qui rivalisent de bêtise dans leur volonté de paraître (le plus beau dîner du monde). Ces contes là sont souvent très drôles, très cinglants même si d’autre font part à une certaine amertume, lorsque l’auteur évoque le sort du Pauvre (une des figures primordiales qui hante la littérature catholique de l’époque et que semblent avoir complètement oublié les consanguins qui se réclament aujourd’hui de ces auteurs !) ou lorsqu’il se met en scène en paria d’une société qui l’a exclu (deux augures, sur le monde du journalisme, est superbement sarcastique).

Deuxième catégorie : les contes qui s’en prennent à la science. Que ce soit l’affichage céleste, qui annonce l’envahissement du ciel par la publicité (ben oui, c’est pas rentable tout cet espace vide !) ou la machine à gloire qui prévoit les rires enregistrés de notre époque ; force est de constater que les constats de Villiers de l’Isle-Adam n’ont rien perdu de leur actualité et qu’il serait peut-être temps de mener une vraie réflexion sur le « pourquoi » du Progrès. Corollaire de ce développement technique : la manière dont l’opinion publique peut-être manipulée et contrôlée. Là encore, la lucidité de l’écrivain fait froid dans le dos…

Dernière catégorie (en répétant qu’elles restent assez arbitraires) : les histoires plus marquées par le surnaturel et imprégnées d’un romantisme noir. Dans ces contes, Villiers se montre un auteur éperdu d’Idéal (religieux mais aussi en terme amoureux) et l’on ressent alors fortement l’influence de Poe et de Baudelaire. Certains contes, tel le sublime Véra (où l’amour triomphe naturellement de la mort), font partie de mes préférés du recueil. Le romantisme et la noire mélancolie de Villiers font merveille et l’Art semble alors l’unique terrain pour quitter la médiocrité du quotidien.

Je m’arrête là pour ce soir en espérant que vous me pardonnerez de m’être contenté de banalités de base. Allez quand même jeter un œil chez ce grand écrivain : il mérite le détour…

Libellés : , , , , , , ,

samedi, mai 05, 2007

U comme Ungar

Les hommes mutilés (1928) de Hermann Ungar (Gallimard. L’imaginaire. 2005)

En arrivant à la lettre U, j’ai vu mon choix de lectures diminuer de façon considérable et me suis retrouvé face à des auteurs que je ne connaissais pas. Dans un cas semblable, c’est la collection du bouquin qui a fini par déterminer mon choix. L’imaginaire représente sans doute le plus beau catalogue de l’illustre maison Gallimard et je vous conseille d’arpenter vos librairies car certains de ces livres viennent d’être réédités avec des CD documentaires ou des films en DVD (l’adaptation par Cronenberg du Festin nu de Burroughs, celle d’Effi Briest de Fontane par Fassbinder…). Avis aux collectionneurs !

Le nom d’Hermann Ungar, auteur sur qui j’ai fini par jeter mon dévolu, m’était parfaitement inconnu jusqu’ici. Mais la quatrième de couverture annonçant un univers proche de celui de Kafka a fini par me convaincre.

Ungar est un écrivain tchèque de langue allemande du début du siècle (1893-1929) qui côtoya, entre autres, quelqu’un comme Stephen Zweig. Les hommes mutilés est un court roman qui met en scène la vie ordinaire d’un terne petit employé de banque. Franz Polzer est un petit homme gris, toujours ponctuel à son travail et terrorisé par le moindre accroc dans son quotidien réglé comme du papier à musique (se lever, cirer ses chaussures, comparer des chiffres à la banque et parapher des feuilles…). Logé chez une veuve qui l’entraîne dans son lit, Franz va voir sa vie basculer lorsque ressurgit du passé son ami d’enfance Carl. Ce dernier est atteint d’une maladie qui lui gangrène tous les membres et il confie à son ancien camarade ses craintes au sujet de sa femme dévouée qu’il soupçonne de sombres desseins…

Kafka oui ! Pour cet univers gris et terne, pour ce petit fonctionnaire médiocre et anonyme qui glisse irrémédiablement dans un monde de folies et de névroses. Même si ce livre ne m’a pas paru avoir la force et la densité de chef-d’œuvres comme la métamorphose ou le procès, ce fut indéniablement une belle découverte.

Ungar dépeint avec beaucoup de justesse le portrait d’un homme qui n’est rien d’autre qu’un nœud de complexes, de frustrations, de névroses et de phobies. Complexe social : Franz vient d’un milieu pauvre et supporte mal ses origines sociales modestes, ayant conscience du poids du regard des autres. Lorsque deux petites filles se moquent soudainement de son chapeau dans la rue et attirent tous les regards sur lui, j’ai songé à certaines toiles de Magritte et de cette foule en chapeau melon qui semble vous scruter et vous persécuter seulement par le regard. Tout se passe comme si ce personnage voulait sans cesse rentrer sous terre et ne pas faire de vagues en accomplissant chaque jour les mêmes gestes de la manière la plus discrète possible.

Cette phobie de l’altérité, Ungar la traduit de manière assez forte. Il l’explique notamment par des complexes liés à l’enfance de Franz : un père violent, une belle-mère détestée…Elle se traduit également par une véritable phobie du sexe et un dégoût pour le corps féminin (sans trop appuyer sur cette dimension, on perçoit l’homosexualité refoulée de Franz). Là encore, le roman m’a fait penser à des tableaux mais cette fois à l’expressionnisme allemand ou encore ceux d’Egon Schiele. Les descriptions de la chair que nous offre Ungar, via le regard de Franz, sont assez terribles : peaux jaunâtres, seins flasques, corps graisseux, odeurs répugnantes, poils noirs entre les seins et haleines chaudes sont des termes qui reviennent régulièrement pour traduire la répulsion de cet homme pour le sexe.

Le livre est hanté par la putréfaction des corps (voir le personnage de Carl), par la décomposition de la chair et les rapports phobiques au sexe. Ungar nous fait pénétrer (si j’ose dire !) dans un univers assez malsain (dans le bon sens -littéraire- du terme) où les névroses des personnages semblent se dessiner physiquement, dans leurs chairs.

On l’aura compris, les hommes mutilés n’est pas un livre gai mais un objet curieux, névrotique et finalement assez envoûtant (la frontière entre le réel et le cauchemar devient, à certains moments, presque floue…). Il mérite donc votre attention…

Libellés : , , ,

vendredi, mai 04, 2007

T comme Thoreau

La désobéissance civile (1849) de Henry David Thoreau (Mille et une nuits. 2000)

« J’accepte de tout cœur la devise suivante : « Le meilleur gouvernement est celui qui gouverne le moins » et j’aimerais la voir suivie d’effet plus rapidement et plus systématiquement. Exécutée, elle se résume à ceci, que je crois aussi : « Le meilleur gouvernement est celui qui ne gouverne pas du tout » ; et quand les hommes y seront prêts, tel sera le genre de gouvernement qu’ils auront. »

Ainsi débute la désobéissance civile, le plus célèbre des pamphlets anti-étatiques de Thoreau que les éditeurs se plaisent à rééditer régulièrement (tout récemment, j’ai aperçu en rayons une nouvelle édition de ce texte). Tout se passe comme si à l’heure de la plus navrante des inerties sociales et du plus mou des consensus, certains cherchaient encore à donner des petits coups de fouet pour réveiller une opinion endormie aux vapeurs du capitalisme mondialisé et aux joies de l’économie marchande. Quoi de mieux donc que ce lucide petit traité d’insoumission et de résistance à l’ordre des choses ?

Lorsqu’en 1844 les Etats-Unis déclarent la guerre au Mexique, Thoreau s’insurge contre une guerre qu’il juge inique et refuse de se soumettre à un gouvernement qui tolère encore l’esclavage. Mais loin de se contenter de jouer les belles âmes, il joint les actes à sa parole et, en guise de protestation, refuse de payer des impôts à un Etat qu’il ne reconnaît pas. Ce geste d’insoumission lui vaudra de passer une nuit en prison, comme il le raconte dans la désobéissance civile.

La position de l’essayiste est très claire : il ne sert à rien, lorsqu’une idée est juste (en l’occurrence, il s’agit ici de l’abolition de l’esclavage), d’attendre qu’elle pénètre les esprits de la majorité mais de l’imposer par quelques moyens que ce soit. Et lorsqu’un Etat applique une politique qui ne correspond pas à une certaine idée de la Justice humaine, il est du devoir du citoyen de désobéir et de refuser tout lien avec ce gouvernement, en ne payant pas l’impôt par exemple.

La pensée de Thoreau est ambivalente, à la fois très intéressante mais aussi, par certains aspects, un brin limitée. Le plus percutant, c’est la critique acerbe qu’il livre des majorités silencieuses. Il ne va pas aussi loin qu’Ibsen dans son génial Un ennemi du peuple (« la majorité n’a jamais raison […] La majorité a la force…malheureusement…Mais elle n’a pas la raison. ») mais il affirme la primauté des consciences individuelles sur la majorité. Il suffit de songer, non sans effroi, aux résultats que donnerait un référendum sur la peine de mort pour se convaincre de l’actualité de ce petit essai. Du coup, l’auteur remet en question l’idée même de suffrage majoritaire et écrit : « Même voter pour la justice, ce n’est rien faire pour elle. C’est se contenter d’exprimer un faible désir de la voir prévaloir. Le sage ne laissera pas la justice à la merci du hasard, il ne souhaitera pas la voir l’emporter par le pouvoir de la majorité. Il y a peu de vertu dans l’action des masses d’hommes. ». Le devoir de tout un chacun est donc de refuser d’apporter un soutien objectif à une quelconque « raison d’Etat », même si cet Etat est censé représenté la majorité des citoyens.

Beau programme où l’individu prime sur la société. Malheureusement, le programme de Thoreau reste entaché d’un certain idéalisme. L’individu que met en avant le penseur reste bridé par une idée de Justice, d’Absolu dont il ne cherche pas à définir les contours. D’où cette religiosité (panthéiste certes, Thoreau ayant rompu avec la civilisation et grâce à Emerson et quelques autres, s’était installé dans les bois pour vivre dans une cabane) qui imprègne le texte et qui ne précise jamais à quel titre telle cause est plus « juste » qu’une autre (on imagine très bien le futur élu à la présidence, pro-européen convaincu, faisant adopter la constitution européenne refusée par référendum en se réclamant de Thoreau ! Ok, il faudrait qu’ils aient un minimum de culture –ce qui n’est pas le cas !- mais l’idée reste plausible).

Les gestes de refus, d’insoumission et de désobéissance que préconisent Thoreau sont toujours d’actualité et sa voix mérite d’être entendue. Dommage qu’il n’arrive pas totalement à libérer son individu de son idée de Justice Absolue et que son appel à la résistance reste entravé par ce carcan idéaliste…

Libellés : , ,

mardi, mai 01, 2007

S comme Spark

L’ingénieur culturel (1960) de Muriel Spark (Privat/ Le Rocher. 2007)


J’avoue que je ne connaissais Muriel Spark ni d’Eve, ni d’Adam mais puisqu’on m’a offert ce roman, j’ai lu cet Ingénieur culturel. Au départ, je m’attendais à ce que se réalise à nouveau le miracle de Notre agent à la Havane de Graham Greene puisque il s’agissait également d’un livre offert qui ne me tentait aucunement mais qui se révéla, à la lecture, une petite merveille d’humour flegmatique.

La couverture annonçant une « outrageously funny novel », tous les espoirs étaient permis ! Las, le résultat ne fut pas à la hauteur !

Dougal Douglas est engagé comme « ingénieur culturel » dans une firme de fabrication de textiles. Son rôle consiste à observer la vie des ouvriers de l’entreprise et, par l’imagination, de les motiver pour améliorer leur rendement. Bien entendu, le bonhomme se révèle totalement excentrique et n’obtient comme résultats qu’une augmentation de l’absentéisme et une exacerbation de certains conflits chez les habitants de Peckham Rye.

On aurait aimé un personnage don quichottesque (à l’instar d’Ignatius, l’anti-héros de la conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole), révélateur des absurdités du monde de l’entreprise. Malheureusement, la satire tourne court et Muriel Spark se contente de suivre les pas d’un type peu sympathique dans son excentricité.

Quant aux portraits des individus qui gravitent autour de lui, c’est un catalogue de bassesses, de petites mesquineries et de médiocrités qui finissent par rendre le livre un peu pénible, très rarement drôle et finalement assez peu intéressant.

Inutile d’épiloguer plus longtemps !

Libellés : ,