Bibliothèque idéale n°4 : la littérature anglaise
La puissance et la gloire (1940) de Graham Greene (Le livre de poche.1989)
Pour aborder la littérature anglaise, j’avais dans l’idée de m’attaquer à Emma de Jane Austen, d’autant plus qu’une jolie promotion me tendait les bras. Sauf qu’à quelques heures près, je l’ai vu passer sous mon nez ! Le bec dans l’eau, je me suis interrogé sur le choix du livre à acheter. J’ai écarté Huxley (pas envie de science-fiction) et les deux derniers romans en lice furent ceux dont les auteurs ne m’étaient pas inconnus. Sa majesté des mouches de Golding étant en trop mauvais état (je rappelle qu’en ces temps difficiles, je ne prends que les livres en promo !), je me suis résolu à lire un deuxième roman de Graham Greene, me souvenant de la très agréable découverte que fut pour moi Notre agent à la Havane, roman d’espionnage loufoque et savoureux.
Sur le papier, La puissance et la gloire avait tout pour me faire fuir puisqu’il est présenté comme le « sommet des romans catholiques » et qu’il est préfacé par ce calotin gâteux de Mauriac ! Se taper plus de 300 pages de sermon bien-pensant : très peu pour moi ! Mais c’est mal connaître Greene que de se le représenter comme un prêcheur béni-oui-oui et même si je n’adhère pas à tout dans La puissance et la gloire, force est de constater qu’il s’agit d’un très beau roman à la puissance (ok, c’est facile !) indéniable.
Le récit prend place dans le Mexique « révolutionnaire » (du moins, quand la révolution de Villa et Zapata a été confisquée par le seul et unique PRI, parti révolutionnaire institutionnel) lorsque la campagne anticléricale bat son plein. Il ne reste plus un prêtre dans le pays, si l’on excepte Don José, un renégat et notre héros (dont on ignorera l’identité) qui tente de fuir vers la frontière.
Contrairement à ce que ce postulat de départ laisse entrevoir comme facilités caricaturales (le gentil martyr catholique persécuté par les méchants communistes), Graham Greene dote son récit d’une véritable complexité et de beaucoup de subtilités. Son prêtre est ce que l’on pourrait appeler un « mauvais prêtre » puisqu’il a fait un enfant à une de ses paroissiennes et qu’il est porté sur la boisson. Avec un personnage pareil, il est évident que l’auteur ne vise pas à l’édification béate et sulpicienne des masses mais qu’il s’inscrit dans la tradition de ces auteurs catholiques tourmentés comme Bloy ou Bernanos. Et c’est en ayant pris conscience des pires avanies et des pires turpitudes, en ayant fait l’expérience du péché que notre homme pourra être racheté par la grâce dans la mesure où il dispose de ce pouvoir inégalable (je me place du point de vue catholique, bien entendu) de donner le corps du Christ et l’absolution.
Avec son bon larron et un traître à la Judas, le parcours de ce prêtre a quelque chose de christique tout en évitant toujours les écueils du moralisme pontifiant. Il faut voir la manière dont Greene égratigne au passage les ridicules dévotes et celle dont il offre une chance aux « ennemis » du prêtre. Même le lieutenant de police, qui pourrait être le monstre absolu, est rendu à sa faiblesse d’être humain qui n’agit que parce qu’il se laisse porter par les circonstances.
C’est peut-être ce qu’il y a de plus beau dans la puissance et la gloire : au-delà de son côté « religieux », c’est la manière dont ce roman s’obstine à aller chercher ce qu’il y a de grand dans ce torrent de boue qu’est le cœur humain. Et ce qui malgré mon indécrottable athéisme me fait admirer les grands auteurs catholiques, c’est la rugosité avec laquelle ils malmènent l’humanité (on ne peut pas dire que les livres de Bernanos, Bloy ou Greene soient très optimistes) tout en extrayant ce qu’il peut y avoir de grand en elle (je répugne encore à écrire de « divin »). On est loin de l’humanisme béat ou de la niaiserie bien-pensante !
Lorsque Greene écrit « il savait maintenant qu’en fin de compte une seule chose importe vraiment : être un saint », on songe aux mots de Léon Bloy et ce n’est pas rien. Loin de tout cliché et de toute caricature, il réussit un grand livre qui témoigne, malgré toutes les horreurs et tous les crimes, d’une foi indéfectible en l’Homme (puisque pour lui, Il reste malgré tout une image de Dieu).
NB : Les œuvres de Graham Greene furent souvent adaptées au cinéma (songeons au fameux Troisième homme de Reed qui transposa également Notre agent à la Havane). John Ford s’inspira, quant à lui, de la puissance et la gloire lorsqu’il tourna Dieu est mort. Peut-être que Vincent pourra nous en dire quelques mots…
Sinon, quels livres anglais choisiriez-vous pour votre bibliothèque idéale ? Outre les classiques Shakespeare ou Woolf, je placerais volontiers Nick Hornby mais également mon cher gallois John Cowper Powys…
Libellés : Bernanos, Bibliothèque idéale, Bloy, Catholicisme, Greene, littérature anglaise, Mauriac
10 Comments:
Argh! T'en es déjà au 4ème! Et moi qui n'ai même pas fini l'homme sans qualités!
Ceci dit tu aurais dû acheter Huxley. C'est vraiment un roman qui t'aurait plu.
C'est pour moi un choix difficile ayant passé mon adolescence à lire presque exclusivement de la littérature anglaise, j'ai depuis obliqué vers le roman américain. s'il n'y en avait qu'un ce serait Contrepoint d'Aldous Huxley (qui n'a que peu écrit de science-fiction) une tranche verticale dans la société intellectuelle de l'Angleterre des année trente, construit comme Les faux monnayeurs de Gide mais c'est beaucoup mieux. Ce livre a été édité par Plon puis dans le livre de poche trouvable avec un peu de patience pour rien 1à5€ chez les bouquinistes... Greene a été une de mes grandes passions de jeunesse, tu peux tout lire... Mais il y a aussi Sa majesté des mouches de Golding, en étrange Le monde vert de Brian Aldiss, et surtout l'oeuvre intégrale de Windham en commençant par la guerre des triffides et pour la dernière génération les livres de Self sont un régal et puis il ne faut pas non plus faire l'impasse sur les Le Carré première manière, bon à 6h du matin je dois en oublier beaucoup à commencer par Trois hommes dans un bateau...
Bernard Alapetite
Ford a effectivement adapté ce roman de Greene en 1947 avec Henry Fonda. Un peu par défi, il le considérait comme l'un de ses films préférés, c'est pourtant un échec à tous les points de vue. En ce qui me concerne, je me suis endormi devant. Dommage.
Pour la littérature anglaise, Shakespeare devant hors compétition. Sinon, dans ma bibliothèque, il y a Swift, Byron, Shelley, Conrad, Kipling ("Kim" et "le chat qui s'en va tout seul", quelles merveilles)Huxley, Defoe, Dickens, Fleming, Wells, Tolkien, Windham, Aldiss, et par dessus tout R.L.Stevenson ("David Balfour" est un immense chef d'oeuvre), j'en oublie sûrement et bien sûr Georges Orwell dont l'"Hommage à la catalogne" serait mon choix ultime, s'il n'en faut qu'un.
Argh, j'ai oublié Swift : un de mes grands chouchous devant l'éternel (je vous recommande son "instruction aux domestiques", c'est un régal!)
Bernard : je pense que nous retrouverons certains de tes choix dans d'autres catégories (rire pour Jérome K.Jérome, SF pour Huxley)
Vincent : je n'arrive pas à croire que tu aies pu t'endormir devant un John Ford!C'est un peu comme si je plaçais un Spielberg dans mes 10 films préférés de l'année! Je te suis à peu près dans tes choix même si certains des auteurs que tu cites ne m'ont jamais tenté (Tolkien, Kipling...)
"Le seigneur des anneaux" est un des romans marquants de ma jeunesse et je ne le renie pas. Kipling est, je pense, sous estimé aujourd'hui. Je ne sais pas ce que tu as lu de lui mais ses contes sont souvent admirables.
Je savais que j'avais oublié un nom important : Lewis Carroll (et Jerôme K. Jérôme aussi).
J'ai adoré Erewhon de Samuel Butler. C'est un roman satirique un peu à la manière des voyages de Gulliver de Swift. C'est passionnant! (et disponible dans la collection L'Imaginaire)
D'accord avec toi, Vincent, pour Lewis Carroll (un autre "dingue du nonsense" selon Benayoun)
Merci pour l'info, Mathieu : je note le nom de Butler en vue d'un prochain achat...
J'ai lu et relu les nouvelles de Saki. Je recommande Chesterton (un autre anglais converti au catholicisme). Plus récent Will Self (parfois un peu décevant mais pas souvent).
Personne n'a cité Lewis Carroll ?
Pablo : comment ai-je pu oublier Chesterton et Saki, deux auteurs que j'adore et dont j'ai parlé, du moins pour le premier, assez souvent!
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