Redécouvrir Paul Nougé
Histoire de ne pas rire (L’âge d’homme.1980) et L’expérience continue (L’âge d’homme.1981) de Paul Nougé
« Rien mais rien qui soit rien »
Ami de Magritte, de Paulhan, de Ponge ; Paul Nougé (1895-1967) fut l’une des figures de poupe du surréalisme belge. Il collabore à la revue Les lèvres nues de Marcel Mariën1 en compagnie de Louis Scutenaire, E.L.T.Mesens et Camille Goemans (entre autres) mais ne cherchera jamais à faire « œuvre ». D’où sans doute sa distance bienveillante (pendant la guerre, il ne cessera de louer la liberté de la geste surréaliste) avec les surréalistes français. Ce qu’il fuit à tout prix, c’est l’étiquette « surréaliste » et le risque de se voir figer dans le domaine culturel : « Regarder jouer aux échecs, à la balle, aux sept arts nous amuse quelque peu, mais l’avènement d’un art nouveau ne nous préoccupe guère. L’art est démobilisé, par ailleurs –il s’agit de vivre. » écrit-il en 1925 à André Breton.
Ce refus de tout embrigadement, cette volonté acharnée de ne rien publier expliquent sans doute que l’œuvre de Nougé reste à ce point méconnue. Au début des années 80, les éditions l’âge d’homme ont entrepris de compiler les textes de Nougé. Dans Histoire de ne pas rire, on trouvera ses textes théoriques tandis que dans L’expérience continue sont regroupés ses écrits poétiques.
Commençons par la théorie, voulez-vous. Dans ses essais (où se trouvent également regroupées sa correspondance et les réponses données à diverses enquêtes), Nougé disserte sur le cinéma, la peinture, la musique, la poésie et l’évolution de l’art en général (d’où de fréquentes mises au point quand à sa position vis-à-vis du surréalisme). Deux idées principales doivent être dégagées. D’une part, la primauté d’une pensée en action (voir le très beau texte intitulé l’action immédiate) et la fameuse théorie des « objets bouleversants ». Nougé note qu’ « ainsi apparaît la nature véritable de l’objet : il doit son existence à l’acte de notre esprit qui l’invente ». Il tente alors de définir une véritable poétique de l’objet, de donner aux objets les plus banals une vertu subversive en leur conférant une nouvelle réalité totalement subjective où l’esprit individuel va se perdre : « L’on peut remarquer encore que plus la réalité d’un objet est puissante, plus cette réalité a réussi, plus les chances sont grandes également de pouvoir par une invention nouvelle l’étendre, l’enrichir ou la bouleverser pour en tirer une réalité nouvelle. » D’où son attachement pour les objets les plus banals que l’esprit parvient à isoler pour leur donner une nouvelle réalité. Cet acte de transfiguration des objets, Nougé le voit, à juste titre, dans la peinture de Magritte qu’il ne va cesser de défendre. Une grande partie (un tiers) d’Histoire de ne pas rire est centrée sur l’analyse et la défense de l’œuvre du grand peintre.
On trouvera également dans ce recueil ce délicieux récit d’un tour pendable dont Nougé et ses camarades des lèvres nues n’étaient pas avares. En 1928, suite à une conférence d’André Gide, Nougé lui offre une sangsue dans un bocal avec un mot qui précise qu’elle s’appelle Alissa (« nom de l’héroïne inhumainement éthérée d’une nouvelle de M.Gide » [Mariën]) et qui lui fournit quelques indications sur la manière de nourrir la bestiole (le texte est très drôle).
Dans sa monumentale Anthologie de la subversion carabinée, Noël Godin se montre très sévère pour Paul Nougé, estimant qu’on peut « gaillardement se passer de le lire pour peu qu’on ne tienne guère à devoir chaque fois s’entifler cent soixante-dix pages de haute poésie torcheculo-farcineuse pour quatre-cinq lignes valant leur pesant d’orties ». Je ne souscris évidemment pas à ce jugement mais j’admets que dans les 700 pages que je viens de me goinfrer, certaines sont totalement indigestes, hermétiques à souhait et d’un ennui considérable. Mais il n’y a pas que du bran dans L’expérience continue (euh, oui ! c’était juste une transition pour attaquer les œuvres poétiques !). Certes, il me semble qu’on peut raisonnablement se dispenser du Dessous des cartes (un spectacle mis en musique par André Souris) et de certains poèmes sibyllins. Par contre, j’aime beaucoup Le jeu des mots et du hasard, jeu de 52 cartes où sont inscrites des phrases permettant d’inventer toutes sortes de combinaisons poétiques (« la table importe peu si vous faites TABLE RASE. Battez. Retournez une à une, alignez les cartes. Il arrive que le jeu vous donne CARTE BLANCHE. Mais qu’il en soit pour l’instant à dépendre de vous, prenez garde : LE JEU NE VAUT QUE SELON LA CHANDELLE. Avancez doucement jusqu’à la cinquante-deuxième carte. Battez. Reprenez. Si vous abandonnez vous êtes PERDU. ») . J’aime également l’Hommage à Seurat (une même scène dans un cirque vu selon différents points de vue) et La chambre aux miroirs, 38 petits paragraphes s’attachant à décrire des types féminins. Une véritable poésie finit par se dégager de ces descriptions au départ très anatomiques (« 5 – Une jeune fille. Docile. Très noire. Se présente de face. Beaux seins rigides et colorés. Ventre étonnamment étroit et plat. Forte et longue toison dressée. ») et m’a fait songer au très beau court-métrage d’Olivier Smolders L’amateur.
Mais ce que je préfère par-dessus tout dans ce recueil, c’est La poésie transfigurée où Nougé détourne allègrement les slogans publicitaires (l’idée de bouleverser les objets banals) et en fait de vibrants appels à l’action individuelle. Je vous renvoie à une note précédente et vous offre encore deux spécimens de cette nouvelle « publicité » en guise de conclusion.
1 En 1955, la revue octroie le Prix de la Bêtise humaine conjointement au roi Baudouin pour son voyage au Congo belge et à André Malraux pour l’ensemble de son œuvre esthétique. Vous pouvez imaginer à quel point ce genre de provocation me réjouit !
« Rien mais rien qui soit rien »
Ami de Magritte, de Paulhan, de Ponge ; Paul Nougé (1895-1967) fut l’une des figures de poupe du surréalisme belge. Il collabore à la revue Les lèvres nues de Marcel Mariën1 en compagnie de Louis Scutenaire, E.L.T.Mesens et Camille Goemans (entre autres) mais ne cherchera jamais à faire « œuvre ». D’où sans doute sa distance bienveillante (pendant la guerre, il ne cessera de louer la liberté de la geste surréaliste) avec les surréalistes français. Ce qu’il fuit à tout prix, c’est l’étiquette « surréaliste » et le risque de se voir figer dans le domaine culturel : « Regarder jouer aux échecs, à la balle, aux sept arts nous amuse quelque peu, mais l’avènement d’un art nouveau ne nous préoccupe guère. L’art est démobilisé, par ailleurs –il s’agit de vivre. » écrit-il en 1925 à André Breton.
Ce refus de tout embrigadement, cette volonté acharnée de ne rien publier expliquent sans doute que l’œuvre de Nougé reste à ce point méconnue. Au début des années 80, les éditions l’âge d’homme ont entrepris de compiler les textes de Nougé. Dans Histoire de ne pas rire, on trouvera ses textes théoriques tandis que dans L’expérience continue sont regroupés ses écrits poétiques.
Commençons par la théorie, voulez-vous. Dans ses essais (où se trouvent également regroupées sa correspondance et les réponses données à diverses enquêtes), Nougé disserte sur le cinéma, la peinture, la musique, la poésie et l’évolution de l’art en général (d’où de fréquentes mises au point quand à sa position vis-à-vis du surréalisme). Deux idées principales doivent être dégagées. D’une part, la primauté d’une pensée en action (voir le très beau texte intitulé l’action immédiate) et la fameuse théorie des « objets bouleversants ». Nougé note qu’ « ainsi apparaît la nature véritable de l’objet : il doit son existence à l’acte de notre esprit qui l’invente ». Il tente alors de définir une véritable poétique de l’objet, de donner aux objets les plus banals une vertu subversive en leur conférant une nouvelle réalité totalement subjective où l’esprit individuel va se perdre : « L’on peut remarquer encore que plus la réalité d’un objet est puissante, plus cette réalité a réussi, plus les chances sont grandes également de pouvoir par une invention nouvelle l’étendre, l’enrichir ou la bouleverser pour en tirer une réalité nouvelle. » D’où son attachement pour les objets les plus banals que l’esprit parvient à isoler pour leur donner une nouvelle réalité. Cet acte de transfiguration des objets, Nougé le voit, à juste titre, dans la peinture de Magritte qu’il ne va cesser de défendre. Une grande partie (un tiers) d’Histoire de ne pas rire est centrée sur l’analyse et la défense de l’œuvre du grand peintre.
On trouvera également dans ce recueil ce délicieux récit d’un tour pendable dont Nougé et ses camarades des lèvres nues n’étaient pas avares. En 1928, suite à une conférence d’André Gide, Nougé lui offre une sangsue dans un bocal avec un mot qui précise qu’elle s’appelle Alissa (« nom de l’héroïne inhumainement éthérée d’une nouvelle de M.Gide » [Mariën]) et qui lui fournit quelques indications sur la manière de nourrir la bestiole (le texte est très drôle).
Dans sa monumentale Anthologie de la subversion carabinée, Noël Godin se montre très sévère pour Paul Nougé, estimant qu’on peut « gaillardement se passer de le lire pour peu qu’on ne tienne guère à devoir chaque fois s’entifler cent soixante-dix pages de haute poésie torcheculo-farcineuse pour quatre-cinq lignes valant leur pesant d’orties ». Je ne souscris évidemment pas à ce jugement mais j’admets que dans les 700 pages que je viens de me goinfrer, certaines sont totalement indigestes, hermétiques à souhait et d’un ennui considérable. Mais il n’y a pas que du bran dans L’expérience continue (euh, oui ! c’était juste une transition pour attaquer les œuvres poétiques !). Certes, il me semble qu’on peut raisonnablement se dispenser du Dessous des cartes (un spectacle mis en musique par André Souris) et de certains poèmes sibyllins. Par contre, j’aime beaucoup Le jeu des mots et du hasard, jeu de 52 cartes où sont inscrites des phrases permettant d’inventer toutes sortes de combinaisons poétiques (« la table importe peu si vous faites TABLE RASE. Battez. Retournez une à une, alignez les cartes. Il arrive que le jeu vous donne CARTE BLANCHE. Mais qu’il en soit pour l’instant à dépendre de vous, prenez garde : LE JEU NE VAUT QUE SELON LA CHANDELLE. Avancez doucement jusqu’à la cinquante-deuxième carte. Battez. Reprenez. Si vous abandonnez vous êtes PERDU. ») . J’aime également l’Hommage à Seurat (une même scène dans un cirque vu selon différents points de vue) et La chambre aux miroirs, 38 petits paragraphes s’attachant à décrire des types féminins. Une véritable poésie finit par se dégager de ces descriptions au départ très anatomiques (« 5 – Une jeune fille. Docile. Très noire. Se présente de face. Beaux seins rigides et colorés. Ventre étonnamment étroit et plat. Forte et longue toison dressée. ») et m’a fait songer au très beau court-métrage d’Olivier Smolders L’amateur.
Mais ce que je préfère par-dessus tout dans ce recueil, c’est La poésie transfigurée où Nougé détourne allègrement les slogans publicitaires (l’idée de bouleverser les objets banals) et en fait de vibrants appels à l’action individuelle. Je vous renvoie à une note précédente et vous offre encore deux spécimens de cette nouvelle « publicité » en guise de conclusion.
1 En 1955, la revue octroie le Prix de la Bêtise humaine conjointement au roi Baudouin pour son voyage au Congo belge et à André Malraux pour l’ensemble de son œuvre esthétique. Vous pouvez imaginer à quel point ce genre de provocation me réjouit !
Libellés : Belgique, Magritte, Märien, Mesens, Nougé, Scutenaire, surréalisme
6 Comments:
Que d'imprécisions et d'erreurs!
C'est fort possible : je ne suis pas critique littéraire. Néanmoins, j'aurai aimé que vous soyez également plus précis et que vous nous fassiez profiter de vos lumières...
Je devais être particulièrement agacé et exaspéré (pour de multiples raisons trop longues à énumérer ici, mais en rapport avec ma remarque) lorsque j'ai posté ce commentaire laconique et incisif, mais aussi totalement vide et donc sans aucun intérêt.
J'écoute, en ce moment-même, le seul enregistrement existant de la voix de Paul Nougé.
Approfondissez ce sujet!
Vaste entreprise…
Bonjour, je me demande d'où proviennent ces citations sur les objets bouleversants :
« ainsi apparaît la nature véritable de l’objet : il doit son existence à l’acte de notre esprit qui l’invente »
« L’on peut remarquer encore que plus la réalité d’un objet est puissante, plus cette réalité a réussi, plus les chances sont grandes également de pouvoir par une invention nouvelle l’étendre, l’enrichir ou la bouleverser pour en tirer une réalité nouvelle. » ?
Merci par avance
Désolé, je n'avais lu qu'un extrait de ce texte. Voilà, alors pour me faire pardonner, ces deux textes sont disponibles à la BNF pour ceux que ça intéresse.
Magnifique article ! Chapeau bas pour ce grand professionnel et son côté chaleureux ! J'aime vraiment votre site, simple, coloré et chaleureux lui aussi.
Enregistrer un commentaire
<< Home