La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

dimanche, janvier 28, 2007

Note de lecture 2007 : Part 2

Poursuivons, si vous le voulez bien, nos notes de lectures, consacrées cette fois à la littérature française. Mes deux, trois lecteurs fidèles ne seront pas surpris de retrouver des noms déjà beaucoup cités en ces pages et appartenant pour la plupart à la même époque (grossièrement, de la Belle-époque aux Années folles).

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Commençons par notre petit chouchou du lot, à savoir Pierre Louÿs. Outre son recueil de poésies érotiques chroniqué ici-même il y a peu ; j’ai également découvert Les aventures du roi Pausole, délicieux conte philosophique (dans la lignée de ceux du XVIIIe) nous narrant les pérégrinations d’un bon roi, souverain d’un Etat imaginaire, dont la fille a soudainement disparu. Ce roi, inutile de préciser qu’il nous est d’emblée sympathique puisque dès les premières pages, l’auteur précise que « ses habitudes étaient, par ordre décroissant, la paresse, le plaisir et la bienfaisance. Il recherchait, en premier lieu, l’inactivité. Puis la satisfaction. Enfin la philanthropie. ». Personnage charismatique, donc ; régnant sur un pays administré comme l’abbaye de Thélème et où priment avant tous les plaisirs, les désirs individuels et la liberté. Par le biais de l’utopie, Louÿs fustige les travers de ses contemporains et les conventions sociales (« …et il n’y a pas d’obéissance qui ne soit désastreuse pour la beauté de l’esprit ») , notamment (et surtout !) dans le domaine des mœurs. Féru des mœurs antiques et fieffé érotomane, Louÿs imagine un royaume où les belles filles se promènent nues toute la journée et où le souverain couche chaque soir avec une reine différente.
Comme toujours chez l’auteur, le livre est donc irrigué d’un érotisme omniprésent même si, contrairement à ses œuvres « libres », cette dimension est ici moins explicite que suggérée. Ce qui prime avant tout dans cette fable, c’est l’humour et son côté farce picaresque que l’écrivain appuie en exacerbant les oppositions de caractère (le poète polisson contre l’ignoble puritain qui surveille le gynécée royal en incarnant l’horreur du regard posé par la religion sur le sexe).
A l’origine, le roman a paru sous forme de feuilleton (comme beaucoup de livres à l’époque) et il faut bien convenir qu’il souffre parfois de son caractère feuilletonesque. Le récit piétine un peu (comme s’il fallait permettre aux lecteurs de la presse de ne pas perdre le fil) ou souffre encore de quelques redondances un peu lourdes.
Ces réserves faites, on savoure sans modération ce conte libertin que résume parfaitement, à mon sens, ce très beau passage :
« Monsieur, l’homme demande qu’on lui fiche la paix ! Chacun est maître de soi-même, de ses opinions, de sa tenue et de ses actes, dans la limite de l’inoffensif. Les citoyens de l’Europe sont las de sentir à toute heure sur leur épaule la main d’une autorité qui se rend insupportable à force d’être toujours présente. Ils tolèrent encore que la loi leur parle au nom de l’intérêt public, mais lorsqu’elle entend prendre la défense de l’individu malgré lui et contre lui, lorsqu’elle régente sa vie intime, son mariage, son divorce, ses volontés dernières, ses lectures, ses spectacles, l’individu a le droit de demander à la loi pourquoi elle entre chez lui sans que personne l’ait invitée ».

Toujours Pierre Louÿs mais cette fois pour un livre composé à l’occasion de sa mort et intitulé sobrement Le tombeau de Pierre Louÿs. Je ne remercierai jamais assez mon frère de m’avoir déniché ce très bel ouvrage numéroté, constitué de témoignages de diverses personnalités (de Paul Valery à Emile Henriot en passant par Claude Farrère) et de superbes fac-similés. Mis à part l’hommage de Claude Farrère (qui exprime ce qu’il doit à Louÿs, moins en terme purement littéraire –Farrère s’est plus inspiré de Loti- qu’en terme de carrière puisque c’est l’auteur de la femme et le pantin qui l’a lancé) ; les textes n’ont pas un énorme intérêt (quoique tout ce qui touche de près ou de loin à Louÿs a de l’intérêt) et se révèlent être un recueil d’oraisons convenues. Reste que ce tombeau a le mérite de nous révéler un visage de l’écrivain que nous ne connaissons plus. Aujourd’hui, force est de constater qu’il est un auteur un peu oublié dont le seul intérêt qu’il suscite éventuellement provient de ses textes pornographiques publiés sous le manteau après sa mort. Or en 1925 (date de sa mort), Pierre Louÿs est un auteur qui n’a plus publié depuis de nombreuses années. Pour tous ces gens qui lui rendent hommage, il représente le souvenir d’un génie précoce (ces grands succès ont été publiés alors qu’il n’avait qu’une vingtaine d’années) , d’un styliste de haut vol et d’un écrivain ayant « gâché » son talent par un régime infernal (la débauche, la cigarette…). Ce tombeau n’est finalement que la face visible (officielle) de l’iceberg Louÿs et l’on sourit aujourd’hui en voyant comment les thuriféraires de l’auteur se contorsionnent pour condamner ses mœurs tout en louant son œuvre, comment ils devinent qu’un autre visage de l’écrivain risque de voir jour (l’un des auteurs évoque les kilos de manuscrits qu’il a laissés) sans oser le dire franchement.
L’impression finale que procure cet ouvrage est celui d’un mystère autour d’un écrivain dont les succès n’ont finalement représenté qu’une petite proportion d’une œuvre immense, méconnue à l’époque…

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Autre figure de la littérature « fin de siècle » dont je vous ai déjà parlée : Rachilde. Je n’avais jusqu’à présent lu qu’un roman de cet écrivain mais il représentait parfaitement cette déliquescence faisandée de cette littérature dite « décadente ». Je n’étais donc pas mécontent d’avoir trouvé un exemplaire dédicacé de Refaire l’amour, roman écrit à la première personne où un peintre tente de séduire une jeune femme qu’il a choisie comme modèle tout en n’arrivant pas à oublier une de ses anciennes conquêtes dont il conserve le souvenir grâce à un tableau…
Ecrit en 1928, ce roman fait déjà partie de l’œuvre tardive de Rachilde et témoigne d’un certain affadissement de son écriture. Après la première guerre mondiale, nombre d’écrivains anticonformistes de la fin du XIXe siècle ont mis de l’eau dans le vin de leur révolte et ont parfois même sombré dans le patriotisme le plus rance (Cf. Jean Richepin). Pour avoir affirmé qu’une « française ne peut pas épouser un allemand », la mère Rachilde recevra même un coup de pied au derrière dans le mythique scandale qu’organisèrent les surréalistes en 1925 lors d’un banquet organisé en l’honneur de Saint-Pol Roux.
Sans être franchement réac, Refaire l’amour ne se départit jamais d’un ton pontifiant et moraliste qui irrite un peu. L’auteur refuse de s’abandonner au romanesque et ne peut s’empêcher de truffer son récit de petits commentaires surplombants qui ne sont d’ailleurs rien d’autre qu’une accumulation de lieux communs bourgeois.
L’intéressant, c’est que le personnage de la fille aimée autrefois est devenu, à l’instar de Rachilde, une vieille rombière de Province. Elle revient donc voir son peintre pour lui racheter la toile, preuve de ses « débauches » passées. L’œuvre devient alors une espèce de portrait schizophrène d’une artiste qui refuse le portrait qu’ont laissé d’elle ses œuvres antérieures. Et par-là, une réflexion (le mot est un peu fort !) sur le pouvoir qu’à l’Art d’arrêter le temps. Le résultat n’est pas inoubliable mais curieux…

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Vous n’y couperez pas : il sera encore question de Claude Farrère dans cette note puisque j’ai lu deux nouveaux romans de cet auteur (rassurez-vous, je n’en ai plus en réserve pour l’instant). A l’instar de l’œuvre de Rachilde, ces deux livres témoignent du déclin de l’œuvre de cet écrivain puisque le meilleur, la bataille date de la fin de la première guerre mondiale tandis que le médiocre le chef a été publié en 1930.
A première vue, ces deux romans s’inscrivent dans la même continuité de livres où Farrère mêlent l’exotisme à l’intime, l’analyse psychologique à l’épique. La bataille nous transporte au Japon en 1905, au cœur du conflit russo-japonais tandis que le chef se déroule au Portugal, à la veille d’une Révolution.
Pourtant, quelque chose a changé entre-temps. Dans la bataille, on retrouve le style délicat et capiteux de Farrère. Mis à part la partie purement guerrière du roman (elle est relativement condensée) que je trouve ennuyeuse à mourir, le roman possède un certain charme qui est celui d’un auteur fasciné par les cultures lointaines. Sans trop forcer le trait, Farrère fustige les personnages japonais qui renient leurs traditions pour s’ « occidentaliser » (en fait, pour s’uniformiser sous le moule –déjà !- américain). Par contre, il laisse aller sa fascination pour la culture ancestrale chinoise dans de très beaux passages où son héros va partager des pipes d’opium avec un vieux chinois. Le roman s’imprègne alors de ces volutes opiacées et touche de manière assez subtile tout ce qui relève des sentiments. Je ne crie pas au chef-d’œuvre mais la bataille fait partie des bons romans du stakhanoviste Farrère.
Par contre, le chef est beaucoup plus pénible. Pourtant, l’auteur nous place du côté d’un leader charismatique communiste prêt à utiliser la colère du peuple pour renverser le pouvoir. Si ce héros est un « pur » (il agit par idéal et non pas par intérêt), son entourage ne l’est pas et sa relation avec la femme d’un marquis ministre finira par entraîner sa chute. Qu’est-ce qui ne fonctionne pas cette fois ? D’une part, Farrère devient beaucoup plus caricatural et ses personnages n’existent que comme des pantins (il faut voir la manière dont l’écrivain peint l’affreux émissaire soviétique qui se charge de l’agit-prop). De l’autre, à l’instar de Rachilde, il ne cesse de pontifier et de consteller son histoire de petites digressions sur, au choix, le danger du communisme, la fin du bon vieux temps, le sens de l’honneur et autres balivernes du même acabit. Sans pouvoir l’affirmer avec certitude (je ne connais pas assez le parcours de cet homme), il semblerait que Farrère soit devenu, l’âge venant, un sacré vieux con. Le fait que l’Académie Française l’ait accueilli en son sein quelques années plus tard me semble corroborer ce diagnostic sévère…

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Terminons ce petit tour d’horizon en quittant cette époque et en remontant le temps jusqu’au milieu du 19ème siècle pour évoquer le très grand écrivain Jules Barbey D’Aurevilly
Je ne connaissais de cet auteur admiré par Bloy que les diaboliques (grand livre). Ecrivain catholique, il nous apparaît aujourd’hui comme le cas typique de cette littérature contre-révolutionnaire qui va fleurir au 19ème en s’obstinant à refuser l’odieux utilitarisme bourgeois. La qualifier de « réactionnaire » n’a pas vraiment de sens car si Barbey prêche en faveur du roi, il se montrera également très « progressiste » en matière d’art (le seul domaine qui vaille !) en soutenant Baudelaire et en bâtissant une œuvre dont le style somptueux annihile les stupides clivages politiques.
De roi il sera question puisque j’ai lu avec beaucoup de plaisir les deux romans « historiques » de Barbey, le chevalier Des Touches et l’ensorcelée ; deux récits ayant pour cadre sa Normandie natale et les guerres chouannes. Le premier narre la manière dont douze de ses compagnons ont tiré un chevalier chouan des griffes des « bleus ». L’écrivain légitimiste choisit clairement son camp et l’on ne pourra pas s’empêcher de sourire à quelques passages grandiloquents où, à la veille de l’expédition, un preux chevalier et sa fidèle dulcinée se proclament mari et femme sous une croix de fortune que les compagnons improvisent avec la lame de leurs épées. Mis à part pour quelques lecteurs nostalgiques des croisades, l’emphase de la scène a quelque chose d’un peu ridicule. Ceci dit, le livre est très bien écrit et d’Aurevilly ne joue pas au grand pontife. Il polit à mesure que le récit avance ses personnages et les rend à la fois plus ambiguës et plus proches. Des Touches possède également une part sombre et n’est pas ce que l’on peut appeler un « modèle ». De la même manière, les chouans ne sont pas toujours présentés sous leur meilleur visage (voir la scène où est évoquée la mort du fils de la gardienne du cachot de Des Touches : les chouans l’ont enterré jusqu’au cou avec d’autres républicains et ont entamé une partie de quilles macabre avec les têtes !) et l’écrivain se méfie des caricatures réductrices.
Toujours est-il que j’ai préféré L’ensorcelée, splendide roman où un prêtre chouan revient officier dans sa paroisse après avoir frôlé la mort (une tentative de suicide lui ayant emporté une partie du visage et les atroces tortures des « bleus » -ils lui ont arraché ses pansements et posés des braises incandescentes sur ses plaies- ont fini de le défigurer) et séduit jusqu’à la folie une femme des environs.
Au-delà du cadre historique, Barbey n’hésite pas à faire entrer dans son récit l’élément surnaturel, à intégrer les traditions et croyances populaires bien ancrées dans sa terre normande. De fait, son livre possède un souffle incandescent rare et nous propulse au cœur d’un combat entre le Bien et le Mal qui outrepasse largement les positions antagonistes des acteurs de la guerre civile. Ce prêtre est à la fois une figure chevaleresque à laquelle l’écrivain pourrait éventuellement s’identifier (serviteur de Dieu et du Roi) mais également une figure satanique, qui bouleverse et envoûte les consciences pour les conduire à la folie et à la mort.
Comme dans les diaboliques, les flammes de l’Enfer soufflent le chaud et le froid dans le cœur des hommes dont l’écrivain dissèque les moindres recoins. Comme on l’observera plus tard chez les écrivains « fin de siècle », il y a chez ce dandy une certaine fascination pour le Mal qui vaut au lecteur quelques passages particulièrement macabres.
Même si on ne partage pas ses idées, on ne peut qu’être séduit par le style éblouissant de l’écrivain Jules Barbey D’Aurevilly !




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dimanche, octobre 29, 2006

Au tournant du siècle

C’était à prévoir : alors que j’avais courageusement rattrapé mon retard, me voilà à nouveau à la traîne pour vous parler de mes dernières lectures. Avant de consacrer des notes plus détaillées à des auteurs méconnus dont je viens de dénicher certains titres (j’ai découvert l’existence d’un fabuleux gisement !) , un petit topo rapide sur quatre livres ayant été écrits au tournant du siècle (je parle, bien entendu, du passage du 19ème au 20ème !).

Henri Rochefort. La lanterne.
Banalité de base : un homme n’est jamais constitué d’un seul bloc homogène, d’où la difficulté pour l’esprit éprit de littérature de composer avec les multiples facettes des personnalités qu’il idéalise ou rejette. Ainsi, il faut parfois reconnaître que de sinistres crapules ont pu avoir un grand talent (Aragon et ses débuts surréalistes, Brasillach lorsqu’il écrit ses mémoires dans le beau Notre avant-guerre…) tandis que certains aspects d’incontestables génies nous pousseraient à nous en éloigner (exemplairement, l’antisémitisme de Céline). A l’instar d’un autre grand pamphlétaire de notre histoire littéraire (Gustave Hervé), Rochefort a d’abord suivi un trajet exemplaire avant de sombrer, sur la fin de sa vie, dans le n’importe quoi.
Résumons : Rochefort fut d’abord l’un des plus virulents et des plus populaires polémistes du Second Empire. Républicain, il fut avec Vallès l’un des plus féroces contempteurs de Napoléon III (Badinguet, comme il se plaisait à l’appeler). Les pamphlets qu’il intitule La lanterne et qu’il lance au visage de l’Empire lui valent à la fois des amendes et une condamnation à 13 mois de prison. Qu’importe ! Rochefort s’installe en Belgique et fait paraître la Marseillaise. Lorsque l’Empire s’écroule, notre homme épouse la cause de la Commune (loué soit son nom !) et est arrêté par les allemands. Remis par l’occupant aux autorités françaises, l’abject Thiers le fait déporter en Nouvelle-Calédonie d’où il s’évadera.
C’est après que les choses tournent mal : toujours républicain, Rochefort fonde l’intransigeant en 1880 et dénonce la corruption en vigueur sous la troisième République (c’était légitime) et, malheureusement, se précipite dans les bras de cette vieille baderne de Boulanger (le général nationaliste qui failli bien réussir un coup d’état). Pour finir, notre ex-« franc-parleur » se range au moment de l’affaire Dreyfus du côté des anti-dreyfusards, d’où certainement les portraits élogieux que Léon Daudet trace de Rochefort dans ses mémoires.
Oublions cette triste fin de règne et revenons au moment où notre mousquetaire met toute sa fougue à soigner ses coups contre l’Empire. La lanterne est un recueil des meilleurs ( ?) textes polémiques publiés par Rochefort dans différents journaux et réédités chez l’excellent Jean-Jacques Pauvert (le livre date de 1966). Outre ces textes journalistiques, on trouvera également quelques extraits des passionnantes Mémoires de ma vie que publia Rochefort (réédité dans les années 80 en version abrégée, je ne peux que vous recommander chaleureusement cette lecture).
« La France contient, dit l’almanach impérial, trente-six millions de sujets, sans compter les sujets de mécontentements ». C’est par cette phrase célèbre que débute un article de La lanterne et déjà on devine l’humour et la verve de ce polémiste hors-pair. Ces textes sont un régal de fiel et de tirs mouchetés qui visent toujours justes et qui, paradoxalement, n’ont pas vieilli. Rochefort s’en prend au régime impérial, aux magouilles politicardes, à la politique extérieure de l’Empire (les textes sur la politique coloniale frappe par leur modernité), à l’hypocrisie religieuse, à la propagande et au bâillonnement de la presse libre… C’est acide, c’est satirique : c’est très fort !

Rachilde. La tour d’amour
Aux côtés des Lorrain, Champsaur, Péladan, Richepin, Catulle Mendès et Mirbeau ; Rachilde occupe une place prépondérante dans ce que l’on a nommé la littérature « fin de siècle ». Elle incarne à merveille cette littérature décadente et faisandée à souhait. La tour d’amour narre l’étrange relation qui se tisse entre un jeune homme (Maleux) nommé gardien de phare et le vieillard mutique qui fait office de gardien-chef. Le style rocailleux de l’auteur laisse d’abord supposer que nous sommes face à un roman naturaliste, attaché à décrire les conditions de vie de deux gardiens de phare dans un environnement hostile (le phare est planté sur un roc isolé à la pointe bretonne). Puis le livre bascule dans la folie la plus furieuse lorsqu’on se rend compte qu’après un naufrage, le vieil homme est parti abuser d’une jeune noyée. Rachilde déploie un univers où se mêle érotisme morbide, nécrophilie et pure folie.
Le plus curieux, c’est que ce roman a été écrit quelques années avant que n’éclate un fait divers atroce, « l’affaire Ardisson », lui donnant un éclairage nouveau. Ardisson, aide-fossoyeur et surnommé « le vampire », profita de son statut pour déterrer les cadavres qu’il venait d’inhumer et les violer. Et comme le personnage du roman de Rachilde, il décapita certaines de ses victimes et garda leurs têtes afin de les « embrasser mieux et beaucoup plus souvent ». Sur ce, je vous souhaite un bon appétit…

Claude Farrère. L’extraordinaire aventure d’Achmet pacha Djemaleddine chef tcherkess, pirate, amiral, vali, grand d’Espagne, Marquis de France et ami de plusieurs sublimes princes. (Sic !)
Continuons notre exploration de l’œuvre de Claude Farrère. Non que je cherche absolument à tout lire (j’avoue que cet auteur me saoule un peu !) mais que voulez-vous : quand je trouve un de ses recueils de nouvelles dans une jolie édition reliée à 50 centimes d’euro, je ne puis résister ! (Je viens d’en acheter un nouveau aujourd’hui –un euro- et ma sœur vient de me téléphoner pour m’annoncer qu’elle m’en avait pris un autre ! Vous voyez que je n’ai pas fini avec Farrère).
Le livre dont il est question aujourd’hui et dont je me refuse à répéter le titre pour des raisons que vous devinerez facilement est un recueil de nouvelles ayant la particularité de prendre fait et cause pour la Turquie à une époque (1921) où le pays est occupé par les Alliés et où la Grèce occupe l’Asie mineure (Farrère n’a pas de mots assez durs pour les Grecs !). Ce point de vue, conforme à celui de son maître Pierre Loti, est intéressant et nous vaut d’assez beaux hommages à la civilisation ottomane et au monde musulman. Après un conte oriental un peu long (et qui donne ce titre à rallonge au recueil), Farrère nous offre quelques jolies, quoique inégales, nouvelles (j’aime assez celles consacrées aux chiens et chats turcs). Par contre, ces positions pro-turques restent parfois en travers de la gorge, surtout lorsqu’il évoque le sort fait aux Arméniens (comme quoi, on peut suivre l’actualité en lisant les livres oubliés du début du siècle !). Je cite son avant-propos : « Les Arméniens sont, en effet, les véritables juifs de l’Orient […]. Le Turc, lui, honnête musulman, à qui sa religion défend rigoureusement l’usure, le Turc qui jamais n’entendit goutte aux questions de doit, d’avoir et d’intérêts composés, le Turc a toujours été tondu de si près par l’Arménien, préteur à la petite semaine, que le cuir lui fut souvent arraché avec la laine. Ruiné, affamé, désespéré, le Turc alors a souvent pris son bâton pour sa raison suprême. Je ne l’en glorifie point. Mais je l’en excuse. ». Même si je prie mon aimable lecteur de remettre ces propos dans leur contexte historique (n’allez pas me faire de Farrère un précurseur du nazisme ! ) ; ils font froid dans le dos lorsqu’on songe au sort que le 20ème siècle a réservé à ces deux peuples !

Léon Bloy. Lettres à René Martineau (1901-1917)
Grâce soit rendue à mon libraire qui m’a déniché et mis de côté ce recueil de la correspondance de Léon Bloy. En 1901, le critique et bibliophile René Martineau entre en relation avec « le mendiant ingrat ». C’est le moment où les affaires vont le plus mal pour Bloy qui voit l’arrivée de ce dévoué admirateur n’hésitant pas à mettre la main à la poche comme un signe divin. Va s’ensuivre une longue amitié qui ne sera jamais démentie et où le brave Martineau ne manquera jamais de venir en aide à l’écrivain terrassé par la misère. Des années les plus difficiles où Bloy et sa famille sont installés à Lagny, en Seine-et-Marne (dont on aura un aperçu en lisant Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne) aux dernières années plus sereines de son existence se dessine une étrange et sincère amitié. A travers ces lettres se dessine un autre visage de Léon Bloy, à mille lieues de ses éructations splendides. C’est ici au quotidien de l’écrivain auquel on assiste, à sa manière de lutter contre la misère (d’où les nombreuses fois où il réclame des mandats à son zélateur) et de tenter d’imposer ses livres (beau moment où il espère que l’exégèse des lieux communs deviendra le grand succès dont il n’a cessé de rêver).
Ces lettres à René Martineau sont à lire comme un codicille intéressant au monumental (et indispensable) Journal de Léon Bloy.

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