La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

samedi, octobre 06, 2007

Eloge de la flânerie

La promenade (1917) de Robert Walser (Gallimard. L’imaginaire. 2007)

Retour à la collection L’imaginaire avec ce très court récit de l’écrivain suisse de langue allemande Robert Walser. Même si l’un de ses livres a fait l’objet d’une adaptation cinématographique relativement renommée (L’institut Benjamenta, tourné par les frères Quay), je dois reconnaître une fois de plus que j’ignorais absolument tout de cet auteur. Encore une fois, cet abécédaire m’a permis de découvrir un texte assez extraordinaire et d’une grande originalité. Pourtant, le point de départ du récit est bête comme chou puisqu’il s’agit pour un écrivain de raconter en détails une journée de promenade qui le mène de la ville aux abords de la campagne, d’un repas chez une admiratrice à des visites chez des commerçants et bureaucrates…

« De fait, j’aime tout ce qui est tranquille et en repos, j’aime l’économie et la mesure, et j’éprouve une aversion profonde pour tout ce qui est hâte et précipitation. » Cette phrase qu’énonce en passant le narrateur (cet écrivain qui n’est autre que Walser) traduit parfaitement le rythme nonchalant de cette balade, éloge de la flânerie et de la rêverie. Nous voilà donc en train d’accompagner cet homme au cours de sa marche et partager les divers mouvements de sa conscience. Entre l’émerveillement pour les choses simples (la beauté de la nature, deux enfants jouant sur le bord d’une route…) et l’agacement devant les signes dévastateurs de la modernité (son mépris pour les automobilistes) ; Robert Walser nous offre un petit bijou d’humour et de sensibilité. Car la construction de la nouvelle est plus complexe qu’elle ne peut le sembler au premier abord. L’auteur ne cesse de briser la narration en s’adressant au lecteur, en lui annonçant son programme et en ne cessant de s’excuser de devoir l’entraîner dans des endroits peu divertissant (à la banque, chez le tailleur…) : « On voit quelle quantité de choses j’ai à régler, et combien cette promenade qui semblait une flânerie tranquille fourmille littéralement d’opérations pratiques et matérielles. On aura par conséquent la bonté d’en pardonner les retards, d’en accepter les délais et de donner son agrément à de laborieuses discussions avec des personnages bureaucratiques et autres professionnels, et peut-être même de voir là des contributions et compléments tout à fait bien venus à notre divertissement. ». On peut le voir, le style est superbe, mélange de flegmatisme et de préciosité. Walser parvient par cette langue extrêmement élaborée à rendre inoubliable les détails les plus insignifiants, à nous faire voir d’un œil neuf et malicieux toutes les petites choses qui nous environnent et auxquelles on ne prête plus attention par habitude.

Je le répète, La promenade est de surcroît un livre très drôle et certains passages (la visite au libraire qui présente au narrateur le livre qui a le plus de succès et qui s’attire ses foudres pour avoir négligé ses propres œuvres, la lettre et la visite au tailleur…) sont anthologiques. Walser sait faire se succéder la douceur d’une évocation (la jeune chanteuse) et quelques diatribes bien senties contre la vulgarité contemporaine. Bien avant que nos paysages soient défigurés par la rapacité des publicitaires, des agents immobiliers et du gangstérisme touristique ; Walser s’élevait avec raison contre le clinquant d’une enseigne de boulangerie : « Dans quelle esbroufe commençons-nous à vivre, si les communes, les riverains, les autorités et l’opinion publique non seulement tolèrent, mais hélas manifestement vont jusqu’à approuver ce qui heurte tout sentiment de courtoisie, tout sens de la beauté et de la décence, ce qui s’étale de façon morbide, croyant devoir parer de je ne sais quel clinquant lamentable et dérisoire, comme s’il braillait aux quatre vents, à cent mètres à la ronde : « Je suis tel et tel, j’ai tant et tant d’argent, et je prends la liberté de vous imposer mon tapage ! Certes, ce faste hideux fait de moi un rustre, un balourd et un béotien, mais je doute que personne n’aille m’interdire ma balourdise ! ».

Ne trouvez-vous pas que ce passage s’applique à merveille aux conducteurs de 4x4 ?

Sur la fin, lorsque le soir commence à tomber, la nouvelle prend une teinte plus mélancolique et l’auteur s’interroge sur ce rapport au monde qu’il a mis en scène (comme il l’explique au fonctionnaire des impôts qui lui reproche de toujours vaquer sans rien faire ; il a besoin de sa promenade pour se rattacher au monde, pour nourrir son esprit et son inspiration). C’est alors que pointent les regrets (« Ai-je cueilli des fleurs pour les déposer sur mon malheur ? » me demandai-je, et le bouquet tomba de ma main. ») et le sentiment d’avoir peut-être laissé passer quelque chose (l’amour d’une jeune femme, bien entendu).

Derrière l’humour et la légèreté de cette Promenade s’allonge alors une ombre qui achève de faire de ce très court roman un petit chef-d’œuvre totalement délectable…

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1 Comments:

Blogger gludure said...

"Les personnages de Robert Walser sont comme les heros et heroines des contes de féées mais qui retrouveraient leur anonymat et leur vie civile une fois la lecture terminée", je cite, un peu au pif, Walter Benjamin. Jette un oeil sur les textes brefs qu'il écrira par la suite comme "La Rose" ou ses mcrogrammes, c'est d'une légéreté qui confine à l'irréalisme le plus planant.Etrange et attachant.

1:26 AM  

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