L'obsédé taxinomiste
Manuel de Gomorrhe suivi de L’île aux dames de Pierre Louÿs (La Musardine. 2004)
Je ne sais pas s’il est encore possible de considérer aujourd’hui la pornographie comme quelque chose de « sulfureux » (thème récurrent de cet abécédaire) mais toujours est-il que les œuvres clandestines de Pierre Louÿs sont un sujet constant d’étonnement, tant par leur inventivité que par leurs incroyables audaces. A l’heure d’Internet et des copulations filmées en gros plans, la crudité de l’auteur de la femme et le pantin laisse pantois et nul doute que ces catalogues où se mêlent toutes les perversions imaginables (pédophilie, coprophagie, zoophilie…mange, Google ! mange !) seraient impossibles à publier aujourd’hui sans cette caution « littéraire » qu’offre le nom de Louÿs.
Ce recueil de textes inachevés n’a sans doute pas la force du Manuel de civilité… ou de Trois filles de leur mère mais ils sont assez représentatifs de l’œuvre érotique du maître. On y retrouve à la fois son incroyable taxinomie qui le pousse à observer « scientifiquement » tout ce qui touche de près ou de loin à la sexualité (Manuel de Gomorrhe) ou, à l’inverse, son imagination délirante qui lui fait imaginer une île utopique où la sexualité régit tous les usages (l’île aux dames).
Manuel de Gomorrhe est un catalogue inachevé où Louÿs consigne toutes les observations qu’il a pu faire sur les femmes s’adonnant à cette pratique sexuelle bien précise qui consiste à laissé passer les visiteurs venant présenter leurs offrandes par la petite porte dérobée plutôt que par l’entrée principale du temple afin d’y déposer l’encens (me suis-je bien fait comprendre ?) . L’auteur a établi un plan incroyablement précis où il classe ces sodomites (lâchons le mot !) en présentant d’abord les éléments anatomiques, physiologiques et historiques avant de proposer des tableaux ethnographiques et des portraits « selon les caractères » (« a) craintive, b) geignante, c) écœurée… »), et selon les « types » (« a)maigre, b) grasse, c)étique, (…), j) brune poilue, l) femme cul-de-jatte… »). Il analyse ensuite toutes les causes envisageables de telles pratiques : les traditions, les désirs et vices, les devoirs et nécessités physiques…
Malheureusement, tous ces chapitres ne donnent pas lieu à des développements. Seuls quelques points sont rédigés et semblent être souvent le fruit d’observations « scientifiques ». C’est à la fois très drôle (comme souvent sont les œuvres licencieuses de Louÿs) et très cru.
Pour prendre un exemple concret, dans les raisons qui poussent à s’adonner à Sodome, l’auteur évoque, entre autre, la « médication » et écrit
« On persuade facilement aux femmes un peu niaises que la sodomie est seule capable de vaincre une constipation opiniâtre, maladie féminine par excellence. Une jeune femme a qui j’ai donné une fois le secret de ce prétendu remède, vient me trouver chaque fois qu’elle en a besoin et m’offre ses fesses comme à un apothicaire. »
Le reste est à l’avenant et donne à regretter que ce Manuel soit si incomplet ! La Musardine nous propose d’ailleurs, à la suite, quelques pages qui semblent extraites d’un journal intime et intitulées élégamment Enculées. Pierre Louÿs y consigne sobrement ses impressions des femmes qu’il a connues de la sorte (généralement des prostituées) :
« Rouen, rue des Espagnols.
Affreuse fille, vieille et laide, mais grande. Avait dû être belle.
Tout à fait habituée à l’acte. Respectueuse et obéissante ; ne demandant ni précautions ni égards.
Malgré sa vieillesse, je l’ai prise trois fois comme pis-aller. Elle m’intéressait par son abjection. »
La crudité de ces impressions lapidaires leur donne un certain cachet d’authenticité.
L’île aux dames est, par contre, une fiction inachevée L’histoire d’une jeune femme arrivant sur une île entièrement gouvernée par la sexualité la plus débridée. Il n’en reste ici que de longs morceaux purement descriptifs où Louÿs imagine le nom des rues, les jouets en vigueur, les règles dans la cité ou à l’école et nous propose également quelques portraits des personnages. Très peu de passages narratifs subsistent et c’est d’ailleurs ce qui nous manque le plus puisque ces longues énumérations font ressembler ce roman incomplet à une série de listes (avec des choses désopilantes, comme quelques petites annonces croquignolettes ou la présentation des spécialités des boutiques) un brin répétitives.
Malgré cela, cette île aux dames témoigne de l’incroyable obsession d’un auteur pour le sexe et de sa capacité à sans arrêt épuiser cette obsession par une écriture assez démentielle (pour ne pas faire fuir mon lectorat féminin, je renonce à vous décrire les pratiques décrites ici !). Songeons que Louÿs, gloire littéraire à une époque, ne passa pas un jour de sa vie sans écrire quelques pages « érotiques » (auxquelles il faudrait ajouter son incroyable collection de photographies), pages qui furent pour la plupart perdues ou détruites à la mort de l’écrivain.
Nul doute qu’il aurait pu signer sans peine cette « Licence de Foutre » qui régit la vie de l’île aux dames :
« Nous, Hercule 1er, roi de l’île
Donnons à nos sujets licence de foutre toutes femmes et filles consentantes, sans empêchement d’âge, de mariage ni de parenté, en tous lieux publics ou privés et comme bon leur semblera.
Donnons pareillement à toutes femmes et filles licence de se faire foutre par qui le voudra bien, en toute manière et position de fouterie, et de paillarder où il leur plaira sans empêchement d’aucune sorte.
Défendons sous peine de la vie d’enlever ou violer femme ou fille.
(…)
Déclarons que les vits et les cons ne sont point parties honteuses, mais parties nobles, dont nuls n’est contraint de cacher la vue.
Que les actes d’impudicité, fornications, adultère, inceste et autres formes de paillardise (hors le crime de viol) sont licites en tous lieux, et entre toutes personnes.
Ceci est notre don de joyeux avènement.
Donné en notre palais, le 7e may 1623.
Hercule. »
Libellés : Louÿs, Pornographie, sodomie
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