T comme Thoreau
La désobéissance civile (1849) de Henry David Thoreau (Mille et une nuits. 2000)
« J’accepte de tout cœur la devise suivante : « Le meilleur gouvernement est celui qui gouverne le moins » et j’aimerais la voir suivie d’effet plus rapidement et plus systématiquement. Exécutée, elle se résume à ceci, que je crois aussi : « Le meilleur gouvernement est celui qui ne gouverne pas du tout » ; et quand les hommes y seront prêts, tel sera le genre de gouvernement qu’ils auront. »
Ainsi débute la désobéissance civile, le plus célèbre des pamphlets anti-étatiques de Thoreau que les éditeurs se plaisent à rééditer régulièrement (tout récemment, j’ai aperçu en rayons une nouvelle édition de ce texte). Tout se passe comme si à l’heure de la plus navrante des inerties sociales et du plus mou des consensus, certains cherchaient encore à donner des petits coups de fouet pour réveiller une opinion endormie aux vapeurs du capitalisme mondialisé et aux joies de l’économie marchande. Quoi de mieux donc que ce lucide petit traité d’insoumission et de résistance à l’ordre des choses ?
Lorsqu’en 1844 les Etats-Unis déclarent la guerre au Mexique, Thoreau s’insurge contre une guerre qu’il juge inique et refuse de se soumettre à un gouvernement qui tolère encore l’esclavage. Mais loin de se contenter de jouer les belles âmes, il joint les actes à sa parole et, en guise de protestation, refuse de payer des impôts à un Etat qu’il ne reconnaît pas. Ce geste d’insoumission lui vaudra de passer une nuit en prison, comme il le raconte dans la désobéissance civile.
La position de l’essayiste est très claire : il ne sert à rien, lorsqu’une idée est juste (en l’occurrence, il s’agit ici de l’abolition de l’esclavage), d’attendre qu’elle pénètre les esprits de la majorité mais de l’imposer par quelques moyens que ce soit. Et lorsqu’un Etat applique une politique qui ne correspond pas à une certaine idée de la Justice humaine, il est du devoir du citoyen de désobéir et de refuser tout lien avec ce gouvernement, en ne payant pas l’impôt par exemple.
La pensée de Thoreau est ambivalente, à la fois très intéressante mais aussi, par certains aspects, un brin limitée. Le plus percutant, c’est la critique acerbe qu’il livre des majorités silencieuses. Il ne va pas aussi loin qu’Ibsen dans son génial Un ennemi du peuple (« la majorité n’a jamais raison […] La majorité a la force…malheureusement…Mais elle n’a pas la raison. ») mais il affirme la primauté des consciences individuelles sur la majorité. Il suffit de songer, non sans effroi, aux résultats que donnerait un référendum sur la peine de mort pour se convaincre de l’actualité de ce petit essai. Du coup, l’auteur remet en question l’idée même de suffrage majoritaire et écrit : « Même voter pour la justice, ce n’est rien faire pour elle. C’est se contenter d’exprimer un faible désir de la voir prévaloir. Le sage ne laissera pas la justice à la merci du hasard, il ne souhaitera pas la voir l’emporter par le pouvoir de la majorité. Il y a peu de vertu dans l’action des masses d’hommes. ». Le devoir de tout un chacun est donc de refuser d’apporter un soutien objectif à une quelconque « raison d’Etat », même si cet Etat est censé représenté la majorité des citoyens.
Beau programme où l’individu prime sur la société. Malheureusement, le programme de Thoreau reste entaché d’un certain idéalisme. L’individu que met en avant le penseur reste bridé par une idée de Justice, d’Absolu dont il ne cherche pas à définir les contours. D’où cette religiosité (panthéiste certes, Thoreau ayant rompu avec la civilisation et grâce à Emerson et quelques autres, s’était installé dans les bois pour vivre dans une cabane) qui imprègne le texte et qui ne précise jamais à quel titre telle cause est plus « juste » qu’une autre (on imagine très bien le futur élu à la présidence, pro-européen convaincu, faisant adopter la constitution européenne refusée par référendum en se réclamant de Thoreau ! Ok, il faudrait qu’ils aient un minimum de culture –ce qui n’est pas le cas !- mais l’idée reste plausible).
Les gestes de refus, d’insoumission et de désobéissance que préconisent Thoreau sont toujours d’actualité et sa voix mérite d’être entendue. Dommage qu’il n’arrive pas totalement à libérer son individu de son idée de Justice Absolue et que son appel à la résistance reste entravé par ce carcan idéaliste…
Libellés : Etat, insoumission, Thoreau
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