La cave du Dr Orlof

Notes en vrac

mardi, janvier 29, 2008

R comme Ribes et Rire

Le rire de résistance (2007) sous la direction de Jean-Michel Ribes (Beaux-arts éditions)

En parallèle à un spectacle donné au théâtre du Rond-point, Jean-Michel Ribes a dirigé ce très bel ouvrage consacré au rire sous toutes ses formes, de l’humour noir d’Ambrose Bierce à l’absurde de Ionesco, des grandes heures de Canal + à l’humour des philosophes (Diogène, Nietzsche…), de la caricature acerbe au conte loufoque d’Allais en passant par l’aphorisme dévastateur.

Les invités conviés au festin sont nombreux et on s’interroge parfois sur leur présence en ces pages. Le sympathique Ribes aurait gagné à être plus sélectif et ne pas laisser passer certaines sales trognes du style Attali ou Delanoë, que nous refusons de considérer comme des « résistants » et qui, surtout, n’ont vraiment rien de drôle ! Idem pour le dégoûtant Christophe Girard (adjoint au maire de Paris, la belle affaire !), le ridicule Donnedieu de Vabres, les inutiles Hubert Védrine ou André Santini.

Quand à Philippe Val, sa répugnante contribution à l’ouvrage mérite qu’on s’y attarde quelques instants. Vous aurez sans doute remarqué que le bonhomme est devenu depuis quelques temps l’une de mes cibles favorites. Sans doute parce qu’on est toujours plus déçu par ceux en qui on a cru dans notre jeunesse. Et parce que j’ai tellement la nostalgie d’un journal comme Hara-kiri ou Charlie-hebdo de la grande époque (celle que je n’ai pas connue) que je ne peux pas supporter ce type qui a dévoyé tout l’héritage de Choron, Gébé et consorts. Il y eut d’abord des attaques ridicules contre Céline, contre Nabe et le ralliement sans vergogne au traité constitutionnel européen (cette immense supercherie qu’on va nous imposer sans vaseline !). Outre le fait qu’il a transformé Charlie-hebdo en un canard d’instit de la 3ème république, Philippe Val est un menteur et un falsificateur. La manière dont il s’échine à dénigrer Chomsky est totalement scandaleuse et vous en aurez un aperçu dans cet excellent article. Et que croyez-vous que fasse Val d’hilarant dans cet ouvrage de Ribes ? Il persiste à mentir ! Mais Val n’est pas bête, il sait qu’il n’a aucun argument alors il joue sur l’amalgame et la rhétorique. Il raconte dans un premier temps sa visite dans une foire aux armes en Arizona et, au détour d’une phrase, il écrit : « Quelques stands de livres (…) offraient des biographies d’Hitler, des essais sur Goebbels, des souvenirs du Reich, croix gammées, casquettes d’officier SS, évidemment, Mein Kampf, un fascicule de Noam Chomsky contestant l’existence d’un génocide. » Vous pourrez admirer la confusion et l’incroyable amalgame que se permet le scribouilleur. Dans un premier temps, le lecteur distrait pense à l’affaire Faurisson et se dit : Chomsky = révisionniste ! Or Val sait parfaitement que cela est faux, que l’essayiste n’a jamais cautionné les thèses négationnistes et que le seul « soutien » qu’il a apporté à Faurisson, il l’a fait au nom de la seule liberté d’expression (son texte a été, par la suite, accolé en préface de l’ouvrage révisionniste sans son accord). Quand on relit attentivement la phrase et qu’on fait fi de tout cet entourage gênant (Goebbels, Mein Kampf…), on s’aperçoit que Val parle prudemment « d’un » génocide (il ne s’agit donc peut-être pas de la Shoah). Moyen commode pour lui d’amalgamer les choses et de faire référence à la polémique autour du génocide khmer que, là encore, Chomsky n’a jamais nié. En une petite phrase perfide et fallacieuse (pourquoi ne pas citer le titre de cet « opuscule » ?), Val incarne parfaitement la dégueulasserie d’une époque qui cherche à rendre suspect de tous les crimes (antisémitisme, totalitarisme…) ceux qui ne pensent pas comme elle !

Heureusement que le livre nous offre des choses plus réjouissantes que ce petit étron. Pour ma part, je trouve que les contributions des écrivains sont les plus exaltantes : Martin Page nous offre deux superbes textes sur Oscar Wilde et Karl Kraus (quel bon goût !), Benoît Duteurtre réjouit en parlant d’Offenbach et le très court texte sceptique de Régis Jauffret est particulièrement bien vu (« Le besoin inextinguible de comiques de toutes sortes dont notre société fait un usage de plus en plus immodéré, est le symptôme d’une capitulation définitive. » « Le rire est notre révolution de flanelle, notre manière de participer à une grande insurrection molle. »). On appréciera aussi les textes signés par le toujours excellent François Caradec (évidemment sur Allais et Queneau !).

Outre quelques textes à caractère historique ou analytique (quelques réflexions casse-couilles sur le rire dans l’art contemporain, sans doute imposées par la maison d’édition !), l’ouvrage se présente comme une espèce d’anthologie où sont recensés les rois du rire, déjà distingués par Breton dans son Anthologie de l’humour noir (Swift, Picabia, Vaché, Cravan, Allais…) ou part Robert Benayoun dans Les dingues du nonsense (Allen, WC.Fields, Bierce…). Et comme toute anthologie, le lecteur se réjouira de voir figurer des gens qu’il aime (Vialatte, Topor, Buñuel…) et regrettera certains oublis (même si figurent certaines de ses citations, on se demande pourquoi Desproges a été évincé au profit d’une longue note sur Coluche ou sur l’humour Canal dont il y aurait beaucoup à dire…).

Plus généralement, le livre de Ribes a le mérite de cibler les véritables enjeux du rire, à savoir une manière de subvertir l’ordre des choses, d’y introduire du désordre et de mettre à nu les différents pouvoirs. Que le rire de Nietzsche, de Charlie-Hebdo (ancienne manière) et ceux de Mai 68 résonnent dans ce livre, c’est tout à fait légitime. Maintenant, s’il fallait apporter un bémol à tout cela, il faudrait souligner que l’auteur reste très attaché à un rire « citoyen » aux cibles convenues (les religieux, les militaires, les politiciens…). Il n’y a pas de reproche de ma part dans cette remarque puisque je n’hésite pas non plus à accabler de sarcasmes ces ridicules catégories d’individus.

Mais il me semble que le livre aurait gagné en attaquant avec plus de malice la dictature molle de nos démocraties libérales. Certains évoquent ce rire qui devient finalement « complice » (Cf. Jauffret) en se contentant de viser les sempiternels cibles des bien-pensants (on peut penser ce que l’on veut de Dieudonné mais la manière dont certains l’égratignent au passage m’a paru très inélégante…). Pour ma part, je dois avouer qu’il n’y a pas un seul « professionnel » du rire qui me fasse marrer autant que Marc-Edouard Nabe et je regrette aussi amèrement l’ironie dévastatrice d’un Philippe Muray.

Il ne s’agit pas de se transformer en bigot et d’ériger des statues à ces écrivains mais de constater qu’il existe une autre forme de rire qui « résiste » elle aussi à une sorte de totalitarisme : le totalitarisme de la modernité…



NB: A l'heure où j'écris cette note, j'apprends la mort d'un fidèle de l'émission Palace, l'excellent Philippe Khorsand. L'ironie du sort est parfois bien triste...

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1 Comments:

Anonymous voyance par mail en ligne said...

Je découvre ton blog et je suis très intéressée par toutes ces ressources.

4:04 PM  

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