Apologie de Diogène
Cynismes (1990) de Michel Onfray (le livre de poche. 2005)
Je l’ai déjà dit mais pourquoi ne pas le répéter : Michel Onfray m’est sympathique. Je ne sais pas si c’est un grand penseur ou un grand philosophe mais je m’en fous. Je suis prêt à reconnaître tous les défauts du monde à son Traité d’athéologie (je les avais pointés) et à m’incliner devant ceux qui lui reprochent son manque de nuances, ses simplifications parfois un peu douteuses.
Mais après avoir lu Cynismes, qui débute par un bel hommage rendu par notre mécréant à l’un de ses professeurs de la faculté de Caen (le genre de personnage que tout le monde souhaiterait avoir rencontré lors de ses études), j’avais envie de dire qu’Onfray faisait, à son tour, œuvre d’excellent pédagogue. Je crois qu’on ne peut pas lui enlever d’être un admirable « passeur », un essayiste qui met toute sa passion dans ses livres pour nous faire circuler hors des sentiers battus du savoir universitaire et de l’académisme philosophique (son Antimanuel de philosophie fut important pour moi lorsque je le découvris). Autant ses attaques peuvent être un brin convenues (l’appendice consacré au « cynisme vulgaire » qu’Onfray décèle dans les pouvoirs politiques, religieux et idéologiques est sympathique mais vraiment très schématique) ; autant je suis toujours admiratif par la manière dont l’auteur parvient à attirer notre attention sur des pans totalement oubliés de la pensée et nous donner envie d’y aller voir de plus près.
Dans Cynismes, il s’intéresse à l’école grecque des cyniques dont la figure la plus célèbre demeure encore aujourd’hui Diogène de Sinope mais qui compte des personnalités comme Antisthène ou Hipparchia.
Il s’agit pour Onfray de proposer, à travers l’exemple cynique, un éventuel portrait de ce que pourrait et devrait être le philosophe à notre époque. En revenant, entre autres, sur les frasques les plus célèbres de Diogène (son ascétisme, son irrespect et ses sarcasmes envers toute forme de pouvoir –le fameux « Ote-toi de mon soleil » lancé à Alexandre le grand-, ses pratiques sexuelles débridées –on connaît la légende du philosophe se masturbant en public-, sa manière de faire tomber les masques et ridiculiser toutes les conventions sociales…), l’auteur l’érige comme modèle possible pour l’individu d’aujourd’hui.
Sur les traces de Nietzsche (Onfray n’a jamais caché sa dette envers l’auteur du Gai savoir), le philosophe propose de nouvelles valeurs s’inspirant du cynisme et réinvente un individualisme libertaire s’opposant à toute forme de pouvoir : « Devant tout pouvoir qui exige soumission et sacrifices de toute nature, la tâche du philosophe est l’irrespect, l’effronterie, l’impertinence, l’indiscipline et l’insoumission. »
A travers la figure des cyniques, il rejoue l’éternel combat entre l’idéalisme platonicien (dont le christianisme est, selon Onfray, une sorte de dérivé) et le matérialisme. En mettant l’accent sur ses désirs et ses besoins (Diogène se masturbe pour ne pas laisser ses désirs envahir son être) et en réfutant toute idée de vie après la mort (il refuse d’avoir une sépulture) ; le cynique apparaît comme un précurseur de ce matérialisme.
Nietzsche en parle souvent dans Ainsi parlait Zarathoustra et Onfray le détecte aussi chez Diogène et les cyniques : le rire se doit d’être la principale arme du philosophe. Pas le rire de révérence et d’acquiescement à toutes les platitudes et conventions de l’époque mais ce rire immense qui résonnera chez Cravan, Jarry, Vaché et les surréalistes (entre autres). Cynismes est un essai souvent très drôle parce que les cyniques étaient des gens très irrespectueux et insensibles aux honneurs et aux hiérarchies. Diogène le disait lui-même : « Il revient aux boucs, et non aux hommes, de combattre pour une couronne. ». On lira chez Onfray des pages assez amusantes sur le philosophe qui se fait pétomane ou zélateur de l’anthropophagie !
Cynismes puise dans une école mal-aimée de la philosophie grecque une pensée pouvant nourrir une pratique contemporaine. Onfray recherche là diverses stratégies subversives pouvant apporter de l’eau à son moulin hédoniste et libertaire. Il érige Diogène en « modèle » pour l’apprenti philosophe d’aujourd’hui et écrit joliment : « la seule issue pour un philosophe consiste à être la mauvaise conscience de son temps, de son époque, donc de son monarque, quel qu’il soit. »
Joli programme…
Libellés : Cynique, Diogène, hédonisme, Nietzsche, Onfray, rire
3 Comments:
Concernant Onfray, vous rappelez bien ce que je lui reproche (manque de rigueur qui tient de la malhonnêteté intellectuelle, emportements injustifiés). J'ai le sentiment qu'Onfray est de gauche bien avant d'être nietzschéen, ce qui lui fait manquer certains aspects "durs" mais néanmoins intéressants de la pensée de Nietzsche (rejet de la pitié, proximité du "socialisme" et du christianisme, refus de la démocratie pour ce qu'elle a de pire). L'attitude d'Onfray est alors souvent étrange, il tient un discours qui me paraît peu cohérent et donc peu philosophique, mais plutôt politique. Forcer une philosophie pour la faire rentrer dans un moule idéologique est assez laid à voir.
Par ailleurs, je ne lui refuse pas de nombreuses qualités. C'est un très bon polémiste qui sait utiliser les médias pour se faire entendre et qui sait où il va. Mais il fait preuve d'une malhonnêteté qui l'empêche d'avoir une crédibilité suffisante pour le qualifier de "philosophe" et qui ruine (à mon sens) ses efforts de persuasion et de pédagogie, aussi impressionnants soient-ils.
Sur le thème du cynisme (je n'ai pas lu son ouvrage), je trouve qu'une fois encore il fait preuve d'une terrible malhonnêteté s'il ne cite pas Sloterdijk et ne mentionne pas la dette qu'il lui doit. La critique de la raison cynique date de 1983 (bien avant l'ouvrage d'Onfray si je ne me trompe) et développe non seulement les thèmes que vous mentionnez mais aborde également avec l'opposition kunisme/cynisme de nombreux thèmes qui sont éclairés de façon très différents tout à coup. Le kunisme de la civilisation juive face aux Etats qui se croient immortels, le cynismes des "grands inquisiteurs" qui dirigent ces Etats, l'anatomie humaine... Sloterdijk parvient à aborder de nombreux thèmes sans être jamais ni pédant, ni excessivement concis, ni académiquement chiant.
S'il dit, dans sa bibliographie, devoir avant tout au livre de Léonce Paquet "les cyniques grecs. Fragments et témoignages"; Onfray cite également Sloterdijk et dit quelques mots du kunisme...
Vous n'avez pas tort sur certains défauts de Michel Onfray mais je trouve que le terme de "malhonnêteté intellectuelle" est un peu fort (ce n'est quand même pas Philippe Val!!)
Ses emportements ne sont effectivement parfois pas raisonnés et tiennent plutôt du ressentiment (visiblement, l'auteur a un très mauvais souvenir de son éducation chez les curés). Ca affaiblit souvent son argumentation, je le reconnais.
A côté de ça, tout n'est pas à jeter chez lui (ce qui est amusant, c'est qu'il semble être un penseur "médiatique" mais je dois avouer que je ne l'ai jamais vu à la télé! Je ne dois pas la regarder assez souvent!)
Il y a un très intéressant portrait d' Onfray dans la belle et nouvelle revue XXI que je conseille. Elle n'est trouvable qu'en librairie...
Bernard Alapetite
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