La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

samedi, janvier 06, 2007

Sauvée par Ozu !

Muriel Barbery. L’élégance du hérisson (Gallimard.2006)

N’est-ce pas conforter un cliché que d’en prendre l’exact contre-pied ? L’exception n’est-elle pas là que pour justifier la règle ? C’est un peu ce sentiment qui nous vient à la lecture de l’élégance du hérisson, deuxième roman de Muriel Barbery. En prenant comme héroïne Renée, une concierge qui n’aime ni TF1, ni les racontars mais leur préfère la philosophie d’Husserl, la littérature russe et la peinture hollandaise ; elle ne fait que finalement souligner la singularité de son personnage et laisser toutes les autres (concierges) dans le même sac. Idem pour la petite Paloma, fillette de 12 ans surdouée qui méprise absolument le milieu dont elle vient (la grande bourgeoisie parisienne) et qui est bien décidée à se suicider à la fin de l’année scolaire.
Les deux habitent le même immeuble de la rue de Grenelle et le roman adopte leurs points de vue successifs : récit au style direct pour Renée, indirect pour Paloma à travers les pages de son journal intime.

A travers ces deux personnages dans lesquels Muriel Barbery se projette certainement, nous assistons dans un premier temps à une satire sociale assez mordante (les vieilles rombières à caniches, les filles de riches qui parlent à la manière des loulous de banlieue, le néant de ces existences sous cellophane…) quoiqu’un peu vaine. C’est assez drôle et piquant mais on se demande où l’auteur veut nous emmener si ce n’est vers des lieux communs qui se profilent dangereusement comme écueils (« il ne faut pas se fier aux apparences », « l’argent ne fait pas le bonheur », etc.)
Dans un premier temps, j’avoue avoir craint le livre destiné aux lecteurs de Télérama, quelque chose conjuguant un semblant d’indignation sociale (taper sur les nantis, ça ne mange pas de pain) et un goût pour la culture institutionnelle (notre concierge ne lit ni Sade, ni Fourier, ni Bakounine !). Une preuve entre mille et qui me touche particulièrement (allez savoir pourquoi ), les pages consacrées aux goûts cinématographiques de Renée. Alors que celle-ci peut s’emballer pour les œuvres littéraires les plus classiques (Tolstoï en particulier), dès qu’il s’agit de cinéma, elle se vautre dans le cliché le plus éculé : les blockbusters sont crétins mais divertissants tandis que le cinéma d’auteur est beau mais chiant (« Greenaway suscite en moi admiration, intérêt et bâillements… ») C’est un peu agaçant.
Puis soudain, Muriel Barbery consacre deux pages au cinéma d’Ozu est c’est extraordinaire ! Parce qu’on n’est plus dans l’ordre de l’idée générale mais du ressenti et ce que les films du maître japonais lui inspirent est à la fois totalement personnel et universel. Rarement ai-je lu des choses aussi magnifiques sur ce cinéaste en si peu de lignes !

Finalement, la réussite de l’élégance du hérisson tient dans ce subtil vacillement. Au départ, nous avons quelque chose de trop balisé, une trame dont les ficelles restent trop apparentes (l’arrivée du vieux japonais qui, forcément, fait basculer les cours de ces vies monotones, la rencontre de Renée et de Paloma…) et par je ne sais quel miracle (l’écriture, sans doute), Muriel Barbery parvient à déjouer les écueils, à donner de l’ampleur et une densité à son récit qui devient franchement émouvant sur la fin.
Les personnages, un brin monolithiques au premier abord, deviennent plus complexes et leurs silhouettes s’affinent. Les plus grotesques possèdent des failles et une certaine humanité et l’écrivain parvient à restituer un microcosme qu’on ne trouve plus du tout artificiel.

Je le redis : ce n’était pas gagné d’avance et cette gageure tenue prouve que Muriel Barbery a un véritable talent d’écrivain. Je vais sans doute aller jeter un coup d’œil à son premier livre en attendant le prochain avec une véritable curiosité…

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4 Comments:

Anonymous Anonyme said...

C'est bien gentil tout ça (et ça me fait un livre de plus à ajouter à ma liste de courses), mais moi j'attends la suite de tes pamphlets semi-anarchistes semi- truculents (non tu ne rêves pas, c'est effectivement super-laid comme phrase), comme celui de la Fouchardière.

Au passage, si tu ne connais pas déjà je viens d'acheter deux albums des Blaireaux, hé ben c'est rigolo (oh et ya les Blérots de R.A.V.E.L. aussi, à ne pas confondre) (quoique comme c'est très bon aussi, si tu confonds c'est aps grave)

6:40 PM  
Anonymous Anonyme said...

Alors, les blaireaux, j'ai tous leurs albums et je les ai vus deux fois en concert (ils sont excellents) : à Paris sur la péniche El Alamein et à Quétigny (yeah!).
Quant aux Blérots de RAVEL, ben j'ai aussi leurs deux albums et je les ais vu à la Vapeur (nous n'étions pas nombreux dans la petite salle mais c'était aussi excellentissime!)
Pour les extraits, mon ami, il va falloir patienter car j'ai au moins 3, 4 notes de lecture sur le feu et je ne sais pas quand je vais les rédiger (la malédiction du travail!)
Merci de passer régulièrement ici :-)

8:43 PM  
Anonymous Anonyme said...

Je suis surprise, en surfant rapidement sur le web, de ne lire que des critiques positives de ce roman.
J'en ai été très déçue, alors que les premières pages commençaient bien. Très bien même.
Finalement, l'impression qu'il m'a faite, est parfaitement bien résumée par ce que l'auteur rapporte de l'état d'esprit dans lequel elle l'a écrit :(http://www.passiondulivre.com/livre-25194-l-elegance-du-herisson.htm) "il me semble qu'elle [l'histoire] est assez largement anecdotique, parce que, au travers des personnages et de la narration, ce qui m'importe, c'est de parler de ce que j'aime."
On a donc droit à des personnages improbables, imbus de leur supériorité intellectuelle et morale (imposée sans justification d'ailleurs), qui évoluent dans un univers culturel étroit, - qui, néanmoins et de façon invraisemblable, a laissé pénétrer dans leur pensées la théorie de l'évolution et les chansons d'Eminem - et nous débitent leurs réflexions sur le sens de la vie, la beauté, etc., c'est-à-dire, sur tout ce qui bouge, au petit bonheur la chance en puisant dans l'univers mental de l'auteur. Ces sélections arbitraires résultent en une impression de patchwork culturel (nulle mention de Dostoievski par exemple) qui peut-être se voudrait exhaustif ?
A aucun moment je n'ai senti une véritable évolution des personnages au cours du récit, et à vrai dire, sur la fin, la relation entre Ozu et Renée m'a vaguement rappelé celle entre Jane Eyre et M. Rochester, personnages qu'on qualifierait plutôt de figés dans leur personnalité... Quant à Paloma, on se demande bien ce que signifie ce personnage tout à la fois puéril et incroyablement mature... Ces personnages prétextes ne m’ont semblé que des instruments servant à énoncer les idées de l'auteur, de sorte qu’il leur manque la forme de consistance qui pourraient véritablement les animer.
Toutefois, je suis venue à bout du roman sans difficulté, souhaitant laisser une chance à l'auteur, de justifier par la suite, ou par la fin, tout ce qui précédait. Je rien trouvé qui m'ait satisfaite, mais je ne regrette pas cette découverte d'un roman qui suscite l'engouement des lecteurs.
Si l'auteur pouvait nous livrer un roman dont le fond serait à la hauteur de la forme, car indéniablement elle a un don pour l'écriture, et à condition d'élaguer les digressions philosophiques qui se cherchent une justification, cela pourrait donner un roman très satisfaisant.

3:21 PM  
Blogger Lyvie said...

Moi aussi j'ai attendu le fin, la rencontre avec Ozu et aussi celle des deux héroïnes principales pour commencer à apprécier ce livre. L'attitude résolument négative, fermée au monde sous prétexte d'haïr son monde, pour cause d'un trop plein d'intelligence m'a quelque peu ennuyée puis énervée. La concierge aurait pu s'enfermer un peu moins dans ce monde, la jeune fille pourrait avoir l'intuition qu'il en existe un autre au delà de son immeuble chic parisien...trop plein d'intelligence...peut-être, mais inhibé par un manque d'amour et une grande solitude. C'est ce qu'on commence à saisir au milieu du livre,et on suit comment l'art a une place prépondérante dans leur vie. la littérature, le cinéma, l'art, les mangas et les chansons d'Eminem les consolent...L'arrivée D'Ozu, le nouveau résident riche cultivé et japonais de l'immeuble va insufler du plaisir, du sens , des sentiments et des émotions positives dans la vie de ces femmes malheureuses. Celui là semble être doué pour la vie! et c'est vrai que c'est avec son apparition que j'ai trouvé le livre intéressant et la métamorphose des deux héroïnes assez palpitante...

10:30 PM  

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