V comme Villiers de l'Isle-Adam
Contes cruels (1883) de Villiers de L’Isle-Adam (Garnier Flammarion. 1980)
Retour au 19ème siècle et à l’un de ces grands aristocrates des lettres que j’apprécie tant, figure assez ambiguë d’une littérature « fin de siècle » dont les contours demeurent parfois un peu flous. Le catholicisme de Villiers nous amènerait bien volontiers à le classer avec des écrivains comme Barbey d’Aurevilly ou Léon Bloy (eux aussi ayant proposé des recueils de « contes cruels » avec respectivement Les diaboliques et Histoires désobligeantes) mais les choses sont plus compliquées, comme en témoigne cet ensemble de contes.
Villiers de l’Isle-Adam reste un écrivain rétif aux étiquettes : certains de ses contes restent très influencés par le Parnasse mais cela n’en fait pas un parnassien pour autant. D’autres cultivent une ironie féroce qui évoque Flaubert mais à peine a-t-on fini un conte satirique qui fustige le bourgeois que nous voilà propulsé dans un univers romantique et morbide qui place alors l’écrivain dans la lignée d’un Poe ou d’un Baudelaire qu’il admirait. Malgré cette apparente diversité de styles (certains contes annoncent aussi le décadentisme et l’on n’oubliera pas que dans A rebours, Des Esseintes possède dans sa bibliothèque des ouvrages de Villiers), les Contes cruels m’ont paru assez « homogènes » et n’ont pas perdu une once de leur force.
Je mets à part le dernier conte, l’annonciateur, horreur de 20 pages qui n’est qu’une caricature ampoulée et totalement démodée du Parnasse. Sur un sujet biblique plutôt pénible pour quiconque n’est pas spécialiste, l’auteur abuse d’un vocabulaire abscons et de références ultra pointues (à la Kabbale…) et nous assomme littéralement (symptomatiquement, sur les 300 notes que comportent l’édition en ma possession de ces contes, 100 sont consacrées à ces vingt dernières pages !). Oubliez donc cette dernière nouvelle ratée et plongez-vous dans le reste : ce n’est que pur délice. Je n’entends pas faire ici une étude détaillée de chaque conte, ni de l’œuvre de Villiers que je connais assez peu (honte à moi ! Je vais me rattraper !). Contentons-nous de noter que ces contes peuvent se regrouper grossièrement sous trois catégories.
La première, c’est la fable vacharde qui s’en prend avec une virulence et une ironie mordante à la bourgeoisie et à sa principale valeur : l’argent. Une de ses stratégies est de retourner sur eux-mêmes des lieux communs, que ce soit l’amour pur devenu un affreux jeu de stratégies vénales (Virginie et Paul) ou encore cette prostituée qui fait la honte de sa famille puisqu’elle sacrifie son gagne-pain à une histoire d’amour, devenant la risée de tous. Dans A s’y méprendre, Villiers affirme l’horreur sans fond que lui inspirent les « affaires » (comme on le comprend !) et il n’hésite pas à recourir au burlesque et à l’exagération grotesque pour peindre ces bourgeois qui s’entre-tuent pour faire triompher leur morale bornée (les bourreaux. « Les bourgeois sont de joyeux vivants, ronds en affaires. Mais sur le chapitre de l’honnêteté, halte-là ! par exemple : intègres à faire pendre un enfant pour une pomme. ») ou qui rivalisent de bêtise dans leur volonté de paraître (le plus beau dîner du monde). Ces contes là sont souvent très drôles, très cinglants même si d’autre font part à une certaine amertume, lorsque l’auteur évoque le sort du Pauvre (une des figures primordiales qui hante la littérature catholique de l’époque et que semblent avoir complètement oublié les consanguins qui se réclament aujourd’hui de ces auteurs !) ou lorsqu’il se met en scène en paria d’une société qui l’a exclu (deux augures, sur le monde du journalisme, est superbement sarcastique).
Deuxième catégorie : les contes qui s’en prennent à la science. Que ce soit l’affichage céleste, qui annonce l’envahissement du ciel par la publicité (ben oui, c’est pas rentable tout cet espace vide !) ou la machine à gloire qui prévoit les rires enregistrés de notre époque ; force est de constater que les constats de Villiers de l’Isle-Adam n’ont rien perdu de leur actualité et qu’il serait peut-être temps de mener une vraie réflexion sur le « pourquoi » du Progrès. Corollaire de ce développement technique : la manière dont l’opinion publique peut-être manipulée et contrôlée. Là encore, la lucidité de l’écrivain fait froid dans le dos…
Dernière catégorie (en répétant qu’elles restent assez arbitraires) : les histoires plus marquées par le surnaturel et imprégnées d’un romantisme noir. Dans ces contes, Villiers se montre un auteur éperdu d’Idéal (religieux mais aussi en terme amoureux) et l’on ressent alors fortement l’influence de Poe et de Baudelaire. Certains contes, tel le sublime Véra (où l’amour triomphe naturellement de la mort), font partie de mes préférés du recueil. Le romantisme et la noire mélancolie de Villiers font merveille et l’Art semble alors l’unique terrain pour quitter la médiocrité du quotidien.
Je m’arrête là pour ce soir en espérant que vous me pardonnerez de m’être contenté de banalités de base. Allez quand même jeter un œil chez ce grand écrivain : il mérite le détour…
Libellés : Barbey d'Aurevilly, Baudelaire, Bloy, littérature., Parnasse, Poe, romantisme, Villiers de l'Isle-Adam
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