Bibliothèque idéale n°38 : l'Antiquité et nous
Théâtre complet (425 av JC, 388 av JC) d’Aristophane (Gallimard. Folio. 2 tomes)
C’est peu dire que je n’y connais rien en littérature antique. A part Xénophon, lu dans le cadre de mes abécédaires, et quelques œuvres de Platon étudiées en cours de philosophie en terminale, je ne me suis jamais décidé (à tort !) à me plonger dans la tragédie antique ou les poèmes épiques de l’antiquité.
Dans le cadre de la « bibliothèque idéale », j’ai décidé de m’attaquer au théâtre d’Aristophane, soit 11 pièces et un peu plus de 1000 pages (vous comprendrez ainsi mon silence radio depuis quelques temps, d’autant plus que ma lecture a été interrompue par quelques jours passés loin de chez moi !).
Même si on frise parfois l’indigestion à ingérer d’un bloc toutes ces pièces, je dois reconnaître que j’ai pris beaucoup de plaisir à découvrir cet auteur comique, féroce pamphlétaire et habile satiriste des mœurs de son temps, n’hésitant pas à recourir aux effets les plus gras (scatologie, allusions scabreuses…) et les plus « hénaurmes » pour faire rire.
Ne comptez pas sur moi pour vous offrir une fine analyse de toutes ces pièces et je demande pardon par avance aux hellénistes pour les quelques platitudes de base que je vais débiter sur le théâtre d’Aristophane.
Je distinguerais de manière très schématique trois Aristophane : le pacifiste, l’utopiste et le polémiste littéraire.
Composées pendant la guerre du Péloponnèse, les premières pièces du dramaturge (du moins, celles qui n’ont pas été perdues) sont marquées par une verve anti-belliciste de fort bon aloi. Aristophane s’en prend violemment aux démagogues qui règnent sur la Cité d’Athènes et particulièrement à son vieil ennemi Cléon qu’il prend directement à parti lorsqu’il le met en scène dans Les cavaliers.
Dans Les Acharniens, l’auteur prend comme héros un brave citoyen (que le traducteur Victor-Henry Debidour nomme « Justinet ») qui décide devant la folie de ses concitoyens de conclure pour lui-même une trêve. Etant le seul à mettre fin aux hostilités, il montre ainsi aux spectateurs qu’ils n’ont que des avantages à espérer de la paix : les affaires de Justinet reprennent et alors que l’horrible « Vatenguerre » reprend le chemin du combat, notre bonhomme se prépare à faire bombance…
Dans Les cavaliers, sans doute le plus virulent des pamphlets aristophanesques, le peuple d’Athènes est personnifié par un vieil homme tombé sous la coupe d’un démagogue belliciste qui s’avère être Cléon. Arrive pour lui succéder un marchand de boudin, personnage à vrai dire assez filou. Aristophane met en scène le duel entre ces deux hommes qui tentent de gruger le peuple (un des serviteur l’annonce clairement « mener Lepeuple, ce n’est plus l’affaire d’un homme bien éduqué et de mœurs honorables. Il en faut un qui soit ignare et crapuleux. ») Encore une fois, la paix est le seul salut pour l’auteur de la pièce qui s’en prend violemment aux dirigeants de la Cité mais qui n’épargne pas plus l’assemblée passive des citoyens qui se laisse gouverner.
Dans La paix, c’est un brave vigneron athénien qui grimpe jusqu’à l’Olympe pour aller y dénicher la paix. Il réalise que les dieux ont déserté les lieux (dégoûtés qu’ils sont par la folie des hommes) et qu’il ne reste qu’Hermès et la Guerre. Encore une fois, toute l’argumentation de la pièce tend à prouver les avantages incommensurables d’une trêve entre Athènes et Sparte et de la réconciliation des peuples.
Parallèlement à ces attaques frontales contre la guerre qui affame ses concitoyens, Aristophane s’en prend aussi à la manie des jugements intempestifs dans Les guêpes. Et c’est peu dire que les railleries de l’auteur contre son personnage atteint de « judicardite » n’ont pas pris une ride à notre époque où rien ne semble pouvoir se résoudre sans procès et soumission totale à l’institution judiciaire !
Dans le délicieux et pratiquement constamment obscène Lysistrata, Aristophane imagine également un bon procédé pour cesser toutes les hostilités : que les femmes fassent la grève et refusent en bloc le devoir conjugal. Nul doute qu’obsédés par leur membre viril, les hommes cessent immédiatement de se préoccuper de la guerre pour revenir à des occupations plus saines ! J’ai trouvé cette pièce assez tordante dans son énormité et la franche gaillardise qui s’y manifeste m’a paru revigorante (et toujours d’actualité : si les femmes cessaient de se complaire dans leur rôle de victime et refusaient leurs charmes à quiconque les bat, les met sous des voiles immondes ou se conduit comme un gros beauf autoritaire, nul doute que le comportement des hommes se mettrait à changer !). Lysistrata illustre aussi, d’une certaine façon, la veine utopiste d’Aristophane qu’on retrouve dans les oiseaux où, las du comportement des hommes, deux individus décident de fonder une communauté idéale avec les oiseaux, perchée entre les hommes et les dieux.
Dans L’assemblée des femmes, on retrouve la prééminence des décisions féminines de Lysistrata puisque les citoyennes décident de gouverner la cité et déclarent le communisme intégral (communauté des biens régie par l’Etat et communauté des personnes, avec une priorité pour les hommes et femmes laids et vieux afin qu’ils ne soient pas délaissés par les gâtés par la nature : un peu de justice, quoi !). Quand à Plutus, il s’agit d’une satire liée au dieu Argent, dieu que l’auteur montre comme plus puissant que Zeus. Sauf que ce dieu est aveugle et qu’il ne favorise que les coquins. Il s’agira donc pour le héros de la pièce de le guérir et d’offrir ainsi l’abondance aux honnêtes gens.
A côté de ces charmantes utopies, Aristophane n’hésite pas à se livrer à des polémiques littéraires et à démolir ses contemporains. Dans Les nuées, il raille l’enseignement de Socrate dont un père de famille veut user uniquement pour ruser avec ses créanciers. Dans les Thesmophories, c’est à Euripide qu’il s’en prend en mettant en scène une assemblée de femmes (encore !) bien décidée à condamner le tragédien qui se permet de les dénigrer dans ses pièces. On retrouve Euripide dans Les grenouilles, drôle de pièce où Dionysos se rend aux Enfers pour venir récupérer le meilleur des poètes décédés. Eschyle et Euripide vont donc se livrer à une joute verbale pour déterminer lequel a la plus de valeur et c’est le premier, bien entendu, qui va l’emporter.
On reste assez étonné que dans le cadre de comédies populaires, Aristophane se permette d’introduire des pastiches assez savoureux des grandes tragédies d’Euripide et d’Eschyle et des débats littéraires pour faire rire les spectateurs. On imagine mal, comme le souligne le traducteur, un dramaturge contemporain décidant de faire rire en parodiant Racine et Corneille et en mettant en scène leurs mérites respectifs !
Voilà donc un petit panorama, forcément très réducteur, du théâtre d’Aristophane qui n’a rien perdu de sa verve et de sa saveur.
Me conseillez-vous d’autres auteurs antiques pour notre « bibliothèque idéale » ?
Libellés : antiquité, Aristophane, Athènes, Bibliothèque idéale, Cléon, Eschyle, Euripide, Grèce antique, guerre du Péloponnèse, Socrate, utopie
7 Comments:
Si vous souhaitez continuer de rire : Lucien de Samosate !
L'"Histoire vraie" (ou l'"Histoire véritable", selon les traducteurs) de Lucien de Samosate est en effet plutôt drôle. Il s'agit des aventures de Gulliver avant la lettre, ou plus simplement d'une parodie des divers récits soit-disant "réalistes" grecs qui pullulaient vraisemblablement à cette époque (et dont les plus célèbres sont bien sûr L'Iliade et l'Odyssée).
Justement, ces deux récits sont évidemment à mettre entre toutes les mains, contenant bon nombre de scènes anthologiques (le premier est humain et dramatique; le deuxième est merveilleux et plus léger sur le fond). Hormis cela, si on compte rester dans la comédie, il convient de noter qu'Aristophane fait de la Comédie Ancienne (c'est-à-dire virulente, aux traits grossiers et bruts, remplie d'attaques personnelles et de fait extrêmement engagée dans la réalité d'alors), mais qu'il existe également la Comédie Nouvelle, avec Ménandre (on en a retrouvé des oeuvres que récemment, grâce à l'avancée de la papyrologie).
Dans la littérature romaine, il y a quelques auteurs qui ont repris la comédie, surtout Nouvelle, les plus connus étant sans aucun doute Plaute (son Aulularia est l'inspiration directe de l'Avare de Molière) et Térence.
Dans les classiques qui ne donnent pas trop de boutons aux non- latinistes ou hellénistes, je conseillerais également de lire l'un ou l'autre poème de Catulle voire d'Ovide. Dans un registre tragique, il y a l'Antigone de Sophocle (évidemment), éventuellement la Médée de Sénèque (un modèle de noirceur).
Enfin, pour qui s'intéresse à l'histoire romaine, lire "La Vie des 12 Césars" de Suétone peut être assez rigolo et plutôt instructif - tant qu'on garde une relative distance, étant donné que Suétone avait une certaine propension à jouer les mauvaises langues.
Mais bon, c'est une liste évidemment fort subjective et totalement non-exhaustive que je donne là ! (et je suis sûre que si des camarades de langues classiques se baladent par ici, je vais me faire hurler dessus)
Et je ne suis pas d'accord avec la parenthèse que vous faites sur les femmes, mais là n'est pas le sujet principal de la discussion :)
Oh et tiens, petite question, c'est bien le même Dr Orlof que celui du blog cinéma, oui ?
Il ya bien sûr l'Iliade ce qui est amusant avec ce texte c'est de trouver les suite, par des auteurs antiques, qui font la "soudure" avec l'Enéide. Ce n'est pas trop difficile à trouver... Mais mes bibliothèques ont du bouffer les livres!! Et puis il y a aussi le Satiricon de Pétrone, il faut essayer de trouver une traduction pas trop sage (il y a quelques mois j'en avais trouvé une sur la toile. Pour le Satiricon il y a des auteurs (modernes cette fois) qui se sont amusé à boucher les trous du récit.
Bernard Alapetite
AAAAAAAAAAAAH le mot maudit! Bon sinon j'ai lu un extrait de Aristophane sur la grève du sexe justement dans un recueil de textes classiques donc je suis très au point (enfin presque) sur les auteurs antiques: petit faible pour Sophocle et tu oublies Apulée!
Rafaël : je note!
Eliza : merci beaucoup pour tous ces conseils. Ca fait plaisir de voir des spécialistes s'aventurer dans les parages.
Je suis effectivement le Dr Orlof du blog cinéma, ce qui explique sans doute le fait que je sois plus "calé" en matière de septième art qu'en littérature antique!
Bernard : je vois que tu persistes dans ta fidélité à Yourcenar. Je vais finir par me laisser convaincre. Pour le "Satyricon", je tiens surtout à revoir le film de Fellini que j'ai vu trop jeune : je suis persuadé d'être passé complètement à côté...
Beux : Encore une "bibliothèque idéale"! tu vas être coincée jusqu'à la fin de tes jours dans tes listes!
Félicitation pour votre site! Vraiment, il est génial et comme j'ai vu dans les premiers posts c'est vrai que partages et interface du site sont vraiment une aubaine pour bosser le style. Vraiment un grand merci !
Super article comme d’habitude. Un grand merci pour tout ce que tu nous partages.
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