Femmes entre elles
La dame à la louve (1904) de Renée Vivien (Gallimard. Folio.2007)
Je ne sais pas si c’est parce que les prochains livres qui m’attendent dans ma bibliothèque sont épais comme des annuaires ou si parce que je commence à saturer avec cet interminable abécédaire mais, en ce moment, mon choix se porte uniquement sur des textes très courts.
La dame à la louve est un recueil de nouvelles signé Renée Vivien, écrivain « fin de siècle » dont il me semble avoir entendu parler dans la revue Fascination mais je ne suis pas parvenu à remettre la main sur l’article (faut dire que je la confond avec Renée Dunan).
Renée Vivien, comme la plupart des écrivains de la fin du 19ème siècle (les « décadents ») est une artiste dont le nom est tombé dans l’oubli et c’est dommage car La dame à la louve recèle quelques nouvelles assez savoureuses même si l’ensemble demeure un brin inégal et si quelques évocations poétiques pétries de mythologie et de légendes bibliques ont assez mal vieilli.
Ce qui frappe avant tout, c’est la tonalité résolument « féministe » de ce recueil. Vivien peint des caractères de femmes forts et indépendants, courageux et méprisants pour des hommes montrés sous leurs plus vilains jours : lâches, veules et esclaves de leurs pulsions. La métaphore animale revient régulièrement pour désigner la beauté sauvage et libre des femmes (associées aux louves, comme dans la nouvelle qui donne son titre au recueil ou encore aux sauriens –la Saurienne-) et l’auteur insiste sans arrêt sur des portraits de femmes tentant d’échapper à leur condition : souveraine se refusant aux désirs du roi (« Et, dès ce jour, les princesses de Perse et de Médie sauront qu’elles ne sont plus les servantes de leurs époux et que l’homme n’est plus le maître dans sa maison, mais que la femme est libre et maîtresse à l’égale du maître dans sa maison. »), proxénète (la chasteté paradoxale) ou jeune femme affranchie (Brune comme une noisette) exerçant leur libre-arbitre en se refusant aux amoureux transis les convoitant… Parallèlement au mépris qu’elle affiche pour les hommes, Renée Vivien, écrivain lesbienne, chante la gloire de Sapho, de l’amour et des amitiés féminines (dans Le prince charmant, une jeune femme s’enfuit avec… la sœur du jeune homme charmant qui lui était destiné !). Ce qui peut paraître aujourd’hui assez banal (et même furieusement conformiste !) doit être resitué dans son contexte historique pour en mesurer l’originalité.
Mais si la dame à la louve n’était qu’un plaidoyer idéologique ou un simple ancêtre préhistorique du SCUM manifesto de Valérie Solanas ; il n’aurait pas grand intérêt. Heureusement, il y a ce style « fin de siècle » dont je goûte toujours avec plaisir le fumet faisandé. On retrouve chez Vivien ce goût du détail morbide et déliquescent, cette fascination pour la décrépitude et la pourriture. Dans Cruauté des pierreries, un prisonnier s’échappe en abattant son geôlier et se retrouve face à face avec sa femme. Cela nous vaut la description suivante : « Je constatai d’abord qu’elle était abominablement saoule. Pareils à deux outres vides, ses seins tombaient sur son ventre gonflé comme pour une grossesse. Son nez, dans la demi-obscurité, semblait un soleil couchant. A ses lèvres grasses s’aigrissait un relent de mauvais vins. Ses cheveux, maladroitement teints, étaient rouges par plaques. De gros anneaux d’or appesantissaient ses lourdes oreilles plus accoutumées à entendre des beuglements de bêtes abattues que des sérénades. Elle titubait, et de sa gorge s’échappaient des hoquets suris. » J’adore ! Et c’est encore plus drôle quand ce style va de pair avec sa haine des hommes et son désir de voir les femmes assumer leur indépendance : « J’ai l’amour de la netteté et de la fraîcheur. Or, la vulgarité des hommes m’éloigne ainsi qu’un relent d’ail, et leur malpropreté me rebute à l’égal des bouffées d’égouts. L’homme insista-t-elle, n’est véritablement chez lui que dans une maison de tolérance. Il n’aime que les courtisanes. Car il retrouve en elle sa rapacité, son inintelligence sentimentale, sa cruauté stupide. Il ne vit que pour l’intérêt ou pour la débauche. Moralement, il m’écoeure ; physiquement, il me répugne… ». C’est quand même d’un autre niveau qu’Isabelle Alonso ! Dans une nouvelle, une jeune fille préfère même avaler un crapaud plutôt que d’embrasser celui qui se morfond d’amour pour elle !
C’est très « fin de siècle », un peu moins macabre que Rachilde mais très « décadent ». C’est donc tout à fait recommandable…
Libellés : "fin de siècle", féminisme, homosexualité, Vivien
2 Comments:
Tes blogs sont toujours aussi passionnants, même lorsqu'ils ne m'inspirent aucun commentaire.
Mais je m'inquiète : sous quelle forme ton blog cinéma va-t-il se poursuivre ? Quels sont ces "autres cieux" que tu nous annonças récemment ?
P. S. : Ne confonds pas "descendant" et "ancêtre"
(dans "un simple descendant préhistorique du SCUM manifesto de Valérie Solanas"...).
Excellent article de qualité. Je suis tout à fait d’accord .
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