La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

jeudi, janvier 25, 2018

Aux mateurs amateurs...



Osez…La photographie érotique (2017) de Jean-Louis del Valle (LaMusardine, 2017)


Outre un beau catalogue de littérature générale et de beaux livres, La Musardine possède également une petite collection phare intitulée « Osez » (tout ce que vous pouvez imaginer ensuite : le tatouage sexy, découvrir le point G, la fessée, le sexe après 60 ans…). D’une certaine manière, l’éditeur surfe sur la mode des livres de « développement personnel » sur un mode ludique et sexy. Qu’on ne s’y trompe pas pourtant : si le livre de Jean-Louis del Valle, photographe de son état, est parsemé de touches d’humour, il ne s’agit en aucun cas d’un ouvrage égrillard mais d’un manuel pratique sérieusement construit et où l’on n’hésite pas à citer Barthes et Kant ! J’allais même dire que la dimension « érotique » mise en avant par le titre est presque accessoire et que l’auteur nous livre avant tout un guide pratique pour débuter en amateur une pratique de photographe. Del Valle s’attarde longuement, par exemple, sur le matériel à choisir, soulignant les qualités et les défauts de chaque produit présenté. Il évoque aussi bien les appareils à choisir mais également les éclairages et le choix couleurs ou noir et blanc.
Ensuite, il fait le point sur les lieux à privilégier pour ce genre de photos et les modèles à envisager (avec des entretiens avec des professionnelles évoquant les joies de leur métier et ses désagréments). Enfin, l’auteur fait le point sur la question des téléphones et insiste sur les règles juridiques liées à la photo (faire signer des contrats, ne pas diffuser l’image de quelqu’un sans son consentement écrit…)
Pour celui qui voudrait se lancer dans cet art, ce petit guide regorge de renseignements, y compris les plus techniques (50 pages d’annexes où del Valle zoome sur les questions de diaphragme, de luminosité, de temps d’exposition…). C’est peut-être d’ailleurs la limite du livre en ce sens qu’il est presque « trop pro », destiné à des individus qui voudraient se lancer dans la photo avec l’espoir d’être publiés ou exposés (le lecteur vraiment néophyte ne se verra sans doute pas faire des démarches pour payer un modèle !). On aurait aimé, pour l’amateur de base, plus de précision sur le côté « esthétique » de la photo : des techniques pour bien cadrer, des astuces pour magnifier un corps ou un visage…
Si le livre est parfois un peu frustrant, c’est qu’il mise plus sur les côtés pratiques et techniques que sur l’esthétique et le sens de l’image. Comme si un livre pour apprendre le dessin se contentait de conseiller les bons pinceaux, les bonnes toiles et les types de lieux où peindre !
Mais à cette réserve près, le livre est intéressant et fera la joie des « a mateurs » désireux de mettre en images leurs velléités artistique et, pourquoi pas, leurs fantasmes érotiques…

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mardi, novembre 25, 2014

Une virée en Enfer

Joyeux Enfer : Photographies pornographiques 1850-1930 (2014) d'Alexandre Dupouy (Éditions La Musardine, 2014)

Je dois commencer par avouer que je renâcle un peu à affirmer que ce beau livre constitue une sorte de cadeau de Noël idéal. En effet, je vous vois mal offrir à votre vieil oncle Gaston, fan de jardinage et d'art roman, ce somptueux recueil de photographies licencieuses d'un autre temps (des origines de la photographie aux « années folles » en passant par « la belle époque ») lors de festivités familiales. En revanche, si vous avez dans votre entourage quelques amateurs éclairés, je vous promets que vous ne les décevrez pas avec ce superbe ouvrage où le plaisir des yeux (les reproductions de ces photos antédiluviennes sont assez époustouflantes) se mêle à celui de l'érudition. Le tout pour une somme relativement abordable (même pas 38 euros) si l'on songe qu'on se situe résolument dans la catégorie du « beau livre » (avec, en prime, un DVD constitué d'une heure de courts-métrages pornographiques clandestins du début du siècle dernier : que demander de plus ?).

Dans un premier temps, Alexandre Dupouy se livre à une passionnante « apologie de la pornographie », revenant de manière très pertinente sur la différenciation oiseuse et convenue des termes « érotisme » et « pornographie » (en montrant très justement que les critères de définition de ce qui est « obscène » ou non varient selon les époques et les mœurs) et s'interroge sur la place de la Femme dans la représentation pornographique. Opposant Lilith (la femme qui sait tenir tête aux hommes et qui affirme la puissance de ses désirs) à Lolita (que représenterait la pornographie actuelle à travers l'image de « cette grande sœur de Lolita, cette jeune fille juste pubère, blonde à la peau cuivrée, cheveux teints, cuisses ouvertes à s'en déchirer l'entrejambe, sexe totalement épilé, seins d'une fermeté de pierre, le corps truqué, déformé par la chirurgie esthétique... ») , Dupouy glorifie une certaine idée de pornographie féminine, sauvage, libertaire (« Il est facilement démontrable que toute pornographie, toute obscénité ou obsession sexuelle demeure bien moins dangereuse que l'apologie de la virilité, qui se révèle et se réalise à travers les conflits, la guerre, les duels […] La pornographie la plus vile n'a jamais tué personne. ») et joyeuse.

Ensuite, l'auteur nous dresse un petit panorama passionnant de l'histoire de cette photographie pornographique vendue sous le manteau en se plongeant dans les catalogues de vente et les registres qui ont pu être conservés (malheureusement, on se doute bien que dans un domaine clandestin comme celui-ci, l'anonymat fut de rigueur et que la production fut soumise au règne de l'éphémère). Avec beaucoup de précision, il nous présente quelques uns des premiers artisans du genre et décrit les conditions de réalisation de ces œuvres (les modèles, qui furent essentiellement des prostituées).

Après les mots, place aux images que Dupouy classe de manière thématique. Ce sont donc plus de 300 photos qui se succèdent et qui, au-delà de leur potentiel érotique, dessinent le portrait d'une époque et de ses mœurs. Ces clichés dégagent une vraie fraîcheur tant les corps photographiés sont à mille lieues des modèles, anorexiques et stéréotypés, d'aujourd'hui. Que les femmes soient montrées seules, présentant les parties les plus secrètes de leurs anatomies (rubriques « L'origine du monde » ou « callipygie ») ou en couples (avec deux grandes parties consacrées à la vie conjugale puis à « Lesbos ») ; c'est leur « naturel » qui frappe l’œil du lecteur.
Les corps ne sont pas encore réduits à de vulgaires marchandises et ces ébats torrides dégagent une sorte d'innocence et de liberté revigorante. Il n'est pas rare de voir des modèles avec le sourire aux lèvres voire réprimant un début de fou-rire : le sexe est joyeux et débridé.
Quant à la mise en scène de certains tableaux, elle témoigne également de l'époque : le goût pour les déguisements, les scènes de bordels voire l'anticléricalisme joyeux qui se dégage des scènes « au monastère » (on retrouve assez souvent ce goût d'aller voir ce qui se passe sous les soutanes dans les films pornos clandestins de cette époque).

Pour terminer, il convient également de souligner la haute tenue « esthétique » de ces photos. Je ne suis sans doute pas un fin connaisseur et je me fais peut-être abuser par la patine que le temps a donnée à ces clichés mais que ce soit dans la composition, la lumière ou le cadrage ; on constate que ces photos sont travaillées et que certaines sont tout simplement magnifiques. 

Les dames patronnesses s’offusqueront sans doute qu'on puisse trouver beau cet étalage de chairs humaines mais c'est pourtant le cas. Les autres se régaleront et offriront une place de choix à cet ouvrage dans le propre « enfer » de leur bibliothèque dont l'honnête homme ne saurait se passer...

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dimanche, janvier 14, 2007

Louÿs interdit

Pierre Louÿs. « Et ta bouche en peau de lys… ». (Editions de l’aube. 2006)

Dans la foulée de Noël et de son lot de cadeaux, je me suis fait un petit plaisir (ce n’est pas le genre de livre qu’on peut demander à la famille) en m’offrant ce très beau livre, recueil de poésies érotiques de l’immense Pierre Louÿs (dont nous reparlerons prochainement) illustrés de 141 « photos inconvenantes » (en fait, des photos pornos de la Belle Epoque).
Commençons, si vous le voulez bien, par les réserves à émettre sur « Et ta bouche en peau de lys… ». Personnellement, je regrette l’absence totale de mise en perspective de ces poèmes présentés ici brut de décoffrage (avec juste des indications de dates). Pour quelqu’un qui connaît peu l’œuvre « libre » de Louÿs (c’est mon cas), il n’aurait pas été inintéressant que ce recueil fut accompagné d’un véritable travail bibliographique (ne serait-ce qu’une préface). Idem pour les photos dont on ne sait rien mis à part qu’il s’agit, en gros, d’une compilation d’images déjà publiées dans d’autres ouvrages spécialisés. Or on sait (Cf. Fascination n°1) que Pierre Louÿs fut lui-même photographe et j’aurais préféré un livre qui donne moins de place aux photos mais qui aurait pu se concentrer sur les travaux de l’auteur.
Dans l’état, nous avons un peu l’impression d’avoir dans les mains un très bel objet (de ce point de vue, c’est très réussi) plus destiné aux collectionneurs érotomanes qu’aux férus de littérature. Il me semble que les deux auraient pu cohabiter.

Ces réserves faites, le livre est totalement recommandable. D’une part, je le redis, parce qu’il est très beau et superbement illustré (j’avoue toujours trouver assez émouvantes ces vieilles photographies polissonnes datant du début du siècle (attention, la plupart sont « hard »)) d’autre part, parce qu’il y a l’écriture de Pierre Louÿs qui est, de tout point de vue, remarquable.
Le recueil se divise en plusieurs parties : une grosse première partie composée de sonnets où l’auteur laisse divaguer sa plume autour de toutes les parties de l’anatomie féminine qu’il détaille sous toutes les coutures (de la « senteur des bras » à la « vulve blonde »). De la même manière, il consacre un poème à tous les moments intervenant dans l’acte érotique (les caresses, la toilette, les énervements, les positions…). La deuxième partie, beaucoup plus courte, est composé du célèbre Trophée des vulves légendaires (neuf sonnets sur les héroïnes de Wagner que Louÿs admirait tant) et de pastiches, de parodies et de quelques poésies libres.
L’ensemble permet de mesurer le talent d’un écrivain qui avait une vingtaine d’année lorsqu’il composait ces œuvres friponnes marquées par une écriture très pure et un style classique impeccable. Je ne citerai, à titre d’exemple, qu’un sonnet intitulé La senteur des bras :

Entre tes bras jetés sur mes épaules nues,
Chère ! je sens monter des odeurs si connues !
Des arômes si blonds, des parfums si légers…
Ö le vol sidéral sur les bois d’orangers !

La sueur qui vient poindre où ton coude se plisse
Comme un gel de nectar à la chair d’un calice
Fleure dans un enchaînement rieur et fou
Deux lys longs et câlins mis autour de mon cou.

Aussi quand loin des lits heureux où tu me lies
Mon nostalgique amour rêve aux nuits abolies
C’est l’odeur de tes bras qui m’enlace et m’étreint.

Et dès qu’un souvenir de leur parfum lointain
Revient errer encor dans mon âme touchée.
Je vois dans un éclair toute ta chair couchée.

Vous pourrez constater que ce sonnet n’a rien de pornographique, à l’inverse des géniaux quatrains « hard » de Pybrac. Même si j’ai sélectionné un des sonnets les plus « corrects », le recueil est plus volontiers « érotique » que purement sexuel. Mais contrairement à ses œuvres « officielles » parfois un brin compassées (Les chansons de Bilitis, que j’adore par ailleurs) , Louÿs laisse éclater ici en toute liberté sa sensualité débridée, son lyrisme amoureux ; ne reculant jamais devant une expression « raide » ou un mot cru.
Dans ses poèmes, il voue un culte insensé et obsessionnel à la Femme, à son corps et ses chairs dont il adore la moindre parcelle. (« Blotti sous la tiédeur des nymphes repliées/ Comme un pistil de chair dans un lys douloureux/ le Clitoris, corail vivant, cœur ténébreux, / Frémit au souvenir des bouches oubliées. »).
« Et ta bouche en peau de lys… » est un savoureux recueil pour qui goûte la sensualité exacerbée de l’œuvre de Louÿs et son lyrisme érotique.

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