La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

dimanche, mai 20, 2007

Correspondance de Léon Bloy

En 1947 et 1948 fut rééditée, chez François Bernouard, l’œuvre complète de Léon Bloy. Heureuse initiative qui néanmoins pourra déconcerter les bibliophiles d’aujourd’hui dans la mesure où le « découpage » des œuvres ne correspond absolument pas à celui laissé par l’auteur. Ainsi, j’ai récupéré quatre tomes du Journal sans pour autant avoir un tome complet des volumes originels (je ne sais pas si je me fais bien comprendre alors je vais prendre un exemple concret : un de mes volumes comprend le journal intime des années 1903 à 1905, ce qui fait que j’ai seulement la fin de Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne et le début de l’invendable : ça serait assez frustrant si je n’avais pas déjà le Journal au complet, réédité chez Bouquins !)

C’est le même problème avec les Lettres aux Montchal, publiées en trois volumes et dont je n’ai récupéré que le deuxième tome, correspondant aux années 1886-1890.

Mais même si ma découverte reste parcellaire, cette correspondance s’est avérée passionnante.

L’un des plus grands intérêts de ces lettres étant de nous replonger dans la vie du grand écrivain avant que celui-ci décide de la dévoiler dans son journal intime (Le mendiant ingrat débutera en 1892). Et si résonne déjà l’éternelle complainte d’un auteur qui dut toute sa vie se battre pour échapper à la plus noire misère et récupérer, ça et là, quelques pièces de monnaie ; on peut dire que ces quatre années furent riches en rebondissements.

En 1886, Léon Bloy essaye tant bien que mal (son éditeur Stock s’étant rétracté au dernier moment) de publier son Désespéré. Le livre finit par sortir mais le succès escompté ne vient pas et la presse passe sous silence ce qui reste sans doute (avec la femme pauvre dont Bloy commence à parler) son plus grand chef-d’œuvre. On ressent dans la correspondance de l’écrivain sa douleur d’être incompris et son désir de ne plus être considéré comme un simple pamphlétaire mais comme un véritable Artiste, épris d’Absolu.

La publication du Désespéré occupe une bonne partie du début de ces lettres et Bloy a même la gentillesse de révéler à son ami les « clefs » du roman en citant expressément toutes les personnalités qui y apparaissent sous de fausses identités (que ce soit Paul Bourget sous le nom de Alexis Dulaurier ou Alphonse Daudet sous celui de Gaston Chaudesaigues). Pour le lecteur, ces renseignements sont précieux.

Les lettres de Bloy sont un précieux témoignage sur la vie littéraire de l’époque et sur l’ostracisme pesant sur lui et les amis qu’il fréquente alors (Huysmans, Villiers de l’Isle-Adam). On voit l’écrivain tentant de frapper à toutes les portes (c’est même avec stupéfaction que j’ai découvert qu’il avait songé à se réconcilier avec son plus irréductible ennemi : Emile Zola. En Janvier 88, il demande à ses amis d’entreprendre de discrètes démarches pour pousser l’auteur de Germinal à le secourir et écrit ces mots stupéfiants pour qui connaît la violence avec laquelle il attaquera par la suite Zola : « De plus, je vais publier dans mon nouveau livre une étude sur Zola où je dirai, quoique avec de terribles réserves, le puissant artiste que je vois en lui et je dois craindre infiniment d’avoir l’air de vouloir faire payer ma louange. »

La période la plus radieuse pour Bloy durant ces quatre années fut sans aucun doute celle qui commença en décembre 1888 lorsque l’auteur est engagé pour une chronique dans le Gil Blas. Sa collaboration ne fera pas long feu puisqu’il est évincé au mois de février 89, non sans avoir éreinté largement ses contemporains (« Fleury m’apprend que Daudet s’est couché après la lecture de mon article et que sa femme songe à me faire assassiner. »).

Puis les choses se précipitent : en 1889, Bloy voit s’éteindre son protecteur de toujours Barbey d’Aurevilly et son ami Villiers de l’Isle-Adam (je n’avais jamais fait attention à cette coïncidence : les deux grands écrivains légitimistes mourrant juste cent ans après la Révolution française !). C’est aussi à l’époque où commence sa brouille avec Huysmans.

Les premiers mois de 1890 réservent de grosses surprises puisque Bloy annonce à ses amis qu’il est père d’un petit garçon de 18 mois (d’où le redoublement de ses difficultés financières pour élever ce bébé qui faillit mourir à sa naissance) puis qu’il va se marier ; non pas avec la mère de cet enfant, mais avec la fille d’un poète danois (Christian Molbech). Le volume s’achève sur un évènement qui marquera définitivement la rupture entre Bloy et Huysmans : « Huysmans, prié par moi d’être mon témoin, a refusé par un billet d’un laconisme insultant. »

Voilà donc résumée grossièrement la teneur de cette correspondance. Je n’ai pas insisté sur la richesse de la langue de Bloy qui redouble l’intérêt purement biographique de ces lettres et ce tableau impressionniste palpitant du monde des arts et lettres en cette fin de 19ème siècle.

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jeudi, mai 10, 2007

V comme Villiers de l'Isle-Adam

Contes cruels (1883) de Villiers de L’Isle-Adam (Garnier Flammarion. 1980)

Retour au 19ème siècle et à l’un de ces grands aristocrates des lettres que j’apprécie tant, figure assez ambiguë d’une littérature « fin de siècle » dont les contours demeurent parfois un peu flous. Le catholicisme de Villiers nous amènerait bien volontiers à le classer avec des écrivains comme Barbey d’Aurevilly ou Léon Bloy (eux aussi ayant proposé des recueils de « contes cruels » avec respectivement Les diaboliques et Histoires désobligeantes) mais les choses sont plus compliquées, comme en témoigne cet ensemble de contes.

Villiers de l’Isle-Adam reste un écrivain rétif aux étiquettes : certains de ses contes restent très influencés par le Parnasse mais cela n’en fait pas un parnassien pour autant. D’autres cultivent une ironie féroce qui évoque Flaubert mais à peine a-t-on fini un conte satirique qui fustige le bourgeois que nous voilà propulsé dans un univers romantique et morbide qui place alors l’écrivain dans la lignée d’un Poe ou d’un Baudelaire qu’il admirait. Malgré cette apparente diversité de styles (certains contes annoncent aussi le décadentisme et l’on n’oubliera pas que dans A rebours, Des Esseintes possède dans sa bibliothèque des ouvrages de Villiers), les Contes cruels m’ont paru assez « homogènes » et n’ont pas perdu une once de leur force.

Je mets à part le dernier conte, l’annonciateur, horreur de 20 pages qui n’est qu’une caricature ampoulée et totalement démodée du Parnasse. Sur un sujet biblique plutôt pénible pour quiconque n’est pas spécialiste, l’auteur abuse d’un vocabulaire abscons et de références ultra pointues (à la Kabbale…) et nous assomme littéralement (symptomatiquement, sur les 300 notes que comportent l’édition en ma possession de ces contes, 100 sont consacrées à ces vingt dernières pages !). Oubliez donc cette dernière nouvelle ratée et plongez-vous dans le reste : ce n’est que pur délice. Je n’entends pas faire ici une étude détaillée de chaque conte, ni de l’œuvre de Villiers que je connais assez peu (honte à moi ! Je vais me rattraper !). Contentons-nous de noter que ces contes peuvent se regrouper grossièrement sous trois catégories.

La première, c’est la fable vacharde qui s’en prend avec une virulence et une ironie mordante à la bourgeoisie et à sa principale valeur : l’argent. Une de ses stratégies est de retourner sur eux-mêmes des lieux communs, que ce soit l’amour pur devenu un affreux jeu de stratégies vénales (Virginie et Paul) ou encore cette prostituée qui fait la honte de sa famille puisqu’elle sacrifie son gagne-pain à une histoire d’amour, devenant la risée de tous. Dans A s’y méprendre, Villiers affirme l’horreur sans fond que lui inspirent les « affaires » (comme on le comprend !) et il n’hésite pas à recourir au burlesque et à l’exagération grotesque pour peindre ces bourgeois qui s’entre-tuent pour faire triompher leur morale bornée (les bourreaux. « Les bourgeois sont de joyeux vivants, ronds en affaires. Mais sur le chapitre de l’honnêteté, halte-là ! par exemple : intègres à faire pendre un enfant pour une pomme. ») ou qui rivalisent de bêtise dans leur volonté de paraître (le plus beau dîner du monde). Ces contes là sont souvent très drôles, très cinglants même si d’autre font part à une certaine amertume, lorsque l’auteur évoque le sort du Pauvre (une des figures primordiales qui hante la littérature catholique de l’époque et que semblent avoir complètement oublié les consanguins qui se réclament aujourd’hui de ces auteurs !) ou lorsqu’il se met en scène en paria d’une société qui l’a exclu (deux augures, sur le monde du journalisme, est superbement sarcastique).

Deuxième catégorie : les contes qui s’en prennent à la science. Que ce soit l’affichage céleste, qui annonce l’envahissement du ciel par la publicité (ben oui, c’est pas rentable tout cet espace vide !) ou la machine à gloire qui prévoit les rires enregistrés de notre époque ; force est de constater que les constats de Villiers de l’Isle-Adam n’ont rien perdu de leur actualité et qu’il serait peut-être temps de mener une vraie réflexion sur le « pourquoi » du Progrès. Corollaire de ce développement technique : la manière dont l’opinion publique peut-être manipulée et contrôlée. Là encore, la lucidité de l’écrivain fait froid dans le dos…

Dernière catégorie (en répétant qu’elles restent assez arbitraires) : les histoires plus marquées par le surnaturel et imprégnées d’un romantisme noir. Dans ces contes, Villiers se montre un auteur éperdu d’Idéal (religieux mais aussi en terme amoureux) et l’on ressent alors fortement l’influence de Poe et de Baudelaire. Certains contes, tel le sublime Véra (où l’amour triomphe naturellement de la mort), font partie de mes préférés du recueil. Le romantisme et la noire mélancolie de Villiers font merveille et l’Art semble alors l’unique terrain pour quitter la médiocrité du quotidien.

Je m’arrête là pour ce soir en espérant que vous me pardonnerez de m’être contenté de banalités de base. Allez quand même jeter un œil chez ce grand écrivain : il mérite le détour…

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dimanche, janvier 28, 2007

Note de lecture 2007 : Part 2

Poursuivons, si vous le voulez bien, nos notes de lectures, consacrées cette fois à la littérature française. Mes deux, trois lecteurs fidèles ne seront pas surpris de retrouver des noms déjà beaucoup cités en ces pages et appartenant pour la plupart à la même époque (grossièrement, de la Belle-époque aux Années folles).

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Commençons par notre petit chouchou du lot, à savoir Pierre Louÿs. Outre son recueil de poésies érotiques chroniqué ici-même il y a peu ; j’ai également découvert Les aventures du roi Pausole, délicieux conte philosophique (dans la lignée de ceux du XVIIIe) nous narrant les pérégrinations d’un bon roi, souverain d’un Etat imaginaire, dont la fille a soudainement disparu. Ce roi, inutile de préciser qu’il nous est d’emblée sympathique puisque dès les premières pages, l’auteur précise que « ses habitudes étaient, par ordre décroissant, la paresse, le plaisir et la bienfaisance. Il recherchait, en premier lieu, l’inactivité. Puis la satisfaction. Enfin la philanthropie. ». Personnage charismatique, donc ; régnant sur un pays administré comme l’abbaye de Thélème et où priment avant tous les plaisirs, les désirs individuels et la liberté. Par le biais de l’utopie, Louÿs fustige les travers de ses contemporains et les conventions sociales (« …et il n’y a pas d’obéissance qui ne soit désastreuse pour la beauté de l’esprit ») , notamment (et surtout !) dans le domaine des mœurs. Féru des mœurs antiques et fieffé érotomane, Louÿs imagine un royaume où les belles filles se promènent nues toute la journée et où le souverain couche chaque soir avec une reine différente.
Comme toujours chez l’auteur, le livre est donc irrigué d’un érotisme omniprésent même si, contrairement à ses œuvres « libres », cette dimension est ici moins explicite que suggérée. Ce qui prime avant tout dans cette fable, c’est l’humour et son côté farce picaresque que l’écrivain appuie en exacerbant les oppositions de caractère (le poète polisson contre l’ignoble puritain qui surveille le gynécée royal en incarnant l’horreur du regard posé par la religion sur le sexe).
A l’origine, le roman a paru sous forme de feuilleton (comme beaucoup de livres à l’époque) et il faut bien convenir qu’il souffre parfois de son caractère feuilletonesque. Le récit piétine un peu (comme s’il fallait permettre aux lecteurs de la presse de ne pas perdre le fil) ou souffre encore de quelques redondances un peu lourdes.
Ces réserves faites, on savoure sans modération ce conte libertin que résume parfaitement, à mon sens, ce très beau passage :
« Monsieur, l’homme demande qu’on lui fiche la paix ! Chacun est maître de soi-même, de ses opinions, de sa tenue et de ses actes, dans la limite de l’inoffensif. Les citoyens de l’Europe sont las de sentir à toute heure sur leur épaule la main d’une autorité qui se rend insupportable à force d’être toujours présente. Ils tolèrent encore que la loi leur parle au nom de l’intérêt public, mais lorsqu’elle entend prendre la défense de l’individu malgré lui et contre lui, lorsqu’elle régente sa vie intime, son mariage, son divorce, ses volontés dernières, ses lectures, ses spectacles, l’individu a le droit de demander à la loi pourquoi elle entre chez lui sans que personne l’ait invitée ».

Toujours Pierre Louÿs mais cette fois pour un livre composé à l’occasion de sa mort et intitulé sobrement Le tombeau de Pierre Louÿs. Je ne remercierai jamais assez mon frère de m’avoir déniché ce très bel ouvrage numéroté, constitué de témoignages de diverses personnalités (de Paul Valery à Emile Henriot en passant par Claude Farrère) et de superbes fac-similés. Mis à part l’hommage de Claude Farrère (qui exprime ce qu’il doit à Louÿs, moins en terme purement littéraire –Farrère s’est plus inspiré de Loti- qu’en terme de carrière puisque c’est l’auteur de la femme et le pantin qui l’a lancé) ; les textes n’ont pas un énorme intérêt (quoique tout ce qui touche de près ou de loin à Louÿs a de l’intérêt) et se révèlent être un recueil d’oraisons convenues. Reste que ce tombeau a le mérite de nous révéler un visage de l’écrivain que nous ne connaissons plus. Aujourd’hui, force est de constater qu’il est un auteur un peu oublié dont le seul intérêt qu’il suscite éventuellement provient de ses textes pornographiques publiés sous le manteau après sa mort. Or en 1925 (date de sa mort), Pierre Louÿs est un auteur qui n’a plus publié depuis de nombreuses années. Pour tous ces gens qui lui rendent hommage, il représente le souvenir d’un génie précoce (ces grands succès ont été publiés alors qu’il n’avait qu’une vingtaine d’années) , d’un styliste de haut vol et d’un écrivain ayant « gâché » son talent par un régime infernal (la débauche, la cigarette…). Ce tombeau n’est finalement que la face visible (officielle) de l’iceberg Louÿs et l’on sourit aujourd’hui en voyant comment les thuriféraires de l’auteur se contorsionnent pour condamner ses mœurs tout en louant son œuvre, comment ils devinent qu’un autre visage de l’écrivain risque de voir jour (l’un des auteurs évoque les kilos de manuscrits qu’il a laissés) sans oser le dire franchement.
L’impression finale que procure cet ouvrage est celui d’un mystère autour d’un écrivain dont les succès n’ont finalement représenté qu’une petite proportion d’une œuvre immense, méconnue à l’époque…

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Autre figure de la littérature « fin de siècle » dont je vous ai déjà parlée : Rachilde. Je n’avais jusqu’à présent lu qu’un roman de cet écrivain mais il représentait parfaitement cette déliquescence faisandée de cette littérature dite « décadente ». Je n’étais donc pas mécontent d’avoir trouvé un exemplaire dédicacé de Refaire l’amour, roman écrit à la première personne où un peintre tente de séduire une jeune femme qu’il a choisie comme modèle tout en n’arrivant pas à oublier une de ses anciennes conquêtes dont il conserve le souvenir grâce à un tableau…
Ecrit en 1928, ce roman fait déjà partie de l’œuvre tardive de Rachilde et témoigne d’un certain affadissement de son écriture. Après la première guerre mondiale, nombre d’écrivains anticonformistes de la fin du XIXe siècle ont mis de l’eau dans le vin de leur révolte et ont parfois même sombré dans le patriotisme le plus rance (Cf. Jean Richepin). Pour avoir affirmé qu’une « française ne peut pas épouser un allemand », la mère Rachilde recevra même un coup de pied au derrière dans le mythique scandale qu’organisèrent les surréalistes en 1925 lors d’un banquet organisé en l’honneur de Saint-Pol Roux.
Sans être franchement réac, Refaire l’amour ne se départit jamais d’un ton pontifiant et moraliste qui irrite un peu. L’auteur refuse de s’abandonner au romanesque et ne peut s’empêcher de truffer son récit de petits commentaires surplombants qui ne sont d’ailleurs rien d’autre qu’une accumulation de lieux communs bourgeois.
L’intéressant, c’est que le personnage de la fille aimée autrefois est devenu, à l’instar de Rachilde, une vieille rombière de Province. Elle revient donc voir son peintre pour lui racheter la toile, preuve de ses « débauches » passées. L’œuvre devient alors une espèce de portrait schizophrène d’une artiste qui refuse le portrait qu’ont laissé d’elle ses œuvres antérieures. Et par-là, une réflexion (le mot est un peu fort !) sur le pouvoir qu’à l’Art d’arrêter le temps. Le résultat n’est pas inoubliable mais curieux…

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Vous n’y couperez pas : il sera encore question de Claude Farrère dans cette note puisque j’ai lu deux nouveaux romans de cet auteur (rassurez-vous, je n’en ai plus en réserve pour l’instant). A l’instar de l’œuvre de Rachilde, ces deux livres témoignent du déclin de l’œuvre de cet écrivain puisque le meilleur, la bataille date de la fin de la première guerre mondiale tandis que le médiocre le chef a été publié en 1930.
A première vue, ces deux romans s’inscrivent dans la même continuité de livres où Farrère mêlent l’exotisme à l’intime, l’analyse psychologique à l’épique. La bataille nous transporte au Japon en 1905, au cœur du conflit russo-japonais tandis que le chef se déroule au Portugal, à la veille d’une Révolution.
Pourtant, quelque chose a changé entre-temps. Dans la bataille, on retrouve le style délicat et capiteux de Farrère. Mis à part la partie purement guerrière du roman (elle est relativement condensée) que je trouve ennuyeuse à mourir, le roman possède un certain charme qui est celui d’un auteur fasciné par les cultures lointaines. Sans trop forcer le trait, Farrère fustige les personnages japonais qui renient leurs traditions pour s’ « occidentaliser » (en fait, pour s’uniformiser sous le moule –déjà !- américain). Par contre, il laisse aller sa fascination pour la culture ancestrale chinoise dans de très beaux passages où son héros va partager des pipes d’opium avec un vieux chinois. Le roman s’imprègne alors de ces volutes opiacées et touche de manière assez subtile tout ce qui relève des sentiments. Je ne crie pas au chef-d’œuvre mais la bataille fait partie des bons romans du stakhanoviste Farrère.
Par contre, le chef est beaucoup plus pénible. Pourtant, l’auteur nous place du côté d’un leader charismatique communiste prêt à utiliser la colère du peuple pour renverser le pouvoir. Si ce héros est un « pur » (il agit par idéal et non pas par intérêt), son entourage ne l’est pas et sa relation avec la femme d’un marquis ministre finira par entraîner sa chute. Qu’est-ce qui ne fonctionne pas cette fois ? D’une part, Farrère devient beaucoup plus caricatural et ses personnages n’existent que comme des pantins (il faut voir la manière dont l’écrivain peint l’affreux émissaire soviétique qui se charge de l’agit-prop). De l’autre, à l’instar de Rachilde, il ne cesse de pontifier et de consteller son histoire de petites digressions sur, au choix, le danger du communisme, la fin du bon vieux temps, le sens de l’honneur et autres balivernes du même acabit. Sans pouvoir l’affirmer avec certitude (je ne connais pas assez le parcours de cet homme), il semblerait que Farrère soit devenu, l’âge venant, un sacré vieux con. Le fait que l’Académie Française l’ait accueilli en son sein quelques années plus tard me semble corroborer ce diagnostic sévère…

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Terminons ce petit tour d’horizon en quittant cette époque et en remontant le temps jusqu’au milieu du 19ème siècle pour évoquer le très grand écrivain Jules Barbey D’Aurevilly
Je ne connaissais de cet auteur admiré par Bloy que les diaboliques (grand livre). Ecrivain catholique, il nous apparaît aujourd’hui comme le cas typique de cette littérature contre-révolutionnaire qui va fleurir au 19ème en s’obstinant à refuser l’odieux utilitarisme bourgeois. La qualifier de « réactionnaire » n’a pas vraiment de sens car si Barbey prêche en faveur du roi, il se montrera également très « progressiste » en matière d’art (le seul domaine qui vaille !) en soutenant Baudelaire et en bâtissant une œuvre dont le style somptueux annihile les stupides clivages politiques.
De roi il sera question puisque j’ai lu avec beaucoup de plaisir les deux romans « historiques » de Barbey, le chevalier Des Touches et l’ensorcelée ; deux récits ayant pour cadre sa Normandie natale et les guerres chouannes. Le premier narre la manière dont douze de ses compagnons ont tiré un chevalier chouan des griffes des « bleus ». L’écrivain légitimiste choisit clairement son camp et l’on ne pourra pas s’empêcher de sourire à quelques passages grandiloquents où, à la veille de l’expédition, un preux chevalier et sa fidèle dulcinée se proclament mari et femme sous une croix de fortune que les compagnons improvisent avec la lame de leurs épées. Mis à part pour quelques lecteurs nostalgiques des croisades, l’emphase de la scène a quelque chose d’un peu ridicule. Ceci dit, le livre est très bien écrit et d’Aurevilly ne joue pas au grand pontife. Il polit à mesure que le récit avance ses personnages et les rend à la fois plus ambiguës et plus proches. Des Touches possède également une part sombre et n’est pas ce que l’on peut appeler un « modèle ». De la même manière, les chouans ne sont pas toujours présentés sous leur meilleur visage (voir la scène où est évoquée la mort du fils de la gardienne du cachot de Des Touches : les chouans l’ont enterré jusqu’au cou avec d’autres républicains et ont entamé une partie de quilles macabre avec les têtes !) et l’écrivain se méfie des caricatures réductrices.
Toujours est-il que j’ai préféré L’ensorcelée, splendide roman où un prêtre chouan revient officier dans sa paroisse après avoir frôlé la mort (une tentative de suicide lui ayant emporté une partie du visage et les atroces tortures des « bleus » -ils lui ont arraché ses pansements et posés des braises incandescentes sur ses plaies- ont fini de le défigurer) et séduit jusqu’à la folie une femme des environs.
Au-delà du cadre historique, Barbey n’hésite pas à faire entrer dans son récit l’élément surnaturel, à intégrer les traditions et croyances populaires bien ancrées dans sa terre normande. De fait, son livre possède un souffle incandescent rare et nous propulse au cœur d’un combat entre le Bien et le Mal qui outrepasse largement les positions antagonistes des acteurs de la guerre civile. Ce prêtre est à la fois une figure chevaleresque à laquelle l’écrivain pourrait éventuellement s’identifier (serviteur de Dieu et du Roi) mais également une figure satanique, qui bouleverse et envoûte les consciences pour les conduire à la folie et à la mort.
Comme dans les diaboliques, les flammes de l’Enfer soufflent le chaud et le froid dans le cœur des hommes dont l’écrivain dissèque les moindres recoins. Comme on l’observera plus tard chez les écrivains « fin de siècle », il y a chez ce dandy une certaine fascination pour le Mal qui vaut au lecteur quelques passages particulièrement macabres.
Même si on ne partage pas ses idées, on ne peut qu’être séduit par le style éblouissant de l’écrivain Jules Barbey D’Aurevilly !




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