U comme Ungar
Les hommes mutilés (1928) de Hermann Ungar (Gallimard. L’imaginaire. 2005)
En arrivant à la lettre U, j’ai vu mon choix de lectures diminuer de façon considérable et me suis retrouvé face à des auteurs que je ne connaissais pas. Dans un cas semblable, c’est la collection du bouquin qui a fini par déterminer mon choix. L’imaginaire représente sans doute le plus beau catalogue de l’illustre maison Gallimard et je vous conseille d’arpenter vos librairies car certains de ces livres viennent d’être réédités avec des CD documentaires ou des films en DVD (l’adaptation par Cronenberg du Festin nu de Burroughs, celle d’Effi Briest de Fontane par Fassbinder…). Avis aux collectionneurs !
Le nom d’Hermann Ungar, auteur sur qui j’ai fini par jeter mon dévolu, m’était parfaitement inconnu jusqu’ici. Mais la quatrième de couverture annonçant un univers proche de celui de Kafka a fini par me convaincre.
Ungar est un écrivain tchèque de langue allemande du début du siècle (1893-1929) qui côtoya, entre autres, quelqu’un comme Stephen Zweig. Les hommes mutilés est un court roman qui met en scène la vie ordinaire d’un terne petit employé de banque. Franz Polzer est un petit homme gris, toujours ponctuel à son travail et terrorisé par le moindre accroc dans son quotidien réglé comme du papier à musique (se lever, cirer ses chaussures, comparer des chiffres à la banque et parapher des feuilles…). Logé chez une veuve qui l’entraîne dans son lit, Franz va voir sa vie basculer lorsque ressurgit du passé son ami d’enfance Carl. Ce dernier est atteint d’une maladie qui lui gangrène tous les membres et il confie à son ancien camarade ses craintes au sujet de sa femme dévouée qu’il soupçonne de sombres desseins…
Kafka oui ! Pour cet univers gris et terne, pour ce petit fonctionnaire médiocre et anonyme qui glisse irrémédiablement dans un monde de folies et de névroses. Même si ce livre ne m’a pas paru avoir la force et la densité de chef-d’œuvres comme la métamorphose ou le procès, ce fut indéniablement une belle découverte.
Ungar dépeint avec beaucoup de justesse le portrait d’un homme qui n’est rien d’autre qu’un nœud de complexes, de frustrations, de névroses et de phobies. Complexe social : Franz vient d’un milieu pauvre et supporte mal ses origines sociales modestes, ayant conscience du poids du regard des autres. Lorsque deux petites filles se moquent soudainement de son chapeau dans la rue et attirent tous les regards sur lui, j’ai songé à certaines toiles de Magritte et de cette foule en chapeau melon qui semble vous scruter et vous persécuter seulement par le regard. Tout se passe comme si ce personnage voulait sans cesse rentrer sous terre et ne pas faire de vagues en accomplissant chaque jour les mêmes gestes de la manière la plus discrète possible.
Cette phobie de l’altérité, Ungar la traduit de manière assez forte. Il l’explique notamment par des complexes liés à l’enfance de Franz : un père violent, une belle-mère détestée…Elle se traduit également par une véritable phobie du sexe et un dégoût pour le corps féminin (sans trop appuyer sur cette dimension, on perçoit l’homosexualité refoulée de Franz). Là encore, le roman m’a fait penser à des tableaux mais cette fois à l’expressionnisme allemand ou encore ceux d’Egon Schiele. Les descriptions de la chair que nous offre Ungar, via le regard de Franz, sont assez terribles : peaux jaunâtres, seins flasques, corps graisseux, odeurs répugnantes, poils noirs entre les seins et haleines chaudes sont des termes qui reviennent régulièrement pour traduire la répulsion de cet homme pour le sexe.
Le livre est hanté par la putréfaction des corps (voir le personnage de Carl), par la décomposition de la chair et les rapports phobiques au sexe. Ungar nous fait pénétrer (si j’ose dire !) dans un univers assez malsain (dans le bon sens -littéraire- du terme) où les névroses des personnages semblent se dessiner physiquement, dans leurs chairs.
On l’aura compris, les hommes mutilés n’est pas un livre gai mais un objet curieux, névrotique et finalement assez envoûtant (la frontière entre le réel et le cauchemar devient, à certains moments, presque floue…). Il mérite donc votre attention…
Libellés : Expressionnisme, Kafka, littérature., Ungar
0 Comments:
Enregistrer un commentaire
<< Home