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Mes idées politiques (1937) de Charles Maurras (Albatros. 1993)
Aucune promiscuité ne vous sera décidément épargnée puisque après un intermède licencieux et résolument obscène (Louÿs) et un essai rédigé par l’un des principaux représentants de la pensée anarchiste ; je vais une fois de plus vous bousculer en donnant un grand coup de volant à droite et vous proposer d’aller jeter un œil du côté de l’Action Française et des zélateurs de la monarchie.
C’est dans Mes idées politiques que l’on pourra trouver cette citation désormais illustre puisqu’elle figure, à juste titre, dans l’excellent Dictionnaire de la bêtise et des erreurs de jugements de Bechtel et Carrière : « les Allemands sont des barbares, et les meilleurs d’entre eux le savent. » Comment ne pas se précipiter sur un tel ouvrage qui regorgent d’assertions théoriques de hautes volées de ce style ?
Plus sérieusement, il me serait facile de démonter cet essai en forme de résumé de la pensée politique de Maurras en l’attaquant sur les points qu’aiment à mettre en avant ses détracteurs (la collaboration, son goût clairement exprimé pour le régime fasciste de Mussolini, l’antisémitisme…) mais je ne le ferai pas. D’une part parce que ces critiques ont suffisamment été exprimées, parfois de manière bien exagérées (faire du germanophobe Maurras un balais brosse du régime nazi n’a aucun sens) ; d’autre part, parce qu’elles permettent des défenses bien ambiguës (voir la ridicule et sénile préface de Pierre Gaxotte où il défend l’auteur des Amants de Venise sur des points où nul ne songerait à l’attaquer) et ont tendance à faire de Maurras un martyr alors qu’il ne le mérite en aucun cas.
Contentons-nous seulement de le lire et nous verrons à quel point son système ne tient jamais la route et comme il est entièrement bâti sur des syllogismes.
Première constatation : il y a toujours un risque à vouloir absolument bâtir un système politique en s’inspirant de la « Nature ». Disons que cette nature à bon dos puisque aussi bien Kropotkine et Maurras s’en inspirent pour aboutir à des conclusions radicalement opposées. Alors que l’anarchiste voit dans la nature un instinct de solidarité et de sociabilité qui priment sur l’égoïsme individuel et pourrait permettre de jeter les bases d’un communisme libertaire, Maurras voit au contraire dans la Nature quelque chose d’extrêmement hiérarchisé et ordonné.
En prenant l’exemple du nouveau-né, Maurras affirme qu’il n’y a pas de « liberté » dans la nature : l’homme n’est d’abord ni « je », ni « moi » mais il est « reçu » au sein d’un ordre préexistant qu’il s’agit de maintenir et de faire perdurer (on ne demande pas aux bébés de voter pour savoir s’ils doivent manger ou pas, apprendre à parler ou pas…).
On voit l’image venir de loin : le Roi et la couronne assurent cette continuité de l’ordre, de la hiérarchie, des traditions alors que la démocratie la brise (d’autant plus qu’elle est le fruit de « l’étranger », et des traditionnels boucs émissaires des neu-neus nationalistes : le juif, le métèque, etc.).
Maurras donc de ressasser à longueur de pages (très ennuyeuses) sur le « pays réel » qu’il faut sauver par le « nationalisme intégral » et des valeurs telles que la tradition, l’ordre, le patriotisme, l’hérédité (n’en jetez plus !).
Qu’est-ce que le lecteur retient de tout ça ? Tout d’abord, une vision extrêmement infantile de la politique. Maurras prend l’exemple du nourrisson mais n’imagine jamais poursuivre sa métaphore en disant que les systèmes politiques peuvent aussi « grandir », s’émanciper et acquérir une « indépendance » sans rester sous le joug d’un système féodal et très « paternaliste ».
De la même manière, on peut suivre l’auteur lorsqu’il dit que l’égalité n’existe pas (c’est un fait !) mais pourquoi alors privilégier un système qui accentue encore plus ces inégalités ? La conception de la « liberté » qu’il énonce est clairement pipée : elle n’est réservée qu’à ceux qui occupent les plus hautes places de la société tandis que les autres doivent se résigner à leur sort puisque c’est la loi de la Nature (païen et excommunié, Maurras ne peut même pas avancer l’excuse de Dieu et cela rend son système d’autant plus intolérable).
Tout est à l’avenant et ne fonctionne que sur une rhétorique bornée (pourquoi la civilisation française serait-elle plus « valable » que la chinoise ou la péruvienne ? Maurras l’affirme sans l’expliquer.)
Mais le plus grave, c’est que l’auteur est extrêmement ennuyeux à lire. Autant je peux me régaler en lisant les souvenirs de Léon Daudet sans partager le moins du monde son idéologie, autant Maurras est chiant à mourir, ressassant les mêmes rengaines de vieillard constipé sans jamais remettre en cause un seul instant son système.
Il suffit de comparer son itinéraire à celui de son disciple Bernanos pour voir à quel point l’un est resté obtus alors que l’autre a su regarder le monde évoluer et s’y opposer avec une grandeur incroyable.
A l’heure du politiquement correct le plus outré, le nom de Maurras semble auréolé d’un parfum sulfureux qu’il ne mérite absolument pas. C’était juste un petit monsieur réactionnaire et buté qui ne mérite plus aujourd’hui qu’on lui porte le moindre intérêt…
Libellés : Action Française, Daudet Léon, Kropotkine, Maurras, nationalisme, royalisme